Point de vue de Harry
J'avais réussi à me débarrasser de l'amoureux transi et je parvenais enfin à la hauteur de Mia, à la limite du ressac.
C'était incontestable. J'étais bouleversé de la revoir mais j'étais aussi et surtout particulièrement révolté par sa précédente réaction alors je l'attrapais par le bras et je l'obligeais à me faire face sans aucune douceur, avec le regard froid et déterminé à obtenir les explications qu'elle me devait depuis six mois.
"ARRÊTE TES CONNERIES MIA, MAINTENANT EXPLIQUE TOI !", ces paroles étaient sorties moins violemment que je ne l'avais prévu parce que la colère avait commencé à diminué après ce coup exutoire porté à Charlie mais surtout en voyant le visage baigné de larmes de Mia, que je savais pourtant si fière et imperturbable de nature. J'étais sincèrement démuni et surpris de la voir dans cet état et je la laissais donc volontiers dégager son bras de ma poigne. Je la voyais au même moment tomber lamentablement sur le sable, avec l'eau qui s'échouait ridiculement sur ses jambes pendant qu'elle me suppliait avec une voix beaucoup trop douloureuse qui me retournait l'estomac.
"ARRÊTE DE ME PARLER ET DE ME REGARDER COMME ÇA. C'EST INSUPPORTABLE !", je la laissais en l'état avec sa réplique et sa chute, en prenant ma tête entre mes mains et en commençant à tourner en rond, à distance raisonnable d'elle. Je me taisais difficilement, je prenais le temps qu'il fallait pour canaliser cette envie de la blesser qui me prenait aux tripes depuis des mois parce que ses mots trop tremblotants et ses larmes me faisaient définitivement faiblir. Je repensais aux paroles de Julia et Charlie deux semaines plus tôt et je décidais finalement de lui offrir un premier signe de paix : je me rapprochais, je m'asseyais aussi à ses côtés sur ce sable mouillé, mon épaule contre la sienne. Mia aurait définitivement terminé sur le champs dans mes bras en temps normal mais j'étais incapable de lui montrer plus d'affectation en ce moment, tout comme j'étais aussi incapable de lui causer plus de peine.
Je me décidais donc à reprendre la parole pour lui répondre simplement et avec le ton le plus neutre que j'avais mais surtout, je continuais de fixer l'horizon avec beaucoup d'application car c'était beaucoup trop éprouvant de la regarder après tous ces mois d'absence, de non-dits, de souffrance et de rancœur.
"Très bien, mais il va falloir que tu arrêtes aussi de pleurer", je l'entendais se redresser pour reprendre un peu d'allure à mes côtés et j'attendais que ses soubresauts aient atteint un niveau acceptable avant de continuer.
"Donc. Tu vas accepter de me parler maintenant que nos crises d'hystéries respectives sont passées ?".
"Je pensais que ça ferait moins mal...Julia m'avait prévenu que tu me détestais mais je ne m'attendais pas à recevoir ta haine en pleine figure", Mia reprenait péniblement. Je l'entendais sécher ses larmes et reprendre contenance et je gardais le silence en réfléchissant à ma réponse.
Bien sûr qu'elle se trompait et que tout cela n'avait rien à voir avec de la haine. Elle était trop importante, il n'y avait jamais eu de haine entre elle et moi mais il y avait beaucoup de déception et de rancœur. J'étais amer parce qu'elle m'avait abandonné purement et simplement, au moment où j'avais le plus besoin d'elle, après toutes ces années d'amitié et d'entraide. J'aurai aimé démentir sur cette haine pour l'apaiser mais je la laissais continuer pour ne pas lui laisser une chance de se dérober et en l'entendant prendre sur elle et se redonner contenance.
"Si j'avais dû choisir avec qui m'échouer sur cette île, j'aurai choisi la terre entière sauf toi", je laissais Mia développer mais j'étais piqué au vif par ce premier aveu, car inversement, elle avait été tout pour moi sur l'Île.
"Je ne suis pas tombée par hasard sur Victoria ce jour-là. Je l'ai cherché désespérément, à chaque fois que tu avais le dos tourné et autant de fois que je le pouvais. Tu étais persuadé que c'était terminé mais je ne voulais pas te donner raison. Je voulais tellement te la ramener, Harry. Mais j'ai maudit le ciel ce 3ème jour d'avoir trop bien cherché et trouvé ce qu'il restait d'elle dans cette crique. J'ai maudit encore plus le ciel d'avoir été celle à devoir te l'annoncer. Mon cœur s'est brisé en même temps que le tiens ce jour-là et je n'ai jamais réussit à chasser de ma tête cette dernière image d'elle...J'en ai fait des cauchemars, pendant des semaines", Mia s'arrêtait un instant pour inspirer et retenir d'autres larmes et j'essayais de ne pas me perdre de mon côté dans ces souvenirs qui réveillaient des blessures encore beaucoup trop vives.
"C'était l'enfer de Dante sur cet île...J'ai arrêté d'en dormir la nuit parce que j'étais tétanisée à l'idée de te perdre. C'était tellement prévisible dans ce contexte chaotique et après ce qui est arrivé à Victoria... Charlie m'a vu te veiller en continu, je ne te lâchais plus des yeux et j'en oubliais de me nourrir", je savais effectivement que je devais tout à Mia et que j'avais vécu dans ma bulle de chagrin et de détresse. Elle avait été ma seule source de réconfort et mon seul repère, je n'aurai jamais réussi sans elle et c'est ce qui avait rendu son départ encore plus révoltant et incompréhensible. Je me taisais pour l'encourager à poursuivre et à se confier encore plus même si les souvenirs qu'elle remuait courageusement étaient agonisant.
"J'étais dans un état chaotique le jour où Théo est tombé de ce rocher. Théo était vraiment mourant, c'est un miracle qu'il ait survécu, n'importe lequel de mes patients serait mort à sa place. Je l'ai su immédiatement en regardant de plus près ses blessures alors je t'ai menti. Je t'ai fait croire qu'il était convalescent pour gagner du temps, dans l'espoir que les secours arrivent avant que tu ne prennes la pire des décisions...Parce que je savais que tu aurais tout lâché si tu avais su pour lui aussi...".
Même si c'était douloureux, j'essayais de confronter les souvenirs de Mia aux miens et je me souvenais parfaitement de ce 3ème jour. Elle était partie en expédition, j'avais commencé à mourir d'angoisse de ne pas la voir revenir et j'avais ratissé la côte pour la retrouver. Je l'avais vu revenir de cette crique et j'avais compris, en la voyant me tendre l'alliance de Victoria, qu'elle venait de trouver son cadavre sur la plage. Mia s'était jetée sur moi en me suppliant de ne pas aller voir. J'avais essayé d'échapper à son emprise mais Charlie et Théo m'en avait empêché en usant de leur force. Donc j'avais parfaitement conscience qu'elle m'avait épargné une horreur de plus dans mon deuil mais j'avais été loin de me douter pour cette histoire avec Théo. En y repensant, j'avais été tellement soulagé de son diagnostic et j'avais tenu bon en attendant le réveil de Théo. Alors oui, elle m'avait sauvé de moi-même et j'en prenais encore plus la mesure après ces nouveaux aveux mais surtout et pour la première fois, j'essayais de voir les choses depuis son point de vue et de faire preuve d'empathie, comme elle.
"J'ai fait de mon mieux là-bas...pour toi...et j'ai pris un sacré revers pendant l'isolement sanitaire. J'ai tétanisé et j'ai perdu tout mon courage. Je n'avais pas le courage de rentrer, d'assister aux funérailles et d'avoir encore peur pour toi. J'en ai vraiment honte mais c'est ce qu'il s'est passé. Je n'aurai jamais dû te tourner le dos, Harry...Tu es celui qui a le plus perdu, je savais que ton retour allait être le plus difficile de tous et que tu aurais besoin de moi mais je suis partie. Il n'y a rien au monde que je ne ferai pas pour toi pourtant, mais j'étais dans le noir complet à notre sortie de quarantaine", j'étais incapable de retenir mes larmes face à ses confidences. Je me raccrochais à la colère depuis des mois pour ne plus pleurer mais je n'y arrivais plus ce soir parce que je me sentais coupable à un point indéfinissable mais aussi parce que je sentais toutes les tensions et les émotions fortes retomber après ces mois de manque et de séparation déchirants. Les non-dits étaient enfin en train de tomber en même temps que la colère et la rancune et j'essayais avec le plus de sincérité possible de lui signifier même si j'avais beaucoup de honte à la regarder dans les yeux.
"Je sais que j'ai été un fardeau et le pire des égoïstes, pour changer et...", mais Mia m'ignorait et me coupait aussitôt dans mon élan.
"Je suis tombée enceinte. J'ai avorté. L'annonce est tombée en fin d'isolement. C'était le coup de grâce et j'ai craqué...un peu trop craqué. Tu sais que tu es les seules épaules sur lesquelles je m'autorise à pleurer habituellement et je ne voulais pas le faire avec ce que tu avais à gérer. Alors je suis partie me planquer au Mexique pour gérer ça seule et à ma manière", j'étais scié après cette révélation complètement assourdissante. J'étais muet et j'essayais d'intégrer l'information. J'avais les yeux dans le vide, je fixais la mer puis je trouvais le courage au bout de quelques secondes de sidération de la regarder. Et je voyais Mia ignorer soigneusement mon regard, poser son visage sur ses genoux mais surtout je lisais ses expressions beaucoup trop douloureuses sur son visage à cet aveu et j'étais effondré. J'étais effondré de l'apprendre et effondré de l'apprendre aujourd'hui, bien après la bataille. J'étais torturé de l'avoir raté et encore plus en pensant à ce qu'avait dû être sa situation : en l'imaginant seule face à cette nouvelle puis cette décision, sans aucun soutien, au bout du monde et sans moi alors que j'avais toujours fait de Mia ma priorité. J'avais toujours mis un point d'honneur à la protéger et j'avais raté ça. Alors je sentais mes entrailles se resserrer à cause des regrets et de la culpabilité. Je réfléchissais mais je ne trouvais aucun mot pour me justifier ou la consoler alors je me décidais simplement à la prendre dans mes bras. Je passais mon bras autour de ses épaules dans l'urgence de la réconforter, de me réconforter et de nous réconcilier. Je sentais ses larmes couler discrètement dans mon cou et je la laissais les déverser pendant de longues minutes en prenant ensuite son visage entre mes mains.
"Je suis tellement désolé...de ne pas avoir pris soin de toi...Plus jamais ça entre nous...Promets moi qu'à partir d'aujourd'hui tu arrêteras de me traiter comme ta petite chose fragile ?", Mia hochait la tête pour approuver tout en étant encore submergée par l'émotion et les larmes mais elle souriait malgré tout timidement au surnom ridicule que je m'attribuais et qui était en total opposition avec mon apparence physique. Je sentais mon cœur s'apaiser face à ce demi-sourire qui m'avait beaucoup trop manqué et je l'obligeais à trouver de nouveau refuge dans mes bras en me berçant de sa présence et du bruit apaisant des vagues pour reprendre pied. J'y arrivais et je réalisais ensuite qu'il me manquait une pièce très importante de l'histoire.
"Qui était le père ?", Mia hésitait à me répondre alors je jouais la carte de l'humour pour l'inciter à la confidence.
"Non, attend, laisse moi deviner, l'armoire à glace de l'anniversaire de Théo ? Où peut-être l'infirmier qui te faisait du rentre-dedans à l'hôpital, comment il s'appelait déjà, ça commençait par un A, Alexandre ? Arnaud ?", j'essayais de me remettre au clair la liste honorable des conquêtes de Mia.
"Charlie...", et je l'entendais lâcher sa bombe platement et subitement. Je restais interdit puis je bégayais en m'écartant d'elle vivement.
"Charlie...? MON Charlie ?"
"Oui, TON Charlie"
"Impossible. Tu mens. Je n'aurai jamais pu rater ça. Et encore moins Théo...", j'étais complètement retourné et estomaqué et Mia me contredisait juste en baissant les yeux timidement.
"Ça s'est passé sous ton nez pourtant. Tu sais très bien qu'il y avait une attirance. Ne me regarde pas comme ça ! Ça devait arriver un jour. Et ça n'est arrivé qu'une fois, tu le crois ça ? Quelle chance..."
"Comment ? Quand ? A Hawaï ?", j'étais sonné par l'information mais je ne voulais plus de secret. Mia souriait puis soupirait face à mon interrogatoire insistant mais elle répondait.
"Non. Sur l'île. Le 2ème jour, pendant notre expédition, quand on a découvert ce bassin d'eau douce. Quand j'y repense, j'ai tellement honte. Je l'ai presque forcé, Harry. Je l'ai poussé à fauter mais j'avais tellement besoin de réconfort et de ressentir autre chose que de la peur ce jour là...Et Charlie était là pour moi, d'une autre manière que Théo et toi. Sans lui, je crois que j'aurai perdu la tête sur l'Ile...Et pour le comment, je ne suis pas sûr que tu ais envie de savoir", Mia se cachait la tête entre les cuisses, honteuse et rougissante, elle qui n'avait jamais eu de secret ni de retenue quand il s'agissait de me livrer les détails de ses frasques sentimentales. J'en profitais pour refaire le film dans ma tête. J'avais parfaitement noté les jeux de séduction dangereux entre eux depuis leur première rencontre et jusqu'à la veille du naufrage mais j'avais été très loin de me douter qu'ils avaient concrétisé et encore moins sur l'île. Mais ça faisait sens, c'était normal que cette information ait échappé à ma vigilance car je n'avais pas la tête à eux à ce moment là.
"Qu'est-ce qu'il s'est passé ensuite ? Pourquoi tu ne me l'as pas dit mais surtout pourquoi est-ce que ça n'a pas continué entre vous ?"
"Je n'allais surement pas te parler de ça avec ce que tu vivais et c'était devenu le cadet de mes soucis. Il n'y avait plus que toi qui comptait. Et continuer pourquoi ? C'était une parenthèse, sans promesse, ni avenir. Charlie en mourrait juste d'envie, comme tous les autres. Il a eu ce qu'il voulait et il n'avait certainement pas l'intention à ce moment là de me demander en mariage et de me faire un enfant...J'ai pensé que c'était mieux de ne rien dire et de disparaître pour lui laisser une chance de rectifier le tir avec Catherine", je l'entendais pousser un long soupir de soulagement après ces derniers aveux.
De mon côté, je réfléchissais à m'en donner mal à la tête. Je repassais en revue les aveux de Mia et toutes les pièces du puzzle s'emboîtaient parfaitement désormais. Je comprenais toutes ses motivations. Elle avait été fidèle à elle-même. Elle s'était encore sacrifiée en pensant épargner Charlie et moi. Je comprenais aussi très bien maintenant l'origine de toutes ces tensions depuis des mois avec lui : il était tout simplement jaloux parce que j'avais eu droit à toutes les attentions de Mia alors qu'il rêvait désespérément de se rapprocher d'elle. Puis il y a enfin autre chose que je comprenais aujourd'hui : Mia ne soupçonnait absolument pas l'importance qu'elle avait prise dans le cœur et la tête de Charlie depuis.
