Une Fable

Ma « famille » et moi partageons le même toit depuis maintenant près d'un mois, et ce n'est pas sans complication. J'ai parfois la sensation de vivre dans un huit-clos, et, dans ce genre de situation, toutes les émotions paraissent exacerbées. Quelles émotions ? Il y en a tant que je ne saurais toutes les nommer hélas.

Je n'arrive pas à oublier que t'ai tenté d'embrasser Edelgard et depuis, évidemment, j'évite d'aborder le sujet. La blanche n'a pas non plus l'air emballée par l'idée d'en parler, et puisque nous faisons maintenant chambre à part, eh bien, les occasions de discuter sont moins nombreuses. Cela n'a bien sûr rien à voir avec le fait que je n'ose plus lui parler, non, rien à voir. L'avantage, c'est que depuis, les pages de mon manuscrit s'écrivent presque toutes seules.

—Vous partez quand ? je demande à mon père qui sort un pack de bières du frigo qu'il s'empresse de mettre dans un sac isotherme.

—Dés qu'Anselma aura terminé de se préparer, répond l'homme en vérifiant une dernière fois que ses précieuses mousses sont bien à l'abris et sans risque de se briser durant leur voyage. Tu veux bien aller voir ce qu'elle fait ?

Ha, il fallait qu'il demande. Je soupire, passe ma main dans mes cheveux et tire une tête de dix pieds de longs. Elle aussi, je l'évite. Dit comme ça, on pourrait croire que je passe mes journées à éviter tout le monde, et... C'est un peu vrai.

J'essaie de paraître naturelle lorsque je frappe à la porte de la chambre et que l'on m'invite à entrer. Mon réflexe est de regarder derrière moi, afin de vérifier que mon père n'est plus dans les parages, puis j'entre enfin.

—Byleth ?

—Papa m'a demandé de venir voir si t'avais terminé, alors... Me voila.

Je suis nerveuse, rien d'étonnant avec mon cœur qui bat la chamade dans ma poitrine. Pour autant, je suis moi-même étonnée du nœud à l'estomac qui se desserre un peu plus, jour après jour, quand je la croise. La douleur est toujours présente mais... elle est également plus supportable.

—Bon, je souffle en regardant la femme plier une veste qu'elle pose avec une délicatesse incroyable sur les vêtements tout aussi parfaitement pliés dans son sac, je vais lui dire que tu n'as pas fini.

—Byleth, elle m'interpelle avant que je ne sorte. Ferme la porte.

J'hésite quelques secondes, mais m'exécute. Que disais-je concernant ce nœud à l'estomac ? J'ai l'impression d'avoir avalé un parpaing.

—Ton père est vraiment un homme formidable, tu sais.

Pourquoi elle me sort ça, pourquoi maintenant ?

—Ouais, je sais.

—Il n'a jamais rien su, elle ajoute d'un ton plus sec que je ne lui connais pas, et la raison est simple, il n'y a jamais rien eu.

J'ai l'impression que mon sang se glace dans mes veines. Elle me regarde comme si j'avais commis un crime, comme si je représentais un quelconque danger. Pour qui, pour elle ? Pour son couple ? Je laisse passer quelques secondes le temps d'être certaine de bien comprendre, et lorsque j'y parviens, c'est la colère qui m'envahit soudain.

—Rien eu, dis-tu ? Tu te fou de moi !

—Byleth ! me gronde-t-elle comme si j'étais une enfant, m'énervant un peu plus. Parle moins fort.

—Pourquoi, aurais-tu peur que mon père et ta fille entendent quelque chose qu'ils ne devraient pas, Anselma ? dis-je avec véhémence.

Ses yeux parme me fusillent et très sincèrement, des balles de fusils tirées à bout portant ne feraient pas plus de dégâts. Anselma est une femme si douce, si gentille, bienveillante et... Je ne l'avais jamais vue, pas une seule fois, se montrer si sévère.

—Tu m'en veux, c'est normal.

Un sourire toisant s'empare de mes lèvres et ma tête bascule légèrement sur le côté. Peut-être que mes connexions neuronales se sont brisées ou quelque chose comme ça, car j'ai vraiment du mal à la suivre.

—Si je t'en veux ? je réfléchis alors. Pourquoi t'en voudrais-je ? Ha, je sais, peut-être parce que tu es partie sans dire mot, je commence avec aigreur, ou bien parce que tu fais comme si il ne s'était jamais rien passé entre nous ? continué-je d'énumérer. Ho, ou alors est-ce parce que sur tous les hommes de la ville, il y a fallu que tu jettes ton dévolu sur mon père !

—J'ignorais qu'il s'agissait de ton père lorsque je l'ai rencontré, se défend la femme comme elle peut, et lorsqu'il m'a montré une photo de toi, nous étions déjà...

—Tais-toi, par pitié, Anselma. Je n'ai pas envie de t'entendre m'expliquer comment, une fois encore, tu as foutu le bordel dans ma vie.

Je lève ma main pour lui répéter de se taire lorsque ses lèvres s'ouvrent de nouveau. Je n'ai plus envie d'en parler, d'autant plus que quelqu'un pourrait nous surprendre et... J'ai vraiment tout sauf envie qu'Edelgard entende cette conversation. Etrangement, cela m'inquiète bien plus que si c'était mon père.

—Tu peux prétendes qu'il ne s'est rien passé, Anselma, tu sais quoi ? Ca m'est égal.

Ou pas, mais je n'ai pas envie de lui offrir ce plaisir. Je suis tellement en colère contre elle, qu'elle flagelle les sentiments que j'entretiens, que j'ai entretenu, pendant toute ces années, à son égard. C'est une avanie qu'elle me fait.

—Je me demande tout de même comment réagirait mon père s'il découvrait que nous nous sommes embrassées.

Même si le but n'était pas de la menacer mais bien de la piquer à vif, l'effet ne se fait pas attendre puisque son bras m'attrape lorsque ma main se pose sur la poignée que je m'apprêtais à ouvrir. Et là, c'est son regard qui me vrille, et d'une certaine façon, une partie de mon monde qui s'écroule alors que je le pensais déjà en ruines.

—Byleth ! Je... elle hésite, ses yeux me perforant le crâne avant de me fuir, puis de venir me fusiller de nouveau.

Son odeur s'empare de moi comme l'empreinte d'un passé qui d'un coup, me prendrait à la gorge. Comment, même maintenant, elle peut avoir autant d'emprise sur moi ? Putain, ça me fait chier !

—Tu quoi ? Anselma ? Ca aussi, c'est jamais arrivé ?!

—C'est toi qui m'a embrassée, Byleth, et... nous étions jeunes, toi, moi...

Jeunes, quelle excuse parfaite. J'avais dix-huit ans, et elle, avait à peine mon âge.

—Oui, donc le flirt qu'il y eu pendant des mois ne compte pas, c'est ce que tu vas dire, ou je me trompe ?

D'un geste vif du bras, je me libère de son étreinte. La violence de mon geste n'est rien par rapport à celle que reflète mon regard, alimentée par cette douleur qui ne m'a jamais quittée, et par ce manque de respect dont elle fait preuve à l'instant.

—Si cela peut te rassurer, je ne dirai rien, je finis par lâcher devant son expression mi accidentée mi peinée. Tu as raison sur un point, il n'y a rien à en dire parce qu'aujourd'hui, je ne reconnais pas la femme que j'aimais et admirais autrefois.

Je la regarde encore quelques secondes, de longues secondes, très nostalgique. Hélas, mes mots ne sont pas tout à fait messagers de mes pensées puisque j'ai beau dire ça, ce que je ressens pour elle me parait toujours bien trop fort. Mes souvenirs continuent de me torturer de leurs flammes, et parfois, il ne reste que charbon de tout cela. A d'autres moments, les braises sont encore si vives qu'il suffit d'un rien pour que ce brasier ce rallume. Quand je la regarde ainsi, quand je détaille chaque parcelle de sa peau, que je cherche dans la profondeur de ses yeux... Elle me fait de la peine.

—Anselma, je fais en attrapant l'une de ses mèches châtain qui s'est échappée de son chignon parfait lorsqu'elle a perdu son sang froid. Je ne te demandais rien, tout comme je ne t'ai jamais rien demandé, mais n'insulte mes sentiments pour toi. A une époque... Ils étaient tout ce que j'avais...

La pauvre femme est tétanisée devant moi et pendant une seconde, j'ai l'impression de revoir celle que j'admirais autrefois, qui me rendait ce gout de vivre. C'est drôle, car à l'époque, c'est elle qui me figeait sur place de la sorte, et j'ai l'impression de me voir dans son propre regard. La différence c'est qu'aujourd'hui, je n'ai plus rien de la gamine que j'étais autrefois, et moi aussi, je suis devenue une femme...

Ma respiration dégonfle presque douloureusement mes poumons lorsque mes doigts effleure sa joue. Mon cœur manque un battement, probablement plus d'un, quand je me penche vers elle devant son regard éberlué. Elle ne bouge pas, elle ne dit rien, et, lorsque mes lèvres découvre sa peau, caressent la présence évanouie de mes doigts, c'est une part de moi-même que j'assassine violemment.

—Faites bon voyage, Anselma.

Lorsque je quitte la chambre, je sais retenir des larmes que je pensais il y a longtemps disparues. Lâcher prise ? Dire que j'ai écris un livre pour toi. Je laisse dans cette pièce celle que j'aimais autrefois, qu'une part de moi aime encore, ainsi que ma colère et ma peine.