Point de vue : Harry
Mia rentrait à Paris avec nous dans une semaine. Je ne me souvenais plus de la dernière fois où j'avais été aussi heureux et je sentais, avec un optimisme sans précédent, que la vie allait enfin pouvoir reprendre son cours. Théo et Julia partageaient mes sourires et ma joie et je faisais totalement abstraction de Charlie et de son humeur bougonne.
J'en étais aux derniers verres de tequila de la soirée, confortablement installé sur la banquette de la boîte de nuit, quand je voyais Charlie revenir à la table, près de Théo et moi, avec un air très contrarié.
"Non mais vous avez vu Mia avec ce nouveau connard dehors ? Elle compte vraiment s'envoyer tout le Mexique sous mes yeux ?", je finissais mon verre en riant de la jalousie de Charlie. Il nous avait tenu la jambe toute la nuit dernière déjà à parler de Ricardo et il récidivait encore ce soir avec un inconnu. Je m'amusais à le rendre encore plus fou avec Théo pendant quelques secondes puis je me décidais à revenir sur le fond du sujet, pour procéder à mes vérifications d'usage quand il s'agissait de Mia.
"Quel connard ?", Charlie n'avait pas sut me répondre alors je me relevais pour aller contrôler moi-même cette nouvelle fréquentation dans mon élan protecteur habituel, prêt comme toujours à en découdre avec des prétendants indésirables pour Mia. Je trainais de force Charlie même s'il ne tenait pas à assister de nouveau à ce spectacle dur à son cœur et j'arrivais sur le lieu du crime. Je constatais effectivement mais avec soulagement de mon côté que Mia était allongée sur le sable avec cet inconnu d'apparence normal et inoffensive qui était occupé à l'embrasser. C'était suffisant pour moi, je m'apprêtais à faire demi-tour sans interrompre leur intimité quand j'entendais Julia nous rejoindre, avec plus d'impatience
"MIA ! Tu peux abréger s'il te plaît ? J'aimerai rentrer, je suis crevée", j'attendais patiemment que Mia se décide à écouter Julia mais elle continuait de nous ignorer royalement.
"Oh Mia ? Tu as entendu Julia, on rentre", Charlie se joignait à la tâche de Julia avec un agacement démesuré. Avec un peu de chance, ce prétendant aurait la bêtise de provoquer Charlie et donc la gentillesse de m'offrir un très beau combat de coqs pour clôturer cette soirée en beauté. Je me contentais donc à ce stade de rester à côté et de rire discrètement avec Julia en voyant le sang monter à la tête de Charlie.
"OH CONNARD ? LAISSE LA PARTIR !", et effectivement Charlie était en train de s'impatienter. Il haussait beaucoup plus clairement la voix en se rapprochant de Mia cette fois. Et mon sang à moi ne faisait qu'un tour ensuite mais pour une toute autre raison parce que c'est à ce moment précis que la soirée a basculé. Elle a basculé quand j'ai vu cet homme relever la tête vers nous et prendre la fuite en abandonnant une Mia inconsciente sur le sable et quand j'ai compris avec une angoisse déchirante et une rage fulgurante que cet homme était en train d'abuser d'elle.
Point de vue : Théo
J'étais assis à la table, à attendre qu'ils reviennent tous avec Mia quand je voyais la foule se rassembler sur la plage de façon inhabituelle alors je me levais pour aller voir de plus près. J'étais à courte distance quand je reconnaissais toutefois les cris de Julia qui me faisaient courir de peur et bousculer la foule. J'arrivais à leur hauteur et je voyais Julia en pleurs à côté de Mia qui reposait dans un état second dans les bras de Charlie qui avait le visage défait.
"Qu'est-ce qui s'est passé ?", Julia avait fait de son mieux pour me résumer les évènements. Je digérais aussi péniblement les faits mais mon cerveau se reconnectait à grande vitesse en notant l'absence très anormale de Harry.
"Où est Harry ?"
"Il a couru après lui, de ce côté", et c'était tout ce que je craignais. Il ne m'en fallait pas plus ensuite pour m'élancer à grandes enjambées dans la direction indiquée par Julia. Je courrais plus vite que mon ombre et je courrais comme si ma vie en dépendait. J'étais au maximum du stress à chercher désespérément Harry sur cette plage car je savais que ce mexicain était un homme mort si Harry mettait la main sur lui. Il fallait que je le retrouve avant pour éviter un dénouement gravissime parce que Harry avait un penchant naturel pour la violence mais il le faisait avec excès quand il s'agissait de Mia. Je l'avais vu sanctionner sans pitié et de façon disproportionnée de simples gestes déplacés contre elle alors je pouvais largement imaginer la violence de ses coups après une agression aussi grave et caractérisée et encore plus après le traumatisme qu'il gérait encore avec le naufrage et la mort tragique de Victoria.
Je ratissais donc cette plage comme un fou et je m'immobilisais ensuite une fraction de seconde en apercevant une ombre un peu plus loin. Je m'avançais rapidement, je plissais des yeux et c'était lui, sans l'ombre d'un doute. C'était Harry que je voyais au loin en train de déchaîner les enfers sur cet homme allongé au sol. Alors je cavalais avec une urgence vitale vers mon objectif.
"HARRY ! ARRÊTE", j'étais enfin arrivé à sa hauteur après une course infernale. J'avais tenté une première intervention mais Harry était en état de choc, il refusait de sortir de sa transe malgré ma première directive. Je voyais son visage défiguré par la colère et les larmes puis je voyais le visage de cet inconnu défiguré par son déferlement de coups d'une violence sans précédent. La situation était très dangereuse et j'essayais sans relâche de les séparer mais je n'avais pas la force physique nécessaire pour le dominer. Je ne lâchais rien et j'essayais en même temps de trouver les mots susceptibles de le faire redescendre en pression et le ramener à la raison.
"MEC CALME TOI, tu vas le tuer et tu vas pourrir à vie dans une geôle mexicaine", mais Harry continuait.
"CA NE VA PAS AIDER MIA !", j'obtenais définitivement une accalmie après avoir prononcé le nom de Mia. J'en profitais pour revenir à l'assaut et extraire Harry rapidement de sa victime en le sentant faiblir et ralentir la cadence. J'y arrivais et je faisais barrage avec mon corps ensuite, je regardais Harry avec méfiance en craignant qu'il ne s'y remette après une pause de récupération mais il avait l'air d'y renoncer alors je m'autorisais un écart pour aller constater l'état de ce type et je soupirais de soulagement en discernant plusieurs signes de vie. Je prenais quelques secondes pour me calmer et m'apaiser et j'entendais ensuite Harry me donner une dernière consigne avant de retourner en direction du bail.
"Tu restes ici jusqu'à l'arrivée des flics", j'obéissais même si ma surveillance était inutile dans l'état de cet homme. Et je sentais mes jambes flageller parce qu'un double drame venait encore d'être évité de justesse ce soir. Nous venions encore une fois, de passer ensemble, du bonheur total à l'horreur absolue en très peu de temps.
Point de vue : Harry
J'étais incapable de lâcher la main frêle de Mia. Dieu que mon cœur s'arrêtait de battre de la voir à nouveau dans un lit d'hôpital et de ne pas être arrivé assez tôt pour lui éviter ce nouvel enfer. J'avais failli à la tâche une fois il y a cinq ans, je m'étais promis que ce jour n'arriverait plus jamais mais Mia subissait encore une agression ce soir et en ma présence, en plus, cette fois. Je n'avais pas le temps de m'enliser plus encore dans ces pensées négatives que j'entendais le médecin entrer.
"L'examen médical et gynécologique n'a montré aucun signe d'agression mais votre amie va avoir besoin de repos pour évacuer la drogue. Nous allons la garder pour le reste de la nuit et je suis désolé mais seuls les membres de la famille peuvent rester".
"Je suis son frère, je restes avec elle", je venais de prendre la parole en premier. J'étais incapable de la laisser, de l'abandonner à son sort ici. Je n'avais pas laissé la moindre chance à Charlie de saisir la même opportunité mais je me contrefichais de ses états d'âme éventuels. J'étais malgré tout soulagé de le voir quitter la pièce, avec Théo et Julia, sans montrer de signe d'opposition. Je devais juste veiller Mia, encore cette fois. Il n'y avait plus que ça qui comptait. J'étais le seul qui saurait prendre soin d'elle au réveil. J'avais été absent les six derniers mois et je n'étais pas prêt de recommencer et de l'abandonner.
La nuit avait été particulièrement pénible et insoutenable. J'étais de nouveau hanté par un prénom après cet évènement : Adrien. Et j'avais finis par sombrer malgré moi sous le contrecoup des émotions. J'avais dormi à peine quelques heures, la tête sur son lit et j'avais repris ma garde à son chevet en attendant patiemment qu'elle se réveille. Et je sentais enfin sa main remuer dans la mienne. Je me remettais définitivement à respirer en la voyant ouvrir les yeux.
"Hey, ma belle au bois dormant", je lui adressais les mots les plus tendres que j'avais en réserve, en caressant ses cheveux et en lui laissant le temps de rassembler ses esprits.
"Qu'est-ce que tu fais là ? Où est-ce qu'on est ?".
Et le moment que je redoutais arrivait, je devais lui raconter les derniers événements le plus péniblement du monde et je la serrais ensuite étroitement dans mes bras dans l'espoir de contenir la vague de panique que j'avais vu passer dangereusement dans ses yeux.
"Mia, regarde moi, les médecins ont confirmé qu'il ne t'avait rien fait. Crois moi, je ne lui en ai pas laissé le temps. Il n'est pas près de remarcher de sitôt avec ce que je lui ai mis dans la tête et tu peux être sûre que Charlie va faire jouer ses contacts pour que ce mec pourrisse à vie derrière les barreaux", j'avais fait de mon mieux et Mia s'était tue pendant plusieurs minutes. Je sentais son esprit courir dans tous les sens pendant qu'elle reposait dans mes bras.
"C'est ce qui arrive aux traînées de la pire espèce comme moi. Une agression, une grossesse avortée et une tentative de viol sordide", Mia venait de cracher cette phrase qui me glaçait le sang.
"Je ne veux plus jamais t'entendre dire ce genre de chose. Théo est un gros con, il ne pensait pas une seule seconde ces mots l'autre jour. Et tu ne seras jamais responsable des actes de ce genre de pourriture", je la voyais au bord du gouffre et je bloquais son visage entre mes mains pour l'obliger à me regarder et à m'écouter mais contre toute attente Mia s'était mise à parler. Le moment était rare puisque Mia s'autorisait toujours à pleurer dans mes bras mais rarement à verbaliser. Je devais toujours décoder et lire entre les lignes mais ce soir, elle se vidait.
Et j'ai eu le cœur en miettes de lire sa peine mais surtout cette honte et ce dégoût qu'elle avait d'elle-même en ce moment : ses histoires sans attache, son manque d'amour, son sentiment d'abandon. Plus elle parlait, plus une autre vérité éclatait : Mia était amourachée de Charlie depuis leur première rencontre. Je réalisais que tout ce qu'il s'était passé avec lui depuis le naufrage n'avait fait que lui causer plus de peine et d'humiliation. Elle enchaînait les déceptions et désillusions avec lui mais surtout elle digérait encore difficilement son avortement. J'étais désemparé de la voir dans cet état, d'entendre des mots si durs et de comprendre sa détresse. Mes intestins se broyaient car je comprenais que le naufrage avait eu raison d'elle. Il avait ouvert une brèche sur cette femme inébranlable, la plus forte et la plus tenace que je connaisse. Ça ne pouvait être que ça puisque Mia n'était définitivement pas le genre de femme à se laisser abattre par un insignifiant chagrin d'amour.
"Je t'interdis de penser ce genre de chose. Ce n'est pas ce que tu crois pour Charlie, je te le promets. Et l'homme qui t'aura sera le plus chanceux au monde, qu'il s'agisse de Charlie ou d'un autre. Tu es un diamant brut, Princesse, il est hors de question que tu laisses cette soirée remettre ça en question...S'il te plaît...Ne dis plus ce genre de chose...Repose toi, on reparlera de tout ça plus tard", et je la laissais pleurer en priant pour qu'elle cesse rapidement car mon cœur ne pouvait plus supporter de la voir dans cet état.
Et je réalisais que le moment que j'avais redouté à propos de Charlie était en train d'arriver : il la faisait déjà pleurer.
