Point de vue : Harry

"Bonsoir Adrien", Charlie venait de s'installer face à lui. Il s'était mis à prononcer ces premiers mots beaucoup trop poliment et froidement.

"Tu te souviens d'Harry ?", Charlie s'adressait toujours à Adrien avec le même ton.

"Bien sûr. Mais toi je suis à peu près convaincu de ne t'avoir jamais vu avant aujourd'hui"

"Moi, c'est Charlie. Et on va très vite faire connaissance tous les deux"

"T'es quoi, le nouveau mec de Mia ou bien celui d'Harry ?"

"Si tu veux mon avis, ça devrait être le cadet de tes soucis en ce moment", pendant qu'il parlait, Charlie sortait un à un le contenu de son sac sur la table située à sa droite. Adrien regardait avec appréhension, comme moi, en découvrant les objets plus ou moins hostiles qui apparaissaient successivement.

Charlie ne montrait toujours aucune émotion. De mon côté, j'étais débout et en retrait. J'étais complètement retourné d'avoir Adrien en face de moi après toutes ces années de traque et d'échanges téléphoniques. Je mourrais d'envie depuis des années de le confronter et de le tuer. J'aurai dû aujourd'hui être obsédé par cette idée mais j'étais encore plus distrait et abasourdi par le comportement inattendu et inhabituel de Charlie. Je découvrais une autre facette de lui, j'étais incapable de cerner son état d'esprit et ses intentions, dans cette situation inédite. Je ne le connaissais que depuis deux ans et il avait toujours eu un contrôle et un sang froid à toute épreuve, il était la force tranquille et un modèle de vertu. Je ne l'avais jamais vu perdre ses moyens en aucune circonstance. Le Charlie que je connaissais était très loin de l'image de cet homme menaçant qu'il renvoyait ce soir. Je supposais que la soirée allait être longue et pesante en constatant ses gestes prémédités et son regard glacial. J'avais peur de ce que je pourrais apprendre de lui mais j'avais surtout peur de ce qu'il était capable de faire alors je restais à portée, prêt à parer toutes les éventualités.

"Et qu'est-ce que tu me veux ?"

"Dans un premier temps, la même chose que te demande poliment Harry depuis cinq ans. Que tu foutes la paix à Mia", Charlie changeait de position pour mieux observer Adrien et ses réactions.

"Et dans un second temps ?"

"Ça, c'est pour la fin de soirée. On va discuter d'abord du premier temps si tu veux bien", j'avais vu Adrien se tordre d'appréhension. Je trouvais aussi que Charlie ménageait très bien le suspense et je ne pouvais pas m'empêcher de partager le sentiment d'Adrien en ce moment malgré mon aversion totale pour cet homme.

"Donc. Ça fait cinq ans que tu t'acharnes et cinq ans que Harry te prévient de ce que tu risques en continuant de la harceler. Malgré tout, tu te pointes comme le dernier des abrutis aujourd'hui devant son appartement. Qu'est-ce que tu n'as pas compris dans les menaces d'Harry ?", l'ambiance devenait particulièrement pesante et je commençais à sentir un peu plus les enjeux de cet échange.

"Harry peut aller se faire foutre et il faudra plus que ta mise en scène à la con pour me faire renoncer à elle", Adrien avait répondu avec aplomb et je regardais Charlie froncer les sourcils et rester silencieux un moment de sa réponse.

"Dans ton esprit tordu, qu'est-ce que ça veut dire ? ", Charlie avait baissé le visage durement à la fin de sa réplique en gardant son ton hivernal.

"Que Mia finira par revenir vers moi et par envoyer chier définitivement Harry", j'étais pris soudainement de nausées à cette nouvelle réplique, je sentais que j'étais en train de succomber à mes pulsions face à l'acharnement d'Adrien mais je tenais bon et je regardais Charlie répondre le premier avec un sang froid qui m'impressionnait toujours autant.

"Mia et Harry ne sont pas ensemble Adrien. C'est moi qui suit avec Mia et c'est moi ton nouvel obstacle, mets toi bien ça en tête", Charlie venait d'extrapoler pour protéger Mia, il endossait le rôle du petit ami, il se jetait sous les roues pour devenir la nouvelle cible d'Adrien et le détourner de moi. Je trouvais son idée plutôt bonne, c'était un moyen de l'intimider encore plus mais aussi de tenter l'apaisement en le faisant lâcher prise parce que cet homme semblait autant obsédé par Mia que par sa haine viscérale contre moi. J'attendais donc impatiemment sa réaction mais elle n'arrivait pas. Adrien était calme, il réfléchissait et je le voyais se remettre à sourire et reprendre la conversation.

"Et quoi ? Vous êtes amis tous les deux ?", et Adrien riait de plus belle et de la plus insupportable des façons en nous regardant l'un et l'autre avec ses rictus insupportables.

"Mais du coup tu la baises pendant ou après Harry ?", mon sang commençait à pulser plus fort avec cette nouvelle vulgarité. Adrien était en train de s'échauffer et il fallait qu'il s'arrête vite avant que je ne pète les plombs le premier. J'étais absolument dégoûté par son ton et le choix de ses mots mais visiblement pas Charlie puisqu'il répondait avec le même calme olympien.

"Arrête de faire une fixette sur Harry".

"Et toi tu devrais commencer à t'en préoccuper. Tu es le dernier des cons si tu n'as pas compris les intentions de ton ami. Peut-être qu'on deviendra pote toi et moi le jour où tu le comprendras aussi ?", et je bouillonnais définitivement maintenant. Mon corps se tendait au fur et à mesure qu'Adrien s'obstinait. Cet homme me détestait, j'étais son obsession et sa bête noire quoiqu'il arrive. Charlie avait beau être là, à prendre les choses en main, à marquer son territoire, Adrien n'en avait que pour moi. J'étais atterré par la folie de cet homme.

"Mia ne veut plus rien avoir à faire avec toi, Adrien"

"Parce qu'il ne m'a pas laissé l'occasion de lui parler. Elle reviendra vers moi quand elle aura entendu ce que j'ai à lui dire. Je te garantie que ce n'est pas terminé", sa réplique était pénible mais Adrien n'avait pas la bêtise de me prendre à partie, je le laissais donc encore s'expliquer avec Charlie. Je détournais les yeux aussi parce que le moindre contact visuel me donnait envie de lui arracher la tête.

"Ce jour n'arrivera pas", Charlie avait répondu fermement.

"Harry ? Dis-moi ? De quoi est-ce que tu as peur au juste ? Pourquoi est-ce que tu ne me lâches pas la grappe ?", j'avais fermé les yeux péniblement en l'entendant m'interpeller. Je décidais de l'affronter mais la situation m'échappait doucement en croisant son regard dédaigneux et haineux. Ce duel me mettait à l'épreuve mais je soutenais son regard avec dureté pour le dissuader de me défier et je gardais le silence en attendant qu'il baisse les yeux le premier et qu'il ait la sagesse de se taire mais Adrien persistait.

"Tu sais la dernière fois, c'était un malheureux incident. Ça n'arrivera plus. Et pour ma défense, ça ne serait pas allé aussi loin si Mia ne s'était pas mise à me répondre. Tu connais son caractère, c'est difficile de la faire taire quand elle s'y met", j'étais sur le point de sanctionner l'audace d'Adrien mais Charlie intervenait le premier en lui coupant la parole. Il avait senti, avec beaucoup de justesse que j'étais au bord de la crise et sur le point de sévir. Je sentais mon corps se tendre.

"Tu devrais vraiment baisser les yeux et arrêter de le chauffer", je laissais Charlie intervenir, je serrai la mâchoire et les poings pour me retenir en effet de le démolir. Je laissais une dernière chance à Adrien mais il continuait de me fixer avec la même haine dans le regard, sans ciller et en poursuivant son discours sans tenir compte de la recommandation très sage de Charlie.

"...Continues de me chauffer, toi, Harry et je te garantie que Mia le paiera douloureusement entre ses cuisses la prochaine fois", c'était le regard de trop mais surtout la menace de trop. Adrien venait de franchir la ligne en appuyant sur cette corde sensible. Cette angoisse m'habitait depuis le premier jour de ma rencontre avec Mia mais elle s'était transformée en phobie viscérale depuis son agression au Mexique. Alors je partais en roue libre. J'avais atterri sur Adrien en une fraction seconde et j'étais déterminé à le faire taire pour de bon. Les premiers coups partaient brusquement, violemment, froidement mais j'étais ensuite trop rapidement immobilisé et bloqué par Charlie qui m'empêchait de continuer. J'avais essayé de résister mais je n'avais aucune chance de me libérer avec sa carrure plus imposante. Je comprenais que je ne pouvais rien si Charlie s'interposait alors j'essayais très péniblement de me reprendre en évitant de croiser de nouveau le regard d'Adrien et son visage maintenant maculé de sang. Charlie finissait par me lâcher ensuite en me voyant me calmer. Il se rasseyait enfin face à Adrien en voyant que je parvenais à reprendre le contrôle de mon corps.

"Oublies Harry, tu veux bien ? C'est entre toi et moi maintenant. On va passer ensemble au second temps dont je te parlais tout à l'heure et tu vas t'autodiscipliner si tu ne veux pas que je lui passe le relais", je le laissais poursuivre volontiers dans son rôle de maître de cérémonie car je comprenais que contrairement à moi, Charlie était en parfaite maîtrise de ses émotions et qu'il avait un plan. J'essayais de m'y accrocher, j'essayais de lui faire confiance pour ne pas avoir à tuer Adrien à mains nues, ce soir. Et effectivement, Adrien commençait à être plus docile, il avait retrouvé le silence, il était maintenant redevenu très attentif aux paroles de Charlie.

"Donc...Harry m'a montré ce dossier puant tout à l'heure et en le regardant je me suis posé la question de savoir quel genre d'homme était capable de faire ça à une femme comme Mia, et à une femme tout court d'ailleurs...", Charlie venait d'ouvrir le dossier sur la table et il incitait Adrien à se replonger dans les éléments.

"J'entends tout ce tissu de conneries sortir de ta bouche et effectivement tu ressembles au sociopathe que m'a décrit Harry et qui n'a l'air de rien comprendre de ce qu'on lui dit", Adrien encaissait l'insulte encore silencieusement.

"En apparence, tu as vraiment l'air d'un cas désespéré mais j'ai envie de croire qu'il se trompe. Je me dis qu'on ne t'a peut-être pas présenté la situation de la bonne manière. C'est pour ça que je suis ici. Pour reformuler... Et je ne partirai pas tant que tu ne m'auras pas confirmé que tu renonces définitivement à Mia. Pense au fait que je ne reculerai devant rien pour t'y obliger et demande toi si ton obsession malsaine pour elle passe avant ta vie merdique ?", je regardais Adrien tiquer face à l'intimidation mais tenir tête encore à ce stade plus avancé des menaces de Charlie.

"Tu t'imagines qu'il ne m'a pas déjà servi les mêmes conneries ?"

"Il a passé cinq ans à te traquer sans résultat alors qu'il m'a fallu seulement une heure pour venir te cueillir dans ton appartement pourri. Je te garantis que je suis capable de t'envoyer derrière les barreaux en moins d'une semaine contrairement à lui", cette référence à mon impuissance passée était douloureuse mais je comprenais que Charlie en jouait pour prendre l'ascendant sur Adrien et je supportais donc docilement en silence.

"Et qu'est-ce que tu attends pour le faire ?"

"Mia serait obligée de revoir ta gueule de fils de pute et je n'en ai vraiment pas envie", je m'étais remis en alerte face à la nouvelle vulgarité de Charlie et je regardais d'encore plus près les réactions d'Adrien.

"Et les menaces de mort ?"

"Je ne verrai pas beaucoup Mia en prison et ça aussi ça m'embêterai. Donc je vais plutôt te laisser une porte de sortie inespérée pour éviter ces deux options. À prendre ou à laisser. Si tu refuses, je devrais décider entre te voir pourrir à vie dans une cellule à te faire sodomiser ou regarder Harry t'éclater la tête jusqu'à ce que tu rendes ton dernier souffle", Adrien commençait à montrer des signes de faiblesse, je le sentais désormais inquiet. Il commençait à prendre au sérieux Charlie. Si je ne le connaissais pas, j'aurai aussi considéré très sérieusement la menace face à son allure imposante, son autorité maîtrisée et ses apparences d'homme peu fréquentable qu'il avait soigné avant de partir. J'espérais qu'Adrien cède rapidement avant que les choses n'aillent trop loin car je l'avais déjà largement amoché pour la nuit et je ne savais pas s'il en supporterai davantage.

"Et quoi ? J'accepte, je disparais de sa vie et c'est terminé, vous rentrez chez vous ?"

"Pas tout à fait", j'étais persuadé d'avoir la même réaction de surprise qu'Adrien. Charlie aurait dû répondre oui et mettre un terme à tout ce cinéma puisque c'était l'objectif premier de notre visite.

"Je ne repartirai pas d'ici avant de t'avoir rendu le double du calvaire que tu lui as infligé ce soir-là Adrien, pour te faire payer la note et te dissuader de recommencer un jour. Mais si tu veux mon avis ça reste une proposition intéressante dans la position de merde dans laquelle tu te trouves en ce moment", je fermais les yeux en entendant enfin les projets de Charlie et j'étais tétanisé même si c'était une suite dont j'avais rêvé à maintes reprises.

"C'est écrit dans le rapport que tu en as fait voir de toutes les couleurs à Mia pendant une heure. Suivant ma table de multiplication, ça te laisse donc deux heures pour réfléchir à ma proposition, pendant que je te prouve que je suis capable de pire que toi", l'adrénaline montait encore plus brutalement après cette précision de Charlie. Il paraissait sérieux, il n'avait l'air d'avoir aucune once d'hésitation.

"On va déjà faire ça. Ce serait dommage de réveiller le voisinage avec tes pleurs de fillette", Charlie venait de poser son bâillon sur la bouche d'Adrien. Il avait clôturé avec une claque ferme sur sa joue et je le voyais ensuite prendre en main le rapport de police. J'avais regardé Charlie lourdement avant qu'il ne poursuive pour sonder son sérieux. Je comprenais qu'il l'était en lisant cette détermination sans faille dans ses yeux, il me défiait du regard de le dissuader et j'y renonçais avant même d'avoir envisagé l'idée. Je cédais, malgré toutes les résolutions que j'avais eu en arrivant parce que je ne pouvais plus voir cet homme et parce que je crevais de peur à l'idée qu'il s'approche de nouveau de Mia.

"On va commencer par la page 2, ligne 10".

Et c'est là que le pire de la soirée avait commencé. J'avais observé Charlie parcourir toutes les lignes du rapport. Je l'avais vu reproduire sur Adrien tous les sévices qui y était décrit. Il l'avait fait sans état d'âme apparent et en doublant la peine à chaque assaut. Il avait pris le soin de laisser le temps à Adrien de respirer entre chaque session, pour prolonger son supplice et tenir son engagement jusqu'au bout de la nuit. Charlie avait suivi à la lettre les déclarations de Mia en m'interdisant d'intervenir. J'étais observateur et j'étais supporter. Mais j'avais malgré tout détourné le regard à plusieurs reprises parce que j'étais glacé par la scène. Je ne pouvais pas me retenir de la transposer dans mon esprit avec celle qui avait eu lieu des années plus tôt, avec Mia. Elle avait vécu l'enfer entre les mains de cet homme, il lui avait infligé plusieurs brûlures de cigarette, il l'avait noyé dans sa baignoire, il l'avait étranglé jusqu'à l'évanouissement puis il l'avait passé à tabac jusqu'à lui briser des côtes et la plonger dans le coma. C'était innommable déjà à l'époque mais j'étais encore plus pris d'effroi face à cette reconstitution de Charlie. Il s'était appliqué à lui rendre cette nuit tout ce calvaire avec sa force de frappe supérieure mais il l'avait fait avec sang froid, en veillant à ne jamais franchir la dernière ligne de vie d'Adrien.

J'avais finit par ressentir une accalmie ensuite après un temps qui m'avait semblé interminable. Je voyais Charlie retirer ses poings américains et se laver les mains. Après un rapide contrôle de ma montre, je notais qu'il avait tenu sa promesse et qu'il était parvenu à torturer Adrien cette nuit, avec moi à ses côtés pour le soutenir. Je sentais enfin la tension retomber à la fin de sa démonstration de force. J'aurai choisi ce moment pour partir personnellement mais je voyais Charlie recentrer son attention de nouveau sur Adrien.

"Adrien, tu es toujours avec moi ?", il l'obligeait sans délicatesse à relever la tête, en claquant des doigts et en le giflant pour attirer son attention. Adrien lui faisait signe de la tête comme il le pouvait.

"Ok. Donc, tu te souviens de ce que j'ai dis il y a deux heures ? Est-ce que tu as pu réfléchir et prendre ta décision ?", Adrien continuait de hocher la tête positivement.

"Je t'écoute. Essaye de parler avec les dernières dents qu'il te reste si tu ne veux pas que je continue. Vite."

"Je vais...foutre la paix...à Mia", j'avais ressenti un soulagement immense à cette réponse mais Charlie, lui, maintenait sa pression psychologique sans crier victoire et je ne savais pas où il puisait encore la force de continuer avec autant de cohérence et de fermeté.

"Je n'arrive pas à te croire mais c'est sûrement sous le coup des nerfs. Donc écoute, tu sais ce qu'on va faire ? Dans trois nuits à 4h30 tapante, tu vas me redonner confirmation. Tu enverras un message à Mia dans lequel tu t'excuseras pour absolument tout et dans lequel tu lui diras que tu ne chercheras plus jamais à la contacter", Adrien continuait de hocher la tête, j'étais prêt à déguerpir mais Charlie continuait, encore.

"Adrien, j'ai pris ma décision moi aussi au cours des dernières heures et je te confirme que je ne prendrai pas le risque pour Mia de passer par la voie légale si tu changes d'avis. Donc si tu t'obstines à désobéir, si j'entends parler de toi encore une fois, si Mia ne reçoit pas ce message ou s'il arrive avec la moindre minute de retard, je rappliquerai encore plus rapidement qu'aujourd'hui et je te crèverai personnellement et de la pire des manières", je ne savais pas dire si Charlie bluffait, mais visiblement Adrien le croyait car il acquiesçait.

"Dans trois nuits, 4h30. Note le bien pour ne pas rater l'heure pendant que tu seras sur ton lit d'hôpital. C'est ta dernière porte de sortie. Ne me tente plus jamais Adrien parce que ne résisterai pas à mon envie de te buter si tu m'obliges à revenir".

Je profitais de cette conclusion pour détacher Adrien et lui tendre son téléphone pour qu'il puisse contacter une ambulance après notre départ et je partais en silence avec Charlie. Je restais silencieux sur tous le trajet et en rentrant ensuite en réalisant un peu plus à quel point nous avions franchi un nouveau stade dans l'horreur récente de nos vies. La situation avait encore échappé à tout contrôle, elle avait basculé dramatiquement, elle nous avait entraîné, moi simple sportif et Charlie simple avocat, dans une scène de violence surréaliste. Je réalisais un peu plus les ravages du naufrage. Charlie avait agit sous la même pulsion et le même traumatisme que le mien. Il n'en avait jamais rien dit jusqu'ici mais j'avais compris ce soir qu'il était tout autant marqué et révolté par les épreuves et les malheurs.

Point de vue : Charlie

J'étais rentré sans un mot en m'enfermant dans la chambre et en ignorant les regards de Harry qui avait eu la décence de garder le silence. J'avais été incapable de relâcher la pression et les horreurs de cette nuit et le sujet était resté tabou pendant trois jours.

J'avais été partagé entre la rage et la détresse en découvrant ce drame vieux de cinq ans. Je comprenais d'où provenait cet instinct protecteur exacerbé de Harry. Il avait vécu les événements aux premières loges et il avait eu à subir bien plus que ces images abominables : il avait vu Mia dans cet état. Mon cœur s'était brisé de la voir uniquement en photos, de savoir qu'un homme lui avait fait tant de mal un jour et j'avais paniqué comme Harry de la savoir de nouveau menacé.

Le baiser que je lui avais volé ce soir là n'avait pas suffit à calmer mon angoisse. Je m'étais senti impuissant et choqué d'abord et j'avais réfléchi à toute allure ensuite pour trouver une solution au retour indésirable de cette pourriture et au constat d'impuissance de Harry. J'avais trop entendu parler de ce genre d'homme au cours de ma carrière, je savais qu'il aurait profité encore longtemps des failles du système pour continuer de la persécuter jusqu'à ce qu'un nouveau drame survienne. Ce n'était pas une affaire que je pouvais régler sereinement en justice comme au Mexique. La situation était déjà très claire dans mon esprit au moment où je recevais le message de Franck avec l'adresse de cet Adrien. Je devais tirer avantage de mon statut d'inconnu et de ma supériorité physique pour faire comprendre à cet Adrien qu'il avait à faire à un opposant sérieux, capable d'aller plus loin que lui pour Mia et capable de mieux que Harry. Je n'avais rien laissé au hasard pour provoquer la crainte chez cet homme et j'avais eu toutes les difficultés à tenir ce rôle d'homme dur et inflexible et à poursuivre cet échange musclé. Je détestais la violence, je détestais ces regards choqués et sidérés de Harry mais j'avais trouvé la force de résister grâce à ce dossier que je n'avais pas quitté des mains et qui me rappelait les enjeux de tout ce chaos. Je savais que j'aurais envie de vomir à chaque occasion en repensant à ce que j'avais été capable de faire mais j'aurai recommencé à première demande pour la protéger et nous éviter à tous un nouveau drame.

Le rendez-vous que j'avais fixé à Adrien était donc aujourd'hui. Nous avions proposé à Mia de visionner chez nous une de ses sagas préférées pour être à proximité de son téléphone à l'heure souhaitée. Elle venait de s'endormir dans mes bras et je sentais Harry se tendre lui aussi en voyant l'heure limite approcher. Si Mia recevait ce message dans une minute, je pouvais considérer que j'avais réussi à marquer Adrien au fer chaud et à le sortir de sa vie.

J'avais donc continué de tenir Mia désespérément contre moi en retenant ma respiration et je voyais finalement son vibreur s'activer et le message s'afficher à l'heure souhaitée. Mon plan d'action avait payé. C'était terminé. Je pouvais enfin respirer et je recevais volontiers la poigne ferme et silencieuse de Harry sur mon épaule en signe de victoire. Je décidais ensuite de porter Mia jusqu'à ma chambre après ça. J'espérais pouvoir la rejoindre dans son sommeil paisible, j'espérais pouvoir réussir à dormir, maintenant que cet épisode était derrière nous.

Une dernière pensée me traversait l'esprit avant de fermer les yeux : je revoyais cette haine sur le visage d'Adrien, je revoyais son obsession pour Harry, je repensais à cette jalousie qui l'avait conduit à cette déferlante de violence sur Mia. Je comprenais parfaitement maintenant pourquoi Mia détestait les hommes jaloux et pourquoi Harry refusait de subir la moindre crise de jalousie. C'était à cause de cet homme et je me jurais en réaction et solennellement ce soir de ne plus jamais rappeler ce souvenir à Mia quoiqu'il m'en coûte et de les laisser, elle et Harry, vivre comme il l'entendait cette amitié, aussi troublante soit-elle.