Un Souffle
La répétition est terminée et je suis encore pantoise sur mon banc tout au fond de la cathédrale. Rhea discute avec Dorothea et Manuela - sa professeur de chant - tandis que les autres attendent patiemment à côté. Tout le monde sauf une personne.
Cette dernière s'avance pas à pas, le son de ses talons résonnant contre le sol comme l'a fait la voix de la chanteuse plus tôt dans l'ensemble du bâtiment, lorsqu'elle traverse l'allée centrale de la nef. Ses longueurs semblent danser devant mes yeux et les siens m'interrogent déjà de ce magnifique éclat parme. Moi qui pensais détester cet endroit, vois tous mes sens s'éveiller un à un. J'ai l'impression que le temps lui-même s'écoule au ralenti, que ce soit lorsqu'Edelgard s'arrête, ou bien quand elle s'assoit à mes côtés sans mot dire. Nous restons une minute comme ça, aussi silencieuse l'une que l'autre, avant que le doux silence ne se brise.
—Elle est éblouissante, n'est-ce pas ?
—Et ce n'est pas peu dire, je réponds simplement.
Mes yeux sont rivés sur la concernée dont le sourire illumine le visage, rendant l'éclat de ses yeux verts encore plus vif et beau.
Après mon ouïe, puis ma vue, c'est au tour du toucher d'être mis à l'épreuve lorsque je sens mes doigts effleurés ceux de la blanche. A peine, toutefois suffisamment pour que les poils de mes bras se hérissent un à un lorsqu'un frisson coure le long de ma colonne.
—Pourquoi tu n'es pas venue avec moi lorsque je te l'ai proposé tout à l'heure ?
—Je ne voulais pas m'imposer.
—Et pourtant, tu es là.
—Je voulais quand même te voir.
Je la vois sourire lorsque je lui jette une œillade furtive.
—Encore une réponse simpliste ? je demande.
—Et contradictoire, répond la blanche.
Je me penche en avant, pose mes coudes sur mes cuisses et croisent mes doigts. Mon expression soudain sérieuse ne lui échappe pas.
—Edelgard... je murmure tout bas. Je...
—Byleth, Edie !
Je relève la tête et remarque que nous ne sommes plus seules. Dorothea est là, ainsi que les autres d'ailleurs. Ma jeune « sœur » me lance un regard mais se lève quand ses amies l'interpellent de nouveau. Je préfère les laisser discuter et sort de la cathédrale. Les étudiantes partent devant, tandis que je reste avec Catherine qui fixe la blanche dont les cheveux se soulèvent lorsqu'elle traverse le pont.
—Sacrée morceau ! lâche sans retenue mon amie.
—Hey, un peu de respect, tu veux ?
—Alors, le portrait de sa mère, tu disais ?
Je reste immobile un moment. Fut un temps, ces mots auraient trottés dans ma tête, m'auraient tourmentés des heures, des jours et même des nuits. Ils ne m'auraient pas quittée et m'auraient même torturée. Ils l'ont fait un temps.
—En fait... je fais à demi-mot, en dehors de ses yeux... Elle ne lui ressemble en rien.
—Byleth ! s'écrie mon amie qui pose sa main sur mon épaule en me fixant intensément. T'es complètement mordue !
—La ferme !
Lorsque je regarde à l'autre bout du pont, les filles ne sont plus là, rendant ce moment bien plus propice aux confidences.
—Elle est au courant...
—Quoi, que t'en pinces pour elle ?
—Non, pour sa mère.
La blonde regarde à son tour pour s'assurer que nous sommes seules, lève un sourcils, prend un air plus sérieux. Malgré ses manières, son air enjoué et sa façon de parler, elle sait aussi l'être quand cela est nécessaire.
—T'as le don pour mettre les deux pieds dans le plat, ma parole.
—Tu crois ça...
Ce n'est qu'un euphémisme, car j'ai vraiment le don de me mettre dans des situations compliquées. Pour le moment, les choses se passent passablement bien, si je puis dire, sans l'être pour autant. Et avec les parents qui rentrent dans deux jours, je sens que tout va se compliquer un peu plus. Qu'est-ce que j'imagine, que l'on va pouvoir vivre une relation dont j'ignore l'existence, sous les yeux de la femme que j'aimais autrefois ?
—Faut vraiment que je me trouve un appart.
—Tu sais, mon canapé est libre si tu as vraiment besoin.
—Ma chambre d'amie également, j'entends chaleureusement avant de me retourner soudain.
Mes yeux croisent ce doux regard de Jade qui m'apaise aussitôt et me fait oublier mes tracas. Les plus petits du moins.
—Rhea, je souris en retour avant de serrer très rapidement la grande femme devant moi.
Je recule ensuite et la laisse considérer mon amie, Catherine. C'est la première fois que je viens avec quelqu'un...
—Catherine Rubens Charon, Madame !
Eh bien, je ne peux feindre mon étonnement devant des manières que je découvre et dont j'ai envie de me moquer, chose dont je me retiens cependant puisque je sais que ma grand-mère apprécie.
Celle-ci prend la main que la blonde lui tend de ses deux siennes avant de lui sourire tendrement. J'ai l'impression qu'il se passe un truc, là, genre une connexion mythique qui viendrait de l'haut de là. Ma camarade semble... soufflée, par la prestance de la directrice. Il est vrai que Rhea fait son petit effet, mais les deux se regardent dans le blanc des yeux et j'ai la soudaine sensation d'être de trop. D'une certaine façon, c'est assez amusant.
Les deux ont discuté de longues minutes avant de m'inclure dans leur conversation. Rhea nous a informé qu'il y avait un petit buffet dans l'ancien mess et que c'était probablement là bas qu'étaient les autres. Elle n'a pas pu s'empêcher de sourire à chaque évocation du prénom de celle qui occupe toutes mes pensées en permanence et je sais déjà devoir bientôt tout lui raconter. Quoiqu'il en soit, Catherine et moi avons donc pris le chemin du réfectoire pour retrouver les autres. Après tout, si je l'ai emmenée ici, c'est pour lui présenter Edelgard.
Lorsque nous passons les portes du mess, tout le monde est regroupé devant les tables sur lesquelles trônent différents plateau contenant monts et merveilles culinaires. Une quantité de choses sucrées, pour le plus grand plaisir de certaines. Je pense notamment à Lysithea qui doit avoir la bouche pleine, mais aussi à Edelgard dont les manières lui somme de se comporter convenablement devant tous ces gens. D'ailleurs, un visage non familier mais que j'ai déjà aperçu se trouve dans la masse, en très sérieuse discussion avec ma petite maniérée. Comment s'appelle ce gamin, déjà ? Dorothea l'a évoquée lors du tournoi.
—Byleth, fait Edelgard quand je m'approche sans dire mot. Je crois ne jamais t'avoir présenté Hubert.
Le surnommé m'observe comme s'il réfléchissait déjà a une manière d'attenter à ma vie de son regard chartreux étrécit. Son expression est particulièrement sombre mais j'imagine que son visage creusé n'y est pas pour rien.
—Hubert von Vestra, il fait en plaçant sa main sur sa poitrine tout en se penchant très légèrement vers moi.
Tant de manières, c'est dingue, il sort de quelle époque, l'homme de main ?
—Byleth, je réponds simplement avant d'interroger non discrètement la blanche avec un sourcils incroyablement levé.
Je ne lui apprends rien et pas seulement parce qu'Edelgard a utilisé mon prénom. Si son rôle est de la surveiller, il doit parfaitement savoir qui je suis, et limite connaitre mon emploi du temps, l'heure à laquelle je me lève, à laquelle je me couche, ce que je mange, le moment où je me brosse les dents... Bon, j'exagère certainement un peu.
—Viens avec moi, veux-tu ? dit la gamine en m'attrapant le bras pour me tirer plus loin.
—Je comprends pas, il est pas censé être dans le camps des ennemis ?
—Le camps des ennemis ? répète-t-elle dubitative. Tu as un sacré don pour simplifier les choses.
—C'est toujours mieux que ton « c'est compliqué » non ?
—Hubert est un ami, elle m'explique avant que l'on se fasse interrompre, et s'il a pour ordre de veiller sur moi, il me sera toujours loyal avant tout.
—Loyal ? Tu t'entends ? On croirait que tu vis dans un tout autre monde, Edelgard.
—C'est un peu le cas lorsque ton père est un des hommes les plus puissants du pays.
—Alors quoi, c'est un agent double ?
—C'est une façon de résumé les choses.
Ca en fait, des histoires, des informations à emboîter les unes aux autres pour ne serait-ce que comprendre et suivre un minimum sans se faire des nœuds à la tête. Je n'aurai davantage d'explications néanmoins puisque je vois déjà Dorothea pointer le bout de son nez, et je doute qu'il m'en faille plus.
Je préfère la laisser discuter avec les autres, faire connaissance avec Catherine tandis que je survis au regard glacial de son serviteur de l'ombre en restant dans la sienne. Il ne me quitte pas une seule seconde des yeux, et je me demande s'il voit ma main frôler régulièrement celle de la fille dont il à la charge. De toute manière, je serais prête à mourir cent fois même si c'était de ses mains, pour sentir ces frissons caractéristiques électrifier ma peau et remonter le long de ma colonne vertébrale. Pour savoir sa présence souffler sur ma vie.
