Une Fin
J'ai donné rendez-vous à Mercedes dans un parc à mi-chemin entre chez elle et chez moi, et... J'ai rarement été aussi tendue. Je suis super en avance, ce qui n'est guère dans mes habitudes, et plus le temps s'égraine plus la boule que je ressens à l'estomac prend de la place. Je déteste cette désagréable sensation qui me dévore de l'intérieur.
—Tu es déjà là ? j'entends alors que je commençais à me lasser de la couleur de mes pompes.
—Tu es en avance, Mercie.
—Et toi, alors ?
Elle sourit et je me lève pour aller prendre ma petite amie dans mes bras. Une étreinte qui m'apaise, mais qui devient douloureuse quand j'enfouie ma tête dans le creux de son cou. Après quelques minutes, des caresses dans les cheveux, ainsi qu'un doux baiser, je l'invite à s'asseoir.
—Comment est-ce que cela se passe, chez toi ?
—Bien, dis-je laconiquement avant d'ajouter, mon père et Anselma sont partis.
—Anselma ?
Je n'ose lever les yeux et croiser le regard lavande de ma petite amie. C'est la première fois que j'utilise son prénom et celui-ci ne doit pas lui être étranger.
—Byleth... elle souffle chaudement en trouvant ma joue de ses doigts pour ramener mon visage face au sien. Est-ce la même Anselma ?
Je lui fais face mais je la fuis. Même si je ne la regarde pas dans les yeux, les miens en disent suffisamment pour ne pas avoir besoin de dire un mot de plus.
—Je vois, murmure-t-elle ensuite.
Je n'ai jamais cachée à Mercedes que j'ai été amoureuse, autrefois. Après tout, ce n'était que la banale histoire de l'élève éprise de son professeur particulier alors, pourquoi lui cacher ? Elle n'ignore pas non plus l'impact que cette femme a eu sur moi, mais jusqu'à maintenant, je m'étais bien gardée de lui dire que c'était elle, la nouvelle compagne de mon père.
—C'est pour cela que tu étais si distante...
L'un de ses mains replace quelques cheveux derrière mon oreille et la seconde suivante, elle me force à la regarder. Mon cœur s'arrête quand je vois son sourire tendre, réconfortant, et la peine qu'elle partage avec moi.
—Cela a du être difficile pour toi.
Pourquoi... Pourquoi faut-il qu'elle soit toujours si gentille, en toute circonstance ? Je vois bien que cela la fait souffrir, mais une part de cette souffrance m'appartient, et elle tente juste de m'en soulager. Pourquoi, Mercedes, pourquoi m'aimes tu autant ? Son regard, emplit d'empathie et de compassion, rend les choses si difficiles...
—Je te demande pardon, Mercie... Je... Je suis tellement désolée...
—Pourquoi t'excuses-tu ? Tu n'es pas responsable.
—J'aurais du te le dire plus tôt.
Mais j'avais peur. Pas de sa réaction, mais que mettre des mots rendrait tout cela plus réels, plus fort, plus vif encore que ça ne l'était déjà.
—Ca n'aurait rien changé.
—Il ne s'est rien passé, avec elle.
Sa tête penche doucement sur le côté et ses bras m'enlacent un peu plus, me privant ainsi de son regard, de l'expression de son visage. Je n'ai plus aucune idée de ce à quoi elle pense, et j'ai si mal...
—Je sais... dit-elle doucement en caressant mes cheveux.
Mes mains s'agrippent à sa robe et ma mâchoire s'endolorie tandis que ma peine remonte lentement dans ma gorge. Elle s'acharne, elle m'étouffe.
—Je mentirais si je prétendais que j'ignorais que ce moment viendrait...
—Quoi ? je l'interroge en reculant pour de nouveau la voir. De quel moment tu parles ?
Mais c'est une nouvelle fois son sourire qui me sourit. Celui-ci est toujours tendre, rassurant, mais il reflète également sa peine. Une peine que je savais, d'une certaine manière, inévitable.
—Mercie... je tente alors, ce n'est pas ce que je veux...
—Je le sais aussi.
Je suis complètement perdue, désarmée face à cette fille qui semble me comprendre mieux que je ne me comprends moi-même. Elle me donne l'impression de savoir à quoi je pense avant même que ces pensées ne se forment. C'est terrifiant, déroutant, mais également rassurant car j'ai toujours pu compter sur elle, elle a toujours été présente pour moi. J'ai l'impression que mon cœur se brise.
Je baisse la tête, honteuse, et lorsqu'elle la relève, son visage semble briller comme le font les rayons du soleil, tandis que le mien est ravagé de larmes.
—Je suis horrible, je pleure alors que c'est moi qui te quitte...
Elle prend de nouveau mon visage entre ses douces mains et tentent d'essuyer des larmes que d'autres viennent aussitôt remplacer.
—Tu es toujours si dure avec toi-même...
Elle s'approche, son souffle recouvre ma peau humide, et ses lèvres effleurent doucement les miennes. Un baiser court et chaste qui ne dure qu'un instant.
—Je savais que ce moment viendrait.
—Comment pouvais-tu le savoir alors que je l'ignorais moi-même ? je demande, mon étonnement grimé par la tristesse.
—Tu ne les as jamais dits...
—Dit quoi ?
—Ces mots que je me retiens à l'instant de te dire.
—Qu'est-ce que... Je... Bien sûr que si !
Mais son sourire et son regard luisant de douceur et de bienveillances me mettent le doute. Les derniers mois passés avec elle défilent devant mes yeux et dans ma tête, nos appels, nos échangent, nos discussions et même nos moments charnels. Et ça me frappe. Je l'aime... certainement pas de la même façon qu'elle, m'aime plus fort que tout, mais je ne lui ai jamais dit... Des mots dont je réalise l'importance, que je n'ai jusqu'ici, pensé que pour une seule et unique personne...
—Mercie...
—Ce n'est rien, Byleth, alors cesse de te tourmenter ainsi.
—Rien ? tu dis ? Je n'ai pas envie de te perdre !
Je me lève, les poings fermés, les ongles déchirant presque ma peau, avant de faire les cents pas devant elle. Mon cerveau refuse de fonctionner, je n'arrive plus à réfléchir, à savoir ce que je désire, ce que je ne souhaite pas. Je n'arrive plus à penser tant la douleur est insupportable. Ma petite amie, ou peut-être plus maintenant, se lève pour attraper mes bras, tente de me calmer. Ce pouvoir est vraiment incroyable puisqu'à peine son regard fondu dans le mien, mon cœur ralenti. Tant que j'ai l'impression qu'il s'arrête.
—Je... Tu penses que l'on peut être amie ? dis-je, désespérée.
Cette fois, c'est mon front qu'elle embrasse avant de me regarder tendrement.
—Un jour, peut-être.
Je sais être égoïste. Je ne veux perdre personne mais finis toujours par blesser ceux qui m'entourent. Et lui briser le cœur est certainement la pire chose que j'ai faite jusqu'à maintenant.
—Fais attention en rentrant.
Alors c'est tout ? C'est comme cela que les choses se terminent ? Je la vois s'en aller, le temps semble s'égrener au ralenti devant mon regard trouble. Elle ne se retournera pas... Cela serait bien trop difficile pour elle, et je l'ai assez blessée comme cela. Mercedes est si forte, elle l'a toujours été, et même maintenant, alors que je sais tout un morceau de son monde s'écrouler, elle reste digne et fière. Courir derrière elle, la rattraper ne serait qu'avanie.
Je suis restée encore une heure au milieu de ce parc afin de me calmer, en vain. Ne pas être amoureuse ne m'empêche pas d'aimer, et de fait, de souffrir également. C'est un morceau de mon histoire que je dois laisser derrière moi, mais pour autant, je refuse de le laisser s'effacer. Ce sont les autres qui nous construisent, qui nous détruisent, qui font de nous ce que nous sommes. Mercedes a été une des meilleurs part de moi-même. Je n'oublierai jamais son sourire, et la lumière qu'elle porte, qu'elle émet, capable d'atteindre tout et toute chose, même dans l'obscurité la plus profonde.
