Un Océan

Je suis restée un peu plus d'une heure avec Rhea avant de me décider à partir. Je prends plaisir à faire quelques détours dans les jardins de cette académie - un ancien monastère aussi surprenant que cela puisse paraitre - pour admirer le pléthore de couleur des fleurs qui perdurent en toute saison. Autrefois, ce monastère à l'incroyable histoire était un bastion que les trois puissances qui composaient ce pays se disputaient sans cesse, enfin, surtout deux d'entre elles.

Me voila devant l'étang située en contrebas de cette académie - car oui, il y a également un étang - et je n'ai aucune difficulté à reconnaître la petite silhouette se tenant bien droite au bout d'un ponton de bois, une canne plus grande qu'elle entre les mains.

—Yo, gamine ! je m'écrie en approchant, ça mord aujourd'hui ?

La fille sursaute, lâche sa canne que j'attrape avant qu'elle ne tombe à l'eau et disparaisse devant une paire d'yeux déconfits. Ceux-ci se mettent cependant à briller lorsqu'elle croise mon regard, et un sourire très large prend place sur son visage poupon.

—Byleth !

Elle me saute dans les bras et je lui rends ce petit - ou gros - câlin impromptu avant de replacer ses énormes torsades correctement. Elle, c'est le portrait craché de son père, la sévérité en moins et la douceur en plus, je m'amuse à penser.

—Depuis quand es-tu rentrée ?! Tu aurais pu prévenir ! elle me réprimande faussement.

Vraiment le portrait craché de son père.

—Pas très longtemps, je réponds avant d'ajouter : mais peut-être aurais-je du attendre encore, tu n'as pas pris un centimètre !

Ses sourcils froncent quand je pose le plat de ma main sur le dessus de sa tête pour la taquiner gentiment avant de mettre ma seconde sur la mienne. Je crois malheureusement que sa croissance s'arrêtera là.

—Ca fait deux ans ! Tu n'as pas honte ?

—Doucement, doucement, dis-je en levant les mains devant ma poitrine, je vous appelle régulièrement !

—Ce n'est pas pareil !

—Je sais, je suis une cousine indigne, que la Déesse m'en tienne rigueur quand je la rejoindrai !

Je lui rends sa canne qu'elle attrape avec joie. Flayn - c'est ainsi que se nomme la pêcheuse - se trouve toujours près de l'étang, peu importe la saison, lorsque je viens ici. Elle n'est pourtant pas très douée, ce qui n'est pas plus mal pour les pauvres poissons. Enfin, j'ai beau dire ça, je n'ai rien contre un bon gros pavé de saumon fumé mais pas sûre d'en trouver ici.

—J'admire ta persévérance, je souffle avant de m'asseoir sur la largeur du bois.

—C'est parce que j'aime l'océan.

—L'océan ?

—Oui, quand je regarde à la surface de l'eau, j'ai parfois l'impression de me trouver devant l'océan.

Elle pose enfin sa canne et s'assied à mes côtés, une expression entre la joie et la peine qui me vaut un douloureux pincement dans la poitrine.

—Ca me rappelle ma mère.

Mon bras fait le tour de la gamine que j'attrape par l'épaule pour l'approcher de moi. Cette peine qu'elle ressent et que je ne connais que trop bien est une chose que l'on partage et qui là encore, me rapproche de cette branche de la famille. Je ne prétends pas que mon père ne souffre pas du décès de ma mère, mais il n'en parle pas, pas plus que moi, alors les larmes ne sont pas quelques choses que l'on partage lui et moi.

—Cela fait longtemps que je ne lui ai pas rendu visite, elle soupire une pointe d'espoir dans la voix, l'espoir de pouvoir bientôt aller la saluer.

—Je t'y emmènerai !

—C'est une promesse ?

—Ouais, c'est une promesse, réponds-je en levant mon petit doigts qu'elle attrape.

—Mais pas sur ton horrible moto !

—Mais qu'est-ce que vous avez tous, avec ma moto ?! Je suis très prudente avec !

Nous sommes restées un long moment, silencieuses puisque les mots sont inutiles dans ce genre de situation, à admirer la surface cristalline sublimée par les rayons de midi. Jusqu'à ce que nos estomacs grondent. J'ai refusé l'invitation de Flayn car même si je n'en ai pas l'air, je suis particulièrement occupée. Une excuse que je ressors chaque fois et qui finira par tous les lasser cependant. A ce rythme, je suis certaine de finir bâillonnée, un sac en toile de jute sur la tête pour finir attachée dans le bureau de Rhea.

Lorsque je passe sous l'ancienne herse, l'entrée de cette académie, je me retourne et ne peux empêcher une pensée pleine de nostalgie bercer mon esprit. Je n'étais pas si loin, après tout, c'est vrai, j'aurais pu faire l'effort de rentrer plus régulièrement, mais... Tous ces souvenirs... Ils ne reviennent jamais sans les autres. Certains sont très joyeux, d'autres bien plus douloureux et pour ceux-là, une part de moi les fuie.

—Byleth ?

Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai entendu mon prénom aujourd'hui. Voila que je me gratte nouveau le crâne nonchalamment, une habitude que je n'arriverai définitivement jamais à perdre.

—Salut, Edelgard !

—Comment ça, « salut » ? répète la susnommée en fronçant les sourcils.

—Et euh... j'hésite quelques secondes...

—Dorothea ! m'apprends joyeusement une camarade à elle qui la colle étonnement de près. Alors c'est elle ? murmure-t-elle pas du tout discrètement à l'oreille de la blanche dont quelques cheveux se soulèvent sur les paroles parfaitement audibles. Tu ne m'avais pas dit qu'elle avait tant de charme, Edie !

—Pourquoi t'aurais-je dit quelque chose comme cela, Dorothea ?!

—Je ne sais pas, peut-être parce que j'aime les femmes avec du caractère ! Elle est célibataire ? Riche peut-être ?

La brune me tourne autour comme si j'étais un morceau de viande emballé sous vide au supermarché entre le lard et le jambon, me scrutant sous toutes les coutures de son regard perçant malachite, ses boucles boisées se soulevant à chacun de ses gestes et dévoilant une subtile fragrance de pommes verte.

—Et puis, je ne vois pas du tout de quel charme tu parles, ajoute très rapidement la plus petite de nous trois, une main posée sur les hanches, impérieuse.

—Mais si, regarde ! Ce petit côté sauvage cache forcément quelque chose d'aussi intéressant que mystérieux !

La brune fait de petits gestes de la main, tantôt sur mes cheveux ébouriffés, tantôt sur mes bras qu'elle vient de qualifier de... parfaitement musclés ? Sérieux, c'est qui, cette folle ?

—Euh... j'essaie de l'interpeller, je suis là, vous savez ?

—Ho, pardon.

Elle fait un pas en arrière, porte sa main fermée devant sa bouche avant de se racler la gorge, puis un sourire fend son visage.

—Dorothea. Dorothea Arnold.

J'avais compris, mais devant les mêmes manières qu'Edelgard a eu lorsque je l'ai rencontrée, je n'ai d'autre choix que d'attraper ses doigts que je serre des miens

—Allons, ne fait pas cette tête, Edie, s'amuse celle aux yeux verts devant l'expression dubitative de ma « sœur ». Je te taquine.

Sur quel point, au juste ? Dois-je me sentir vexée ? Ha, il n'aura pas duré longtemps, le charme et le côté mystérieux. Peut-être que je devrais retourner voir Rhea pour lui dire d'étudier plus longuement les candidatures. Des gosses aux capacités intellectuelles particulières ? Tu m'étonnes qu'elles sont particulières !

—Qu'est-ce que tu fais ici, Byleth ? m'accuse presque la blanche. Est-ce que tu me surveilles

—Quoi ? je lâche sans comprendre. Mais non !

Sérieux, pourquoi me regarde-t-elle d'un air aussi sévère ? C'est quoi, son problème ?!

—Alors qu'est-ce que tu fais ici ? Eh bien, réponds, j'attends !

Mais quelle condescendance ! Ce petit côté supérieur qu'elle revêt et qui finalement parait très naturel chez elle est des plus détestable !

—Je rendais seulement visite à quelqu'un !

—Ha oui ? Quelqu'un ? elle répète très calmement malgré son attitude sur la défensive.

—Oui, Rhea, si tu veux tout savoir.

—La directrice ? demande à son tour la brune.

Je refuse de lâcher le regard parme qui tente - on dirait bien - de me perforer comme le ferait une balle de fusils. Elle est totalement braquée.

—Ouais, c'est ma grand-mère, réponds-je les yeux visser à ceux d'Edelgard qui s'agrandissent comme jamais.

—Par tous les Saints ! s'écrie Dorothea en couvrant sa bouche comme si elle avait lâché une insulte. Mais quel âge peut bien avoir cette femme ?

Finalement, mon regard est attirée par Dorothea dont les doigts se lèvent un à un. Si elle essaie de faire le compte, ce n'est vraiment pas gagné.

—Tu n'auras pas assez de doigts, je l'arrête avant qu'elle ne se fasse des nœuds au cerveau. Et toi, tu ne dis plus rien ? j'ajoute en braquant de nouveau la gamine qui squatte ma chambre.

—Sitri... elle murmure l'expression toujours aussi fermée. Alors c'est elle, ta mère.

—Sitri ? relève Dorothea. Comme sur...

—La plaque au cœur des jardins, ouais, je termine à sa place.

Edelgard n'est pas plus surprise que cela. Nul doute qu'elle croit à mon histoire, mais ignorait sans doute le prénom de ma mère. Rien d'étonnant à cela puisque mon père n'en parle jamais, et je ne vois pas pourquoi sa mère lui aurait parlé de la mienne. Et puis, elle souffle, attrape les bras de son amie, et me dépasse.

—Attends ! je l'arrête dans sa marche. Tu veux que je te ramène ?

—Sur ton engin ? demande la gosse en zyeutant la machine garée non loin, non merci, ajoute-t-elle.

Elle est tellement hautaine, c'est fou de l'être autant ! Et pourtant, je n'arrive pas à lâcher son regard, un océan parme à la fois calme et agité, dont chaque vague pourrait m'emporter violemment.