Une Famille
Fin de matinée, le soleil tape et galvanise les immenses murs entre lesquels j'ai plus d'une fois erré. Si cela peut paraître étrange à certains, je me suis toujours sentie bien ici, détendue, et d'une certaine façon apaisée. Peut-être est-ce parce que ma mère à passé sa jeunesse ici et que j'ai l'impression qu'elle y est toujours. Je ne crois ni aux fantômes ni à ce genre de choses, mais je sais que sa présence à marqué Saint Seiros : l'école la plus prestigieuse de la ville, voire du pays tout entier.
Je ne reviens aucunement pour saluer un quelconque souvenir et tout le personnel me connait, sait qui je suis, pas seulement parce que je suis la fille de Sitri. C'est sans aucune hésitation que je traverse les différents couloirs et l'articulation d'aménagements intérieurs extérieurs, les jardins fleuris jusqu'à prendre la direction de la cathédrale avant laquelle je m'arrête néanmoins. Mes doigts caressent les pierres fraîches des murs malgré la chaleur lorsque j'emprunte les escaliers menant à l'étage. Je longe un énième couloir - ils donnent l'impression de ne jamais finir - puis arrive devant les immenses portes de ce qui était autrefois une salle d'audience.
—Byleth ?
Je me retourne sur la voix grave qui m'interpelle et sourit quand je croise le regard de Jade d'un homme que je connais particulièrement bien. Je ne l'ai pas revu depuis longtemps et il n'a pas du tout changé, toujours ce petit bouc de quelques jours tout au plus de la même teinte que ses cheveux dont les épis caressent les dorures de son uniforme nuit.
—Oncle Seteth.
Ce n'est pas vraiment mon oncle, c'est plutôt celui de ma mère, ou un lointain cousin de sa mère à elle. J'avoue ne jamais avoir tout à fait saisi la subtilité et la complexité de mon arbre généalogique car l'important demeure le fait qu'il fait partie de ma famille, et c'est tout ce qui compte à mes yeux.
—Tu aurais du prévenir que tu passais, j'aurais aménagé nos emplois du temps.
—J'ai décidé à la dernière minute, je réponds très simplement.
—Tu es rentrée il y a longtemps ?
—Quelques jours. Elle est ici ?
—Oui, dans son bureau.
Il fait un geste de la main tout en gardant cette posture qui le rend impassible. N'importe qui ne connaissant que peu Seteth dirait que c'est un homme sévère et froid, mais quiconque le connait un minimum sait qu'il est surtout bienveillant. Il n'en est pas moins sévère, dur peut-être aussi, mais c'est toujours pour de bonnes raison.
Sans même frapper, j'ouvre les grandes portes et pénètre dans une salle encore plus immense dont le plafond est si haut qu'on pourrait se briser la nuque à risquer l'admirer trop longtemps. Un seul pieds dans cette salle et on ressent toute la prestance de celle qui l'occupe. Celle-ci est écrasante, et ce n'est pas peu dire : c'est le temps lui même qui se suspend et se décroche de son cours.
—Byleth.
Mes lèvres s'étirent davantage et j'ai à peine le temps de me retourner que c'est un voile de tendresse qui m'enveloppe et une odeur de Lys qui m'apaise. Je pourrais rester comme cela pendant des heures tant je me sens bien. Je n'ai que peu connu ma mère, mais ce que je ressens à l'instant est une sensation très proche de celle que je trouvais dans ses bras. Ce ne sont pourtant pas les siens qui m'entourent, mais ceux de sa propre mère, ma grand-mère de fait.
—Rhea.
Mes mains se referment dans son dos sans penser une seule seconde que je risque de froisser sa robe immaculée. Rien n'a plus d'importance que cette chaleur qui m'enveloppe et me recouvre, et ce rideau de Jade qui m'entoure.
—Je suis si heureuse de te voir, cela fait bien longtemps que tu n'es pas venue.
—Je suis désolée, j'ai été très occupée ces derniers temps, je me fonds aussitôt en excuses.
Elle me sourit chaleureusement - Rhea n'a rien de la femme tyrannique que certains s'imaginent - et m'entraîne dans un petit renfoncement de l'immense pièce qui lui sert de bureau. Ici non plus, rien n'a changé, et je sens une marque se creuser à la commissure de mes lèvres quand je remarque qu'elle écrit toujours avec sa plume même si l'époque ne s'y prête plus. Je me rappelle une fois avoir renversé l'encrier et m'être caché sous son bureau. Rhea n'a rien de la femme tyrannique que certains imaginent non, mais personne ne souhaiterait la voir en colère et nul n'est encore vivant aujourd'hui pour en témoigner d'ailleurs.
—J'imagine que si tu es ici, c'est que quelque chose te tracasse ?
—Suis-je si transparente que cela ? je demande à peine surprise.
—Je te connais seulement par cœur.
Je regrette parfois de ne pas avoir pu passer plus de temps avec elle. Lorsque ma mère est morte, les occasions de la voir se sont fait moins nombreuses et mon père ne s'entend pas nécessairement très bien avec elle alors, ce n'est que lorsque j'ai eu dix-huit ans que j'ai de nouveau pu la côtoyer régulièrement. Quoiqu'il en soit, le passé ne se représentera jamais devant moi alors je préfère profiter d'aujourd'hui afin de savourer demain.
—J'ai du rendre mon appartement, je suis donc retournée chez mon père... je soupire en me frottant la tête avant de m'affaler un peu plus dans les coussins.
—Je vois.
—Tu savais que sa nouvelle compagne avait emménagé chez nous ?
—Bien sûr, je reste aux faits de tout ce qui te concerne de près ou de loin, la femme sourit chaleureusement.
—Tu es effrayante parfois, Rhea.
Si je la nomme ainsi c'est parce qu'il ne serait pas très approprié de l'appeler « grand-mère » alors qu'elle parait avoir trente ans. J'arrive à un âge où il me faut peut-être lui demander ses secrets d'ailleurs pour ne pas finir les traits tirés comme mon père.
—Est-ce cela qui te chagrine ? Qu'une femme ait emménagé chez toi ?
—Tu sais bien que je n'ai jamais eu aucun problème à ce sujet, j'ai envie de le voir heureux, je murmure un peu perdue dans mes pensées. C'est juste que...
—C'est elle.
—Encore une fois, rien ne t'échappe, je souris.
—Rien qui ne te concerne en tout cas.
C'est cet excès de bienveillance que mon père compare à une obsession malsaine qui l'a poussé à m'éloigner de cette femme au décès de ma mère. Moi, cela ne m'a jamais dérangé, bien au contraire, et plus il me poussait loin d'elle plus j'avais envie de la connaitre. Rhea est d'ailleurs la seule personne à qui je me suis confiée à l'époque.
—Franchement, il pouvait pas en choisir une autre ? Sérieux, c'est pas comme si les femmes belles et jeunes ne couraient pas les rues ! Putain... je lâche sans m'en rendre compte, mais quelle galère...
—Byleth ! fait la femme en levant un doigts devant moi comme si j'avais quatre ans, figure d'autorité, ce n'est pas de cette façon que ta mère t'a élevée !
—Pardon.
Mes doigts retrouvent naturellement le chemin de ma crinière que j'ébouriffe un peu plus devant ma grand-mère qui sourit. C'est sûr qu'à titre de comparaison, l'éducation de ce côté de la famille contraste grandement avec la branche Eisner. J'ai souvent l'impression de tenir tout mon caractère de ce côté d'ailleurs.
—Ca fait dix ans mais quand je la vois, mon cœur bat toujours aussi vite.
Je froisse mon t-shirt sur ma poitrine en prononçant ces mots. Même à l'instant, j'ai l'impression que ce cœur que je déteste va imploser.
—Je ne savais même pas qu'elle avait une fille, tu savais qu'elle est dans cette académie ? je demande avant de poursuivre : j'imagine que oui.
—La jeune Hresvelg, oui, en effet, répond-elle très laconiquement.
—La jeune ? je tique, il y en a d'autres ?
—Pas ici.
Pourquoi tout ce qui concerne le passé d'Anselma, et celui d'Edelgard de fait, semble aussi mystérieux ? C'est pas comme si on était dans un film à suspens après tout, non ? Alors pourquoi en faire toute une histoire composée de zones d'ombres ?
—Tu n'as toujours pas compris ? demande la plus âgée d'entre nous en penchant la tête sur le côté, me laissant plutôt perplexe.
—Compris quoi ?
—Hresvelg, ce nom ne te dit vraiment rien ?
—Pas plus que ça, j'hausse les épaules. Il devrait ?
—Les industries Hresvelg, l'automobile, l'aéronautique... Même cette moto que je déteste tant, elle ajoute en plissant légèrement les yeux, les Hresvelg possède tout un empire, c'est probablement la plus grosse fortune du pays.
—Laisse ma moto en dehors de ça, grand-mère, dis-je en croisant mes bras.
—Byleth !
Puis son rire et le mien se mêlent, des petites volutes de notes qui s'accordent parfaitement tel le chant de notre complicité. Une complicité qui fut longue à construire, mais avec une facilité qui nous a toutes les deux surprises. Tous les enfants partagent d'heureux et agréables moments avec leurs grands-parents, rien d'anormal à ceci, mais pour Rhea et moi... Nous partageons bien plus : une terrible absence dont nous avons comblé le vide.
Mes mains se joignent, mes doigts se croisent et mes coudes se posent sur mes cuisses lorsque je prends une expression plus grave avant d'expirer longuement.
—Qu'est ce que je suis censée faire, maintenant ? Je pensais que cette désagréable sensation passerait mais force est de constater qu'elle est profondément gravée en moi...
—Byleth...
La femme se lève lentement pour venir se poser près de moi. Ses bras passent de part et d'autre des miens lorsqu'elle me serre très tendrement contre elle avant de remonter caresser mes cheveux. Je n'ai plus qu'à fermer les yeux et à la laisser me bercer comme le faisait ma mère, comme elle a prit l'habitude de le faire lorsque je ne vais pas bien. J'ai l'impression d'avoir de nouveau quatre ans, d'être redevenue une enfant, l'insouciance et l'innocence en moins puisque la vie me les a prises.
—Comment faire le deuil d'une relation qui n'a jamais existé ? Surtout dans ces circonstances ?
—En acceptant d'avoir mal, Byleth.
Je me love un peu plus au cœur de ce brouillard de Jade qui ne tarde à m'embrumer l'esprit entièrement. Quelques minutes seulement, juste assez pour me donner du courage. Le courage de rentrer.
