Le Tigre et ses Démons
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Cela faisait un mois que Wakashimazu était parti, ils lui avaient trouvé un remplaçant, mais ce n'est pas avec ses réflexes à deux yens qu'ils gagneraient contre la Nankatsu ! Bien évidemment, y'avait pas meilleur goal à quelques mois des tournois inter-lycées, autant dire que c'était fichu. Le Tigre partait défaitiste, c'était une première mondiale. Le lycée soupira de lassitude, depuis que Ken l'avait repoussé, jamais plus ils n'avaient parlé, jamais plus ils ne s'étaient regardé. Il se rappelait l'avoir vu avec Sawada y'a quelques jours, mais aucun des deux ne s'était même regardé.
Kôjiro en avait marre de cette situation, pourquoi diable Ken ne venait-il pas s'expliquer ? Pourquoi avait-il refusé de lui parler ? Ken était un ami, un bon ami, il aurait pu tout entendre de sa bouche plutôt que de se faire renvoyé. Kô soupira, son regard de frère protecteur tomba sur sa petite famille, sa sœur courrait derrière un papillon et ses deux frères, trop sage à son gout, semblaient préparer une attaque offensive de je ne sais quoi. Mais bon, le Tigre ne craignait rien, il anticipait toujours. Mais, bien vite, il fut tiré de ses pensées par le cri strident de sa petite sœur, son regard s'ouvrit et scruta les alentours afin de savoir ce qui lui avait fait pousser un hurlement suraigu, quand il vit la silhouette de son ancien goal, il soupira. Naoko était comme qui dirait en transe à chaque fois qu'elle le voyait.
- KEN ! Keni-san ! Youhouhou ! »
- Ha Naoko! »
- Ken ! Quand c'est qu'on se marie ? »
- Hahaha, deviens plus grande avant ça ! Mais vous êtes tous seuls ? »
- Non grand frère est là, aussi ! »
- Ha… »
- C'est quoi ce beau costume ? »
- Heu… mon nouvel uniforme ! »
- Ho c'est beau ! Rouge, blanc et or! T'as vu grand frère, Kenisan est trop trop beau ! »
- Ouai j'ai vu ! »
- Kôjiro ? »
- Quoi ! »
- Il faut que je te parle… »
Ha la jeunesse, il regardait vaguement sa sœur tordre ses doigts fins devant son ancien ami. C'était vrai que son nouvel uniforme lui allait bien, m'enfin rien de si sublime pour que Naoko se la joue énamourée, afin, c'était trop pour ses yeux de grand frère protecteur. Il plaignait, au fond, le garçon qu'elle finirait par aimer, car il allait certainement le pousser dans ces derniers retranchements pour voir le fond de son cœur. Ken avait baissé les yeux devant lui, Kôjiro était étendu par terre, les bras sous la tête, et un pied sur un genou plié, battant la mesure d'une chanson que Kôjiro devait avoir dans la tête, le vent jouait avec les feuilles des arbres, et le visage de son ex-capitaine était bercé par des zones d'ombres et de lumières laissant apparaître une peau nette et sûrement douce. Un œil s'ouvrit et le fixa avec méchanceté, exaspéré par son retour soudain qui ne voulait plus rien dire maintenant, le Tigre était blessé et le pardon, il ne connaissait pas !
- T'as la mémoire courte, on dirait ! »
- Je t'en prie ! »
- T'as fait ton choix ! Maintenant lâche-moi ! »
Ken allait tourner les talons mais se ravisa, il n'aurait pas dû le rejeter, mais il avait préféré la facilité et repousser son ami plutôt que de voir son regard face à lui tout en sachant... Mais plus rien n'avait de sens dans sa vie, il détestait ce qu'il était devenu et chaque jour, il espérait croiser la silhouette du tigre pour s'imprégner de son assurance et envoyer valser tout ce qui l'entravait. Sa main se serra et brusquement, il attrapa Kôjiro par son T-Shirt outrageusement trop moulant et l'obligea à se lever.
- Tu crois que ça me fait plaisir de ne plus te voir ? Tu crois que ça me fait plaisir de laisser mon équipe ? Mon capitaine ! Tu crois que je suis heureux dans ce collège de bourges, qui n'ont que des clubs de kendo ou karaté ! Tu crois que je me plais là-bas ? Je souffre le martyre de ne pouvoir même pas t'apercevoir ! Toi Kôjiro Hyûga dit le Tigre, tu es devenu une drogue dure dont je ne peux me passer, t'es ma vitamine, celle qui me faut pour que je continue d'avancer. Je me suis juré au fond de moi que je te suivrais où que tu ailles, et regarde... Hein ? Je suis pathétique, je deviens un gentil toutou devant mon père, j'ai envie de vomir à chaque fois que je me vois dans une glace ! Mais tu sais quoi ? J'en ai marre, ras le cul de tout ça ! Je veux revenir Hyûga ! Quitte à me faire rouer de coups, quitte à me faire jeter de chez moi ! Parce que là, il est en train de me tuer à petit feu, mon vieux ! Il me tue en m'empêchant de te voir ! Combien de fois je suis passé devant chez toi espérant juste t'apercevoir ! Je… tu me manques ! Vous me manquez tous ! Je vois Sawada tous les week-ends et il me parle de l'équipe, de l'entraînement, de mon remplaçant… Le ballon m'appelle, quand je vois des gosses jouer au foot, j'ai l'impression qu'on me broie le cœur ! Je veux revenir ! »
Ken lâcha son ex-capitaine, une larme dévala sa joue, mais avant que son ami d'enfance dise quoi que ce soit, il prit ses jambes à son cou. Ken n'arrivait toujours pas à le dire, il n'arrivait même pas à se l'avouer lui-même ! Kôjiro resta un moment les yeux dans le vague, lui aussi, il lui manquait horriblement, pas qu'en tant que gardien, mais c'est son ami qui lui manquait ! Il traîna dehors un moment avant de passer devant chez Wakashimazu, la maison semblait calme… Il s'installa sur un muret juste en face et regarda la fenêtre de son ami, il devait être en train d'étudier, la lumière était encore allumée. Une voix le tira de ses rêves…
- Tu es venu le voir ? »
- Hein ? »
Le visage de Kôjiro se tourna, il aperçut une silhouette féminine.
- Es-ce que tu es venu le voir ? »
- Miyabi ? »
- Ken, ne veux même plus que je le touche ! Et c'est ta faute ! Tu l'as vu n'es-ce pas ? Son comportement a brusquement changé aujourd'hui ! Même en essayant de t'évincer, il en revient toujours à toi ! Toi ! Il n'a que ton nom sur la bouche ! Tout le temps, même quand… quand on a… »
Miyabi s'était mise à pleurer, son regard semblait vouloir tuer le Tigre, elle n'avait que haine pour lui. Ca ne touchait pas son vis-à-vis qui décida de tourner la tête avant qu'il ne décoche un regard plus meurtrier que celui de la jeune fille. Il se fichait bien d'elle ou de ce qu'elle pouvait lui dire. Au-dessus de son regard de nuit, la lumière de la chambre de Ken s'éteignit... Miyabi n'avait pas bougé, elle pleurait de rage, il semblait que la jeune fille soit vraiment amoureuse de Ken, mais il ne voyait pas ce qu'il avait à faire là-dedans. Lestement, il tomba à terre et s'approcha de la demoiselle en Yukata. C'était à cause d'elle, qu'aujourd'hui Ken souffrait, il ne savait ce qu'elle avait pu dire au père de celui-ci, mais peu importait maintenant, cette fille lui filait une envie de cogner, son esprit sembla se perdre un moment imaginant, un Kôjiro mode très en colère clore dans un bain de sang cette affaire, pourtant la douleur dans son regard lui transperça le cœur.
- Même quand on a fait l'amour, il n'a pas arrêté de murmurer ton nom... »
Hein ? Il n'était pas sûr de bien avoir entendu tant les paroles avaient été prononcé dans un murmure inaudible. Ces mots que venait de dire Miyabi lui glacèrent le sang, la vision qu'il avait eu quelques secondes plutôt s'effaça de son esprit, il sentit ses boyaux se retourner. Le regard du Tigre tomba sur la jeune fille qui se mordit la lèvre inférieure.
- Qu'as-tu dis ? »
- Je viens de dire qu'il pensait à toi pendant qu'il me faisait l'amour ! »
Kôjiro ouvrit de grands yeux médusés, il ne pouvait plus faire semblant d'avoir mal compris ! Il avait bien entendu alors, le Tigre essaya de formuler quelque chose, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il avait l'impression étrange qu'il allait mourir d'asphyxie, si il ne reprenait pas le contrôle de son corps, quelque part, il était terrifié par le sens des mots qu'elle venait de lui lancer, terrifié à l'idée de les avoir compris, ou peut-être mal compris. La jeune fille se retourna, elle donna un coup dans une canette de coca abandonnée là. Puis elle reprit :
- Ken t'aime, j'ai pensé au début que c'était une espèce de fanatisme, une pure adoration... J'ai essayé de comprendre ce qu'il voulait dire, en parlant de toi, tout le temps, aujourd'hui j'ai compris ! Compris que ce n'était en rien cette forme d'amitié qui le liait avec toi, même si il a du mal à se l'avouer ! Mais apparemment tu n'étais pas plus au courant que moi… Je te demande pardon, je pensais que tu le savais et que tu partageais ça avec lui, mais visiblement… »
Kôjiro ne réussit pas à avoir assez d'attention pour écouter le restant du discours de la jeune fille, les mots qu'elle venait de lui dire… le secret, l'effroyable secret de Ken… Était-ce… réel ? Hyûga se retourna et courut d'une traite jusque chez lui, sans un regard pour sa mère qui le regard surprise, qu'il n'ait pas escorté ses frère et Naoko comme toujours, ne put se résoudre à l'arrêter lorsqu'elle rencontra son regard paniqué. Sn fils semblait fuir quelque chose comme si sa propre vie en dépendait. Le Tigre s'effondra dans son lit, et ne réussit à trouver le sommeil qu'aux premières lueurs du jour...
Il ne se leva pas pour aller travailler, il ne se leva pas non plus pour aller au lycée, il n'avait pas envie de bouger, en fait, il n'en avait aucune possibilité. Aucun de ses membres ne voulait lui obéir… Et les mots de la jeune fille lui martelaient encore l'esprit, Ken l'aimait... Il ne s'en remettait pas, comment Ken pouvait ressentir ça pour lui ? Sa mère entra dans la chambre, elle regarda son fils d'un œil inquiet, jamais il n'était pour ainsi dire malade, jamais il ne ratait une journée de travail, ni de cours, même si, comme elle le savait, il n'était pas un très bon élève, mais au moins, il allait en cours, elle se risqua donc à lui demander pourquoi.
- Kôjiro ? »
Son fils ne bougea pas.
- Je ne sais pas ce qui t'arrive, tu es maussade en ce moment… Es-tu en train de déprimer ? Tu sais… Quand j'ai rencontré ton père… »
Sa mère se stoppa, elle s'assit près de son fils et posa une main sur son visage, elle en caressa le contour et l'emmêla dans ses cheveux d'ébène. Il avait grandi trop vite, de temps en temps, elle se demandait où était passé le petit garçon qu'elle avait porté entre ses bras. Il était devenu un beau jeune homme, populaire auprès des filles du quartier, mais sa terrible réputation de sans cœur nuisait à son intégration. Elle lança un sourire puis se détourna et observa la photo de son mari qui trônait sur le bureau en pagaille de son ainé.
- J'ai eu un coup de foudre, il était si beau, mais plus que cela, il dégageait une aura, aussi puissante qu'un soleil, tous les autres paraissaient ternes à comparer de lui. A l'époque j'ai appris qu'il fréquentait déjà une fille, j'en suis tombée malade, je ne sortais plus et je me suis séquestrée dans ma chambre, je ne savais pas ce que je devais faire… Et puis un jour, je suis revenue à la réalité. Tant pis s'il était à quelqu'un d'autre, c'était que le destin le voulait. J'ai par la suite compris que cette fille n'était que sa meilleure amie, alors j'ai pris mon courage à deux mains et je lui ai écrit une lettre. Je lui expliquais tout, combien il m'avait ébloui, combien je l'aimais… et puis, un soir, il est venu me chercher à la sortie du lycée, on s'est vu régulièrement… Et puis nous sommes tombés amoureux l'un de l'autre, nous nous sommes marié, et puis tu es arrivé. Et chaque fois que je te regarde, je ne peux m'empêcher de penser à lui… Tu es son digne fils Kôjiro ! Alors que fais-tu de cette lumière ? En ce moment je ne la vois plus… Brille pour moi mon fils, tu as l'air si heureux avec le foot, je veux te voir à la télé encore et encore… Je veux que tu brilles devant les yeux de tous, et que tu leur montres ce qu'est la puissance d'un Hyûga ! Kôjiro ? »
Le Tigre versa une larme, puis une autre, il tourna la tête vers sa mère.
- Il ne faut pas pleurer comme ça voyons… »
- Maman… C'est… je ne sais pas à qui en parler… »
La mère du Tigre eut un sourire bien veillant, son fils, était-il amoureux ? Elle eut un sourire interne enfin, enfin, son fils s'intéressait à autre chose qu'au ballon rond, loin de lui déplaire, nan, mais son renfrogné et si timide fils faisait un pas de plus vers une intégration sociale. Elle savait ce qu'était Kôjiro au fin fond de lui, et elle commençait à désespérer de revoir, ce gamin souriant plein de gentillesse et de douceur.
- Et bien, ta vieille mère est là pour quoi ? Décorer ? »
Un sourire franchit leurs lèvres à tous les deux, elle essuya les yeux de son fils, dieu qu'il avait grandi trop vite, ce geste lui sembla si rare depuis combien de temps Kôjiro ne lui avait pas montré une once de faiblesse, elle avait l'impression que Kôjiro était devenu un homme bien trop tôt et elle s'en voulait.
- Tu t'occupes très bien de moi ! Alors c'est à mon tour, parle-moi ! »
Kôjiro leva les yeux au plafond, et respira profondément.
- C'est au sujet de Ken… tu sais, le gardien de but de l'équipe… C'était mon meilleur ami, mais on s'est disputé… Et ça fait un mois qu'il a changé de lycée. On a été obligé de le remplacer, mais… Il n'est pas aussi bon que Ken ! C'est Ken qu'il faut dans l'équipe, pas ce nul ! Sans Ken on n'écrasera pas la Nankatsu et Tsubasa ! Je veux gagner, avoir une bourse d'étude et qui sait partir à l'étranger et continuer ma carrière là-bas ! Mais il faut qu'il soit avec moi… On vient de me mettre en cage, en me le retirant… Un tigre en cage, ça ne vaut rien… Je veux que Ken revienne… Mais je viens de comprendre, qu'il ne reviendra pas ! Jamais… Maman pourquoi c'est si dur ! J'ai envie de sortir l'attendre à la sortie des cours et de le frapper jusqu'à ce que je sois soulagé ! Mais les poings ne résoudront rien… Je ne suis pas bon dans les relations, avec les autres, je me suis toujours dit que si un jour ça merdait avec un gars de l'équipe je le virerais, sans autre forme de procès. Mais avec Ken je ne peux pas, c'est un ami. Et je viens d'apprendre… que… Ken est am… On vient de me dire qu'il est am… de moi ! De moi ! Tu te rends compte ! Moi ! Je ne suis son Capitaine, son meilleur ami s'il veut mais, jamais je ne l'aurais su si cette fille ne me l'avait pas dit ! Comment ça se fait qu'il ne me l'ait jamais dit ! »
- Chut Kôjiro… ce genre de chose ne sont pas faciles à dire… Ken est ton meilleur ami… Il veut que cette amitié, reste comme telle… Il est très difficile de savoir comment tu réagis, peut-être a-t-il eut tout simplement peur que tu le rejettes, que tu lui demandes de quitter l'équipe. Tu sais Kôjiro, le jour où tu tomberas amoureux, tu comprendras, ce que le pauvre Ken a dû endurer. Mais aujourd'hui ce qui est important c'est de savoir… pour toi, Ken, qui est-il ? Un ami, ton meilleur ami, un camarade, un équipier ? »
La mère de Kôjiro émit une pause, elle observait son fils d'un œil tout en continuant de caresser ses cheveux, il avait fermé les yeux, des larmes roulaient le long ses joues, il ne semblait plus l'écouter.
- Un petit-ami ? »
Kôjiro se contracta, ses yeux s'ouvrirent en grand, et un regard troublé se posa sur sa mère.
- QUOI ? »
- Ha, tu réagis enfin ! »
- JAMAIS DE LA VIE ! »
- Pourquoi ? »
- C'est un homme ! »
- Ha oui ! Et ? »
- Moi ? Tomber amoureux d'un homme ! »
- Et pourquoi pas ? »
- Et pourquoi je tomberais amoureux d'un homme ! Hein ? J'en suis un aussi ! Et puis… Un tigre ça s'abaisse pas à devenir un… »
- Chut… je ne veux pas entendre ce mot dans ta bouche ! Aimer quelqu'un c'est un sentiment pur. Ça vient du cœur, ça rend heureux ou triste, mais c'est le plus beau des sentiments, et si un jour, tu me disais que tu es amoureux, je serais heureuse, folle de joie ! Parce que je saurais que mon fils est enfin devenu un homme. Un Homme, un humain, n'est complet qu'en étant amoureux. Et que tu sois amoureux d'une femme ou d'un homme, du moment que c'est de l'amour qui te lie à la personne, un amour sincère, cela n'a aucune espèce d'importance pour moi. »
- Je ne l'aime pas ! Pas comme ça ! J'ai juste besoin de lui ! »
Sa mère sourit doucement, Kôjiro était une tête de mule, mais elle savait qu'un jour ou l'autre, lorsque son fils ouvrirait enfin son cœur à autre chose qu'au football, il comprendrait enfin pourquoi, il avait tant besoin de son cher goalkeeper. Elle ébouriffa ses cheveux et se leva, elle n'avait plus rien à lui dire, plus rien à faire là, Kôjiro, n'avait plus qu'à se décider…
- Maman ! »
- Ha ! Tu viens manger ? »
- Heu non je… Je sors ! »
La mère de Kôjiro sourit, elle attrapa sa fille et la mit à table, regardant son ainé attraper ses chaussures, d'un air vide.
- Je te garde une part ? »
- Comme tu veux ! »
- Passe le bonsoir de ma part à tu sais qui ! »
Ce fut tout, elle attrapa la marmite qui était sur le feu et commença la distribution du curry qu'elle venait de préparer sous les regards pétillants de ses bambins.
