Une Chanson

Je suis seule lorsque je rentre chez moi, ce dimanche. J'imagine qu'Edelgard est sortie et très sincèrement, je ne m'en soucie pas plus que nécessaire. Je me retrouve seule avec mes pensées et des tourments qui refusent de partir. Je sais, ça ne fait que quelques heures après tout, et le temps est nécessaire au temps. Alors j'accepte, j'accepte de me laisser sombrer pour mieux me relever, ou bien, pour couler un peu plus.

J'erre dans l'immense séjour, je sais que je ne serais capable de rien d'autre ce soir. J'approche de ce piano que je n'ai pas touché depuis... depuis dix ans, peut-être. J'ai laissé tomber la musique lorsque mon cœur s'est brisé. Le voir tous les jours en me levant, est comme un rappel que ma la vie continue cependant, qu'elle est là, qu'il suffit de fermer les yeux. De fermer les yeux et de se lancer.

Lorsque la lumière s'assombrit, lorsque je m'écoute, lorsque mes doigts redécouvrent la surface des touches restées silencieuses un moment, j'ai la sensation que c'est mon cœur qui joue. Il désire que je l'accompagne. Les touches noires et blanches s'enfoncent, doucement tout d'abord, puis de façon plus sûre et rapide. Des murmures du passés et mes rêves de l'avenir qui se mêlent, qui se mêlent et qui dansent comme le font les notes qui s'élèvent. Cette peine que je ressens, vive, lacérante, s'intensifie au fur et à mesure que la musique m'emporte et pourtant, j'ai aussi l'impression qu'elle m'apaise. Je me noie dans mes pensées, je me noie dans le florilège de notes et de portées brisées. Je sombre avec cette passion morte qui pourtant, me ramène toujours à la vie. Par tous les Saints, mes larmes s'accordent parfaitement avec chacune des notes, des larmes de peine, des larmes de joies. Des larmes qui représentent ce que je suis, chaque émotion qui m'accompagne, des plus belles aux plus sombres. Des émotions qui m'enveloppent, me bercent, avant de rejoindre l'écrin qui les garde, au plus profond de moi-même, quand la musique s'arrête avec mes dernières larmes.

—Byleth...

—El... prononcé-je difficilement.

Elle me regarde comme si elle me rencontrait pour la toute première fois tout en me connaissant déjà par cœur. J'ai l'impression d'ouvrir une plaie béante devant son expression accidentée. Suis-je si misérable que cela ? Certainement.

—J'ai rompu avec Mercedes.

C'est elle qui fait le premier pas et qui m'enlace. Un geste qui me surprend mais que j'accueille tant j'ai besoin d'une présence. J'entends son cœur battre, ma tête serrée contre sa poitrine, mais le mien hurle si fort que chaque son parait n'être qu'écho du précédent.

—Ca va aller... elle murmure en passant délicatement ses doigts dans mes cheveux.

—Tout est ma faute... j'articule difficilement contre sa chemise qui s'imbibe de mes larmes. Alors pourquoi ça fait si mal ?

—Parce que... elle réfléchit un moment. Parce que, l'amour, c'est compliqué.

C'est un sourire qu'elle m'arrache en me rappelant mes propres mots, mais un sourire qui fait grand bien.

/

—Comment tu te sens ?

J'ai à peine fait attention à la porte de ma chambre qui s'ouvrait tant je suis concentrée sur l'écran de mon ordinateur. Finalement, toutes ces émotions qui me malmènent les tripes m'ont donné envie d'écrire. Force est de constater que ce sont bien dans les moments difficiles que l'inspiration me guette. Quoiqu'il en soit, je m'enfonce dans ma chaise que je recule, et m'étire nonchalamment devant la gamine qui s'approche.

—Ca va.

—Tu veux me raconter ?

—Raconter quoi, je fais en me levant soudain, marre d'être assise, il n'y a rien à en dire. Même lorsque j'ai rompu, je n'avais rien à dire.

—Comment peut-on rompre sans aucune explication, Byleth ?

—J'étais paumée et Mercedes l'a tout de suite compris, c'est tout.

—Paumée ? Comment pouvais-tu être paumée ? Je croyais que tu avais conscience de ne pas être amoureuse.

—Et alors ? je réplique avec véhémence. Ce n'est pas parce que je n'étais pas amoureuse que je ne ressens rien !

Elle se fige, son regard s'agrandit alors que je m'agite dans tous les sens avant de jeter ma veste sur mon lit après avoir tiré mon paquet de clopes de ma poche.

—Qu'est-ce que tu fais ? demande-t-elle devant mon énervement.

—Je vais fumer, j'en ai envie lorsque je suis contrariée.

J'ouvre la porte violemment et allume mon tube de huit à peine sur la terrasse. Putain, pourquoi elle me suit partout, sérieux ? J'ai envie d'avoir la paix, là !

—Alors quoi, je t'ai contrariée ?!

—Oh, c'est bon, Edelgard, ne fait pas la fille offusquée ou je ne sais quoi.

Les longues lattent que je tire me brûlent la gorge, il va me falloir plus que cela pour me calmer.

—Sérieusement, Byleth, comment veux-tu que l'on s'entende si tu n'es pas capable de seulement me parler ?

—Vraiment, tu veux qu'on parle ? Et depuis quand ?

—Pourquoi es-tu toujours aussi butée ?! Ca te sert à quoi de te braquer ainsi ?

—C'est de ta faute si je suis braquée !

Je prends une grande inspiration et expire violemment. C'est quoi, son problème, à me toiser en permanence, à faire comme si elle savait tout alors qu'en fait, elle ne sait rien ! Foutrement rien !

—De ma faute ? Tu préférerais que je m'apitoies sur ton sort ? Désolée, mais je ne suis pas comme ça.

—Ouais, ça, c'est clair... je peste sans le cacher. Comment j'ai pu... commencé-je avant de me stopper et de regretter mes paroles. Laisse tomber, tu comprends rien.

—Tu sais quoi, Byleth, je crois qu'au fond, je me sens soulagée.

Et de nouveau, cette douleur, celle qui m'étreint le cœur. Son visage parait si sombre, son expression si dure... Ce masque imperméable qu'elle porte en permanence... Je n'en peux plus.

—Au moins, cette pauvre fille ne souffrira pas inutilement plus longtemps.

Ces paroles sont de trop, j'écrase ma clope dans le cendrier, mon regard plus que sévère, presque agressif. C'est tout mon corps qui se tend, le moindre de mes muscles, quand je la regarde me prendre de haut, comme si... Comme si elle n'y était pour rien. Comment pourrait-elle être capable de comprendre, comment une gamine pourrait comprendre ? Est-elle seulement capable d'éprouver quelque chose ? Si la compassion ne l'étouffe pas, si le sens de ce mot lui échappe, comment pourrait-elle comprendre l'amour ?

—Qu'est-ce que tu peux savoir de tout ça, Edelgard ? Tu ne me connais pas, tu ne sais rien de ce que je ressens !

—De ce que tu ressens ? elle répète, impérieuse, la main posée sur sa hanche.

—Quoi, sous prétexte que je n'étais pas amoureuse d'elle, tu crois que cela signifie que je n'éprouve rien pour personne ?

—Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi t'être mise avec elle si tu en aimais une autre.

—Tu comprends rien, dis-je en plaquant mes mains sur mon visage, désespérée.

—Byleth ! elle s'écrie alors que je la dépasse, décidée à m'enfermée dans ma piaule.

Mais ses doigts se referment sur mon poignet qu'elle attrape.

—Tu as raison, Edelgard. Il y en a bien une autre, alors lâche-moi.

Je me libère de son emprise devant ses lèvres qui s'ouvrent mais demeurent néanmoins muettes. J'ai l'impression que son regard s'assombrit un peu plus et se referme. C'est la seule chose qu'elle sait faire, de toute manière, ça ne devrait pas me surprendre. Quant à moi... Hors de question de lui expliquer que cette personne à qui elle fait allusion n'est pas celle dont je parle. Elle pense que je n'ai toujours pas lâcher prise, mais ignore que c'est un autre fil du destin qui glisse entre mes doigts et m'échappe.