Point de vue : Julia

Mia avait été étonnée de me voir frapper à sa porte également le surlendemain et les jours suivant. Elle m'avait donné pas mal de noms d'oiseau à chaque coup de sonnette mais elle s'était laissée tenter chaque jour. Je m'étais appliquée à éviter les sujets fâcheux pendant nos balades, j'apprenais juste à la connaître en mettant de côté toutes les histoires que m'avaient déjà racontées les garçons à son sujet. Elle m'avait parlé de son ancienne vie, je lui avais raconté la mienne en retour. Elle ne me parlait ni de l'Île ni de sa vie depuis. Et contre toute attente, Mia m'avait finalement proposé une semaine plus tard de rendre ma chambre d'hôtel pour la rejoindre à la villa. C'était incontestablement le début d'une nouvelle amitié et j'en étais ravie au point d'en oublier presque les raisons de ma venue.

Je repoussais tous les jours ma date de retour. J'étais finalement assez peu pressée de rentrer. Théo me manquait terriblement mais le Mexique était aussi une bénédiction après tous ces mois de travail acharné à monter mon cabinet. Je me contentais de profiter, d'apprendre à connaître Mia et les journées défilaient sans que je ne prenne le temps de répondre aux appels de Théo et Charlie. Harry s'appliquait à m'ignorer et son comportement me révoltait au point d'en faire subir les conséquences à Théo et Charlie. Je me contentais de messages pour leur signifier que j'allais mais mais je veillais à ne leur donner aucun détail sur la façon dont j'occupais mes journées et encore moins avec qui puis bizarrement, je prenais un malin plaisir à les torturer. C'était un moyen indirect et sournois de punir Harry pour son comportement avec moi avant le départ. C'était aussi un moyen de venger et soutenir Mia que je commençais réellement à apprécier.

Nous étions aujourd'hui en ballade dans les eaux turquoises de Cancùn sur le bateau de son "ami" Ricardo. J'étais paresseusement installée à l'avant, à bronzer au soleil et à chantonner avec elle au rythme des sons latinos et je pensais au fait que Théo et Charlie n'auraient définitivement pas apprécié de nous savoir si peu vêtue, en si bonne compagnie. La journée était idyllique jusqu'à ce que mon téléphone se mette à vibrer de façon répétée sous les tentatives d'appel insupportables de Charlie. Mia avait aperçu les notifications et s'était arrêtée de chantonner. J'avais évité tout commentaire pour étouffer l'affaire mais elle en avait décidé autrement.

"Merci d'avoir fait semblant avec moi toute cette semaine, Julia", j'étais un peu chagrinée qu'elle voit les choses de cette façon mais je ne disais rien pour ne pas couper son élan.

"Je ne me souviens pas de la dernière fois où j'ai passé une aussi bonne journée".

"Vraiment ? Pas même avec Ricardo ?", je n'avais pas pu m'empêcher de le préciser avec un sourire malicieux et amusé.

"C'est beaucoup moins calme et reposant avec Ricardo...", Mia répondait en riant, sans complexe ni gêne et elle reprenait.

"Les garçons t'ont peut-être affirmé le contraire mais je t'assure que ces 5 mois ici n'ont pas été une partie de plaisir..", je ne m'attendais pas à ce que Mia aborde le sujet aussi ouvertement. J'avais même fini par perdre espoir qu'elle le fasse un jour et je m'étais résignée à terminer mes vacances et laisser les garçons se débrouiller avec leur amie. C'était la première fois depuis mon arrivée qu'elle ouvrait une porte et il aurait été dommage de ne pas en profiter. Je comprenais qu'elle était en train de prêcher le faux pour avoir le vrai, qu'elle voulait me faire parler d'eux alors je me concentrais pour trouver les mots justes pour la rassurer.

"Me concernant Mia, je n'ai jamais douté que les choses devaient être tout aussi difficiles pour toi qu'elles l'ont été pour eux. Appelle ça l'instinct féminin...Tu te doutes très bien que Théo n'attend qu'un signe de toi pour tourner la page. C'est pour lui que je suis venue en premier lieu, je te l'ai déjà dit. Je t'assure que j'ai son entière bénédiction et j'ai même reçu l'ordre, je cite, de lui ramener sa petite Mia", Mia avait relevé le visage et était suspendue à mes lèvres. J'avais vu la tendresse passer sur son visage et aussi un peu de culpabilité. Ses yeux commençaient à s'humidifier mais je venais de lui ôter une première épine du pied. La plus simple. Il m'en restait deux.

"Je ne veux pas te mentir ni te faire de peine en ce qui concerne Harry. Il est en colère. Ton départ est plus douloureux et difficile à accepter pour lui. Il a toujours beaucoup de mal à vivre sans Victoria et je pense que de t'en vouloir est un moyen pour lui de se protéger. Il a vécu ton départ comme un abandon et je suppose qu'il a peur d'être à nouveau blessé", j'utilisais tous les euphémismes possibles pour la ménager, j'essayais de la couver de mon regard le plus bienveillant mais je voyais ses yeux se remplir et frôler la noyade malgré tout. Je comprenais que Harry était inversement un sujet aussi très sensible pour elle. Mia était blessée, elle encaissait en silence, tête baissée tout en retenant ses pleurs. Je lui prenais la main en signe de soutien en réfléchissant à la suite dans l'objectif de la consoler un peu.

"Harry a juste besoin de réponse. Je suis sûre que de te revoir et d'avoir une conversation sérieuse avec toi arrangerait les choses. C'est un obstacle insignifiant à franchir à l'échelle de ce que votre amitié vient d'endurer", je venais de terminer le deuxième sujet épineux. Il ne restait que Charlie et je la sentais se tordre d'impatience. J'en étais plus que satisfaisante et je m'interrompais volontairement en tentant de dissimuler mon sourire sadique. Je me languissais d'avance de la suite puisque j'étais beaucoup trop au fait des sentiments de Charlie et j'espérais pour mon ami qu'il ne soit pas seul dans un doux rêve.

"... Tu devrais avoir honte de toi ?! ", Mia répliquait à mon comportement puérile avec un sourire outré en accompagnant son geste d'une bousculade en bonne et due forme mais je n'avais pas l'intention de m'épancher sur Charlie avant qu'elle ne passe la première à la table des confidences. C'était une question de loyauté.

"Toi, raconte-moi d'abord !"

"Oh ! Monsieur et Madame Sadique ont une fille ! Est-ce que c'est une technique validé par ton ordre d'utiliser le chantage ?!", Mia continuait avec un ton joueur et je mimais juste une bouche cousue pour lui confirmer ma détermination.

"Par où est-ce que tu veux que je commence ?", mais malheureusement Mia avait été très pudique ensuite. Elle s'était appliquer à éviter habilement tous les sujets de fond. Cette femme était la reine de l'évasion. Il m'avait fallu beaucoup d'efforts pour lire entre les lignes et je tirais deux conclusions de notre échange :

Premièrement, je ne sais toujours pas ce qui a été à l'origine du départ de Mia et c'est une véritable déception. J'avais espéré qu'elle aille jusque là dans la confidence mais je n'oublie pas que j'étais une inconnue il y a encore deux semaines.

Deuxièmement, Mia est tout sauf indifférente à Charlie. Harry peut bien penser ce qu'il veut, je sentais qu'il s'était passé quelque chose entre eux mais elle parvenait à parler de lui de façon très détachée, comme plus tôt avec Ricardo. Sa réputation de croqueuse d'homme sans attache se vérifiait. Je n'en avais pas appris grand chose donc de son opinion sur Charlie mais je pouvais affirmer qu'elle n'avait aucune idée de l'emprise qu'elle avait aujourd'hui sur Charlie. Elle ne savait pas à quel point il l'avait dans la peau et elle avait être très vite informée et prise au piège de ses 1.85m de musculature et de charme à l'anglaise.

Ricardo avait finit par nous déposer à la villa. J'étais sur mon transat désormais sur la plage quand je commençais à recevoir les messages en chaîne de Théo. Grâce à cette journée et ma très bonne humeur du jour, je me décidais enfin et finalement à répondre à son appel et à lui donner autre chose que quelques textos lapidaires sur l'oreiller.

"Putain mais tu comptais me répondre un jour ? Qu'est-ce qui te prend de me laisser dans cet état ? C'est quoi l'histoire, tu me fais pousser les cornes avec des Mexicains toi aussi ou quoi ? Tu m'expliques ? ", je laissais Théo me sermonner vivement et je devinais la présence de Charlie à côté de lui qui était très attentif et commentait notre échange.

"Puisque que tu abordes le sujet, il y a ce brun dans la chambre à côté de la mienne…", j'avais poursuivis dans une fine tentative de diversion mais je me ravisais rapidement en l'entendant grogner à l'autre bout du combiné.

"Ça va ! Excuse-moi. Je n'avais pas très envie de répondre après la façon dont on s'est séparé, c'est tout. Ce n'est pas juste vis à vis de toi, je sais, mais je suis énervée. Et pour être tout à fait honnête, je prends cet appel uniquement pour t'empêcher d'envoyer le raid à ma recherche".

"Je suis tellement désolé, ma puce. Harry aussi je te promets, même s'il ne s'est pas encore excusé. Pardonne le une fois de plus. Il n'a jamais été aussi à fleurs de peau, ça va finir par lui passer, il est beaucoup plus aimable en temps normal", Théo laissait passer un blanc et j'attendais qu'il me pose cette question qui lui brûlait les lèvres depuis une semaine.

"Alors...Tu as rencontré Mia ? Tu penses qu'elle va accepter de te parler et de nous voir ?", je m'étonnais qu'il ait attendu autant de temps avant de m'interroger à ce sujet.

"Peut-être bien. Je ne sais pas encore si c'est la Mia que vous avez connu mais elle y ressemble fortement", je n'étais pas très fière de ma réponse évasive mais je ressentais encore ce besoin de les bousculer. Mia débarquait ensuite au même moment et innocemment avec nos verres sur un plateau et sans la moindre discrétion.

"Julia ! Ta margarita va fondre au soleil. Dépêche toi de vider ce verre parce que j'ai réservé à Cancún. Ric passe nous prendre dans 1h !", je pestais au même moment en lui tournant le dos et en mettant la main précipitamment sur le micro du téléphone pour que les garçons n'entendent sa voix mais j'étais certaine qu'il était trop tard et que Charlie n'en avait pas manqué une miette. Je m'empressais donc de raccrocher à la hâte avec Théo pour éviter d'avoir à m'en expliquer.

Mia avait senti mon trouble en arrivant à ma hauteur mais n'avait posé aucune question, trop concentrée à déplier les pailles et à me tendre mon verre. J'envoyais un dernier message discrètement pour conclure mon échange avec les garçons et je rebondissais au même moment sur sa dernière proposition

"Où est-ce que tu nous amènes ?".

"Ça ma chère Julia, c'est une surprise. Salud !", Mia portait un toast avec un optimisme que je ne lui connaissais pas. Mia commençait à s'ouvrir à moi et cette journée marquait incontestablement le début d'une amitié entre elle et moi. Elle avait été d'une humeur délicieuse toute la soirée. J'avais beaucoup souris en imaginant une version où Charlie aurait été avec elle ce soir à la place de ce Ricardo. Elle avait ri, chanté et dansé comme toutes les femmes de son âge ce soir. Sans le poids du passé et sans l'angoisse de la confrontation qui devait et allait bientôt avoir lieu.