Une Peur

Après être restées tout l'après-midi durant à l'académie, Edelgard a décidé de rentrer avec moi. Pour une fois, je n'ai pas eu besoin d'insister une demi-dizaine de fois pour qu'elle grimpe à l'arrière de ma bécane. Je me demande si quelque chose à changé pour qu'elle agisse ainsi, peut-être a-t-elle seulement appris à me faire confiance, après tout. De quoi remplir mon cœur de joie, bien que rien d'incertain néanmoins.

—On commande quoi ? dis-je en poussant la porte de l'appartement.

Je me déchausse et commence déjà à réfléchir à ce que j'ai envie ou non de manger ce soir, d'ailleurs, maintenant que j'y pense, je ne sais rien des goûts d'Edelgard en dehors du fait qu'elle apprécie tout particulièrement les sucreries, surtout lorsqu'il s'agit de beignets.

—Tu es vraiment un ventre, Byleth.

Je l'exaspère mais comme on dit, on ne change pas de bonnes vieilles habitudes. Bon, pour le « bonnes » j'ai quelques doutes mais elles sont vieilles, ça, c'est clair.

—Tu ne voudrais pas que l'on essaie de cuisiner, pour changer ?

—Accident domestique : deux jeunes filles retrouvées mortes dans leur séjour, le visage noyé dans leur soupe, dira le journal demain si tu tiens vraiment à ce que je te cuisine quelque chose.

—Je suis certaine que tu exagères, dit la blanche avant d'ouvrir le frigo pour réfléchir au repas que l'on pourrait composer. Ce n'est pas en avalant des pizza tous les jours que je vais rester première classée en escrime.

—Ha, parce que les deux tonnes et demi de sucre que tu avales, c'est bon peut-être ?

—Comme me l'a dit une amie, tant que le ratio légume dessert est le même...

Je reconnaîtrais un « conseil » de Lysithea entre mille, surtout lorsque cela concerne le sucre. Quoiqu'il en soit, j'approche d'Edelgard qui n'a probablement aucune idée de la façon dont on peut cuisiner les quelques légumes errant dans ce réfrigérateur.

—Et puis, tu n'est pas désormais deuxième ? je fais soudain remarquer avant de comprendre que j'aurais du me taire.

—Ni manières, ni tact, souffle la jeune fille en refermant le coffre froid.

Mes doigts passent derrière ma nuque et ce geste reflète ma maladresse. Edelgard sait composer avec maintenant puisqu'elle ne me fait aucune quelconque remontrance supplémentaire.

—Va pour commander, elle abdique finalement.

Mieux vaut quelques kilos en trop que de mourir d'une intoxication alimentaire provoquée par notre manque cruel de compétences en cuisines. Je ne m'inquiète cependant pas plus que cela, j'ai tendance à rester musclée et tonique même avec ce que je mange, et je n'ai pas l'impression que le ventre d'Edelgard se soit arrondi pour l'avoir vérifié de très près. Ha, il ne me suffisait pas de grand chose pour que mes pensées s'égarent, je n'arrive plus à penser à autre chose qu'à son ventre, et à ce qui va avec, d'ailleurs. Le mien se contracte quand je pense à la nuit que nous avons partagée, et un peu plus quand je me dis que j'en désire bien plus encore...

—C'est quoi, ce regard déconfit ?

—Je ne vois pas de quel regard tu parles, fais-je mine de ne point comprendre.

Hélas, mes envie d'elle vont toujours de pair avec ce que j'ai osé lui faire, ou plutôt ne pas faire : lui dire la vérité dés le début. Je n'en voyais pas l'intérêt, et n'imaginais décemment pas que je finirai par éprouver de tels sentiments. Si je devais comparer Edelgard à quelque chose, ce serait à une vague déferlante s'abattant sur moi pour exprimer sa fureur, sauf que la fureur et bien, serait mes propres émotions.

—Qu'est-ce que tu voulais me dire, tout à l'heure ?

Je la suis lorsqu'elle se dirige vers sa chambre en attendant toujours que je réponde. Elle ouvre la porte et secoue ses longs cheveux qu'elle fait danser en dénouant les deux petits rubans mauves pour libérer sa nuque devant mon souffle court.

—Attends, dis-je en approchant afin de pouvoir glisser mes doigts sur son col.

J'imagine que porter une cravate serrée autour du cou toute la journée ne doit pas être très agréable, mais cela lui va vraiment à merveille, cette très vive couleur vermeille.

—Voila, je murmure sourire aux lèvres lorsque le tissu glisse de son col pour terminer entre mes doigts.

Son regard reste un moment enraciné au mien avant de fuir sur le côté lorsque ses joues prennent une délicate teinte que j'aime particulièrement observer sur sa peau si pâle.

—Je sais parfaitement que je t'ai blessée, je finis enfin par répondre.

Elle se détourne un peu plus mais je ramène son visage face au mien, ma paume enveloppant l'arête de sa mâchoire puis remontant sur sa joue.

—Byleth, pourquoi tu veux parler de ça maintenant.

—Maintenant ou plus tard, qu'est-ce que ça change ? je demande lorsqu'elle dégage sa main dans un geste lent et dénué de violence mais qui pourtant éprouve mon cœur qui bat à deux-cent dans ma poitrine.

—Je doute que tout cela soit une bonne idée, j'entends ensuite ce qui me donne l'impression de saigner un peu plus.

—Comment ça, tout cela ?

Elle tire la cravate qui s'enroulait autour de mes doigts et approche de l'une des commodes qui n'était pas là avant tandis que je recule de deux pas, comme pour me protéger, jusqu'à me retrouver littéralement dos au mur.

—Toi, moi, nous.

Mes bras se croisent sur ma poitrine, je n'ai pas envie d'en entendre plus et pourtant, je lui dois bien.

—Même s'il n'y avait pas eu... Ma mère... elle dit très difficilement une pointe d'amertume dans la voix, les choses ne seraient pas différentes. Tu auras bientôt vingt-huit ans et moi je viens de faire dix-sept.

—Je ne vois pas où se trouve le problème, et je ne pensais pas que ce genre de chose t'importait, je fait un peu sèchement comme si c'était un reproche.

Elle ne s'arrête pas dessus et continue à s'enfoncer dans des excuses que je trouve ridicules.

—Que diraient nos parents, Byleth ?

—Ils n'ont rien à dire ! En plus, c'est pas comme si on partageait un quelconque lien de sang, je commence à perdre patience et avec elle mon calme.

J'ai l'impression que mon estomac se noue de nouveau et que mon cœur se fend en deux. Putain, pourquoi ça fait toujours si mal ?

—Byleth... murmure la blanche en approchant de moi tout en restant à une distance raisonnable. Pourquoi est-ce que tu pleures ?

Eh merde. Je n'ai même pas remarqué qu'une larme avec quitté mes yeux et roulait sur ma joue, suivit d'une autre, et maintenant, il est trop tard pour m'en cacher. A quoi bon, de toute manière, je n'ai plus envie de fuir, certainement pas devant ce que je désire plus que tout au monde.

—Parce que je... j'hésite avant de prendre une profonde inspiration.

Je relève la tête et fond mon regard dans le sien qui s'agrandit lorsqu'elle devine ce qui va suivre.

—Parce que je t'aime, Edelgard.

Son réflexe est d'avoir un demi pas de recul mais elle s'arrête. Le mal est fait puisque la voir s'éloigner de moi alors que je me livre à elle est... Horriblement douloureux.

—Qu- Qu'est-ce que tu racontes...

Son regard tente de se dérober et de se poser sur tout et n'importe quoi autour d'elle. Je doute qu'elle trouve quoique ce soit d'assez intéressant pour effacer si rapidement mes paroles néanmoins.

—Je pensais que tu étais incapable d'aimer depuis... commence-t-elle avant de redessiner ses sourcils. Tu ne sais pas ce que tu dis...

—Et toi, qu'est-ce que tu y connais, à l'amour ? je tente alors de la provoquer devant l'expression indifférente qui cherche à prendre place pour faire fuir celle désorientée.

—Je n'en sais pas moins que toi, elle finit par lâcher d'un ton grave avant de reculer d'un pas de plus.

—Vraiment ? je la poursuis d'un des miens. Comment tu p-

Je m'arrête soudain, quelque chose me frappe comme si un éclair venait de pourfendre l'air.

—A moins que...

Elle recule encore mais j'attrape son bras pour qu'elle ne s'enfuit pas davantage.

—A moins que toi aussi... j'essaie de terminer en refrénant un sourire mi soulagé mi peiné étirant maintenant mes lèvres.

Mes doigts glissent sur son bras, son poignet, pour finir par redécouvrir sa paume qui s'ouvre lorsque mon pousse en effleure l'intérieur. Elle tremble.

—Je la connais, toute cette souffrance... elle prononce de façon à peine audible. J'ai lu toute la tienne.

Mes yeux s'écarquillent sur ce qui sonne comme un aveux, ou une déclaration, qu'en sais-je. Je ne suis plus très certaine de comprendre, une part de moi refuse de le faire et de nourrir l'espoir qui irait de pair avec la logique qui suinte de ses paroles.

—Je ne pensais pas écrire assez bien pour transmettre autant d'émotions... je murmure douloureusement.

—Byleth... Tu n'as pas besoin d'écrire pour cela...

Mon cœur manque un battement et je suis maintenant certaine de ne pas avoir compris de travers, en diagonale ou perpendiculaire.

—Je t'aime, Edelgard, je répète pour que ces mots s'incrustent tels des motifs sur les rideaux opaques qui dissimulent ses pensées.

—Tu crois m'aimer, comment peux-tu savoir que tu n'aimes pas simplement le fait que je lui ressemble autant...

—Parce que tu ne lui ressembles pas, je fais comme si cette logique défiait les lois universelles. Tu es arrogante, hautaine, condescendante aussi.

Elle me regarde enfin et ses orbes parme cette fois m'accusent avec ce petit sourcils laiteux levé.

—Et tu es particulièrement insupportable quand tu t'y mets.

—Drôles de raisons d'aimer quelqu'un.

Elle m'arrache un sourire, mais je poursuis. Par tous les Saints, elle me fascine.

—Tu portes en permanence un masque, d'ailleurs je me demande comment tu fais pour en avoir autant, un jour froide, l'autre indifférente, tout en voulant te montrer toujours parfaite, comme si rien ne t'atteignait. Pourtant tu refuses d'être ce pantin de perfection que certains attendent que tu sois.

Je me change en moulin à parole et je sens que la suite ne va pas me plaire mais je ne veux pas lui laisser l'occasion de me couper alors que je me sens ridicule et idiote.

—J'aime quand tu me tiens tête, quand tu oses dire tout fort ce que personne n'oserait penser tout bas. Tu te montres dure, parfois sévère même et pourtant tu restes toujours présente. Edelgard, tu es tellement belle... et encore plus intelligente. Alors même que tu avais compris, que tu avais compris que je te ferais du mal... dis-je avec plus de difficulté, tu es restée pour moi. La seule chose que tu ne veuilles avouer, c'est que tout cela te fait peur... Mais cette fierté, celle qui fait danser ces petites flammes dans tes yeux, même lorsque tu finis par la mettre de côté... Je l'aime aussi.

—Qu'est-ce que tu me fais, là ?

—Rien, je ne fais rien, je réponds en attrapant son visage alors que nos deux corps reculent dans un même pas jusqu'à ce que le mur opposé à celui auquel j'étais adossé ne la bloque. Je te demande seulement de me laisser une chance et de répondre à une question : qu'est-ce que tu désires, réellement, Edelgard ?

—Qu'est-ce que tu veux entendre, Byleth... elle souffle sur mon visage près du sien.

—Quelque chose de simple, El.

Ses lèvres se referment avant de s'entrouvrir de nouveau, légèrement.

—Ne le brise pas.