Point de vue : Charlie
Ce weekend m'avait terrassé. J'étais épuisé et je n'avais qu'une envie : rentrer pour oublier toute ma peine après ces annonces dramatiques. J'avais ressenti cette envie viscérale de rejoindre Mia et de sentir ses bras alors j'avais pris le premier avion malgré l'heure tardive. J'étais enfin arrivé, j'entrais dans l'appartement, je ne la trouvais nulle part mais je voyais la faible lumière de la terrasse allumée qui m'indiquait qu'elle devait s'y retrouver. Je m'y dirigeais en espérant qu'elle serait peut-être dans son jacuzzi et effectivement Mia y était mais elle n'était pas seule. Elle était avec Harry. Encore. Et mes entrailles se broyaient face au spectacle qu'ils m'offraient.
Mia était endormie, avec sa tête au creux de son cou et ses mains posées sur le torse nu de Harry. Dieu merci elle était entièrement vêtue de son côté ce qui évitait d'aggraver l'horreur de ma découverte. Harry était lui aussi dans un sommeil profond, il profitait en ce moment du bonheur que j'étais venu chercher si désespérément dans ses bras. Son menton reposait sur la tête de Mia, il avait une main plongée dans ses cheveux et la seconde sur ses épaules. Il l'enlaçait, beaucoup trop précieusement et intimement à mon goût.
Il me démontrait encore ce soir qu'elle était devenue le centre de son monde depuis le naufrage. Il s'était empressé comme toujours de courir la voir aussitôt mon dos tourné et elle l'avait accueilli à bras ouverts comme toujours également. C'était tout le temps comme ça depuis le retour et Mia mettait un point d'honneur à répondre systématiquement à ses appels. Je pouvais entendre qu'il avait besoin d'elle pour faire son deuil, j'avais toujours été au fait de leur amitié exceptionnelle mais ils ne pouvaient pas aller au cinéma ou au restaurant comme des amis normaux ? Pourquoi fallait-il qu'ils se retrouvent dans ce jacuzzi ? Pourquoi à cette heure de la nuit ? Pourquoi dans les bras l'un de l'autre ?
J'essayais d'analyser mes émotions. Je n'étais pas sûr d'être jaloux car j'avais eu Mia, j'avais déjà été mille fois à la place de Harry et j'en avais surtout eu bien plus que lui. Je n'avais plus de frustration de ce point de vue mais c'était autre chose. Je me sentais trahi. Par elle et par lui car ça ne pouvait pas être la première fois. C'était impossible que ce genre de moment date de ce soir, c'était impossible avec ce niveau de complicité et de tranquillité. Je me souviens parfaitement également les avoir surpris à quelques reprises dans ce genre de moment de tendresse quand Victoria avait le dos tourné. Je déduisais donc qu'ils s'étaient bien retenus de me montrer à moi aussi cette dimension fusionnelle et intolérable de leur relation pour la préserver, malgré tous les efforts que je faisais pour les supporter.
Et Harry avait beau être un de mes meilleurs amis, je mourrais d'envie de le noyer en ce moment. J'étais amer, je le maudissais et je me demandais surtout pourquoi lui ? Avec tous les amis que pouvait avoir Mia, pourquoi fallait-il qu'elle l'ait choisie lui ? Il était une véritable gravure de mode, tout chez ce mec inspirait la tentation et l'interdit, de son physique parfaitement irréprochable à son charisme incontestable en passant par son caractère intrépide et fougueux. Je détestais l'idée de base qu'un homme pareil puisse être son ami, encore plus qu'il puisse être son meilleur ami mais ce que j'avais sous les yeux était au-delà encore. Je réfléchissais mais je n'avais pas de mots pour les décrire en ce moment et pour caractériser leur relation.
Je savais juste que le spectacle était affligeant et qu'il tombait aussi au pire moments puisque j'avais pris la décision douloureuse aujourd'hui de réaménager à Londres. Ce n'était même pas un choix mais une obligation. Je n'avais pas encore informé Mia et j'avais rêvé un instant de lui demander de partir avec moi mais j'étais intimement convaincu maintenant que c'était la pire des idées. Dans le meilleur des cas, Mia accepterait de me suivre mais je n'avais aucun doute sur le fait que je perdrai mon meilleur ami car Harry ne me pardonnerait jamais un tel affront. Elle comptait beaucoup trop pour lui. Et je la perdrai aussi certainement elle car je savais que je ne faisais toujours pas le poids face à la force irrésistible du lien qui les unissait et qui avait eu le temps de mûrir pendant toute une décennie. Il n'y avait pas d'autre issue pour moi, j'en étais convaincu, car sans parler de romance ou d'amour secret, c'était incontestable qu'ils étaient complètement dépendants l'un de l'autre. Je savais que je ne faisais toujours pas le poids face à Harry car Mia ne m'avait toujours pas rendu mes déclarations d'amour, malgré les derniers moments parfaits avec elle.
Donc j'étais écœuré, abattu mais j'étais aussi révolté car je venais littéralement de me jeter dans le premier avion pour elle et j'avais droit à cette vision à l'arrivée. Je décidais donc sous le coup de la colère de faire tomber avec grand bruit le premier objet à proximité pour les sortir sans délicatesse de leur bulle de tendresse. Je n'avais pas manqué une miette de la mine déconfite de Mia en me voyant sur la terrasse, ni de l'air embarrassé et désolé d'Harry. Je n'avais pas envie d'écouter une fois de plus les mêmes discours et je faisais demi-tour sans demander mon reste, car j'étais maintenant blasé par cet évènement qui était en définitive le cadet de mes soucis.
Point de vue : Mia
Je me réveillais en sursaut à l'entente de ce bruit infernal et Harry également. Il me fallait un temps pour me souvenir d'où j'étais c'est-à-dire dans ce jacuzzi, blottie contre le torse nu de Harry. Je n'avais strictement aucun problème avec cette situation jusqu'à ce que je remarque la présence de Charlie et son regard lourd de reproches et de déception. Je me séparais immédiatement d'Harry et je commençais à amorcer les premiers gestes pour quitter le bain quand Charlie se mettait à prendre la parole.
"Ne te donne pas cette peine. Je ne voulais pas vous interrompre", son ton était froid et fatigué. Je ne trouvais rien à répondre, j'étais juste horrifiée et je le regardais rebrousser chemin jusqu'à ma chambre en claquant la porte avec colère.
"Je suis vraiment désolé…", Harry venait de prendre la parole timidement avec un regard plus que gêné. J'avais envie de lui répondre mais c'était vraiment inutile pour une fois. Désolé de quoi ? D'avoir eu besoin de moi ? Bien sûr qu'il n'était pas désolé et moi non plus. Non, c'était juste très bête de notre part de nous être fait surprendre pour une fois et je me sentais comme la pire des garces d'avoir infligé ce spectacle à Charlie, qui était au plus mal et était visiblement rentré plus tôt que prévu pour me voir. Je sortais donc rapidement du jacuzzi en tendant à Harry ses vêtements pour l'inciter à partir.
"Tu es sûr ?", Harry n'était pas à l'aise à l'idée de me laisser affronter seule la colère de Charlie. Je comprenais ses raisons mais sa présence n'aurait été qu'aggravante.
"C'est Charlie, ne t'inquiète pas, je m'en occupe", il me rendait une dernière bise et une étreinte d'encouragement en quittant sagement et discrètement l'appartement. De mon côté, je rentrais en prenant le temps de me changer et de me sécher avant de rejoindre Charlie. J'entrais dans la chambre et j'avais la gorge nouée de le voir si abattu, assis sur le rebord du lit avec sa tête entre ses mains. Je m'approchais de lui avec la boule au ventre et j'osais une main sur son épaule. Il ne me repoussait pas et j'étais soulagée. Je m'apprêtais à déblatérer un long fleuve de justifications et d'excuses pour la scène à laquelle il venait d'assister mais Charlie me coupait l'herbe sous le pied en prenant la parole le premier avec une voix grave et douloureuse.
"Elle est en train de crever. Les médecins parlent de traitements expérimentaux et je ne sais quoi pour nous donner de l'espoir mais je sens au fond de mes tripes que ça ne va pas fonctionner", j'avais tellement mal pour lui en ce moment, tellement de peine de le voir si effondré. Cette scène avec Harry était insignifiante à côté de cette annonce alors je me taisais et je me rapprochais encore plus de lui, en lui caressant la nuque et en l'enlaçant dans l'espoir de le soulager même de façon infime.
"Je vais devoir rentrer à Londres. Je ne peux pas laisser Jake assumer seul. Il est trop jeune et elle a besoin de moi", je le couvrais de baiser, encore très peu consciente des conséquences de cette annonce.
"Je continuerai de travailler au siège et je reviendrai autant que je le pourrais", l'information parvenait enfin à mon cerveau. Il ne pouvait pas partir, il ne pouvait pas me laisser. Je sentais un trou béant se creuser dans ma poitrine à l'idée d'imaginer des semaines entières sans lui.
"Quand ?", je ne sais même pas comment Charlie faisait pour entendre le son de ma voix tellement ces mots étaient sortis péniblement de ma bouche.
"D'ici trois semaines maximum. Le temps de boucler quelques affaires au cabinet".
"Combien de temps ?", et Charlie ne répondait pas et secouait la tête en guise de réponse. Bien sûr qu'il ne pouvait pas savoir dans combien de temps sa mère mourrait ou guérirait. Ma question était stupide et déplacée, j'en prenais conscience rapidement et ma détresse était encore plus grande à l'idée d'être privée de lui pour une durée indéterminée. Est-ce que notre couple y survivrait ? J'étais terrassée, c'était à croire que l'univers tout entier se liguait contre nous.
J'essayais toutefois de taire mes craintes du moment pour me concentrer sur Charlie qui n'avait pas besoin d'être accablé par une de mes crises de panique. J'osais des baisers plus longs sur sa nuque et sur le coin de son visage, en appuyant encore plus mes caresses et en me pressant davantage contre lui. Charlie relevait la tête pour recevoir plus de mes baisers, en restant un temps immobile sur le lit. J'entendais ses soupirs de soulagement à mes gestes de réconfort répétés. Mon cœur s'apaisait un peu de savoir que j'arrivais à l'atteindre malgré la gravité du moment et ma baignade indésirable. Je continuais donc sans relâcher mes efforts et en multipliant mes gestes de tendresse dans l'espoir de lui faire tout oublier. Charlie décidait au bout de quelques baisers de se laisser aller. Je le laissais à son bon vouloir m'allonger sur le lit, enfouir sa tête dans mon cou et entre mes seins, je sentais ses mains me caresser et m'empoigner avec une détresse qui me bouleversait et me ramenait à cette étreinte dans ma salle de bain au Mexique au lendemain de mon agression. Je le sentais complètement désespéré et je le laissais me faire l'amour comme il le voulait, avant de le bercer de caresses jusqu'à épuisement.
La soirée avait donc été très riche en émotion. J'avais réconforté les deux hommes de ma vie ce soir : Harry qui reprenait vie doucement et Charlie qui sombrait brutalement.
La semaine qui avait suivi l'annonce de Charlie avait été des plus pénibles pour tous les deux. Je le voyais complètement renfermé sur lui-même, pensif et torturé. Je n'en menais pas large non plus en voyant les jours défiler et la date de son départ approcher. Je désespérais de trouver un moyen de l'aider et de l'apaiser. Je me sentais complètement impuissante et inutile alors que cet homme avait déjà tant fait pour moi.
L'idée était devenue évidente et lumineuse ensuite : je devais partir avec Charlie. Je savais que ma présence le soulagerait, qu'il aurait besoin d'une personne étrangère à sa famille en rentrant chez lui, de quelqu'un qui lui changerait les idées en dehors de tous ses soucis et de ses allers-retours à l'hôpital. C'était complètement risqué après seulement un mois de relation mais je m'en sentais capable pour lui. J'étais donc en ce moment dans ses bras, allongée dans notre lit et je me décidais à lui faire part de ma proposition.
"Et si je venais à Londres avec toi ?", l'angoisse me prenait au ventre au même moment. Je sentais Charlie me repousser et s'asseoir en m'obligeant à en faire de même et à le regarder.
"Qu'est-ce que tu racontes ?"
"Je ne sais pas si j'arriverai à tenir une nuit et une journée sans toi. C'est sûrement mieux que je vienne", Charlie faisait une tête très étrange en ce moment, je ne savais pas dire s'il était intéressé ou rebuté à cette idée et je commençais déjà à regretter à l'idée de me faire rejeter.
"Ou je reste, si tu préfères…je comprendrais aussi que tu ais envie de partir seul", il restait silencieux, à fixer le vide. Charlie considérait ma proposition avec une intensité et un suspense insoutenables.
"Rien ne me ferait plus plaisir...tu le sais très bien", je me sentais soulagée à cette réponse.
"...Mais ta vie est ici, je n'ai pas à te demander ça. Tu as passé tes derniers mois entre le Pacifique, le Mexique et Paris"
"Et tous ces endroits avaient un point commun et c'était toi. Mon accent est minable mais ce sera l'occasion de le perfectionner ? Et je pourrais me trouver le charmant cottage dont on a déjà parlé ?", le visage triste de Charlie était en train de se laisser gagner par le sourire sincère et tendre que je cherchais désespérément à lui décrocher depuis une semaine et c'était tout ce que je voulais voir. J'étais déchirée à l'idée effectivement de quitter Paris, ma famille, ma vie et Harry mais j'étais résolue à être là pour lui comme il l'avait été pour moi depuis le naufrage.
Charlie avait insisté pour que je prenne quelques jours de réflexion supplémentaire et ma décision était définitivement entérinée aujourd'hui. Nous avions commencé à parler des détails, j'étais en train d'organiser mon départ et je n'avais rien dit à personne et surtout pas à Harry. Je voyais Charlie pensif, pendant qu'il regardait fixement le calendrier de la cuisine.
"Il y a votre festival la semaine prochaine"
"Je sais. Je vais annuler"
"Pourquoi ?"
"Pour rester avec toi, on a encore plein de choses à régler avant le déménagement", la vérité était que je n'arrêtais pas de culpabiliser depuis son retour de Londres et ce moment embarrassant dans le jacuzzi. Je ne voulais pas qu'il ait à se préoccuper de ma relation avec Harry en ce moment. J'avais toujours été très dure avec lui sur ce sujet mais j'avais décidé de mettre de l'eau dans mon vin ces temps-ci pour l'épargner. S'il ne m'en avait pas reparlé ni tenu grief depuis, j'avais senti une zone très froide a contrario entre lui et Harry qui me prouvait qu'il l'avait toujours en travers de la gorge. Alors sa réaction m'étonnait particulièrement.
"Ne fais pas ça. Vas-y. J'en profiterai pour aller à Londres de mon côté et préparer notre arrivée. Ne t'inquiète pas", je restais silencieuse et surtout suspicieuse. C'était beaucoup trop beau pour être vrai. Charlie ressentait sûrement mon trouble et il s'approchait et déposait un baiser sur mes lèvres pour finir de me convaincre.
"D'accord", je n'avais pas pris le risque d'insister car je mourrais d'envie d'y aller. Je le voulais parce que je rêvais de ce festival depuis toujours mais surtout parce que j'avais parfaitement conscience qu'il s'agirait de mon dernier moment avec Harry avant ma nouvelle vie. J'étais donc infiniment reconnaissante que Charlie le comprenne de lui-même et l'accepte.
