Point de vue : Charlie
"Les faces de gland ! Debout !", Théo criait en même temps qu'il ouvrait les rideaux de la chambre d'ami où Harry et moi avions pris place la semaine dernière.
"Vous avez 20 minutes pour vous préparer et prendre un café. Je nous ai inscrit à la séance de cross-fit et de boxe de 9h aujourd'hui et tous les jours qui suivront. J'ai mal aux yeux de voir vos corps de lâches tous les matins. Sérieusement, ça fait plus d'un mois qu'on est rentré, il est temps de vous racheter une allure et un peu de dignité. On reprend les bonnes habitudes et les corps qui ont fait pleurer d'envie toutes les femmes de Paris!".
Théo quittait la pièce en nous laissant digérer l'information et les insultes. Et je le rejoignais. Il était temps de nous faire violence en effet pour retrouver la motivation et la passion commune du sport qui était la nôtre avant. La reprise n'avait pas été facile mais les habitudes ont la vie dure et il n'avait fallu que quelques séances pour que l'exercice redevienne instinctif et que la motivation et l'esprit de compétition nous regagnent. Les résultats n'ont pas tardé ensuite. Au fur et à mesure que nous regagnions notre apparence, le moral revenait. Au quotidien et en surface, tout redevenait plus simple. Nous avions repris progressivement les sorties, les soirées, avec de plus en plus d'enthousiasme et en nous efforçant de ne pas penser à Mia.
Théo s'était d'ailleurs sincèrement rapproché d'une de mes meilleures amies, Julia. Pour la première fois de sa vie, il acceptait qu'une femme reste dormir à l'appartement. Et si la première pensée qui nous traversait avec Harry en les voyant était un sentiment honteux de jalousie, la seconde était qu'ils allaient plus que bien ensemble et qu'elle était tout ce dont il avait besoin à ce moment de sa vie. Julia s'était affirmée progressivement comme la 4ème colocataire de l'appartement. Elle nous apportait la touche de douceur et de féminité qui manquait à nos vies depuis l'exil de Mia.
Point de vue : Charlie
Nous étions tous les quatre dans le salon ce soir là, affalés sur le sofa à regarder la télévision. Julia était dans les bras de Théo, Harry et moi à proximité avec un verre à la main.
C'est à ce moment-là que les images sont arrivées à l'écran. La chaîne principale venait de diffuser les premiers moments de l'édition spéciale du jour qui ne portait sur rien d'autre que notre histoire. Rien d'étonnant en ce jour d'anniversaire. Cela faisait 5 mois aujourd'hui. Cet événement sans précédent avait naturellement fait parler toute la presse du pays et du monde et nous avions été traqués pendant un certain temps sans délicatesse par les journalistes. Jusqu'ici, aucun de nous ne s'était exprimé en public. Nous nous étions promis de ne jamais le faire et avions priorisé un accord amiable confidentiel plutôt qu'un procès médiatisé mais un groupe de fans obsessionnels s'était quand même accroché à l'évènement et s'était donné pour mission notamment de traquer et retrouver la "femme qui avait survécu". Jusqu'ici, personne n'avait mis la main sur elle. Pas eux, ni nous, ni moi. Cela faisait 5 mois qu'elle avait coupé tout contact et que sa famille s'efforçait de garder secret le lieu où elle était malgré nos sollicitations à Théo et moi. Je m'apprêtais alors à changer de chaîne avec lassitude pour ne pas nous infliger ce programme télévisé quand son image arrivait à l'écran. Comme toujours, je ne pouvais pas me retenir de lire le bandeau et comme toujours je me préparais à être déçu et à passer une soirée minable mais cette fois, il était écrit toute autre chose : "Mia, retrouvée par ses fans 5 mois plus tard".
Le choc. Théo se redressait comme un ressort au même moment que moi du sofa pendant que Julia m'arrachait la télécommande des mains pour augmenter le volume et ne pas manquer une miette de cette annonce fracassante et tant attendue. Après 5 mois d'attente, je savais enfin où elle était et je restais complètement immobile et muet. Julia montrait de sérieux signes d'inquiétude face à notre absence totale de réaction. Je la sentais impatiente d'intervenir mais aussi hésitante et fébrile à l'idée de prendre la parole sur ce sujet qu'elle savait hautement sensible et tabou et c'est après un silence pesant et interminable qu'elle osait enfin s'exprimer.
"Alors ? Dites quelque chose ! Vous n'allez pas rester vissés dans votre sofa à ne rien faire ? Quand est-ce qu'on part ?"
"On ? C'est une blague, j'espère Julia ?", j'avais trouvé l'optimisme de Julia plutôt touchant mais c'était tout autre chose pour Harry. Je comprenais à son intervention et son ton particulièrement cinglant que l'optimisme de Julia était en train de l'excéder. Et en effet, il me le confirmait avec sa réplique suivante encore plus tranchante.
"Tu ferais mieux de te mêler de ce qui te regarde sur ce coup là. De mon côté, ne rien faire, c'est précisément ce que j'ai l'intention de faire", Harry n'avait pas mâché ses mots et son amertume. J'étais donc prêt à intervenir en faveur de Julia mais Théo me devançait.
"Passes tes nerfs sur quelqu'un d'autre que Julia ou branle-toi un bon coup, Harry, ça pourrait te faire du bien", l'intervention de Théo était ferme et dissuasive pourtant mais je voyais parfaitement à la réaction et aux traits de Harry qu'il n'envisageait pas de lui laisser le dernier mot. Je croisais le regard de Julia qui le devinait aussi mais nous restions encore silencieux tous les deux à ce stade pour éviter de mettre de l'huile sur le feu.
"C'est le fait que je réponde à ta chérie qui t'emmerde ou tu es en train de me dire que tu comptes ramper jusqu'au Mexique ?", Harry continuait avec toute l'arrogance qu'il avait en stock.
"Les deux. Tu vas arrêter de passer tes nerfs sur la terre entière et tu vas venir avec nous au Mexique régler tes comptes avec Mia", je soupirais lentement, je fermais les yeux péniblement puisque Théo était en train de mettre les pieds dans le plat. Il confrontait Harry sur le pire sujet, celui qui le mettait hors de lui et le poussait dans des crises de colère systématiques depuis le naufrage. C'était à cause de ses réactions excessives et disproportionnées que le prénom de Mia était devenue un si grand tabou depuis notre retour.
"Je pense qu'elle a été très claire sur ce qu'elle voulait. Donc, en ce qui me concerne, Mia, c'est de l'histoire ancienne ", et je laissais échapper un rire moqueur et spontané face à cette réaction de Harry. J'avais au bout de la langue ses quatre vérités mais Julia me devançait.
"Mais tu t'entends, Harry ? Est-ce qu'on parle de la même personne ? De Mia ? Ta meilleure amie ? Comment est-ce que tu peux imaginer un seul instant ne rien faire ?!", Julia essayait de tenir tête à Harry. Elle essayait tant bien que mal de contenir son agacement pour éviter d'envenimer plus encore la situation. De mon côté, je me taisais et je grimaçais à la mention des dix années d'amitié car plus j'assistais aux accès de colère de Harry plus je m'interrogeais sur la portée et les limites de son amitié pour Mia.
"Ne perds pas ton temps avec lui, Julia", c'était les seuls mots que je m'étais autorisé et que je trouvais utiles. Débattre sur le fond du sujet avec Harry était sans issue car il était complètement déraisonnable sur ce sujet. J'en avais fait les frais à plusieurs reprises ces derniers mois mais Julia pouvait encore s'en sortir sans perdre des plumes si elle se passait sous silence dès maintenant. J'avais fini par tourner le dos au groupe, le silence avait tenu quelques secondes, jusqu'à ce que Julia ne puisse plus retenir son flot de paroles.
"Je vous ai vu passer par tous les états depuis cinq mois. Très bien, vous avez réussi aujourd'hui à reprendre le dessus mais de mon point de vue, cette vie que vous êtes en train de rebâtir est aussi solide qu'un château de cartes tant que vous n'aurez pas retrouvé Mia. Vous avez besoin de vous retrouver. Et oui, Harry, je ne la connais pas mais je refuse de croire ta caricature et je suis choquée d'entendre tout ce que tu oses penser et verbaliser à son sujet à chaque occasion. C'est censé être ta meilleure amie de toujours, celle avec qui tu as traversé ce drame surréaliste et celle qui t'a sauvé la vie, bon sang ! Ton comportement est insupportable et je dirai même qu'à ce stade, ça relève de la psychiatrie !", Julia avait presque fini en criant et faisait une pause pour respirer, sonder Harry et s'assurer de notre attention à tous, avant de reprendre.
"Je ne pense pas que Mia soit en train de s'enfiler des margaritas à longueur de journée. Et tu ne devrais pas avoir besoin d'avoir mon diplôme en psychologie pour le déduire aussi. Elle a fuit et s'est isolée sur un autre continent, Harry. Je trouve ça très inquiétant et tu devrais trouver ça très inquiétant aussi. Je comprends que sa façon de faire te soit restée en travers de la gorge mais elle aurait sûrement des circonstances atténuantes si tu prenais la peine d'aller lui parler. Et je pense que vous ne devriez pas laisser trainer et agir vite avant que quelque chose de grave ne lui arrive à elle aussi", Julia faisait référence à Victoria, elle faisait référence aussi au comportement excessif de Théo et son dernier accident. Elle espérait une réaction de notre part mais aucune ne venait. Elle ne voyait que nos visages abattus. De mon côté, je trouvais ses paroles parfaitement sensées mais je n'étais pas la personne à convaincre ici.
"Très bien. Ainsi soit-il. Continuez sur votre lancée. Harry, continue dans ta connerie et Charlie, continue d'attendre que ça te tombe dans le bec ! ", Julia s'impatientait.
"Non en fait, vous savez quoi ? Je vais vous dire ce que je vais faire, je vais aller chercher votre Mia dans sa putain de pampa mexicaine. Je vais te prouver que tu es le dernier des cons, Harry. Et ne perds pas ton temps à m'en dissuader ! Ma décision est prise. Et de rien, les garçons !", Julia était simplement partie ensuite en claquant la porte. Harry et Théo étaient prêts à lui emboîter le pas, l'un pour la soutenir et l'autre pour l'arrêter, jusqu'à ce que je m'interpose entre eux et la porte d'entrée mais Harry butait sur moi et m'interpellait avec un mauvais rictus.
"Pourquoi est-ce je ne suis même pas étonné que tu sois d'accord avec ces conneries ? T'es carrément mordu pas vrai? ", je tentais de rester neutre face à ses nouvelles provocations et je l'écoutais silencieusement.
"Elle te plante comme un parfait inconnu du jour et lendemain et tu continues d'espérer quelque chose d'elle ? Tu es pitoyable Charlie. Mia n'en a rien à foutre de toi. A l'heure qu'il est et la connaissant, crois-moi, elle est certainement en train de se faire passer dessus par tout le Mexique. Rachète toi une fierté", Harry me crachait ces mots, le regard mauvais en me bousculant de ses mains à plusieurs reprises pour tenter de me mettre hors de moi. Théo tentait de s'interposer entre nos deux gabarits mais je l'ordonnais de rester pour une fois en dehors de ça. C'est certain, Harry savait frapper là où ça faisait mal. Je restais encore interdit face à l'acharnement et la dose indécente d'amertume qu'il mettait quand il parlait de Mia depuis notre retour. Ça ne lui ressemblait absolument pas de parler d'elle comme ça. Mais je trouvais encore l'énergie nécessaire pour le répondre et le contredire.
"Je suis peut-être pitoyable comme tu dis et peut-être que Mia n'en a rien à foutre de moi mais ça ne regarde que moi. Ma fierté est le cadet de mes soucis. Je ne supporte plus de me lever chaque matin avec ce poids sur la poitrine. J'ai besoin de savoir qu'elle va bien. Et puisque tu as décidé que c'était le jour pour s'en foutre plein la gueule, il serait peut-être temps de te racheter un peu de courage de ton côté. Tu te voiles la face si tu penses qu'il te suffit de tirer un trait sur elle pour oublier tous les drames et tes chagrins. Tu aggraves ton cas, en continuant de la rejeter mais surtout...tu n'es vraiment pas à la hauteur de son amitié. Donc pour en revenir à tes conneries, je me branle complet de ta fierté. Tu vas laisser faire Julia parce que je crève de la revoir et je suis sûre que toi aussi. La seule différence entre nous c'est que tu es juste encore trop con pour l'admettre", et par je ne sais quel miracle, cette fois-ci, aucun coup n'était parti entre Harry et moi et chacun était reparti ce soir-là dans sa chambre. De mon côté, j'avais été incapable de penser à autre chose cette nuit qu'à Julia courant droit à la rencontre de Mia.
