Une Souffrance

La pizza n'a pas tardé a arriver après ce moment de réconfort, si je puis dire, qui lui ne s'est pas éternisé et est sans doute déjà loin. La pizza n'a pas non plus fait long feu puisqu'Edelgard et moi l'avons dévorée en quelques minutes seulement. Dire qu'elle sous-entendait que j'étais une goinfre alors qu'elle avait au moins autant la dalle que moi. Sacrée gamine.

Dans la joie suscitée par le fait d'avaler un excellent repas néanmoins peu diététique, je lui ai proposé de regarder un film puisque, à cette heure-ci, il n'y avait rien d'autre à faire et ni elle ni moi n'avions sommeil. Après l'avoir taquiné un instant, et après avoir beaucoup insisté surtout, j'ai réussi à la convaincre de regarder ce fameux film d'horreur qui s'amusait à défier sa fierté. Une fierté toutefois toujours prête à répondre puisqu'Edelgard a accepté. Résultat ? Au bout d'une heure, la gosse est recroquevillée, enfouie sous un plaid tant qu'il n'y a que son visage qui dépasse, disparue de moitié dans les méandres des coussins du canapé. Et, chaque fois qu'elle sursaute, chaque fois qu'elle se retient de hurler mais surtout chaque fois qu'elle n'y arrive pas, j'ai tout envie de me moquer d'elle que celle de la prendre dans mes bras. Je n'en fais rien cependant.

—Rappelle-moi pourquoi je m'inflige cela... elle chuchote en ramenant un peu plus la fine couverture jusqu'à cette fois y cacher le bout de son nez.

—Parce que tu es orgueilleuse ? Fière ? Arrogante ? je l'enfonce un peu plus.

—C- Comment oses-tu ?!

J'éclate de rire devant un tel manque d'honnêteté. Le pire, c'est qu'on dirait qu'elle même est convaincue de n'être rien de ceci. Ce petit côté têtue fait également partie de toutes les choses qui me séduisent, chez elle. Et me revoilà à la désirer comme je ne le devrais pas, je suis vraiment irrécupérable.

Ha, c'est le moment où la musique de fond ralentie et devient malaisante. Le protagoniste se retrouve seul, sans surprise, et part explorer les couloirs sombres de l'école qui est déserte. Rien d'étonnant puisque c'est le milieu de la nuit. Sérieux, les scénaristes pourraient faire plus original, quand même. On s'attend à ce que le tueur surgisse à ce moment, tout est fait pour tendre le spectateur et le faire douter, alors qu'en fait, il ne se passera rien. Puisque... C'est juste après qu'il surgit de nulle part, lorsqu'on ne s'y attend plus. Je connais les films d'horreur par cœur, et ça n'a pas loupé !

Edelgard sursaute et glisse sur le côté, enfouissant sa tête qu'elle cache sous le plaid contre mon épaule. Si avec ça, elle continue de nier que c'est une poule mouillée... Je ne pourrai vraiment plus rien faire pour son égo surdimensionné. Il n'y a pas énormément de choses qui me font peur, au mieux, les scènes avec effet de surprise, mais avec l'odeur de cette gamine qui m'étreint et la chaleur qui se dégage brusquement depuis qu'elle est collée à moi, difficile de me concentrer sur le film et les sensations fortes qu'il est censé susciter. Lorsque le générique de fin défile, mes pensées sont déjà cendres.

—Félicitations, je souris à ma cadette dont je ne vois que le regard perçant alors qu'elle n'ose descendre le plaid. Tu vois, t'as survécu.

—Une expérience que je ne suis pas prête de renouveler... elle baragouine la bouche collé au tissu avant de finir par s'en dégager, et de moi par la même occasion.

—Un petit film d'horreur t'as traumatisé, Edelgard ? je me moque ouvertement lorsqu'elle se lève tout en cherchant à me cacher son expression toujours figée sur des traits apeurés.

—Allons nous coucher, Byleth.

—Changement de sujet pas très subtil, je lui fais remarquer, mais dis moi... je suis d'humeur taquine, tu vas réussir à dormir, seule ?

J'approche à pas de loup, elle est de dos à moi, et elle sursaute quand j'enserre soudainement ses épaules avant de me fusiller de son regard parme. En temps normal, les balles de fusils qu'elle tire feraient mal mais pour l'heure elle n'ont pas plus d'effet qu'une délicate caresse. Savoir que son égo prend cher flatte le mien.

—Et donc, c'est une proposition ?

—Bah... je me gratte soudain nerveusement la tête sans perdre mon sourire joueur.

—Ca ne fait que quelques jours et je te manque déjà ?

Mon cœur manque un battement lorsqu'elle rentre étonnement dans mon jeu. Je ne voulais que la taquiner, certaine que de toute manière elle se placerait sur la défensive, et pourtant, son sourire en coin semble me défier.

—C'est une réponse aussi simpliste que d'habitude, que tu veux entendre... ?

Mon cœur accélère dangereusement et ses lèvres retrouvent une position qui ne me laisse pas indifférente. Ses joues habituellement si pâles se sont réchauffées et le font un peu plus quand je fais un pas vers elle. Son regard ne quitte désormais plus le mien, ils sont amarrés l'un l'autre mais quand je fais un pas de plus vers elle, une vague l'emporte loin de moi. Elle recule, à peine, avant d'enfin osé me regarder, comme si... Comme si il ne s'était encore rien passé.

—Allons dormir, Byleth.

Elle fuit. Elle fuit encore.

—Dans mon lit ou bien le tient ? j'essaie de rire de nouveau.

—Toi, dans le tiens, et moi... chuchote-t-elle agréablement en direction de sa chambre.

Comment arrive-t-elle à faire à ce point semblant ? A revêtir tantôt un masque d'indifférence, tantôt de gentillesse. Elle se comporte une minute comme ma sœur, l'autre comme si... Comme si tout ce qu'il se passait entre nous et que je suis certaine de ne pas avoir imaginé n'existait pas. Ou bien, en fait, c'est moi qui me fait des films. Ce genre de chose, on est censé le sentir, mais avec elle, cela s'avère particulièrement difficile.

—Bonne nuit, Byleth.

Je fais un signe de la main pour seule réponse, un peu déçue que la soirée s'achève si tôt. Je ne me faisais pas d'étranges idées, bien sûr, mais j'imaginais que nous aurions pu discuter un peu plus.

C'est donc seule que je pars dans ma chambre pour me jeter dans mon lit, la tête pleine de pensées que je préférerais loin. Inutile de le nier, plus le temps passe, plus chacune se tourne vers mon arrogante petite sœur. Pour une fois, j'en souris, tant je trouve la situation comique. Ma vie est un enchevêtrement de situations compliquées, je commence à être habituée maintenant et je n'ai pas l'intention de faire semblant plus longtemps. Du moins, je ne me mentirai plus à moi-même. J'imagine que la promiscuité imposée par notre colocation forcée n'y est pas pour rien.

Convaincue que seule la solitude accompagnerait ma nuit, la surprise frappe à la porte de ma chambre au même moment que les petits coups retentissent. Je me redresse dans mon lit et le battant de bois s'ouvre lentement.

—Je... elle commence sans même me regarder, j'imagine particulièrement gênée d'admettre que j'avais raison. Finalement je n'ai pas très envie de dormir toute seule...

Je tire la couverture pour l'inviter à me rejoindre, mitigée entre cette sensation d'avoir gagné, et celle qui se diffuse agréablement dans mon ventre. Elle fait quelques pas rapides avant de se glisser sous les draps et se recouvre de la couette.

—Tu veux un câlin pour te rassurer, aussi ? je la pique un peu plus.

—Ne prends pas tes rêves pour la réalité.

—Pour quoi est-ce que tu me fais passer, Edelgard ? T'as dix-sept ans je te rappelle.

—Ha oui ? dit-elle très sérieusement en se tournant vers moi, son regard luisant des rayons de lune filtrant au travers des rideaux. Et tu te disais également cela lorsque tu as tentée de m'embrasser, l'autre fois ?

Cette fois mon cœur s'arrête de battre et j'ai du mal à déglutir. Je n'ai même pas le temps de réfléchir et d'ailleurs pas non plus la possibilité tant ses yeux parme aux reflets argentés me perforent. Et lorsqu'elle s'approche, lorsque ses bras passent de part et d'autre de ma tête, ses jambes de mes cuisses, c'est le monde qui s'arrête et se décroche de son cours.

Mon regard écarquillé refuse de décrocher du sien qui semble à la fois m'interroger et me juger. Ses lèvres sont si proches que je sens son souffle chaud sur ma peau, rien en comparaison de la chaleur qui me dévore le creux des reins. Ses yeux en disent tant mais me paraissent aussi vides et... Je n'ai aucune idée de ce à quoi elle pense, je suis moi-même incapable de penser. Chaque battement de mon cœur fait taire, non, démantèle ces pensées. C'est le silence qui répond, celui qui nous enveloppe, celui qui habille ses lèvres. Ce silence qu'elle dépose sur les miennes lorsqu'une tempête frappe et m'emporte.

J'ai l'impression qu'un millier d'étincelles coure sur ma peau lorsque sa bouche presse la mienne, me paralysant un peu plus chaque fois. Un millier d'étincelles se changeant en un déluge de flammes quand sa langue vient à la rencontre de ma lèvre inférieure. La mienne et la sienne se joignent rapidement quand elle s'engouffre dans ma bouche avec une assurance qui d'une certaine façon, ne m'étonne guère et pourtant, cet excès de confiance semble n'être qu'un masque de plus qu'elle revêt. Je n'ai cependant nulle envie de me poser des centaines de questions et mes mains remontent sur ses cuisses pour se poser plus franchement sur ses hanches. Je me consume, plus encore, je m'embrase.

La sentir remuer au dessus de moi comme elle le fait, ses mèches chatouillant mon visage tandis qu'elle ne me laisse respirer avec ce baiser particulièrement langoureux me fait perdre la tête. Jusqu'où puis-je cependant aller, avec elle ? Edelgard semble entendre mes pensées puisque sa langue caresse la pointe de la mienne à la sortie de ma bouche, une dernière fois, avant qu'elle ne recule pour ancrer son regard perçant au mien.

—A qui est-ce que tu penses, Byleth ? elle demande soudainement, le plat de sa main remontant très lentement sur mon ventre. A moi, ajoute-t-elle en pressant plus fermement ses doigts sous la limite de mes seins, ou à ma mère ?

Puis elle s'arrête, tout comme mon cœur. J'écarquille les yeux et ma respiration se bloque à la fois dans mes poumons mais aussi dans ma gorge. J'étouffe, je n'arrive plus à respirer, j'ai la sensation que sa présence m'écrase soudain bien douloureusement. Mes pensées se bousculent, et les mots meurent avant même de franchir la barrière de mes lèvres.

—Alors j'ai vu juste.

Elle se redresse et tandis que je m'attends à ne lire que colère dans son regard, celui-ci n'est que vide.

—E- Edelgard...

Elle se dégage très rapidement du lit et ne perd pas une seule seconde pour quitter la chambre sans m'adresser un seule regard de plus. Elle ne réagit pas quand je l'appelle et j'ai besoin d'une seconde pour réaliser avant de me jeter à mon tour hors des draps. Lorsque je quitte ma chambre, j'entends la porte de l'appartement claquer et me précipite dans le couloir de l'immeuble sans même prendre le temps de me chausser. Putain, je suis tellement conne. Assez pour devoir réfléchir à ma future épitaphe.

—Edelgard ! je hurle sans penser aux voisins quand je vois les longueurs blanches se soulever en direction de l'escalier. Attends ! Edelgard !

J'essaie de me mouvoir aussi vite que je le peux mais la gamine a déjà disparue en empruntant les marches. Bordel, elle va se vautrer si ça continue. Lorsque j'arrive à mon tour en haut de la rambarde où les escaliers descendent, je la vois, quelques marches plus bas, figée comme si l'hiver l'avait gelée lui-même.

—El...

—Laisse-moi, Byleth...

Par tous les Saints, ses yeux sont si sévères et la tristesse qui s'en écoule si... douloureuse. J'ai l'impression de mourir. Je préférerais du moins mourir que de la voir davantage ainsi. Tout est ma faute.

—Laisse-moi t'expliquer... El...

—Ne m'appelle pas comme ça... elle m'ordonne à demi-mots. Va-t-en, Byleth, par pitié, laisse-moi tranquille !

Son regard me fusille de nouveau mais ce n'est rien tant je souffre déjà. Je devine qu'elle va fuir alors je me jette presque dans les marches quand elle tente de descendre la suivante, attrape son bras, la tire contre moi avant de refermer mes bras sur elle.

—Lâche-moi, Byleth !

—Ecoute-moi, s'il te plait...

—J'ai dis lâche-moi !

Elle se débat et ma poitrine se gonfle dans son dos pour essayer de faire un peu plus pression contre elle. Ses coudes, coincés par mes bras, me labourent presque le ventre alors je la serre un peu plus fort. Aussi fort que je peux...

—Je suis tellement désolée, Edelgard... Tellement...

Je reste ainsi un moment, ignorant ses demandes et ses ordres, ignorant sa colère, lorsqu'elle est a son apogée, lorsqu'elle s'estompe pour laisser place à la tristesse dans sa voix tremblante... Lorsqu'enfin, elle se calme, et arrête de bouger, s'effondrant avec moi sur le sol de la cage d'escalier du onzième étage de l'immeuble...