Une Saison

Lorsque je passe la porte de chez moi, c'est l'odeur de la viande fumée et des légumes mijotés qui me séduit. Je n'ai jamais été très bonne cuisinière et mon paternel non plus ceci-dit, j'imagine devoir cette délicieuse effluve à Anselma. Ce qui m'interpelle lorsque je me déchausse, c'est la paire de bottines noire dans l'entrée à côté de laquelle je glisse mes bottes sombres. Qui chausse si petit ? Anselma ? Elle n'était pourtant pas là tout à l'heure lorsque je suis sortie. Ma foi, je délaisse ces pompes puisque j'ai, hélas, bien mieux à faire comme participer à ce dîner. Mon estomac a de toute évidence hâte de passer à table puisque je l'entends gronder bruyamment.

—Je suis rentrée, informé-je en traversant le couloirs pour rejoindre la cuisine.

Je tape un énième sms, les yeux scotchés à mon écran - éternelle habitude - sur une conversation de groupe où se trouvent quelques amies. J'explique que rentrer chez moi a du bon et que je vais me nourrir d'autres choses que de plats tout préparés contenant astronomiques quantités de sels et d'additifs mauvais pour ma santé. C'est du moins ce que mes amies ne cessent de me répéter depuis qu'elles me connaissent.

Et puis, lorsque je relève enfin la tête, ma mâchoire manque de se décrocher et mon téléphone de rencontrer le parquet.

Mes pensées s'apesantent sur mes lèvres entrouvertes qui demeurent silencieuses devant les billes parme qui me dévisagent. J'ai une étrange impression de déjà vu et le temps suspendu dans la pièce me plonge dans un passé loin, très loin derrière moi même si parfois, j'ai l'impression que le jour où je rencontrais Anselma était encore hier. L'été précoce se soustrait aux rideaux blancs qui se soulèvent tels des petits flocons parfaitement alignés les uns aux autres. Pourquoi neige-t-il soudain dans mon salon ?

—Ha, Byleth, s'écrie mon paternel qui brise un silence de glace.

L'énorme patte de l'homme se pose sur l'épaule de l'inconnue devant moi, la rendant encore plus frêle et petite qu'elle ne l'est déjà, secouant par la même occasion les petits cristaux de neige qui la recouvrent. Comment peut-on avoir les cheveux aussi blanc ? je me demande alors.

—Regarde qui est arrivée alors que tu étais dehors.

Je la regarde. Je ne fais plus que ça. Et nul besoin d'explications supplémentaires pour comprendre qui est cette fille dont l'expression reste aussi figée que la mienne. C'est le portrait craché de sa mère. Son visage fin, sa peau éburnée et ses yeux parme dans lesquels je plonge pour la toute première fois mais où je me suis noyée mille fois et plus encore jusqu'à en oublier mon nom.

Lorsqu'elle s'approche, je reste paralysée comme une idiote devant ses manières. Elle me présente sa main gantée de blanc, le même que sa chemise sur laquelle retombe une cravate vermeille.

—Edelgard. Edelgard von Hresvelg.

Le portrait de sa mère ? pensais-je ? Sa voix n'a pourtant rien des chaleureuses notes qui s'échappent de la bouche d'Anselma quand elle prend la parole. Et l'indifférence qui la marque les sépare comme le fait leurs deux noms. Même l'odeur d'agrume qu'elle revête, bien que semblable en tout point, pour moi n'a rien à voir. La sienne est plus... piquante.

—Ho, gamine !

La voix rauque résonne de nouveau dans ma tête et me remet soudain les pendules à l'heure.

—Tu veux bien dresser la table ?

J'opine d'un léger mouvement et le regard d'Edelgard quitte le mien pour se perdre se plus loin. Cette gamine parait encore plus froide que la saison qui frappe depuis que je suis dans la pièce.

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La parfaite - ou non - famille recomposée est assise autour de la table. N'importe qui regardant les téléfilms de l'après-midi n'ayant rien d'autre à faire de mieux pourrait parfaitement se représenter ce ridicule tableau de fait.

—Chéri, pourrais-tu me passer le plat de pommes-de-terres ?

Mais quel cliché ! Mes yeux roules dans leurs orbites sur ce surnom qui me fait désagréablement crétir. Chéri, un mot qui ne colle tellement pas à l'image que j'ai de mon père, pas plus que son sourire béat d'ailleurs.

[21 :07] Ashen Demon : Quelqu'un aurait une corde, ainsi qu'un tabouret ?
[21 :07] Thunderstrike : 5 minutes que tu es à table et tu n'en peux déjà plus ?
[21 :07] Ashen Demon : La bouffe est bonne, leur jeu de regard à vomir.
[21 :08] Distant Archer : Cesse de te plaindre, tu n'as pas passé deux heures entière avec des gamins incapables de tenir une tige de bois.
[21 :08] Ashen Demon : On échange quand tu veux, je préfère cent fois enseigner à des mômes un peu mous que de tenir la chandelle.
[21 :09] Thunderstike : Et la gamine ?
[21 :10] Ashen Demon : Aussi aimable qu'une porte de prison et au moins aussi bavarde.
[21 :12] Distant Archer : Au moins elle n'a pas manqué de te crever un œil.
[21 :12] Thunderstrike : Shamir l'emporte, désolée By'.
[21:13] Ashen Demon: Un tel soutient fait chaud au cœur.
[21 :14] Distant Archer : Quel cœur ?
[21 :14] Thunderstrike : Et Shamir l'emporte de nouveau.
[21 :15] Ashen Demon : La ferme !

Mon téléphone ne cesse de vibrer, je crois que je devrais passer en silencieux.

—Ho, gamine ! Tu peux pas lâcher ça ?!

Les grognements de mon père me poussent à ranger l'objet dans ma poche mais ne m'empêchent néanmoins pas de souffler désagréablement. J'ai plus douze ans, putain, et ce repas m'ennuie. Je ne sais même pas de quoi les deux plus âgés sont en train de parler, un truc en rapport avec le brillant avenir de la moufflone d'Anselma. Elle est dans quelle école, déjà ? Son uniforme n'était pas celui du lycée publique de la ville et cela ne m'étonnerait guère qu'elle soit dans le privé mais là encore, je n'en ai pas reconnu les couleurs. Enfin, l'école, ça remonte à loin maintenant, peut-être ont-ils changé le standing. Tout ce qui ressort, c'est que c'est la meilleure. Vu comme elle est accueillante, bavarde et chaleureuse, elle doit en avoir du temps pour bosser son fameux « brillant avenir ».

—Et toi, Byleth ?

—Pardon ?

J'essaie de ne pas avaler de travers quand Anselma s'adresse à moi, chose néanmoins difficile puisqu'il lui suffit de me regarder pour que je me sente troublée.

—Ton père m'a dit que tu écrivais.

—Mon père en dit trop.

—Hey !

—J'écris seulement pour certains magasines et pour des librairies.

—Tu es critique littéraire ? sourit-elle comme si j'avais le job du siècle alors que c'est bien trop précaire.

—Grosso-modo, je réponds laconiquement.

J'engouffre une autre fourchette de légume dans ma bouche et indique ainsi que la conversation est terminée. Je n'aime pas m'épandre sur ma vie, privée et professionnelle.

—Et ta copine, on la rencontre quand ?

Je manque de m'étouffer de nouveau à la question de mon père. Je n'ai pas du penser assez fort pour qu'il ose me demander. Tous les regards sont soudain braqués sur moi, y compris celui de la gosse un peu hautaine.

—Jamais ? je réponds sérieusement.

—Ca va pourtant faire six mois que t'es avec.

—Et comment tu sais ça, je l'interroge ?

—Réseaux sociaux.

—Comme si tu savais t'en servir !

—Anselma m'a montré.

Tsss, encore une chose qui m'agace et ce n'est rien comparé à ce sentiment d'intrusion bien que, puisque cette information se trouve sur mon profil Facebook, je ne devrais certainement pas m'en plaindre.

—Et donc la première chose que tu as trouvé de mieux à faire, c'est d'espionner ta fille ?

—Seulement après avoir commandé de nouvelles pièces pour sa moto, plaisante alors Anselma.

Trop, c'est trop. Je n'en peux plus de cette conversation, de ce repas et de sa voix qui tourne en boucle dans ma tête comme un disque rayé. J'attrape mon verre de vin que je descend de moitié avant de le poser plus bruyamment sur la table devant leur expression déconfite. Ai-je une seule fois mentionné que j'avais bon caractère ? Et puis, c'est moi qui tique, devant l'éternelle indifférence de la gosse de mon ancienne enseignante qui avale une gorgée de façon maniérée.

—T'as l'âge de boire, toi ? je la pique sans raison.

—J'ai certainement passé celui d'entendre ce genre de remarque.

Remarque qu'elle appuie en avalant une seconde gorgée sans me quitter des yeux. Je ne risque pas grand chose à affirmer que cette gamine à visiblement beaucoup de caractère, elle aussi.