Point de vue : Julia
Je n'avais pas revu Harry et Charlie après mon départ mouvementé de l'appartement. Théo avait insisté pour m'accompagner au Mexique mais j'avais clôturé le débat pour qu'il reste avec eux et les chaperonnes puisque ces deux-là pouvaient s'apprécier autant que s'entretuer.
J'avais donc abandonné les garçons avant-hier, en plein hiver parisien. 15 heures plus tard, me voilà en Amérique latine, sous la chaleur brûlante du soleil du Yucatan. J'avais laissé mes patients habituels à ma remplaçante pour aller à la rencontre d'une parfaite inconnue probablement ravagée et très certainement hostile à l'idée de me rencontrer et bien sûr, tout ça pour les beaux yeux de Théo. L'idée m'avait semblé bonne sur le coup mais j'étais de plus en plus fébrile à l'approche de l'objectif. C'est certain, l'amour rendait con.
J'avais commencé en arrivant par me rendre en centre ville après avoir repéré l'adresse du groupe de fans, fêlés mais utiles, qui avaient retrouvé la trace de Mia. Je n'avais pas eu besoin de me présenter ni de supplier bien longtemps pour obtenir l'adresse exacte. Leurs révélations m'avaient menée tout droit sur cette plage de Tulùm et cette villa de bord de mer tout droit sortie d'une brochure de lune de miel et je marchais d'un pas assuré vers cette maison quand je faisais connaissance avec ce très bel inconnu qui m'interpellait pour savoir si j'avais besoin de renseignements.
"Bonjour. Cette maison est magnifique, est-ce que vous connaissez la propriétaire ?", j'étais curieuse de soutirer le plus d'information possible avant de la rencontrer.
"Mia ? Bien sûr et plutôt très bien même...", il m'avait répondu avec un sourire charmeur et lourd de sous-entendus que Charlie n'aurait vraiment pas apprécié et qui donnait partiellement raison à Harry à ce stade. Il connaissait plutôt bien sa meilleure amie visiblement. J'avais échangé des banalités pendant quelques minutes avec ce Ricardo mais je n'avais pas appris grand chose à part qu'il était un des rares à fréquenter Mia dans le coin. Je continuais donc ma route et je frappais simplement à la porte.
J'entendais des pas approcher, j'étais très excitée à l'idée de la rencontrer, je la voyais enfin ouvrir la porte et je restais figée. J'avais vu tellement d'images de cette femme, j'en avais tellement entendu parler grâce à Théo et Charlie mais pourtant, je restais captivée. Elle était magnifique avec sa longue crinière brune bouclée et ses yeux de biche couleur noisette. Elle avait une parfaite allure, des courbes de rêve et un charme qui expliquait parfaitement que les hommes et Charlie en perdent la raison. Elle était bien plus belle que ce que je ne m'étais imaginée et je réalisais que j'étais restée muette plusieurs secondes à la fixer et qu'il fallait que je me ressaisisse.
"Bonjour Mia, enchantée. Je… on ne se connait pas. Je m'appelle…"
"Julia", Mia m'avait interrompu sans hésiter. Je l'interrogeais du regard pour tenter de savoir d'où elle pouvait tirer cette information et je m'inquiétais un peu de sa réponse.
"Instagram est arrivé jusqu'au Mexique. Je n'ai pas eu beaucoup de difficultés à te reconnaître et c'est tout à fait le style de Théo de se cacher derrière une femme pour faire le sale travail. Par contre, ça ne lui ressemble pas de s'enticher d'une fille et d'afficher sa vie sentimentale en public..", Mia souriait à sa mention à Théo, son vieil acolyte. Cette émotion que je discernais chez elle me mettait en confiance et m'encourageait mais j'essayais de rester neutre pour ne pas perdre de vue l'objectif.
"Les gens changent je suppose. Surtout dans une situation aussi inédite que la vôtre. Est-ce que je peux entrer ?", j'attendais sagement son autorisation mais Mia me coiffait au poteau avec sa réponse déstabilisante.
"Je pensais pourtant avoir été claire sur le fait que je ne voulais voir personne. Théo ne t'a pas fait passer le message ?", je ne m'étais pas attendue à ce qu'elle me confronte d'entrée de jeu mais je ne me laissais pas démonter .
"Tu parles des 5 mots que tu as griffonnée sur un papier il y a cinq mois ? Je pense que les garçons méritent mieux que ça...Je peux entrer ? Je n'ai pas de problème à rester assise sur ce charmant transat à refaire mon bronzage et profiter de la vue jusqu'à ce que tu cèdes car je n'ai certainement pas fait 15 heures de vol pour rien. Je ne retournerai pas vers Théo sans avoir eu cette conversation avec toi", mais Mia fronçait les sourcils puis cédait face à ma détermination à mon plus grand soulagement. Elle entrouvrait la porte et j'entrais. Je la suivais et j'atterrissais dans son salon qui avait une vue imprenable et surréaliste sur la baie. Visiblement, l'argent obtenu par Charlie dans le cadre du protocole lui était parvenu d'une façon ou d'une autre.
Mia me laissait m'émerveiller quelques secondes et elle se contentait d'attendre que je prenne la parole mais un silence gênant commençait à s'installer car j'avais beau avoir répété mon speech pendant tout le trajet, je ne savais pas par où commencer. Les enjeux devenaient soudainement très concrets et il était impensable que je me rate. C'était encore moins acceptable avec un diplôme en psychologie et une carrière émérite comme la mienne mais la situation était délicate. Je ne la connaissais pas, je ne savais pas du tout comment la prendre.
"Cette maison est magnifique. Tu y vis depuis combien de temps ?", j'avais commencé par cette diversion pour tenter de détendre l'atmosphère et éviter une entrée en matière brutale mais Mia m'interrompait de nouveau sans prendre de détour.
"Et si on allait droit au but, Julia ? ", j'étais surprise de son niveau d'assurance mais je comprenais que ce n'était peut être pas l'approche la plus adaptée à la situation alors je décidais de jouer cartes sur table.
"La nouvelle est passée partout aux informations françaises. Les garçons étaient vraiment soulagés d'avoir de tes nouvelles mais ils ne pouvaient pas se déplacer... J'espère que tu n'es pas trop déçue de me voir à leur place", je commençais par répondre le plus simplement possible, en veillant à ne pas prononcer les prénoms qui seraient susceptibles de la braquer mais Mia se retenait de répondre ou de laisser transparaître une quelconque émotion alors je rebondissais.
"Je meurs de soif après tout ce trajet ! Tu ne cacherais pas une excellente bouteille de tequila dans un de ces placards par hasard ?", j'avais brutalement changé de sujet en affichant le plus d'enthousiasme possible et en m'installant sur sa chaise de bar sans invitation. Je voyais son cerveau en ébullition. Elle se méfiait mais j'affichais mon air le plus sympathique pour tenter de la convaincre de prolonger ce moment avec moi. A ma grande surprise, elle finissait par se diriger vers un placard et en sortait deux verres et une bouteille.
"Ce n'est pas interdit par ta profession ce genre de chose ? Et j'ai du mal à saisir comment tu vas t'y prendre pour me retourner le cerveau avec 3 grammes dans le sang ? ", Mia venait de débiter ces questions rhétoriques sans me lâcher du regard et en vidant d'une traite son premier verre. J'étais à la fois amusée de constater qu'elle avait conservé la perspicacité et le flegme dont m'avaient tant parlé les garçons et aussi légèrement surprise qu'elle sache déjà autant de choses sur moi.
"Pour tout te dire, j'ai mis en place un plan A qui consiste à te faire boire jusqu'à t'en faire oublier ton prénom et t'obliger à me livrer tes plus sombres secrets ?", j'avais terminé ma phrase avec un sourire faussement interrogateur.
"Ton plan A ne me paraît ni déontologique ni réaliste. Je suppose que tu as un plan B ?", Mia semblait plutôt séduite et amusée par mon répondant ce qui me donnait un peu plus d'assurance pour la suite.
"Le plan B consiste à te ramener à Paris avec moi ?"
"Ou il y a aussi le plan C : tu finis ton verre et tu retournes simplement d'où tu viens en me laissant ici en paix", Mia m'avait répondu d'un ton plus las que cassant, en me tournant le dos et en s'orientant tête baissée face à la mer tout en remplissant un second verre. Elle me donnait l'impression d'être tourmentée.
"J'ai dis un peu plus tôt que ça n'était pas une option", je prenais le temps de la réflexion avec cette première réponse et je me décidais à abattre ma dernière carte.
"Il y a aussi le plan D. Je finis mon verre, je rentre à l'hôtel et je reviens frapper à ta porte demain matin pour que tu me montres un peu de pays. J'ai appris de source sûre que tu étais un excellent compagnon de voyage, ce qui tombe parfaitement bien car j'ai toujours rêvé de venir au Mexique. Si tu dois me congédier demain, j'aurai aimé ramené un souvenir de ce voyage. Si ce n'est pas toi, ce serait très aimable de ta part de m'aider à choisir un beau magnet comme lot de consolation pour Théo ?", et par je ne sais quel miracle, Mia avait accepté ma dernière proposition, en répondant qu'elle pouvait faire l'effort de me retourner la politesse et saluer l'audace. Mais j'avais deviné qu'elle était curieuse, elle aussi, d'en apprendre davantage sur moi.
