Un Echange
Cela fait quelques jours maintenant que je suis rentrée et que j'ai fait du coin salon mes nouveaux quartiers. Mon dos commence d'ailleurs à me le faire sentir et les courbatures que je me paye ne sont pas de celles qui donnent l'impression d'avoir passé une agréable journée. Et mes journées, parlons-en, je fais tout pour ne pas me trouver chez moi alors je sors, je vais voir mes amies, je vais écrire en me posant verre à la main sur les terrasses mais je dois dire que l'inspiration me manque. Tant de travail mais aucune motivation pour le faire.
Tout le monde est au lit, enfin sauf moi qui me trouve désagréablement installée dans mon canapé, devant la tv que je ne regarde que d'un œil puisque l'autre ne quitte pas l'écran de mon téléphone. J'ignore comment survivre à tout ceci et les offres de location ne me séduisent guère hélas. Ils sont soit trop cher pour moi, soit trop... vétustes. Et si l'un me plait, encore faut-il que mon dossier passe et avec mon boulot, autant dire qu'un tracteur a plus de chances de gagner le grand prix.
Il est presque minuit et comme tous les soirs, j'entends la porte de ma chambre s'ouvrir sur le murmure du bois. Des bruits de pas s'en suivent, à peine inaudibles cette fois mais rien de surprenant à cela puisqu'Edelgard est un poids plume. Elle se relève chaque nuit à la même heure, traverse le séjour sans faire attention à moi - et je ne fais pas attention à elle - pour se rendre à la cuisine où elle se sert un verre d'eau avant de retourner promptement se coucher. Je n'ai pas eu le « loisir » de discuter avec elle et je ne nourris aucune envie particulière de le faire mais ce soir, je ne la lâche pas du regard.
—Tu ne dors pas ? je demande pour la toute première fois en une petite semaine.
—Et toi ?
D'un geste circulaire autour de moi, assise nonchalamment en tailleurs sur le canapé, je lui indique l'endroit où je me trouve, la télévision allumée, qui démontre que non, en effet, je ne dors pas. J'imagine que sa question n'en était pas vraiment une d'ailleurs puisqu'il m'aurait difficile de lui parler si j'étais endormie. Parait-il que l'on peut avoir de surprenantes conversations avec des somnambules. Quoiqu'il en soit, elle finit par approcher puisque je ne cesse de la fixer curieusement. D'un geste, j'ôte le plaid qui recouvre les coussins, invitation à s'asseoir, chose qu'elle fait après avoir hésité quelques secondes.
—Ce n'est pas si inconfortable, découvre la jeune fille en enfonçant un peu plus son dos dans les coussins de l'assise.
—Dors dessus une semaine et on en reparle, je rétorque donc.
—Tu n'étais pas obligée de le faire, fait-elle en levant un sourcils un tantinet hautain je trouve comme si elle m'indiquait que cela était seulement mon choix.
—Tu as bien vu mon père ? Il ne tiendrait même pas en large.
—Je parle de me laisser ta chambre, j'aurais pu prendre le canapé.
—Je n'ai pas été élevée de cette façon.
Elle soupire calmement en fermant une seconde les yeux avant de les rouvrir.
—Je n'ai pas été élevée ainsi non plus.
—Connaissant un peu ta mère, j'imagine bien que non.
Elle reste silencieuse un moment et je comprends alors qu'elle ne faisait pas nécessairement référence à sa mère. Je repense alors au fait de ne l'avoir pas une seule fois vue, ou même entendue, lors de mes leçons de piano. Et même si le bruit des notes assourdissait tout autour de moi, si une enfant s'était trouvé avec nous, je l'aurais certainement remarqué à l'époque.
—Ton père ? j'ose demander.
—Tu n'as pas l'air d'aimer d'épancher sur ta vie privée, sache qu'il en est de même concernant la mienne.
Chose agaçante que je respecte néanmoins. Faire la conversation avec elle s'avère être légèrement compliqué, j'ignore pourquoi je m'inflige cela de fait.
—Alors, tu es avec une fille depuis six mois ?
—Drôle de façon de ne pas aborder ma vie privée, je lui fais remarquer un sourire incontrôlé en coin.
—Puisque je ne suis pas la première à avoir abordé le sujet, disons que ça ne compte pas. Comment s'appelle-t-elle ?
—Mercedes, dis-je laconiquement. C'est une fille vraiment gentille, j'ajoute sans trop savoir pourquoi.
—Tu dis cela comme si tu ne l'étais pas, j'ai pu comprendre que tu avais mauvais caractère mais tout de même, je plains cette pauvre Mercedes si tu es également comme cela avec elle.
—Je ne le suis pas, je lui affirme.
—Mais ?
—Mais ? je répète en arquant un sourcils.
—Ton expression laisse à penser qu'il y a un mais.
Suis-je si transparente que cela pour qu'une fille que je connais à peine lise en moi comme si j'étais un livre ouvert ou bien est-ce une particularité de cette gamine à l'avenir prometteur ? Mon père m'a dit qu'elle avait intégré une école privée qui ne sélectionnait que des gens intellectuellement... rares, si je puis dire les choses ainsi et j'ai compris après que cette école ne m'était d'ailleurs pas inconnue mais ce n'est point le sujet de ce soir. Quoiqu'il en soit, elle est très douée, trop douée peut-être.
—Les choses sont compliquées.
—Pourquoi ? Cela fait plus de six mois que tu es avec elle, alors j'imagine que tu n'es pas une handicapée des sentiments.
—Et toi, alors ? T'es quoi ? Une surdouée, un génie, une autiste ? Ou bien un mélange de tout ça ? je me braque un peu trop soudainement.
—De nous deux, pour oser poser une telle question, la seule autiste ici, c'est toi.
Elle n'a pas tort et encore que cela serait une insulte pour ces personnes handicapées. J'ignore pourquoi je réagis ainsi, peut-être est-ce parce que je n'ai pas trop envie d'expliciter les raisons du « c'est compliqué » qui revient sans cesse lorsque l'on me questionne sur Mercedes.
Je soupire, me gratte la tête, une manie qu'elle reconnait non sans surprise puisqu'elle a vu mon père le faire bien plus d'une fois.
—Et toi, tu as quelqu'un ? Un copain ? je demande alors pour détendre l'atmosphère bien que l'effet suscité ne soit guère au rendez-vous.
—Non.
—Une copine ? je tente alors.
Le temps reste comme suspendu à ses lèvres pendant une courte seconde.
—Non plus, elle finit par répondre.
—Mais tu préfères les femmes, ou me tromperais-je ?
—Et qu'est-ce qui peut bien te laisser penser cela ?
Elle se tourne un peu plus vers moi et croise ses bras sur sa poitrine. Son regard, curieux, se met à luire mais son corps m'indique qu'elle reste tout de même sur la défensive. Une attitude qui m'indique que j'ai visé juste.
—L'hésitation que tu as eu.
Je crois que c'est la première fois que je vois ses lèvres s'étirer, à peine, mais tout de même, alors je continue.
—Mais j'imagine que s'il n'y a aucun problème à parler de mes histoires de cœur et de mes relations, tu n'as pas envie de t'étendre sur les tiennes.
—Tu imagines très bien, elle répond bien sûre d'elle.
—Qu'est-ce qu'une gamine qui vient d'avoir dix-sept ans connaîtrait de l'amour, après tout, je poursuis sans retenue.
—Qui sait, peut-être plus qu'une femme de vingt-sept qui ne sait que répondre que c'est compliqué.
Hautaine et arrogante, avec une touche de condescendante. Elle ne ressemble définitivement pas à sa mère, en ce qui concerne son caractère tout du moins puisque quand je la regarde, c'est Anselma que je vois parfois. Celle que j'admirais autrefois.
—Je vais me coucher, je dois me lever tôt demain.
—Un samedi ? Alors que les cours sont finis ?
—J'ai un entraînement d'escrime.
J'oubliais que dans son école même si l'année était terminée, les activités extrascolaire continuent tout l'été. J'aurais bien du mal à continuer à aller à l'école alors que je suis en vacances. Ma foi, Edelgard se lève, s'étire avec grâce, et je suis certaine qu'elle me toise une seconde du haut de sa ridicule petite taille puisque je suis assise.
—Bonne nuit, Byleth.
—Bonne nuit.
Je coupe la télévision et décide de me coucher également, j'ai pour habitude de me lever tôt surtout depuis que je vis de nouveau ici. J'ai comme qui dirait l'idée que moi aussi, demain, j'irai faire un tour dans cette fameuse école... Après tout, cela fait un moment que je n'y ai plus mis les pieds.
