Une Insomnie

Je n'ai jamais été si tendue de retrouver mon propre lit, mon canapé me manque presque alors que ça ne fait que quelques minutes que je suis couchée. Edelgard semble n'avoir aucun problème à dormir, sa respiration est calme, mais son parfum rythme l'agitation qui m'enveloppe. J'ignore si elle est vraiment endormie mais demeure immobile de peur de la réveiller, ce qui évidemment, ne m'aide pas à me détendre. La position préférée de Chentayt n'est pas la plus agréable, tout comme ne l'est pas la sensation de m'être comparée à une vache. Mon lit est pourtant grand et la distance qui nous sépare me semble suffisamment raisonnable pour ne pas avoir à me torturer de la sorte, mais ces petites notes d'agrumes, douces, fruitées, acidulées, familières mais aussi inconnues, se fichent totalement qu'il n'y ai qu'un oreiller ou bien un océan entre nous.

Au bout d'une heure, deux peut-être, difficile à dire, je décide de sortir de mon lit, attrape le paquet de clope laissé dans une veste et sors sur la terrasse sur laquelle ma chambre donne. Celle-ci coure le long de notre appartement mais l'autre entrée ne se fait que par le salon, aucune chance d'être dérangée ainsi sans voir la personne arriver de fait. Cette nuit, il n'y a qu'un croissant de lune pour éclairer la ville et je ne peux mettre mes insomnies sur le cycle lunaire. Cela faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé, sortir à plus de deux heure du mat' m'allumer une clope en contemplant les lumières de la ville tel le reflet du ciel scintillant devant mes yeux qui refusent de se clore.

Le point incandescent danse entre mes doigts et s'intensifie lorsque mes lèvres murmurent silencieusement. Cela faisait longtemps, vraiment longtemps, que je n'avais pas autant apprécié une cigarette alors que je suis seule, du moins, pour le moment.

—Byleth ?

Je me retourne lentement lorsque la fumée blanche s'échappe de ma bouche pour se changer en nuage.

—Je pensais que tu dormais.

—L'odeur m'a réveillée, m'informe la blanche en enfonçant ses épaules sous une fine couverture.

—Désolée.

Je fais un pas sur le côté afin de m'écarter d'elle lorsque je tire une autre latte que je souffle à l'opposé mais la surprend à s'approcher d'assez près pour que mes précautions soient comme qui dirait, parfaitement inutiles.

—Tu n'arrives pas à dormir ? s'enquiert-elle soudain.

—Pas vraiment.

Le rideau blanc, opaque, attire mes yeux ce qui à l'instant m'arrange particulièrement puisqu'ainsi, je n'ai pas à la regarder, à me confronter aux vagues parme dans lesquelles mon propre reflet se brise, et avec lui, des pensées disloquées.

—Tu sais que... commence alors la blanche.

—Fumer tue ? je la coupe avant qu'elle ne termine. Ouais, je suis au courant.

Je l'entends soupirer puis c'est le tintement de l'acier lorsqu'elle croise ses bras sur la rambarde métallique qui le remplace. Elle reste silencieuse un moment, les yeux rivés sur la ville qui scintillent du haut de cet immense immeuble. J'ai beau fixé le même paysage qu'elle, mes yeux se soustraient régulièrement, très furtivement, à ce tableau pour en contempler un autre.

—J'allais seulement dire que même si tu n'arrives pas à dormir, tu devrais au moins te reposer.

J'écrase ma clope sans lui répondre et me dirige vers la porte de ma chambre - notre chambre - avant de me tourner vers elle.

—Tu viens ? Ou bien t'attends qu'il neige, je me moque à peine.

—Tu es irrécupérable, lâche la blanche en passant devant moi.

Elle se dirige vers un côté du lit, j'en fais autant de l'autre, m'apprêtant à retrouver cette position dans laquelle je suis restée paralysée un moment, mais son regard appuyé me fige avant que l'insomnie ne le fasse.

—Et oui, fumer tue, elle ajoute en plissant les yeux. Mais là, c'est ton odeur qui le fait, tu empestes.

Mes lèvres s'étirent devant cette gamine qui ne manque jamais d'avoir le fin mot pour vexer sans m'offusquer pour autant. A la place, je la fixe à mon tour, sourit un peu plus, avant d'ôter mon t-shirt devant son regard éberlué.

—Tu n'as vraiment aucune manière...

—Quoi ? T'as jamais vu une femme à moitié nue ? je demande la voix tintée de malice.

—B- Bien sûr que si !

—Je croyais pourtant que tu n'avais rien d'intéressant à raconter, j'insiste encore.

Je suis presque certaine qu'elle pique un fard mais je ne peux le voir, chose qui l'arrange sans doute. Elle se retourne dans le lit pour fuir mon humeur taquine lorsque j'attrape un t-shirt qui sent sans doute meilleur, avant de me glisser dans les draps à mon tour sans ajouter mot. Etrangement, je suis bien plus détendue que tout à l'heure.

—Rien que tu n'ais besoin de savoir, conclue-t-elle avant de faire mine de dormir.

J'essaie d'en faire autant, un sourire marquant mes lèvres. Pourquoi ai-je le sentiment d'avoir gagné une manche alors qu'il n'y a aucune bataille à mener ? Quoiqu'il en soit, je choisis de suivre son conseil et de me reposer, jusqu'à ce que la nuit ne m'emporte enfin.

/

C'est évidemment sans surprise que le soleil filtre intensément lorsque j'ouvre les yeux, à plus de dix heure du mat. Je suis claquée, et Edelgard n'est plus là. J'ai l'impression d'avoir perdu une bonne partie de la matinée et je saute presque du lit, jette mes fringues en passant la porte de la salle de bain attenante à ma chambre avant de m'engouffrer sous la douche qui se charge de finir de me réveiller. Là aussi, la gamine a laissé ses marques et me voila à attraper tour à tour gel douche et shampoing pour détailler chaque étiquette. J'ai un léger sourire quand je vois le mot « Bergamote » sur le second flacon et comprends alors pourquoi son odeur me rappelle celle de sa mère. Le parfum de cette dernière contient des notes de bigarade, la nuance est subtile.

Je quitte très rapidement l'appartement après m'être habillée, enfourche ma moto et roule un moment pour arriver dans une boutique où j'aime passer des heures. J'ai à peine le temps de passer les portes que mes yeux se perdent sur tous les accessoires et fringues qu'ils vendent ici pour les bécanes, hélas, mon budget ne me permet guère de folie.

—Ho ! Si c'est pas la gamine du Capitaine !

Mes yeux sont au paradis, pour sûr, mais mes oreilles saignent déjà en entendant la voix du nouveau gérant. Enfin nouveau... Ca fait quelques années maintenant, depuis que mon père a quitté le navire d'où ce petit surnom d'ailleurs.

Je salue l'homme qui souffre toujours d'embonpoint malgré le temps qui passe - cela ne va pas en s'arrangeant - avant de me diriger vers les allées de vestes en tout genre où par malheur, il me poursuit. Le bougre ne me lâchera certainement pas avant que je ne passe à la caisse.

—Je n'ai pas vu ton père depuis un moment, comment va-t-il ?

—Bien, Aloïs, il va bien. Il écume les mers de l'amour sourire aux lèvres tel un mousse lors de sa première aventure.

—Rien de très étonnant avec le trésors qu'il a déniché, sacré Capitaine !

Sans blague, je pense en ignorant sa petite bedaine qui me colle au train comme un chewing-gum collé sous ma botte épaisse.

C'est mon père qui a ouvert cette boutique mais il a délégué à son bras droit de l'époque, c'est à dire à cet aimant à ennui, pour en ouvrir d'autres un peu partout en ville et même en dehors. Enfin, par d'autres, j'entends seulement deux ou trois. On ne dirait pas, mais maintenant, il s'occupe des finances, des papiers, des trucs administratifs et très chiants. Pas plus chiants qu'Aloïs cependant, rien ne peut le surpasser sur ce point.

—Tu cherches quelque chose en particulier ?

—Un casque, je réponds laconiquement en me dirigeant vers ces derniers.

—Le tiens a un soucis ?

—Non, c'est pour... j'hésite une seconde, pour une amie.

Il se gratte la tête, faut croire que cette habitude de mon père n'a pas déteint seulement sur moi, et me devance dans le rayon, un sourire bien trop béat aux lèvres. L'homme n'est pas méchant, au contraire même, il admire mon père, mais il est vraiment niais je trouve. Trop niais pour que je puisse le supporter plus de quelques minutes.

—Pour une petite tête.

Mais bien remplie, je m'abstiens d'ajouter.

Le rondouillet fait son taff, il cherche quelques secondes avant de me présenter un casque intégral - je suis très pointilleuse sur la sécurité - de couleur vermeille - comme pas hasard - pour aller avec le look de ma bécane. J'opine de la tête et il embarque l'objet, Aloïs est certes ennuyant, mais au moins il est efficace. Je fais rapidement le tour de la boutique, chope une paire de gants homologués et sourit en pensant qu'au moins, ça ne la changera pas, avant de passer à la caisse.

—Pour une amie ? dit l'homme alors que le montant pourrait me faire manquer un battement.

Les équipements pour motards coûtent si cher que je me demande si je ne fais pas une connerie, ma foi, trop tard, ma carte bleue est déjà en train de flamber dans le TPE.

—D'une certaine façon, on peut dire que tu te payes sa tête, se met soudain à rire l'homme tandis que je reste de marbre.

Ai-je expliqué pourquoi j'avais du mal à supporter cet homme ? Son humour très douteux est une des très - trop - nombreuses raisons... Quoiqu'il en soit, loin de moi l'envie de laisser les années se succéder aux années ici, alors je salue l'homme, ouvre le coffre sous ma selle pour y ranger mes achats, et me remet en route pour chez moi, du travail m'attends.

Lorsque je passe la porte et me déchausse, je remarque aussitôt que les pompes de la gosse et celles de mon père ne sont pas dans l'entrée. Imaginer que je suis seule avec Anselma me laboure déjà l'estomac mais puisque nous vivons sous le même toit, je dois le supporter. J'imagine que la sensation passera à un moment mais plus j'avance dans le séjour, plus je sens mon cœur flageller mes pensées. C'est inconsciemment que je la cherche du regard, jusqu'à la trouver mettre en ordre l'ancien bureau de mon père.

—Byleth ?

Elle se retourne quand je me pose sous le chambranle de la porte, l'observant intensément, silencieusement, interrogeant son regard parme qui ne cesse donc jamais de briller en toute circonstance.

—Qu'est-ce que tu fais ? je demande à la femme.

—Un peu de rangement, elle me sourit tendrement, ton père n'est pas le meilleur dans ce domaine.

—Tu dois bien le connaitre, après deux ans.

Ma remarque sonne comme une pique, ce qui n'échappe pas à mon ancienne prof' de musique dont le regard me rend toujours nostalgique. Elle s'approche, un pas après l'autre, au rythme de mon cœur qui fracasse maintenant ma poitrine, et s'arrête à quelques centimètres de moi. C'est drôle, je l'imaginais un peu plus grande, dans mes souvenirs, mais l'effet qu'elle a sur moi est lui toujours aussi imposant.

—Tu as tellement grandit.

Alors quoi, elle compte avoir cette conversation maintenant ? Au beau milieu de ce déluge de cartons débordant des affaires de son mec ? Pfff, quelle plaie.

—Au risque de te décevoir, dis-je en décrochant mon regard du sien, je n'ai pas pris un centimètre depuis que tu es partie sans dire mot.

Bon, la dernière partie de ma phrase était gratuite. Juste, mais gratuite. Ou bien peut-être suis-je injuste, j'avoue ne plus savoir. Je n'ai de toute manière jamais rien su de ses raisons, et je doute que celles-ci - si elles existent - changent quoique ce soit aujourd'hui.

Ma main passe sur l'un des cartons couvert de poussière, j'ai l'impression qu'on enterre quelqu'un mais la seule chose qu'il me faut enfouir profondément, ce sont mes sentiments pour elle. Suis-je seulement prête pour cela ? Lorsque je me retourne, et que je m'ancre de nouveau à elle, c'est une tempête qui s'apprête à frapper de l'océan bleuet de mon propre regard.

—Il est au courant ? Pour nous deux.

Ses yeux s'agrandissent lorsqu'elle comprend ma question que je n'ai nul besoin de répéter pour la frapper comme un violent orange. Ce sourire permanent qu'elle arbore quitte très lentement ses lèvres avant que celles-ci ne s'entrouvrent avec la même lenteur. Je n'aurais cependant pas de réponse puisque c'est la porte de l'entrée se referme en un second grondement.