Une Enquête

Il a suffit de quelques jours pour que tout redevienne normal. Enfin, passablement normal. Disons que j'arrive de nouveau à tenir une conversation qui n'est pas dénuée de cohérence avec Edelgard. J'ai toujours ce petit quelque chose qui fourmille dans mon estomac quand parfois, son regard se trouble et me ramène à ce fameux moment qui lui, restera je le crains, gravé pendant longtemps.

—Tu dois être heureuse.

—Pardon ?

—De retrouver ton lit.

De quoi d'autre, sinon ? Peu importe, je vais en effet retrouver ma chambre, ma chambre à moi seule puisque mon père a enfin pu obtenir gain de cause et la chambre d'Edelgard est fin prête à l'accueillir, elle et ses manières. J'ose espérer qu'il y aura suffisamment de place pour celles-ci cependant.

La blanche en sort justement après s'être habillée. Puisqu'elle va tous les jours à l'académie, je ne la vois que rarement dans des vêtements ordinaires, en dehors de son uniforme, en d'autres mots. D'ailleurs, elle s'est apprêtée particulièrement bien, ce soir, un pantalon noir serré et un chemisier vermeil dont un ruban noir de Jais noue le col. J'en connais une qui va se faire particulièrement remarquer.

—Est-ce que tu souhaites qu'on te dépose, El ? demande Anselma qui sourit en apercevant sa fille.

—Non, ça ira, allez-y si vous ne voulez pas être en retard.

Anselma embrasse sa fille sur la joue - elle aussi est très bien habillée d'ailleurs - et s'éloigne vers l'entrée ou elle enfile une paire de talons. Mon père et elle dînent au restaurant ce soir, et rentreront très tard. Vraiment très tard puisque l'endroit - très chic - dans lequel il faut réserver plus d'un mois à l'avance, est à l'autre bout de la ville. Ha, pour ça, par contre, il ne perd pas le nord, pensé-je lorsque je vois mon père sortir de sa chambre, une chemise blanche parfaitement repassée dressée sur ses larges épaules.

—Elle voulait te déposer où ? je demande au reflet de mon amour d'autrefois une fois les deux adultes sortis.

—Chez un ami, il organise une fête ce soir.

—Une fête ? je répète.

—Une fête, elle confirme.

—Parce que toi, tu vas à des fêtes ? dis-je dubitative en arquant un sourcils.

—Ne commence pas, Byleth, je n'ai pas envie de me prendre la tête avec toi ce soir.

Comment ça, se « prendre la tête » avec moi ? Je vois là toute l'estime qu'elle me porte, c'est dingue. Moi qui pensais que les choses étaient plus ou moins normales, entre nous, mais force est de constater que je ne suis pas grand chose à ses yeux, hormis encombrante.

—Tu ne m'avais pas dit que tu sortais, je la questionne jusqu'au couloir où elle effectue les mêmes gestes que sa mère quelques minutes avant.

—Où est le problème ? J'ignorais que je devais te rendre des comptes sur la façon dont j'occupe mon temps libre.

Mes bras se croisent sur ma poitrine et je la regarde passer ses mains sur son pantalon pour en lisser chaque pli. C'est qu'il serait fort dommage que mademoiselle ne soit pas parfaite pour une fête, n'est-ce pas ? Par tous les Saints, si mes pensées font des rimes, c'est que je suis finie.

—Tu rentres tard ?

—Je l'ignore, ne m'attends pas.

L'attendre, pour quoi faire de toute façon ? Dîner ? Mater un film ? Tsss. Je peste silencieusement d'imaginer qu'ils se sont tous passés le mots pour me laisser seule ce soir. Je sais, c'est l'hôpital qui se fou de la charité puisque j'aime le calme et la tranquillité, mais tout de même.

C'est totalement braquée face à mon attitude qu'Edelgard referme derrière elle en partant, me laissant... déconfite.

Me voila donc devant mon ordinateur, enfermée dans ma chambre depuis bientôt une heure, incapable de me concentrer. Pour une fois que je peux écrire sans être dérangée, l'inspiration ne vient pas. Je m'affale sur le dossier de ma chaise et soupire bruyamment avant d'attraper mon téléphone.

[21 :47] Thunderstike : Franchement, t'es jamais satisfaite, tu te plains toujours de ne jamais être tranquille et maintenant que tu l'es, ça ne te va pas.

Catherine a raison et je commence à taper un message avant d'effacer pour appuyer sur le bouton d'appel. Après quelques secondes, l'écran de mon téléphone se divise et je vois apparaitre le sourire moqueur de mon amie et ses yeux azur qui ne masquent ses pensées. Celle-ci ne se prive absolument pas de me juger.

—Je me fais chier, c'est tout, je prétexte quand l'écran se divise encore et que c'est l'expression indifférente d'une autre femme qui apparaît.

Pourquoi tu ne lui as pas simplement demandé où elle se rendait ? demande cette dernière

—Tu crois qu'elle aurait répondu ? Franchement, il n'y avait que mépris dans son regard.

Elle ne te laisse pas indifférente, en fait, se met la première à rire.

J'ai envie d'envoyer chier la blonde mais me retiens puisqu'une part de moi à vraiment besoin d'un avis, je dois le reconnaître même si mon orgueil prend cher.

—Ne dis pas n'importe quoi, je suis juste... inquiète, j'essaie de me convaincre.

Inquiète parce qu'une gosse de dix-sept ans est allé à une fête ? Mais dans quel monde tu vis, Byleth !

—La ferme.

Je te signale qu'à son âge, nous aussi, on sortait boire, et certainement bien plus souvent que ta nouvelle « petite sœur ».

—Tu penses qu'elle est du genre à boire ? je tique soudain.

Les mèches blondes de celle au teint basané se soulèvent lorsqu'elle plaque sa main sur son visage, désespérée. Un geste qui en dit long, assez pour qu'elle n'ait nul besoin de me répondre.

C'est certain, confirme celle dont les cheveux sont plus lisses et violet.

—Comment ça, c'est certain ? je l'interroge devant son air attentif. Qu'est-ce que tu fais, au juste ?

Je zyeute son Instagram, enfin celui de son amie.

J'ouvre à mon tour l'application pour me rendre sur le profil d'Edelgard avant de regarder dans sa liste d'abonnés pour chercher quelque chose que j'ignore.

Les jeunes d'aujourd'hui postent vraiment plus vite qu'ils ne vivent, elle ajoute. C'est qui, MysticalSongstress ?

Je clique immédiatement sur le pseudo que Shamir me donne, information précieuse, et n'ai aucun mal à reconnaître le visage de Dorothea sur la quasi totalité des photos. Les dernières me donnent mal au ventre d'ailleurs. Une fête, de l'alcool à tout va et... C'est pas les cheveux d'Edelgard, là, dans le fond ?

Eh bien, s'écrie soudain Catherine. Ils ont l'air de passer une excellente soirée, ça me rend presque envieuse !

Je clique ensuite sur la story de celle au regard malachite et sa bouille apparaît aussitôt à l'écran sur une musique des plus... insupportable. Je n'essaie même pas de comprendre ce qu'elle dit tant mes yeux sont rivés sur la blanche que je vois, dans le fond, en discussion bien trop profonde avec un blond. Trop profonde à mon gout. Elle ne sourit jamais comme cela, lorsqu'elle est avec moi !

Si tu voyais ta tête, Byleth, s'amuse la plus dynamique de nous trois.

—Je la vois, je t'assure.

J'avoue tirer une tête de dix pieds de longs sans vraiment comprendre pourquoi. Pourquoi ce qui s'affiche devant mes yeux m'agace autant ? J'attrape la bière que je me suis décapsulée un peu plus tôt dans la soirée et la termine en quelques gorgées seulement avant de soupirer bruyamment.

C'est pas le quartier Leicester, ça ?

—Qu'est-ce qui te fait dire ça ? j'interroge celle à la coupe carrée.

Je donnais des cours particuliers avant et je suis tombée sur un petit binoclard incapable de tenir un arc droit, une fois. Je crois que je suis passée dans cette rue, j'ai trouvé la devanture de la baraque très laide.

Mais sur quel profil tu t'es égarée, Shamir ? s'étonne celle au regard azuré.

J'en sais rien, je clic un peu partout chaque fois qu'une personne est taguée.

Tu te donnes bien du mal, la blonde ajoute.

—Byleth me fait de la peine.

—Dis que tu as pitié, aussi, je relève.

Tu me fais pitié, oui, mais bon, on te supporte comme ça.

Je ravale la remarque piquante que j'ai envie de lui sortir puisque Shamir est apparemment la réincarnation de Sherlock Holmes, et par la même occasion, bien plus efficace que moi.

Ha !

—Ha ? Ha quoi ?! je m'impatiente à en devenir dingue.

Ca se passez chez un fameux Riegan, la prof de tir m'apprends.

Riegan ? C'est qui, celui là encore ? Un nom qui ne me dit absolument rien.

Au pire, t'as qu'à faire le tour du quartier, je t'envoie les coordonnées de l'affreuse baraque, avec le boucan qu'ils font, je pense que tu n'auras aucun mal à trouver.

—Je vais faire ça, ouais, je fais en me levant et en attrapant ma veste.

Attends, t'es sérieuse ? Je blaguais.

—On-ne-peut-plus sérieuse, Shamir, je confirme alors devant le regard dubitatif de Catherine qui est encore à l'écran. Je vous texte dés que j'arrive. A plus.

Mon écran s'assombrit, j'enfile mes pompes et quitte l'appartement. J'ignore pourquoi je suis autant contrariée, mais quelque chose me pousse à aller voir cette petite fête de plus près. De toute manière, ça ne serait pas la première fois que je me fais discrète afin d'observer ce qu'il se passe, n'est-ce pas ? Bon, même si la comparaison n'est pas la meilleure choisie. Quoiqu'il en soit, je veux seulement m'assurer que tout se passe... bien, j'imagine. Je vais juste faire un tour. C'est du moins ce dont je dois me convaincre pour oublier j'ai l'air d'une idiote, ainsi que le sentiments qui va de pair.