Une Compétition

—C'est quoi, ces cicatrices ?

Edelgard ne m'a pas entendue lorsque j'ai très légèrement ouvert la porte de sa chambre, ni les quelques secondes durant lesquelles je suis restée à l'observer, figée sous le chambranle.

—Rien qui ne te regarde.

Elle s'empresse d'enfoncer entièrement ses bras dans les manches d'une chemise qu'elle boutonne par le col, faisant disparaître par la même occasion l'objet de mes questions. Plus têtue, tu meurs.

—Où est-ce que tu vas ?

—A l'académie.

—Tu as entraînement ? Il est pourtant dix-heure.

—Non.

Elle attrape sa veste après avoir nouée sa cravate et les rubans dans ses cheveux sans ajouter mot. Elle n'a même pas pris une seule seconde pour me regarder. C'est comme ça depuis deux jours, on ne communique plus du tout. Je me demande pourquoi je suis venue la voir, je n'avais aucune raison de le faire.

Elle approche, le regard froid, vide, et se place face à moi.

—Ne me mets pas en retard, la compétition d'escrime commence en début d'après-midi.

La compétition ? Pourquoi je n'étais pas au courant ? Ha, peut-être parce qu'à ses yeux, je ne représente rien.

Je la laisse passer sans rien dire de plus, si je lui propose de l'accompagner pour qu'elle arrive plus tôt, elle m'enverra sur les roses alors pour une fois, je préfère garder le silence. Que ce soit lorsqu'elle sort de sa chambre, lorsque je l'entends attraper ses clefs, ou quand la porte de l'appartement claque après son départ.

Je laisse le temps passer sans rien faire, tournant en rond dans le salon, et termine mon sandwich avant d'attraper mon téléphone que je fourre dans la poche de ma veste. Il est bientôt midi trente, c'est assez raisonnable, comme attente, non ? Je ne lui ai pas proposé de l'emmener à l'école, ça ne veut pas dire que je compte pas m'y rendre. Je sors de chez moi et emboîte mon casque sur ma tête à peine les portes de l'ascenseur franchies. J'enfourche ma moto, démarre, et roule en direction de Saint Seiros.

Je n'avais pas imaginé qu'il y aurait autant foule mais vu la réputation de cette école, cela ne m'étonne qu'à moitié. A peine ai-je dépassée l'ancienne herse que je tombe sur mon oncle, ce doit être un signe, tiens.

—Hey, je salue l'homme qui se retourne.

—Byleth, tu es venue pour le tournoi ?

—On dirait bien.

Il m'explique que cela fait des semaines que l'événement est prévu et que de très nombreuses personnes, dont certaines particulièrement importantes, seront présentes. Moi qui imaginais pouvoir m'installer tranquillement pour mater ça, j'arrive un peu tard.

—Je ne pensais pas te voir ici, je suppose que tu es venue pour soutenir ta... mais il s'arrête.

—Edelgard, oui, je confirme.

C'est pas ma sœur, ma demi-sœur, ou ma belle sœur, bon sang. C'est juste le rejeton de la femme qui partage la vie de mon père. Une peste hautaine et méprisante, condescendante au plus haut point ! Pourquoi vais-je la voir, si c'est tout ce qu'elle m'inspire ? Putain, quelle tête à claque.

—Ho, Byleth !

L'homme et moi nous retournons et c'est l'amie de la blanche que je n'ai aucun mal à reconnaître qui nous approche, particulièrement joyeuse.

—Es-tu venue encourager Edie ?

J'opine de la tête puis elle interroge mon oncle sur sa présence ici. Celui-ci explique qu'il sera juge de l'événement, comme chaque fois qu'il y en a un d'ailleurs, avant de vaquer à ses occupations. Le tournoi commence d'ici trente minutes et le temps presse.

—Toi aussi, tu viens pour Edelgard ? je demande à la chanteuse.

—Juste un peu, elle est toute gaie avant de me faire un clin d'œil. Je suis surtout là pour Ingrid !

—Elle participe ?

—Bien sûr, comme tous les sportifs sélectionnés !

—J'en déduis donc que ce n'est pas ton cas, je me moque sans m'en cacher.

—Un si beau visage, loin de moi l'envie de risquer de l'abîmer par un coup maladroit.

Maintenant que j'y pense, j'avoue ne rien savoir de l'escrime, je suis une parfaite néophyte. Mais bon, ça doit pas être bien compliqué de brandir une lame pour toucher son adversaire, non ?

Finalement, je laisse Dorothea me traîner, serpentant au travers de la foule que l'on fend, jusqu'au terrain d'entraînement ou a lieu la compétition. Les joueurs ne sont pas encore là, ils seront appelés lorsque le tournoi débutera. Ca rigole pas, la matériel est flambant neuf tout en gardant le côté authentique. Le sol pavé a été rénové, je crois. Il était bien plus abîmé que cela il y a quelques années.

—Ha, installons-nous ici !

Je la suis sans dire mot et la brune et moi nous asseyons à côtés d'une môme haute comme trois pommes qui fourre un biscuit chocolaté dans sa bouche. Elle est bien jeune pour se trouver ici, celle-là, mais pourtant, à en croire par l'uniforme qu'elle revêt, aucun doute possible, c'est bien une élève.

Elle ne manque pas de remarquer que je la dévisage et fronce sévèrement les sourcils devant mon regard appuyé. Je dis sévèrement, mais ses longs cheveux qui me rappelle quelqu'un à ceci près qu'ils sont très légèrement rosés la rendent bien trop mignonne pour la trouver sévère. Et maintenant, ce sont ses orbes incarnadin qui me fixent.

—Vous... Vous avez un problème ?

—Non, aucun, j'essaie de ne pas sourire devant son expression qui se veut ferme.

—Lysithea ! hurle trop fort ma camarade de fortune. Je ne t'avais pas vue !

Pas étonnant, la plus petite fait la taille d'un microbe.

—Do- Dorothea ? Cette femme est avec toi ? s'étonne la plus jeune.

—Oui, c'est la nouvelle sœur d'Edie !

—Je ne suis pas sa sœur, je dois encore préciser ce qui commence un tantinet à m'agacer.

—Tu es venue l'encourager, d'ailleurs ? continue celle aux boucles boisées comme si je n'existais déjà plus.

—Oui ! répond soudain bien joyeusement la gamine. J'espère qu'elle va gagner !

—Peut-être que la finale aura lieu entre elle et Ingrid, commence à spéculer la chanteuse toute guillerette.

Elle place ensuite ses mains sur ses joues et sourit comme une idiote.

—Voir deux femmes comme elles se défier... j'en suis déjà toute chose !

—Do- Dorothea !

Eh bien, je n'imaginais pas Dorothea fantasmer sur ce genre de chose... Même si, cela ne m'étonne en fait qu'à moitié. J'avoue moi-même que d'imaginer Ingrid et Edelgard se battre ne me laisse pas tout à fait indifférente... Bien qu'il n'y ai point de tenue blanche dans ma tête. Je me la secoue soudain pour faire disparaître ces pensées inappropriés, car le silence remplace l'excitation audible lorsque ma grand-mère suivie de mon oncle rentre sur le terrain d'entraînement avant de se placer sur quelques marches situés plus haut.

Rhea n'a même pas encore ouvert la bouche que tout le monde l'observe, toute-ouïe. C'est fou l'assurance qu'elle dégage, cette prestance... écrasante ! J'ai l'impression qu'elle va nous annoncer les soixante-quatorzièmes Hunger-Games tant la tension est palpable. Elle annonce le début du tournoi et le prénoms des premiers tireurs - apparemment, les participants - qui s'avancent dans ce que j'aime appeler l'arène, désormais.

Tout est allé très vite et Edelgard n'a pas tardé à faire son apparition et a remporté tour à tour, haut la main, chaque victoire. Je la trouve tellement agile, gracieuse, et tellement belle lorsqu'elle bouge, lorsqu'elle frappe, lorsqu'elle marque. Ma seule frustration est de ne pouvoir voir son visage et l'expression qu'elle revêt devant les défaites écrasantes de ses adversaires. Même si Dimitri et Ingrid se débrouillent très bien aussi, je sens que la victoire lui est assurée. J'ai l'impression qu'elle est d'une certaine façon bien plus elle-même le regard dissimulé derrière son masque que lorsque j'y plonge.

C'est sans surprise que nos trois privilégiés arrivent non sans une certaine facilité jusqu'à la demi-finale.