Point de vue de Charlie
J'avais définitivement mal au foi après ce coup bas de Harry mais j'avais encore plus mal au cœur en les voyant au loin sur le sable, enlacés et souriants. Cette vision était insoutenable et elle me ramenait à mes pires humeurs sur l'Île mais surtout à mes pires cauchemars depuis. J'avais donc donné pour ce soir et je décidais que ça en était fini du calvaire. Je me levais en silence, avec la ferme intention de quitter la plage, direction l'hôtel, dans l'indifférence totale du sermon de Théo.
"Putain Charlie ! Tu vas pas recommencer ? C'est ridicule."
Le réveil affichait minuit et j'étais maintenant allongé sur mon lit. J'étais incapable de fermer l'œil, j'étais trop tourmenté par l'afflux d'émotions et de coups reçus dans la soirée et je restais dans cet état pendant deux heures lorsque lorsque la porte s'ouvrait sur Théo. Il pouvait voir que je ne dormais pas, à mon bras replié sous ma tête et mes yeux rivé sur le plafond.
"Il va vraiment falloir que t'arrêtes avec ça, gros. Tes crises passaient peut-être à huis clos mais je n'ai aucune envie de gérer ça dans la vraie vie", et je reconnaissais parfaitement ce ton impitoyable que Théo prenait quand il voulait faire comprendre gentiment à quelqu'un qu'il était une sous-merde.
"Fous-moi la paix, Théo", c'est avec un ton plat et fatigué que je lui répondais mais je savais qu'il ne serait pas capable de se taire.
"Ecoute-moi bien. C'est la dernière fois que je te le dis, mec. Mia et Harry se connaissent depuis dix ans. Je te certifie qu'au début de leur histoire, ces deux là étaient déjà plus que célibataires et baisables. S'il avait dû se passer quelque chose entre eux, ça aurait été plié à cette époque. J'ai pris du temps à m'en convaincre aussi, mais il n'y ni attirance ni sérénade entre eux. Ils ont toujours été dans leur trip d'âmes-sœurs platoniques. Tu te fais de gros films et encore plus si tu penses que Harry est capable de ça après ce qu'il vient d'arriver à Victoria", les aveux et paroles rassurantes de Théo trouvaient nécessairement écho dans mon esprit mais je restais impassible car cette émotion était incontrôlable. Je le voyais finalement s'approcher et se positionner au-dessus de mon lit pour ne pas me laisser une chance d'éviter son regard lourd de reproches.
"Il va vraiment falloir que vous baisiez tous les deux, qu'on en parle plus", la réplique était sortie sans préavis, avec la vulgarité et le sourire habituels. Elle suffisait à me sortir de ma léthargie et je lui balançais mon oreiller à la figure en guise de réponse, sans lui avouer non plus que c'était déjà fait et que ça n'avait fait qu'empirer ma situation.
"Plus sérieusement, arranges-toi pour que personne ne s'en aperçoive au risque de passer pour un con et ne refais plus jamais ce que tu as fait ce soir"
"Faire quoi ?"
"Lui dire ce qu'il doit faire avec Mia. Si tu n'es pas kamikaze, tu restes à ta place et tu ne te mêle pas de leur relation"
"Ce n'était pas une crise de jalousie, Théo. Tu as vu l'état dans lequel il s'est mis en la revoyant ? Il cogne pour un rien depuis le naufrage. C'est devenu n'importe quoi. J'ai juste flippé pour Mia", et je fronçais les sourcils en l'entendant rire bruyamment et moqueusement.
"Je sais il est à cran et je suis sur mes gardes aussi de manière générale avec lui mais pas avec Mia. Ne t'inquiète vraiment pas pour elle. Harry serait le premier à s'amputer les deux bras pour s'interdire de lui faire le moindre mal", j'écoutais son dernier avertissement en le voyant se glisser sous les draps sur le lit d'à côté. Je continuais de fixer le plafond après ça en repensant à ses conseils mais surtout à elle. Puisque la revoir m'avait chamboulé plus que je ne l'avais imaginé et mon sujet du soir n'était pas qu'elle ait eu cet échange avec Harry mais il était que je n'avais, moi, pas eu une seconde pour lui parler également ou la tacher. J'essayais malgré tout de me vider l'esprit pour trouver le sommeil.
"BORDEL! " Je me réveillais en sursaut au milieu de ma nuit en me sentant traîner de force hors du lit par Harry.
"Lève toi, sombre merde. Tout de suite", Harry m'avait parlé d'un ton particulièrement ferme et autoritaire.
"Quoi, on part déjà pour un deuxième round. Ça ne devrait pas plutôt être à mon tour de t'en coller une ?", je commençais pendant qu'Harry m'attrapait par le col et que Théo se réveillait, consterné par cette nouvelle altercation.
"Attends, attends ! On va boire un café avant ?", j'étais habitué maintenant à ces échanges musclés avec Harry mais je n'étais pas encore tout à fait prêt à me prendre un nouveau coup et encore moins au beau milieu de la nuit. Je regardais le réveil en même temps que je le toisais. Il était 5h du matin et Harry était encore habillé. Cela signifiait qu'il avait passé toute la nuit avec Mia alors que je n'avais pas eu droit à une seule minute avec elle.
"C'est à cette heure-ci qu'on rentre ? On a droit de te demander comment s'est passé votre petite soirée en tête à tête ou ce serait trop indiscret ?", je n'avais vraiment pas pu m'en empêcher malgré les avertissements de Théo plus tôt dans la nuit. J'essayais de masquer mes émotions après cette fuite mais je voyais un soupçon de sadisme passer dans les yeux de Harry, comme s'il savait, comme s'il avait parfaitement reconnu le sentiment qui était en train de me consumer et de me hanter.
"Merci de demander Charlie. C'était...intense, mais je préfère que ça reste entre Mia et moi si tu vois ce que je veux dire", Harry venait de m'envoyer son plus beau coup de la soirée avec cette phrase bourrée de sous-entendus. Il restait calme et observait attentivement ma mâchoire se crisper en silence. Je le regardais hocher la tête moqueusement ensuite et je comprenais qu'il était en train de se payer ma tête avec sadisme. J'étais brièvement soulagé et je l'écoutais poursuivre.
"Tu m'as vraiment pris pour le dernier des cons", je ne comprenais pas le changement de sujet brutal ni le sens de sa phrase. Je devinais seulement le danger du ton employé par Harry et je m'abstenais donc de répondre car je n'étais pas totalement suicidaire non plus.
"Quand on est rentré et que j'ai démasqué ton manège d'amoureux transi, tu m'as regardé droit dans les yeux et tu m'as dit qu'il ne s'était jamais rien passé entre Mia et toi. Donc je te repose la question aujourd'hui. Réfléchis bien à la réponse que tu vas me donner cette fois", Harry maintenait sa pression et son ton menaçant et je devinais très exactement à quel évènement il faisait référence. Mia s'était donc confiée à lui cette nuit et avait partagé notre secret. Grand bien lui fasse mais me concernant, je n'avais aucune intention ni l'envie de partager cet instant volé avec qui que ce soit. Encore moins avec lui.
"J'aimerai savoir avant en quoi ça te regarde et aussi surtout ce que ça peut te foutre", je ne pouvais pas m'empêcher de lui cracher ces mots à la figure malgré ma position défavorable. Harry avait pris le temps de marquer une pause avant de me répondre
"C'est devenu mon problème dès l'instant où tu as foutu ma meilleure amie enceinte, Charlie. Elle l'a appris pendant qu'on était en isolement. Mia a avorté à cause de toi. Et elle n'est pas rentrée en grande partie à cause de toi", la bombe était lâché, Harry libérait mon col au même moment subitement et j'étais profondément secoué et muet.
"Putain, mais quel con, PUTAIN!", et je voyais Harry changer brutalement d'humeur et pulvériser la chaise du bureau située à sa portée. Je voyais Théo se rapprocher de moi de façon très imperceptible et discrète pour parer à toute éventualité face à cet accès de colère mais je n'étais pas certain que l'insulte de Harry m'était destinée. Et je voyais juste puisque Harry était complètement désintéressé de moi, il avait l'air épuisé, abattu et il était perdu dans ses pensées.
De mon côté, j'encaissais la nouvelle, une fois à l'abri de la colère de Harry. Je réfléchissais et je mourrais d'apprendre que notre liaison avait été aussi lourde de conséquences mais surtout de malheurs pour elle. J'avais décidément tout fait de travers avec Mia et plus la situation avançait et plus la situation paraissait irrécupérable avec elle.
Point de vue : Mia
Julia avait fini par me convaincre de recevoir les garçons à la villa en m'assurant que personne n'aborderait les sujets difficiles ce soir. D'après elle, c'était un premier pas, pour réapprendre à respirer de nouveau le même air. Nous étions donc tous en terrasse, un verre à la main. J'étais assise autour de la table, face à la mer, entre Harry et Julia. Théo était assis en face de moi et Charlie se tenait debout derrière lui, adossé à la rambarde, un verre de whisky à la main. Le silence autour de la table commençait à devenir pesant. On n'entendait plus que le son des vagues et le bruit des verres qui se déplaçaient de temps à autre sur la table. Quelques minutes passaient et personne ne prenait la parole. Théo s'empiffrait du guacamole posé devant lui. Julia s'était prise d'un intérêt soudain pour le coucher de soleil. Harry semblait très concentré par les cépages de son vin mexicain mais il m'adressait quelques sourires bienveillants de temps en temps. En ce qui concerne Charlie, je m'appliquais depuis le début de la soirée à éviter absolument son regard. Je sentais malgré tous ses prunelles bleues me brûler la peau et je n'avais plus qu'une seule idée en tête : fuir, pour ne pas avoir à lui dire et c'est ce moment-là que choisissait Théo pour prendre la parole.
"Mamounette, tu me passes les nachos ste'plaît ?", la réplique de Théo avait fusé sans équivoque et m'avait glacé sur place. Je n'en croyais pas mes oreilles mais ça ne pouvait pas être une coïncidence et surtout pas avec lui. Il venait de faire référence à mon secret si bien gardé, à voix haute et sans pudeur. Ce surnom sorti de nulle part ne pouvait pas être un hasard et je cherchais immédiatement le regard de Harry puis celui de Charlie pour confirmer mes craintes. Et je comprenais que Charlie savait aux différentes expressions désolées que je lisais sur son visage. Je comprenais que tout le monde autour de cette table était donc au courant et j'étais déconfite et révoltée d'avoir été mise à nue encore une fois d'une façon si brutale mais aussi privée du droit de l'annoncer à Charlie.
"Tu dépasses les bornes Théo", Julia avait été la première à réagir, choquée par le comportement plus qu'indélicat de Théo.
"Ça va Jul, détends-toi. Je trouve qu'on a assez perdu de temps et bavé. Sérieusement, on n'est pas à un avortement près et il fallait bien que ça arrive un jour avec le tableau de chasse de Mia. Il va falloir qu'on arrête de se trouver des prétextes pour pleurer. En ce qui me concerne, ces derniers mois, c'est une affaire classée", et de toutes les situations grotesques dans lesquelles m'avait mise Théo par le passé, celle-ci était incontestablement la plus blessante et humiliante. J'aurai dû lui jeter mon verre à la figure, l'insulter et partir mais j'avais décidé de garder le silence. Personne ne s'était exprimé sur le sujet, pas même Charlie, puis ils s'étaient tous remis en ordre de marche. Le silence était d'or et le tabou religieux. J'entendais leurs voix s'élever ensuite plus joyeusement autour de la table. J'avais essayé de sourire en retour mais j'étais incapable de faire semblant. Mon corps refusait de se détendre. L'air était devenu irrespirable et personne ne semblait partager ma détresse. J'avais besoin de reprendre mon souffle mais surtout besoin de m'éloigner d'eux alors je me levais le plus discrètement possible pour prendre la fuite vers la plage et m'éviter de sombrer.
