Le Tigre et ses Démons

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Kôjiro avait terminé son boulot un peu plus tôt que d'habitude, il avait prévenu son patron des désagréments de la semaine, et celui-ci avait souri, en disant que les études étaient plus importantes que de l'aider à ranger toutes ces caisses. Le vieil homme lui avait donné la permission de quitter une heure plus tôt jusqu'à la date du contrôle, sans même discuter. Hyûga était heureux que le vieil homme qu'il appelait presque grand-père du fait qu'il travaillait pour lui depuis qu'il était gosse, ne lui ait pas posé de problèmes supplémentaires, il passa le porche de chez Sawada et sonna, surpris de voir à quel point la maison était grande. On devinait facilement que le père du cadet avait un très bon poste pour habiter un tel luxe.

- Oui ? »
- Bonsoir madame, je suis… »
- Capitaine ! Juste à l'heure ! Maman, je te présente Kôjiro Hyûga, c'est le capitaine de l'équipe ! Il va venir travailler avec moi tous les soirs pendant toute la semaine ! »
- Ha je vois, c'est le fameux Kôjiro Hyûga, et bien entrez jeune homme. »
- Merci ! »

La mère fit un large sourire à son attention, mais il n'eut pas le temps de lui dire quoi que ce soit d'autre puisque la tornade ambulante qui lui servait de fils venait d'attraper le bras de son précieux capitaine et le trainait dans les escaliers. La porte de la chambre du cadet refermé, Kô se laissa tomber devant une table basse et regarda le livre avec circonspection. C'était un livre de cours de son années, le cadet disait vrai, il bossait avec une année d'avance, pas étonnant qu'il se plaignait de s'ennuyer pendant ses cours !
Après deux heures de bataille acharnée, entre le tigre et les fonctions qui mirent ses nerfs d'acier à très rude épreuve, Kôjiro avait enfin compris à quoi elles servaient et comment on les calculait, d'ailleurs dans un sourire victorieux son cadet lui avoua qu'il n'avait fait que deux erreurs dans les exercices qu'il lui avait préparés. Le tigre tendit la tête et regarda l'heure, il était tard, il avait envie de se coucher pas trop tard ce soir, ces fichues fonctions l'avaient éreinté comme un troupeau de Ohzora.

- Bon je rentre, on se revoit demain ! »
- Bien capitaine, je vous raccompagne ! »
- Non, c'est bon merci ! »

La main de Kôjiro tapota la tête du cadet, il préférait rentrer seul, d'ailleurs, il n'avait pas emmené son ballon pour des prunes, il ferait le trajet avec lui et en driblant tout ce qui passerait à portée. Lorsque le capitaine descendit les escaliers, il remarqua que la mère de Takeshi l'attendait dans le salon. Il haussa un sourcil elle était en train de broder, mais elle leva la tête et s'approcha de lui rapidement.

- Merci bien, vous prenez soin de mon fils, depuis le temps qu'il me parle de vous. Vous semblez être quelqu'un de bien, mon fils vous adore, je trouve qu'il est devenu plus combatif, vous avez un bon effet sur lui ! »
- Heu… »
- Revenez quand bon vous semble, et la prochaine fois venez manger avec nous, je serais heureuse de pouvoir discuter avec vous. »
- Merci madame… au revoir. »
- Au revoir jeune homme, faites attention en route. »
- Ça va aller ! »

Pour dire vrai, elle n'avait pas tort, lorsqu'il avait rencontré le petit Takeshi c'était un enfant peu sûr de lui, sans vraiment d'ami, craintif, chétif, d'ailleurs il se faisait bousculé par les gars de son équipe... Quand on voyait le Takeshi de maintenant, bavard, entouré d'amis de partout, toujours prêt à en découdre sur le terrain comme dans la cours... on pouvait dire que Meiwa et le coach Kira avait à jamais changé le fils trop sage qu'elle avait. Mais ce n'était certainement pas grâce à Kô, enfin... il ne le pensait pas.

- Hop là ! »

Le tigre dribbla et passa un défenseur virtuel qui n'était autre qu'un poteau et continua son petit chemin. Au carrefour, il se stoppa, devant lui, Ken parlait avec une jeune fille. Que faisait-il dehors, à cette heure ? Et avec cette fille ? Elle ne lui était pas familière, finalement, son instinct ne l'avait pas trompé, Ken la raccompagnait quelque part… Il émit un sourire carnassier et entreprit de les dépasser, il voulait voir le minois de la donzelle qui avait volé le cœur de goalkeeper.

- Espèce de petit cachottier… »

Il reprit son élan et passa devant eux avec un grand sourire.

- Bonsoir Ken. »
- Ha cap… Kôji... heu… enfin, Hyûga-kun… »
- Ha, ha, tu me présentes? »
- Ha. Euh… Miyabi, je te présente le capitaine de la Tôho, Kôjiro Hyûga. »
- Bonsoir ! »

Son ton avait été dur, et Kôjiro sentit une irrépressible haine lui monter le long du dos, cette fille ne semblait pas l'apprécier, d'ailleurs c'était réciproque. D'ailleurs, ce duel de regard sombre lui fit vite oublié le bégaiement de Ken à propos de son prénom qu'il n'avait jamais entendu de la bouche du goalkeeper. Le tigre fit un rapide bonsoir, mais sans ajouter quoi que ce soit, il repartit aussi vite qu'il était apparu, contrarié que cette pimbêche lui ait envoyé un regard aussi incendiaire.

- Ha merde ! K'so, k'so ! J'ai pris trop de temps à distribuer le journal, aujourd'hui ! »

Kôjiro courut à travers les couloirs, et entra dans la salle de cours avec une bonne dizaine de minutes de retard. Le prof leva le nez au milieu de sa lecture, grimaça, mais laissa l'élève retardataire prendre place. Kôjiro n'avait pas l'habitude d'être en retard alors, il fit comme si de rien n'était.

- Bon ! Prenez votre livre page 67, je veux que vous travailliez par deux, vous allez me faire un petit exposé, là-dessus par écrit. »

Kôjiro tourna la tête et regarda son voisin de droite, il détestait travailler en binôme, mais puisque dans sa classe, y'avait Ken, il savait que ce qui aurait dû être une corvée ne serait qu'un prétexte, tient, pour passer du temps ensemble en dehors des cours et de l'entrainement !

- Ken ? »
- Hum, Cap… Hyûga-kun ? »

Ken fit un petit oui de la tête après avoir regardé son capitaine, ils s'entendaient parfaitement rien qu'en se regardant, pas besoin d'en dire plus; Pourtant, normalement il sentait son regard, Hyûga n'avait pas besoin de l'appeler, cela dit, son goalkeeper était dans la lune.

- Parfait ! On se voit dimanche pour mettre nos idées ensembles et tout rédiger ! »
- Bien cap… »
- Hey ! Kôjiro, ok ? »
- Bien Kôjiro ! »
- Quand même ! Depuis le temps qu'on se connaît ça devrait être un automatisme ! »

Kôjiro avait choisi le toit pour prendre l'air et manger son bento, Takeshi lui avait annoncé qu'il ne pourrait pas être présent, qu'il mangeait avec ses camarades, cela lui avait mis le cœur en joie, il pourrait être un peu tranquille ! Depuis que son cadet s'occupait de lui, il ne le lâchait plus, allant même jusqu'à lui faire des bento avec soi-disant une sélection de poisson cru capable d'améliorer la mémoire... Si Kôjiro n'avait jamais eu de petite amie, il imaginait un peu mieux ce que c'était. Un enfer !
Il tourna la tête en entendant la porte s'ouvrir, personne ne venait là, c'était le meilleur endroit pour venir s'isoler, à part un chat qui squattait allègrement à côté du tigre d'ailleurs. Le petiot était roux tigré de noir, Takeshi l'appelait Kô, trouvant qu'il ressemblait à un tigre et donc par extension à son capitaine... Trêve de plaisanterie ! Le félin miaula, regardant la personne qui se tenait près de la grille de protection, Kôjiro y jeta un coup d'œil et fut surpris de voir Ken. Il semblait complètement abattu, jamais il ne l'avait vu avec cette expression. Son ami lâcha son sac et dans un long mouvement, glissant contre le grillage, il se laissa tomber à terre et cacha son visage de ses deux mains. Kôjiro remarque le léger tremblement au niveau de ses épaules et resta médusé. Ken pleurait ? Il se leva aussi silencieusement qu'un chat et approcha de son goalkeeper, il ne supportait pas de le voir comme ça, mais pire encore, si Ken pleurait, ça ne pouvait être à cause que d'une seule et unique personne : son père...

- Ken ? Qu'est-ce qui ne va pas ? »

Le jeune homme sursauta puis leva la tête un brin paniqué. Il avait bien reconnu la voix et il s'était attendu à tout sauf à lui faire face en pareil instant. Son regard rougi se figea devant celui de Kôjiro. D'un mouvement rapide, Wakashimazu essuya ses larmes et essaya de faire comme si… tout allait bien. Il n'avait aucune envie de parler de ce qui n'allait pas.

- Je ne t'avais pas vu… »
- Qu'est-ce qu'il y a ? »
- Rien ! »
- Je ne t'ai jamais vu pleurer ! Même quand tu as eu cet accident, tu n'as pas versé une larme, je te connais bon dieu, vas-tu me dire ce qui va pas ? »
- Kôjiro… je viens de te dire que… »
- Ne mens pas ! Pas à moi ! »

Le ton de Kôjiro était passé à la colère, il ne supportait pas de voir son ami comme ça, sans que celui-ci daigne lui parler, lui dire pourquoi ! Il avait envie de l'aider. Il s'approcha un peu plus de lui et s'accroupit en face de Ken, il lui fit un sourire maladroit et mit une main réconfortante sur son épaule. Même si ils ne partageaient que le foot, Kôjiro ne pouvait laisser le goal seul dans un instant pareille, ils étaient amis, ils se connaissaient depuis qu'ils avaient sept ans, alors, si il n'en parlait pas à Kô, à qui pourrait-il en parler ? Soucieux, le tigre fit un sourire au jeune homme qui regardait le sol obstinément;

- Alors ? »

Ken baissa la tête, laissant un sanglot sortir de sa gorge. D'accord, il allait parler, de toute façon, ça menaçait de sortir. Il avait besoin de sortir tout ça, mais il avait peur, peur d'aller trop loin.

- Miyabi, elle… Tu sais comment est mon père, non ? Il… Miyabi fait partie de la famille de Kawasaki, c'est la sœur du karatéka Haruka. Mon père s'est mis dans l'idée, qu'il serait bien que… que je l'épouse. C'est un Omiaï… Je ne veux pas qu'il choisisse pour moi ! Je ne la supporte pas, elle s'est mise dans la tête que le football était une aberration, que je devrais arrêter. Si elle en parle à mon père, je risque de ne plus avoir le droit de continuer à jouer avec vous… »
- Ha… je comprends pourquoi elle m'a jeté un regard noir… »
- Elle te déteste Kôjiro ! Je ne savais pas quoi lui dire, alors je lui ai parlé de toi, de la façon dont on s'est rencontré, et comment j'en suis venu à être goalkeeper… Et résultat, elle te déteste, je pensais au moins lui montrer, que même si je respecte son point de vue, elle pourrait peut-être comprendre pourquoi j'aime être goal, pourquoi je n'ai pas envie d'arrêter… Mais… elle est si… elle est comme mon père ! Je les déteste ! »
- Ken… »

La main de Kôjiro remonta le long du cou de Ken et il se mit à lui caresser les cheveux, il n'avait jamais réconforté quelqu'un, quand un de ses frères ou sa sœur tombait, il suffisait qu'il arrive pour que leur sourire s'affiche, mais là, c'était différent… en n'était pas de son sang et c'était loin d'être un bobo de gamin. Il sentit Ken tressaillir sous ses doigts, il s'étonna de cette réaction, car il n'en comprenait pas la signification. Mais lorsqu'un sanglot s'échappa de la gorge pâle de Ken, Kôjiro l'attrapa entre ses bras et le serra violemment contre lui. Le tigre n'aimait pas montrer ses sentiments, mais là… Il fallait faire une concession. Ken était important, pour lui, pour l'équipe, mais surtout pour lui ! Il laissa Ken pleurer pendant un long moment au creux de ses bras. Il semblait en avoir besoin, Kôjiro se surprit à resserrer l'étreinte, ses mains se faufilèrent dans les cheveux sombres de Ken pour finir leur course au creux de son dos, il apprécia plus qu'il ne voulait se l'avouer, le contour du corps qu'il gardait au creux du sien. Le tigre se mit à respirer l'odeur que les cheveux de Ken exhalaient. Kôjiro se sentit en paix, c'était quelque chose de rare chez lui, il se laissait emporter par les battements du cœur de son goalkeeper, c'était la première fois qu'il se sentait si décontracté, il avait l'étrange impression d'être sur un nuage. Ses yeux se fermèrent et il se laissa aller au grès de ce bien-être. Il ne savait que dire et ne voulait même pas couper ce long silence. Peut-être que Ken voulait entendre des mots réconfortants, mais Kôjiro ne s'en sentait pas capable, les mots et lui n'avaient jamais été bons amis, mieux valait qu'il se taise au lieu de dire une connerie.
Sa main gauche retrouva les cheveux qu'elle avait quittés et continua de les caresser calmement, et peu à peu les sanglots de Ken se firent plus espacés jusqu'à disparaître totalement.
Ils n'entendirent pas la sonnette, Kôjiro était ailleurs, il souriait bêtement, et lorsque les bras de Ken se refermèrent autour de son corps, il ressentit une chaleur étrangère lui monter le long du dos, accompagnée d'un léger frisson. Le Tigre ouvrit les yeux sous le coup de la surprise, il n'aimait pas vraiment ce qui était en train de se produire, pourquoi avait-il senti un soudain danger ? Il ne pouvait pas voir le regard troublé de son camarade, ni sa façon de froncer les sourcils et de se mordre la lèvre inférieur pour ne pas dévier, pour ne pas profiter de cet instant. Mais au fond, peut-être qu'il l'avait ressenti. C'est mal à l'aise que le tigre attendit que son goal se défasse de l'étreinte qu'ils échangeaient. Lorsque Ken s'arrêta de pleurer, il le lâcha, se releva, prit ses affaires se tournant vers son gardien.

- Allez vient, on ne va pas rester là jusqu'à la saint glin-glin ! Je n'ai pas de conseil à te donner pour ça… Mais si cette fille t'est si antipathique et bien dégage-la. »

Ken leva les yeux vers ceux de son capitaine, il avait un sourire bienveillant, c'était la première fois qu'il le voyait. Une douce chaleur l'envahit à cet instant… Eh bien oui, il la dégagerait ! Il attrapa la main que lui tendit Kôjiro et se leva, ils partirent sur le terrain de foot et s'entraînèrent tous les deux, jusqu'à ce que le restant de l'équipe arrive.

- Bon on y va Takeshi ? »
- Hum ! »
- Allez c'est partit les gars ! »