Une Plaisanterie
Cette conversation qui n'a jamais été terminée tourne en boucle dans ma tête depuis des jours. Depuis qu'Edelgard est rentrée inopinément et nous a interrompues, impossible de me retrouver seule avec sa mère pour reprendre là où nous nous sommes arrêtées. En ai-je seulement envie ? C'est à peine si j'arrive à croiser son regard désormais. Je passe encore plus de temps en dehors de chez moi, dés qu'elle est ici et que l'occasion se présente d'ailleurs. Mon père me trouve plutôt distante, une remarque que je n'ai pas apprécié entendre. Faire des efforts pour m'intégrer ? De quoi se plaint-il ? Je dors avec la fille depuis une semaine maintenant, tout ça car il n'est pas capable de prévoir quelque chose plus de deux minutes cinquante en avance, et il ose me dire que je ne fais pas d'effort ? Putain, de qui il se fou ? Il ne connait pas un dixième de ma vie, même pas de cette part qui le concerne sans qu'il n'en ait conscience.
—Sérieux, c'est quoi son putain de problème ! je grommelle parfaitement consciente que les sermons vont pleuvoir.
—Byleth, ta mère n'apprécierait pas de t'entendre parler ainsi !
Je soupire comme une ado contrariée quand ma grand-mère me fait remarquer mon manque de... délicatesse, disons, dans certains de mes propos.
—Tu penses que je devrais lui en parler, Rhea ? je l'interroge ensuite, complètement perdue.
—Ma chère enfant... elle murmure en se logeant dans mon dos. J'ignore s'il existe quoique ce soit qui puisse soulager toute cette peine.
Ses bras passe sous les miens et se referme sur mes épaules. Quelle relation particulière, j'aime d'une certaine façon penser. La chaleur qui se diffuse dans mon dos comme le fait l'odeur qu'elle revêt m'apaise cependant. Hélas, il en faudrait bien plus pour me permettre de réfléchir décemment.
—De la peine ? je me questionne à haute voix. Je crois que je suis surtout en colère.
—Contre qui ? Cette femme ? Ton père ?
—Contre moi-même ? je lui demande incertaine. Pourquoi je n'arrive pas à lâcher prise, Rhea ?
—Eh bien... elle sourit quand je me retourne, attrapant mon visage entre ses douces mains. Tu es comme ta mère... Passionnée...
J'ai l'impression de la voir, parfois, quand je la regarde ainsi. J'enfonce ma tête dans le creux de son cou où je disparais un moment, me laisse bercer par cette figure maternelle qui est désormais toujours là pour moi.
—Je dois y aller, Rhea, je repasserai plus tard.
J'embrasse sa joue et l'enlace une dernière fois avant de quitter ses quartiers. J'ignore de quoi j'ai envie maintenant, rentrer travailler ? Ou bien le faire dehors, posée à une terrasse, verre à la main. La seconde option est tentante mais j'ignore si je serais efficace, je risque de boire bien plus que produire. Quoiqu'il en soit, je n'ai pas le temps de me poser la question plus longtemps qu'une voie douce, mélodieuse, et particulièrement joyeuse me tire de mon intense réflexion.
—Ho, mais si ce n'est pas Byleth que voila !
—Salut, Dorothea ! réponds-je en levant ma main rapidement pour la saluer.
—Tu es venue voir la directrice ou bien chercher Edie ?
C'est quoi, ce sourire de dix pieds de long ? Il y a quelque chose à sous-entendre ou bien je me fais des idées ?
—Je venais voir Rhea, ouais. Edelgard est encore là ? demandé-je ensuite.
—Oui, elle s'entraîne.
—Et toi ? Pourquoi t'es là ?
—Je viens souvent répéter mes opéras ici lorsque Edie s'entraîne, m'explique la brune très mielleuse. Mais elle est particulièrement longue aujourd'hui, celle-ci ajoute en posant son poing dans le plat de son autre main comme le ferait un scientifique s'écriant « Eureka ».
—Qui est particulièrement longue, Dorothea ?
Quand on parle du loup, la voila qui déboule. Je reste étonnée quand dans un premier temps, je vois ses joues rougies par les efforts et ses cheveux se rebeller alors qu'ils sont toujours très soigneusement attachés. Sa tenue entièrement blanche et molletonnée fait ressortir les traits particulièrement fins de son visage de porcelaine, ainsi que les couleurs sur sa peau éburnée. Même maintenant, elle reste aussi fière qu'elle est belle.
—Edie ! Tu as terminée ? s'écrie celle au regard malachite devant une Edelgard encore perplexe de me trouver ici.
—Oui, mais je dois encore me changer, tu devrais y aller.
—Tu veux que je te ramène, après ça ? je demande par réflexe mécanique.
—Toujours pas, non, je te remercie.
—Eh bien... nous interrompt la demoiselle plus enjouée, si tu refuses cette invitation, moi, serais enchantée de l'accepter !
Elle vient de me faire un clin d'œil, là, non ? Ou j'ai rêvé. Cette fille est très étrange, très enthousiaste, ce qui en soit, n'est pas si mal, ça change au moins de l'humeur massacrante d'Edelgard.
—Par tous les Saints, Dorothea... désespère la blanche en redessinant ses sourcils.
Un sourire esquisse mes lèvres devant cette réaction, je ne suis apparemment pas la seule à la blaser de la sorte. C'est assez adorable, d'une certaine manière, de la voir se montrer si sérieuse. J'ignore si elle comprend le sens du mot « s'amuser », je nourris des doutes forts sur ce point. Dire que je dois refuser de raccompagner une très charmante demoiselle, la vie est si cruelle, parfois.
—Que dirait Ingrid si elle te voyait ainsi...
—Surement qu'il serait vraiment dommage de marcher sous ce soleil de plomb alors que je n'ai rien pour protéger ma peau, Edie ! Je ne peux pas risquer d'abimer ce visage !
La voila qui lève son index devant l'expression dubitative de ma « sœur » par alliance. J'ai tellement envie de rire devant cette peinture plus que comique mais m'abstiens afin d'éviter la myriade de remarques désobligeantes de la plus hautaine d'entre nous. Mes lèvres pincées et ce sourire en coin ne trompent personne hélas, et le regard d'Edelgard m'accuse déjà.
—Tu est tellement sérieuse, Edie ! Bon, je dois y aller ! s'écrie-t-elle ensuite très joyeusement. Après tout, il ne faudrait pas faire attendre Ingrid à notre second rendez-vous !
Eh bien, que voila d'intéressantes histoires qu'il me plairait de connaitre mais j'imagine que ce n'est pas pour tout de suite puisqu'aussitôt les boucles chocolatées envolées, les mèches de l'hiver en font tout autant sans même se retourner.
—Hey, j'interpelle la gamine ! Tu veux vraiment pas que je te ramène ? Pourquoi t'es toujours aussi entêtée ? je la questionne en la poursuivant dans les couloirs de l'académie.
—Qui est la plus entêtée, ici ? me juge-t-elle bien sévèrement en passant la porte des vestiaires que je découvres pour la première fois.
Elle ôte sa cuirasse plus épaisse que le reste de sa tenue ce qui me donne immédiatement une sensation de fragilité tant elle est soudain toute fine et petite, avant de secouer ses cheveux pendant plusieurs secondes. Plusieurs secondes pendant lesquels il neige. C'est dingue, elle est de blanc vêtu, tout comme le sont ses cheveux longs, accentuant un peu plus ce regard que je qualifie de glacial, et pourtant, je sens une chaleur diffuse remonter très lentement jusqu'au plus profond de ma poitrine avant de redescendre. Ou bien est-ce parce que son ventre se dévoile quand elle retire sa veste puis commence à remonter son haut. Hélas, mes yeux ne pourront se satisfaire de plus que cela puisqu'elle s'arrête soudain.
—Tu comptes me poursuivre sous les douches ? m'accuse-t-elle encore une fois.
—Charmante invitation, je dois le reconnaître, je souris malicieusement.
Ses joues laiteuses prennent une exquise teinte de vin et c'est à peine si je réalise le poids de ma remarque. Je crois que cela fait bien trop longtemps que je n'ai pas pu partager un tendre moment en présence de quelqu'un. Tendre et surtout rapproché. Par tous les Saints, je suis vraiment irrécupérable pour penser une telle chose d'une gosse même pas majeure. D'une gosse pas même pas majeure qui vit sous le même toit que moi. Que dirait Mercedes ? Ha, je sais, quelque chose comme « Byleth, les désirs sont humains, mais que dirait la Déesse face de telles pensées tournées vers une enfant ! » chose à laquelle je répondrai par « l'enfant a de sacrés arguments », fermant définitivement mon accès au paradis.
—Byleth... me tire Edelgard de ces pensées étranges, étranges et très peu chastes. S'il te plait, sort de là.
—On partage le même lit mais tu n'oses pas te dévêtir devant moi ?
—Si tu continues de me regarder ainsi, c'est sur le sol de ta chambre que tu vas dormir.
—Autant retrouver le canapé, dans ce cas, je la contredis avec plaisir.
—Byleth ! elle insiste en fronçant les sourcils.
—C'est bon, c'est bon, j'abdique en levant les mains devant elle comme si j'étais innocente. T'as dix-sept ans, et on vit sous le même toit, qu'est-ce que tu croyais que j'imaginais, sérieux.
—Tu oublies aussi que tu es accessoirement en couple.
Je me frotte la nuque, me gratte la tête avant de souffler en quittant les vestiaires, laissant Edelgard seule avec son mauvais caractère. Comme le disait Dorothea, elle est vraiment trop sérieuse, c'est presque chiant de l'être autant. Pourquoi est-elle seulement incapable de plaisanter ? Franchement, qu'est-ce qu'elle imaginait ? Avec de telles manières, de toutes façons...
