Point de vue : Harry

J'étais en terrasse avec Mia à profiter enfin d'une journée en sa seule compagnie comme cela n'était pas arrivé depuis des mois. J'ajoutais à la perfection de ce moment aussi le diner d'hier avec nos parents, comme il n'y en avait plus eu depuis trop longtemps. Je prenais définitivement un plaisir fou à repasser du temps avec elle de cette manière, sans filtre, sans tabou, sans prétendants ni amoureux transi aux alentours pour nous brider et nous sermonner. J'allais définitivement mieux de l'avoir désormais à mes côtés à Paris et encore plus de la voir reprendre cette place singulière dans ma vie.

"Alors, c'est vraiment terminé avec Charlie ?"

"Je ne sais pas mais pour le moment c'est très bien comme ça. Je suis fatiguée du sexe opposé", j'avais pris mon visage le plus outré en prétendant que j'étais vexé et je n'avais récolté que le rire de Mia qui reprenait sans état d'âme.

"J'ai décidé de m'accorder un peu de répit, j'hésite même à devenir lesbienne si tu veux tout savoir. De toute façon, Charlie a l'air d'accord aussi avec ma décision puisqu'il a arrêté de me harceler", je tiquais maintenant puisque je réalisais que je ne l'avais pas tenue informée des derniers évènements.

"Oui, à ce sujet... Charlie a découvert le pot aux roses pour nous. Je suis désolé, je crois que j'ai merdé, j'ai laissé fuiter un sous-entendu alors que j'essayais de le rassurer et il s'est engouffré dans la brèche comme un forcené. Il a vu toutes nos vidéos et il a vraiment du mal à prendre du recul. Je pense que c'est à cause de ça que tu n'as plus de ses nouvelles...Il est juste en train de digérer...", je grimaçais dans l'attente de sa réaction, je lui rendais mon regard le plus désolé.

"Ces vidéos vont nous suivre toute notre vie, c'est infernal !", j'hochais la tête en signe de compassion et de compréhension. J'étais soulagé qu'elle ne me reproche rien sur le sujet et je l'écoutais poursuivre avec une mine plus renfrognée.

"C'est déjà ça, au moins Charlie arrive à se canaliser"

"Ne me refais pas penser à ça...s'il te plaît", je détestais l'évènement auquel elle faisait référence et je la prenais dans mes bras en réaction en l'embrassant sur le front dans un geste instinctif pour contre-balayer les émotions négatives qui remontaient brutalement avec ce souvenir.

**Début du flashback**

C'était il y 4 ans. Je venais de passer à une étape sérieuse de ma relation avec Victoria et j'avais cédé à sa crise de jalousie et sa demande d'arrêter la danse. Mia avait accepté mais ça n'avait pas été simple de passer d'une amitié fusionnelle à une amitié plus conventionnelle.

Cette décision avait radicalement bouleversé nos quotidiens et notre relation puisque nous passions tout notre temps libre ensemble à l'époque avec nos heures quotidiennes de répétition, les diners chez l'un ou chez l'autre, les sorties entre amis, les weekends, les vacances ou encore nos concours à l'étranger.

J'avais eu beaucoup de mal à trouver un nouvel équilibre entre Mia et Victoria puis Mia avait rencontré cet Adrien. J'avais détesté cet homme dès le premier jour sans réussir à mettre le doigt sur ce qui me dérangeait chez lui. Et j'avais constaté rapidement que Mia s'éloignait de moi. Ce manège avait duré quatre mois. J'avais essayé de me défendre pour garder ma place dans sa vie mais plus je luttais, plus elle s'éloignait et plus Victoria me sermonnait. C'était la première fois que notre amitié était mise à l'épreuve et au bout de 6 mois de relation avec Adrien, Mia avait coupé tout contact. C'était juste avant de rencontrer Théo. J'avais broyé du noir de ne le plus l'avoir dans ma vie et cela m'avait valu quelques disputes très vives avec Victoria. J'avais subi la situation jusqu'au jour où j'avais reçu cet appel dramatique de l'hôpital. J'avais roulé comme un dératé pour aller la retrouver. L'émotion et la détresse que j'avais ressenti en franchissant la porte avaient ensuite été insoutenables et déchirantes.

Ce jour-là, avec Adrien, je n'avais rien pu faire pour elle. J'avais retrouvé une Mia défigurée, avec des côtes cassées et dans le coma. J'avais passé la nuit à la veiller et à voir mon monde s'écrouler. Je n'avais jamais eu aussi peur de toute ma vie mais Mia avait finit par se réveiller. Elle m'avait avoué qu'Adrien était un homme colérique. Elle s'était accrochée de façon irrationnelle à l'idée d'une histoire sérieuse avec lui. Elle avait accepté ses caprices, ses crises et ses colères. J'apprenais que j'étais le principal sujet de discorde de leur couple et que c'était la raison pour laquelle elle s'était éloignée de moi. Elle m'avait avoué ensuite que la raison de ce déferlement de violence et de rage qui lui avait valu de passer à deux doigts de la mort était due à une ultime crise de jalousie : Adrien avait lui aussi découvert nos vidéos de danse.

J'étais reparti fou de rage de cet hôpital, j'avais essayé de traquer cet homme pendant des semaines sans passer une journée sans lui faire parvenir des menaces de mort mais il s'était volatilisé. Il n'avait jamais repointé le bout de son nez mais il s'obstinait chaque année à lui envoyer des messages pour son anniversaire dans des tentatives désespérées de reconquête. Les seules réponses qu'il recevait chaque année étaient les miennes.

J'avais repris ensuite ma place dans la vie de Mia et j'avais tiré plusieurs enseignements de cette expérience traumatisante : j'avais commencé par imposer radicalement Mia à Victoria, je ne laissais plus aucun homme m'éloigner d'elle mais surtout je ne permettais plus qu'on lui fasse le moindre mal. Toutes ces promesses et le souvenir encore vif et douloureux de cette agression étaient remontés brutalement à la surface en la trouvant inconsciente et à la merci de cette pourriture sur cette plage au Mexique.

**Fin du flashback**

Pour ces raisons historiques, je commençais à voir d'un très mauvais œil les crises de jalousie à répétition de Charlie mais je notais, comme Mia, que ses réactions n'avaient rien de comparables à celles d'Adrien ou de ses ex. Il faisait l'effort de rester à sa place et de subir en silence, pour elle. J'espérais aussi qu'il le faisait pour moi car Charlie était un de mes meilleurs amis avant tout. Il savait mieux que personne à quel point Mia était importante pour moi. S'il y avait donc un homme capable de la rendre heureuse sans me court-circuiter, c'était lui. En conséquence et en considérant également la peine immense que je ressentais de la voir encore souffrir en amour, je réfléchissais au meilleur moyen de les soutenir et de les réconcilier.

Point de vue : Charlie

Nous étions dans le salon, avec Théo et Harry mais j'étais présent sans vraiment l'être. Depuis deux semaines, je n'arrivais plus à prendre part au joyeux esprit de colocation. Théo était encore une fois intervenu auprès de moi pour la millième fois, en tête à tête, pour défendre leur amitié et je sentais la colère retomber progressivement au fil des jours. Je m'en voulais d'avoir ces réactions déraisonnables mais je n'arrivais pas à les contenir. Cette relation entre Mia et Harry me prenait aux tripes et je priais pour que cela me passe, pour être capable de regarder de nouveau mon meilleur ami avec affection et pour être capable de regarder de nouveau Mia avec amour. J'attendais que ça passe, sans savoir combien de temps encore je me maintiendrai dans cet état catatonique.

"C'est l'anniversaire de Mia le mois prochain. Qu'est-ce qu'on prévoit cette année ?", Théo venait de me sortir de mes pensées en s'adressant à Harry. Je réalisais douloureusement que je ne connaissais même pas sa date d'anniversaire et que je ne serais très certainement pas de la partie à ce rythme là.

"Vous ne croirez jamais qui vient de m'appeler ?", Julia venait de s'installer dans le canapé en face de moi et de nous interrompre mais elle semblait s'adresser uniquement à Harry et Théo. Je ne m'en formalisais pas puisque j'avais conscience que mon état me rendait de plus en plus transparent dans l'appartement.

"Dis-nous ?", Harry lui répondait avec curiosité.

"Ricardo !", et là mon sang s'était mis à bouillonner. C'était un prénom que j'avais espéré ne plus jamais entendre et je fermais péniblement les yeux en attendant la suite.

"Qu'est-ce qu'il te voulait ?", Harry lui demandait.

"Qu'est-ce qu'il veut à Mia tu veux dire ? Il est arrivé à Paris tout à l'heure visiblement. Il voulait discuter. Il m'a sorti un speech inaudible sur le fait que Mia lui manquait, qu'il était tombé amoureux d'elle et qu'il avait décidé de lui faire la surprise ce soir et de lui sortir le grand jeu. Je suis choquée, il était à la limite de parler mariage !", et j'avalais de travers à l'information parce qu'un cauchemar qui était en train de se réaliser. J'avais détesté ce type, leur histoire, leur proximité dès la première seconde et je prenais cette rafale en pleine figure, sans préavis et dans mon pire moment de discorde avec Mia.

"Je suis désolée Charlie que ça se finisse comme ça pour Mia et toi. Je rêvais vraiment d'une autre fin pour tous les deux", Julia s'était tournée vers moi cette fois. Elle m'avait regardé avec un air compatissant en voyant ma mine déconfite face à l'information. De mon côté, je détestais la pitié que je voyais dans son regard et surtout, je ne partageais pas son constat de défaite. Contrairement à ce que je pouvais leur laisser croire, je n'en étais pas du tout à là dans ma tête. Je n'imaginais absolument pas de perdre Mia et Julia venait de sonner l'alarme et l'urgence avec son intervention.

"Désolé de quoi, Julia ?", c'était Harry, cette fois et je sentais que je n'allais pas aimer sa provocation en le voyant se retourner vers moi et réfléchir à ses mots.

"Avoue que c'est drôle Charlie ? Tu t'acharnes sur notre amitié depuis deux semaines pendant que son amant torride revient en force pour te couper l'herbe sous le pied. Tu avais compris, rassure-moi, que la seule raison de leur rupture c'était toi ? De mon côté, je ne l'ai pas oublié et crois-moi sur parole quand je te dis que je te le rappellerai douloureusement si Mia décide encore de le suivre au Mexique à cause de toi", j'aurais pu frapper Harry de colère pour le faire taire, tellement ses paroles étaient insupportables puis les choses se passaient très vite dans mon esprit. La provocation et l'urgence de la situation étaient en train d'agir comme une onde de choc. En moins de deux, j'avais attrapé ma veste et quitté l'appartement, déterminé à stopper l'élan de ce type et à rappeler à Mia mon existence.

J'avais roulé plus vite que les vitesses autorisées pour arriver jusqu'ici et je me sentais maintenant ridicule, devant cette porte. J'ai hésité un instant avant de frapper : est-ce que je n'avais pas mieux à faire que d'être là à la retenir d'aller dans les bras de ce Ricardo si bon lui semblait ? Et puis je repensais à notre rencontre, à tous ces moments exceptionnels avec elle, au caractère singulier de notre parcours, à ces épreuves terribles surmontées ensemble et plus encore. Je savais que je n'étais pas capable de renoncer à elle. J'avais Mia dans la peau et je ne pouvais pas l'abandonner dans les bras de ce Ricardo. Je me décidais donc à frapper énergiquement pour lui faire comprendre ma détermination. Je m'attendais à devoir frapper un certain nombre de temps encore mais Mia m'avait ouvert plus facilement que prévu.

"Qu'est-ce que tu fais là ?", comme toujours, mon cœur n'avait pas pu s'empêcher de s'emballer face à sa beauté et au son de sa voix. Son accueil n'avait rien d'hostile cette fois, elle était calme et surprise. Je la détaillais et remarquais qu'elle portait une nuisette en satin vert, beaucoup trop courte et attrayante de mon point de vue pour un pyjama de semaine. Ce détail m'inquiétait plus que je ne l'aurais voulu et j'entrais chez elle sans répondre, en forçant le passage à la recherche de Ricardo. Vu de l'extérieur, je devais certainement passer pour un dingue, à entrer sans invitation puis à pousser la porte de sa chambre en cherchant je ne sais quoi du regard alors que je ne lui avais donné aucune nouvelle depuis des jours.

"On peut savoir ce qu'il te prend ? Tu cherches quelque chose ?", Mia était interdite et étonnée de mon intrusion et elle me suivait dans l'appartement pendant mes vérifications.

"Où est-ce qu'il est ?", je lui avais posé la question fermement avec un ton déterminé qui ne laissait pas de place pour le mensonge.

"De qui tu parles...?"

"De Ricardo ?", j'avais regardé son air surpris et ahuri face à cette question.

"...Au Mexique, là où je l'ai laissé il y a plus de deux semaines...? Qu'est-ce qui te prend de débarquer comme un cinglé à la recherche de Ricardo ?", je marquais un temps d'arrêt pour sonder sa sincérité et effectivement l'air de Mia n'était pas à la rigolade.

"Tu as oublié de vérifier sous le lit, fais toi plaisir, continue", elle me regardait maintenant comme le dernier des fous et c'était suffisant pour que je prenne conscience rapidement de la mascarade. Je réalisais simplement que Harry et Julia s'étaient payés ma tête. Je trouvais ça particulièrement vicieux, touchant et drôle à la fois et je riais justement maintenant à gorge déployé devant Mia en m'affalant sans permission au bord de son lit. Je laissais retomber par la même occasion toute la pression et l'angoisse consécutifs au retour imaginaire de Ricardo.

"Je peux savoir ce qui te fait rire ?", j'entendais Mia me ramener à la réalité. Je comprenais en la regardant de nouveau que j'étais venu chez elle que je n'étais pas sortie d'affaire pour autant. Mia attendait des explications que je n'avais absolument pas eu le temps de préparer.