Un Au Revoir
Le vol des parents a été avancé pour cause d'intempéries. On est en été, comment il peut faire assez moche pour avancer un vol, franchement ? Evidemment, puisque l'entrée se trouve entre la cuisine et les portes de nos chambres, il nous était inutile de nous précipiter à l'intérieure. La situation ne laissant guère place à l'imagination, Anselma et Jéralt ont immédiatement compris. Si l'homme préfère ne pas se mêler de ma vie, ni de celle de la fille de sa compagne, malgré le côté incongru de la situation, cette dernière ne semble pas laisser la femme de marbre.
Mon père a quitté l'appartement pour nous laisser entre femmes, j'aurais préféré partir avec lui afin d'échapper au malaise ambiant. Au moins, elle nous a laissé le temps de nous rhabiller car difficile de rester attentive avec Edelgard dans cette... tenue. Ma dignité l'en remercie également.
—Ma puce, laisse-nous, fait la femme dont les bras sont croisés sur sa poitrine comme le fait mon amante lorsqu'elle est sur la défensive.
—Mais, maman !
—S'il te plait, elle insiste.
Devant tant de sévérité, la gamine n'a d'autre choix que celui d'abdiquer et attrape ses clefs pour suivre la même course que mon père. Ha, ça va être ma fête, heureusement que j'ai déjà pensé à mon épitaphe.
—Tu m'expliques ?
—Expliquer quoi, je nie en bloc.
—Ce que ta bouche faisait dans le cou de ma fille.
Ha, elle est rentrée assez rapidement pour voir ça, alors. J'ai du rester figée un moment pour ne pas me dégager d'Edelgard à temps afin de m'éviter pareils ennuis.
—Ecoute, crois le ou non, mais tout ça n'a rien à voir avec toi, je lui précise d'abord bien que ça ne la convainque pas cependant.
—Elle a dix-sept ans ! s'écrie Anselma accompagnant sa voix d'un geste qui fend l'air.
—Et alors ? Elle est assez grande pour savoir ce qu'elle fait !
—Il s'agit de ma fille !
—Et moi de mon père ! je rétorque en lui jetant un regard noir.
Elle me parait si froide, si sérieuse et je ne me fais aucune illusion quant au fait que c'est de la colère qui habille ce joli visage.
—Je ne peux pas accepter cela.
—Comme si j'avais besoin d'une quelconque autorisation, je peste.
—Tant qu'elle ne sera pas majeure, tu en auras besoin.
Ma main fait disparaître mon visage avant de lisser ma crinière. Par tous les Saints, mais dans quelle merde je me suis fourrée ?
—C'est quoi, le problème, Anselma ? Que j'ai vingt-sept ans ? Que nous vivons sous le même toit, ou bien, que ce soit moi ?!
Son silence est plutôt éloquent et je devine qu'il s'agit bien de la dernière option. Putain, j'y crois pas, c'est l'hôpital qui se fou de la charité. La femme est totalement braquée et ce ne sont pas mes provocations et mon phrasé franc qui vont l'aider à se détendre. Comment le pourrait-elle alors qu'elle m'a vu attenter à la pudeur de sa fille. Elle veut quoi, la protéger ? Elle l'aurait fait si elle ne s'était pas mise avec mon père, dans un premier temps. Et puis, comme si Edelgard en avait besoin. Bordel, je ne supporte pas qu'elle me regarde comme si je représentais un danger pour sa gosse.
—J'y crois pas, putain... je lâche avant de passer mes deux mains sur ma tête tout en partant en direction de ma chambre.
—Où est-ce que tu crois aller ? Nous n'avons pas terminé ! tente-t-elle de me retenir.
—Si, j'ai terminé, tu n'as pas le monopole des décisions, Anselma, et puisque tu ne veux pas me voir avec ta fille, autant ne plus me voir du tout ! je jette en claquant violemment la porte de ma chambre.
J'y suis restée enfermée pendant une heure tout en sachant Anselma silencieuse de l'autre côté jusqu'à entendre la porte de l'appartement se refermer. Mon père et Edelgard sont rentrés et cette dernière frappe maintenant à la porte de ma chambre qu'elle ouvre sans que je ne lui donne la quelconque permission de le faire.
—Qu'est-ce que tu fais, Byleth...
—Ca ne se voit pas ? je réponds en jetant deux t-shirt et un pantalon sur le lit avant de tout fourrer grossièrement dans un sac. Force est de constater que tu avais encore raison, c'était... une mauvaise idée.
—Et donc, tu vas fuir, c'est ça ? Plutôt que de tenter de discuter avec elle ? avec moi ?
—J'ai tenté, Edelgard, mais ça ne fonctionne pas, elle ne veut rien entendre.
—Et ça te surprend ?
—Mais de quel côté t'es ?!
Ma question est injuste et elle n'y répond pas. Je reconnais qu'Anselma a des circonstances atténuantes dans son refus catégorique de me voir dans les bras de sa fille, mais je ne suis pas dans un état assez calme pour dialoguer davantage avec elle. A quoi bon ? C'était de la haine, dans son regard tout à l'heure.
—J'ai déjà envoyé un message à Catherine, elle est d'accord pour que je squatte son canapé quelques jours.
—Alors tu t'en vas, et tu me laisses régler ça a ta place... souffle-t-elle sur un ton accusateur.
—C'est ta mère, la mienne est morte, je te rappelle.
Mes paroles sont violentes et je le réalise au moment où Edelgard fait un pas en arrière. Je suis tellement conne que ça force le respect.
—Je... Excuse-moi.
J'essaie de retrouver mon calme et m'installe sur mon lit en ajoutant quelques paires de chaussettes dont je me surprend à critiquer la couleur tant je n'ose regarder la blanche dans les yeux. Elle soupire lentement et vient me rejoindre sur le lit.
—Ton père est en train de discuter avec elle, personne ne souhaite que tu parte.
—Moi si, je lui apprends alors. De toute manière, je n'avais pas l'intention de m'éterniser ici.
—Garde tes excuses pour ton prochain bouquin, elle répond froidement en se relevant soudain.
J'attrape son poignet pour la retenir avant de la tirer vers moi et de la forcer à s'y asseoir.
—Tu ne devrais pas être là, si ta mère nous voit, ça ne risque pas de lui plaire.
—C'est toi qui me retiens.
—Je suis contradictoire, rappelle-toi.
Mes doigts glissent sur sa joue et j'approche de ses lèvres sur lesquelles je dépose un baiser avant de fondre mon regard dans le sien. Je n'ai pas envie de partir, non, mais je n'ai pas non plus envie de rester. Cela fait bien longtemps que je ne me sens plus ici chez moi, du moins, je ne me sentais plus chez-moi. Si la présence d'Edelgard y est certainement pour quelque chose, la situation reste néanmoins trop compliquée pour continuer à cohabiter avec elle et sa mère. Si j'ai enfin lâcher prise, j'ai besoin de m'éloigner pour mettre définitivement un terme à cette histoire et renfermer mes souvenirs dans leur petit écrin.
—Je n'ai pas le choix, Edelgard.
—Bien sûr que si, mais tu fais celui de fuir.
Elle soupire mais ses bras passent derrière ma tête lorsqu'elle m'enlace. Eh bien, je ne l'imaginais pas si affectueuse, la gamine. Je vais finir par croire que si elle ne veut pas que je parte c'est parce que je vais lui manquer. Question que je me retiens de lui dire cependant, je préfère laisser planer les suppositions.
—Je saurais gérer.
—Ouais, madame est une adulte après tout non ?
—Tu m'exaspère...
—C'est aussi pour cela que tu m'aimes, non ?
—Je n'ai pas souvenir de t'avoir une seule fois dit cela.
—Non, mais tu le penses si fort que j'arrive à l'entendre.
Tout comme son cœur qui bat contre le mien et ses doigts qui se resserrent dans mes cheveux bleuet, ne laissant guère de place aux doutes.
J'ai finalement terminé de faire mon sac, j'ai décidé de ne pas emporté grand chose, juste le nécessaire puisque je ne compte pas non plus m'éterniser chez Catherine. Mon père a bien compris que je ne changerais pas d'avis mais surtout que j'en avais besoin.
Lorsque je passe les portes de l'appartement sous le regard d'Edelgard, j'ai pour la toute première fois l'impression de partir sans laisser une part de moi-même derrière moi et d'une certaine façon, sans y être forcée. Ce ne sont pas des adieux, seulement un au-revoir.
