Une Ballade
J'ai finalement opté pour une ballade en solitaire. Rien de scabreux toutefois, je parle bien d'une petite virée en moto et non pas d'une chose nécessitant une certaine intimité. J'ôte mon casque et passe mes doigts pour tenter de remettre de l'ordre dans ma crinière bleuet avant de couper le moteur. Le temps de descendre de mon engin, j'entends la porte de l'immeuble qui se ferme. Je lève les yeux, mon cœur manque un battement de surprise, et je me fais violence pour rester de marbre devant celle qui s'approche.
—Byleth, me sourit la femme qui approche un peu timidement.
Très rapidement, un sourire remplace son expression incertaine. Je prends le temps de détailler ce visage que j'ai tant de fois admiré, ce regard parme dans lequel je refuse cette fois de couler. Et ses cheveux parfaitement attachés me rappelant là les manières de sa fille.
—Quelque chose ne va pas ? elle s'enquiert devant mon manque de réaction puisque je reste immobile.
—Non, tout va bien.
Je repense à cette conversation que nous n'avons jamais terminée, que nous n'avons pas abordée de nouveau. L'occasion parfaite se présente devant moi.
—Tu sors ? je demande alors pour chasser ces pensées.
—Oui, j'ai quelques courses à faire pour ce soir.
Je fais un mouvement de la tête et la laisse me dépasser sans réagir avant de me retourner vivement vers elle. Lâcher prise, hein ? Si difficile à faire.
—Anselma !
Elle se tourne, son regard parme m'interroge d'une douloureuse - ou presque - manière bien qu'elle n'en ait pas conscience. Cependant, le tiraillement qui éprouve mon estomac est pour une fois... supportable.
—A tout à l'heure, je fais alors.
Lâcher prise.
Je bip et entre dans l'immeuble pour aller appeler l'ascenseur dans lequel je m'engouffre. J'ai envie de jeter toutes mes affaires dans un coin et de m'affaler sur mon lit. Est-ce grave si je larve un instant ? J'imagine que non.
La clef tinte dans la porte mais se bloque : c'est encore ouvert. Je ferme délicatement derrière moi et retire mes pompes que je glisse vers... Ha, la gamine est déjà rentrée ? J'ai du rouler plus longtemps que je ne le pensais, ma foi. L'appartement est étonnement calme et silencieux, peut-être qu'Edelgard est en train de bouquiner, ou bien de faire un truc encore plus studieux. Ce ne serait pas surprenant et cette seule pensée fait naître un sourire moqueur sur mes lèvres, mais lorsque j'approche silencieusement de la porte restée entrebâillée, c'est mon cœur qui s'arrête, et mon corps qui se fige.
Ma respiration se bloque dans ma poitrine et meurt dans ma gorge. Ce sont toutes mes pensées qui une à une, se désintègrent au rythme des battements qui frappent de plus en plus fort. Par tous les Saints, est-ce qu'elle... ? Mon cerveau m'ordonne de partir mais c'est tout mon corps qui se révolte, et mes yeux qui refusent de quitter la silhouette de la jeune fille, allongée sur mon lit, dont les gestes, lents et délicats, ne laissent guère de place à l'interprétation. Mon regard redessine son corps qui se soulève délicatement des draps, se perd quelques secondes sur sa chemise dont les pans ne découvrent que partiellement sa peau, avant de longer sa mâchoire jusqu'à ses lèvres entrouvertes desquelles de lourds soupirs s'échappent. Même mes paupières ne veulent plus se clore devant ce spectacle auquel j'assiste bien malgré moi, mais devant lequel je reste volontairement. Les notes qui quittent sa gorge pour se dissiper dans la pièces me paralysent, me force à regarder, séduisent la chaleur qui devient oppressante dans ma poitrine mais également dans mon bas-ventre. Je vois seulement ses mains disparaître, l'une sous sa chemise, recouvrant j'imagine l'un de ses seins, la seconde sous son short chaque fois qu'elle se soulève. Ses vêtements la recouvrent encore, ultime rempart entre ses gestes et mes pensées, je ne vois pas ce que je n'ai pas à voir, mais les expressions qui habillent son visage sont... magnifiques. Tant que je suis incapable de me détacher de cette vision qui je le sais, n'est pas appropriée. Comment puis-je seulement rester là, violer son intimité dans l'ombre, subjuguée par son odeur qui me monte à la tête ? Pourquoi mes jambes refusent de bouger ? La seule chose que j'arrive à faire est de couvrir ma bouche lorsqu'un ultime soupire s'échappe de la sienne, et que son regard vague qui, j'en remercie la Déesse, n'a remarqué ma présence, luit comme si un millier d'étincelles y dansait.
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Anselma a préparé un repas que j'ai à peine touché et pour une fois, cela n'a rien à voir avec elle. J'ai à peine osé lever les yeux, afin de ne pas risquer de croiser le regard parme de sa fille qui ne se doute pas une seule seconde de ce qu'il s'est passé plus tôt. De fait, les deux verres de vin que j'ai avalés très rapidement me sont tout aussi rapidement monté à la tête, celle-ci tourne presque douloureusement.
Autant dire qu'il me sera bien difficile de trouver le sommeil ce soir, et j'ignore si c'est l'alcool ou la présence d'Edelgard que j'espère endormie à côté qui me trouble. J'imagine aisément qu'il s'agit un peu des deux. Rien à voir avec une quelconque culpabilité, cependant, mais depuis tout à l'heure, les flammes qui me ravagent ne se sont pas éteintes, très loin de là.
C'est un sursaut de la gamine qui me fait retrouver une once de lucidité, j'ai pu découvrir ces derniers jours que son sommeil était particulièrement agité mais depuis que je couche à ses côtés, elle ne relève plus à minuit. Lorsque je constate qu'elle s'agite encore, mes doigts approchent de son épaule mais je me ravise avant même d'oser la toucher. J'ai l'impression qu'un orchestre symphonique répète dans ma poitrine. Ma main finit par se poser quand j'entends ma cadette geindre, ce qui la calme aussitôt, et je profite de ce moment d'accalmie pour me lever afin d'aller griller une clope.
Je m'éloigne suffisamment pour que l'odeur ne puisse la déranger, cette fois, et me permet de me perdre comme le fait la fumée dans la nuit chaque fois que je m'empoisonne un peu plus. Si seulement cela pouvait réduire en cendres mes pensées... La petite brise qui souffle cette nuit me rafraichit la peau mais ne sera pas suffisante pour faire taire ce satané cœur qui s'emporte. J'ai l'impression qu'il brûle.
—Encore une insomnie ? j'entends soudain.
C'est un peu violemment que je sors de mes songes. Je regarde la blanche approchée, troublée de la voir apparaitre alors que je pensais à elle et la frontière entre la réalité et mes pensées me semble tout à coup bien fine.
—E- Edelgard, je bégaie comme si j'avais été prise en flag'. Je t'ai réveillée ? Je pensais m'être assez éloignée pourtant.
—Tu vas bien, Byleth ? s'enquiert la plus petite qui approche. Tes joues sont rouges, le vin ne passe pas ?
Et puis, ce sont ses doigts qui se pose sur mon front, épousant parfaitement ma peau. La sienne parait si froide tant je me sens brûler qu'après une seconde durant laquelle je reste figée, paralysée, tétanisée ou presque par sa présence sur moi, mon seul réflexe est d'attraper ses doigts pour les ôter sans pour autant les relâcher.
Mes yeux se perdent sur l'intérieur de son poignet et c'est alors que je constate que là encore, sa peau est recouverte de petites marques. Je n'avais jamais remarqué puisqu'elle porte en permanence des gants ou bien qu'il fait trop sombre mais la lune cette nuit luit particulièrement. Et ce que je remarque d'autant plus, c'est qu'elle tremble.
Une question me torture mais meurt avant même de franchir mes lèvres. Je sais que ce n'est ni le lieu, ni le moment, et j'ignore s'il y en aura un bon un jour. J'ignore si Edelgard acceptera un jour de me raconter son histoire et si j'étais curieuse jusqu'à maintenant, c'est d'apprendre à la connaitre qui me dévore désormais. Quoi, comment, quand ? Pourquoi ? Des questions qui me martèlent le crâne dés que son regard s'assombrit, dés que son visage se ferme, dés que ses bras se croisent, dés qu'elle ouvre la bouche. Je ne cesse de me demander ce qui a pu arriver à cette gosse pour qu'elle soit si détachée de la sorte, ou du moins, pour qu'elle se force à l'être autant.
