Point de vue : Mia
J'attendais au bout du quai, frigorifiée par le froid hivernal. Je ne sentais plus mes mains ni aucune de mes extrémités mais cela en valait la peine. Je trépignais de joie à l'idée de revoir Harry et je n'avais pas eu la patience de l'attendre sagement chez moi. Son train arrivait enfin en gare et je choisissais ce moment pour l'appeler.
"Ton train est bien arrivé ?
'Oui, à l'instant. J'arrive bientôt. Tu t'impatientes ?", je me mordais les lèvres de plaisir car je l'apercevais enfin au loin sur ce quai. Je le voyais marcher dans ma direction avec son téléphone à la main et son sourire irrésistible.
"Très...Et tu es vraiment très craquant dans ce nouveau manteau…", et je le voyais s'arrêter subitement, sourire encore plus largement et balayer le quai des yeux pour me trouver. Je l'aidais avec un signe de main et je sentais déjà mon cœur fondre à la vue de ce sourire immense sur son visage. Il raccrochait au même moment et je le voyais reprendre sa marche à un rythme plus rapide. Harry n'était plus qu'à quelques mètres maintenant et je le voyais abandonner sa valise subitement et fondre vers moi en tendant les bras et en me soulevant de terre. Et je ne ressentais plus du tout le froid après ça. Mon cœur et mon corps se réchauffaient à vitesse grand V en retrouvant la chaleur brûlante de ses bras et la douceur infinie de ses lèvres. Cette dernière semaine sans lui avait été encore plus pénible et interminable que la précédente et c'était une véritable bénédiction de le retrouver.
"Tu es une sorte de Kinder Surprise...Tu vas faire ça tous les quatre matins ?", je souriais à en avoir mal aux joues à sa réplique.
"Si tu continues de me dévorer avec autant d'appétit ? Oui ! Je t'ai manqué ?"
Tu n'imagines pas à quel point"
"Dis-moi ?"
"Mmh, tu n'es pas prête pour ce genre de révélation", et je voyais Harry se mordre les lèvres de plaisir et fuir mon regard malicieusement à sa réplique. De mon côté, je me figeais un court instant en réalisant ce que ces mots pouvaient sous-entendre et je lui répondais toujours en souriant mais plus sérieusement.
"Tu crois...?", et je roucoulais de plaisir en le voyant reposer ses yeux sur moi, en lisant cette joie intense dans ses yeux en me regardant. J'étais aux anges ensuite en sentant ses mains chaudes sur mon visage et ses lèvres sur les miennes. C'était merveilleux après tous ces jours de manque insoutenables. Je sentais son nez remuer doucement contre le mien ensuite et je l'écoutais parler en me fixant toujours avec ses yeux pétillants de malice et de tendresse.
"Tu es toute givrée...Rentrons...je vais m'occuper de ça…", je riais cette fois et je le suivais docilement sans jamais quitter ses bras. Je ronronnais et je frissonnais d'anticipation à cette promesse. Je n'avais pas décollé de lui ensuite ni dans le taxi, ni dans mes escaliers et encore moins dans mon appartement.
Les retrouvailles avaient été encore une fois très intenses et j'étais maintenant dans le canapé, nue, sous ce plaid et contre lui. J'étais avec lui depuis près de trois heures maintenant, mon ventre commençait à crier famine à cette heure tardive mais Harry préférait partir pour un nouveau round. J'accueillais avec plaisir ses nouvelles caresses et ses nouveaux baisers quand j'entendais malheureusement son téléphone sonner. Il marquait une courte pause pour le consulter et je riais en le voyant balancer son téléphone au sol et plonger avec un sourire très coquin sous ce plaid au lieu de répondre. J'entendais ensuite mon téléphone sonner. Harry continuait dans sa lignée, je l'entendais pester et je le regardais avec beaucoup d'amusement prendre mon téléphone et couper ma sonnerie.
"Va au diable, Théo!", je riais de plus belle en le voyant se diriger de nouveau sous le plaid. Mais j'entendais cette fois le téléphone fixe sonner et je me relevais subitement en changeant radicalement d'humeur.
"Ça, ce n'est pas normal. Décroche", Harry grognait de frustration et de mécontentement mais il s'exécutait. De mon côté j'avais la boule au ventre car le fixe était uniquement réservé aux urgences. Et mon angoisse grandissait notablement en voyant les traits de Harry se métamorphoser. Je le voyais pâlir et j'étais suspendue désespérément à ses lèvres après ça. Je pensais à Julia ou un de nos amis à Paris.
"Répète..."
"A quel hôpital...", j'avais le cœur qui battait à cent à l'heure en entendant ce mot très indésirable.
"Merci Théo", Harry raccrochait ensuite avec son air grave et il prenait la parole rapidement en voyant mon regard effrayé.
"Charlie est à St Thomas…", j'arrêtais de respirer à cette information capitale et très inquiétante.
"Pourquoi...?", les mots sortaient péniblement car je pensais déjà au pire. J'avais notamment l'image de cette moto diabolique en tête.
"Il s'est fait tirer dessus...Je n'en sais pas plus. Catherine était inconsolable au téléphone. Elle n'a pas réussi à lui expliquer. Rhabille-toi, on va voir ça", j'étais sciée et incapable de bouger. J'étais décomposée, je sentais mes yeux s'embuer dangereusement, je tétanisais à cause du choc de l'information. Harry n'en menait pas large non plus mais il trouvait la force d'agir pour nous deux. Je sentais son baiser délicat sur mon front et je le voyais m'aider à me relever et à me rhabiller. Je m'efforçais ensuite de me ressaisir pour le suivre et courir au chevet de Charlie. Je pressais le pas comme lui une fois à l'hôpital et le stress montait de façon exponentielle en arrivant devant sa chambre. J'avais les jambes très faibles avant d'entrer et je craignais le pire avec le peu d'information que nous avions à ce stade.
Harry frappait, il m'entraînait à sa suite et je manquais de m'évanouir en découvrant Charlie inconscient sur ce lit. Je voyais les hématomes sur son visage mais surtout ce bandage impressionnant autour de son épaule. J'étais à deux doigts de tomber dans les pommes sous le coup de l'émotion mais Harry me soutenait fermement dans ses bras. Je me précipitais vers son lit et j'essayais de ne pas déranger Catherine qui était en pleurs à son chevet. Je sentais mes entrailles se resserrer mais je me dirigeais avec détermination vers les notes médicales et la machinerie pour me faire une idée de son état, avec les souvenirs qu'il me restait de mon ancienne carrière. Et je relâchais sensiblement les tensions en constatant que Charlie allait bien, autant que possible. Je soupirais de soulagement et j'osais une première parole à Catherine qui était complètement muette et dans sa bulle malgré notre arrivée.
"Catherine...Qu'est-ce qu'il s'est passé ?", je parlais avec le plus de douceur possible pour ne pas la bousculer. Son état me brisait encore plus le cœur. Elle était tremblotante et je lui laissais le temps de m'expliquer.
"Je n'en sais rien...je l'ai retrouvé au sol de l'appartement, en arrivant à Londres...", j'étais dans un profond désarroi aussi devant cette situation mais mon empathie habituelle prenait le pas sur ma détresse. Je voulais rester droite pour la soutenir en priorité malgré la fragilité de notre relation. Alors j'osais, je posais une main amicale sur son épaule et j'essayais de lui délivrer les paroles les plus réconfortantes que j'avais sur le moment.
"Ça a l'air d'aller. Son état est stable. Charlie va bientôt se réveiller", je voyais Catherine réagir au geste et l'accepter. Elle était réceptive et elle semblait l'apprécier car elle faisait un effort supplémentaire pour m'en dire un peu plus sur la situation.
"Je sais. Les médecins ont dit que l'opération s'était bien passée. Ils ont retiré la balle. Il se repose", je continuais de lui caresser l'épaule avec soulagement. Je jetais un œil à Harry qui était aussi libéré que moi mais qui restait muet en voyant Charlie dans cet état. Je décidais de prendre les choses en mains, cette fois encore, pour Charlie, pour Catherine et pour lui, en mettant de côté mon chagrin.
"Tu as parlé avec la police ?", Catherine hochait la tête négativement, elle semblait dépassée par le sujet et il n'en fallait pas plus pour que je réagisse.
"Je demande à Tom de venir nous aider. Ne t'inquiète pas, je m'occupe de ça", je la voyais approuver silencieusement et avec reconnaissance et je quittais la chambre un court instant pour passer mon coup de fil à Tom. J'avais pris place au retour dans le canapé et dans les bras de Harry. Je veillais Charlie à distance même si mon envie de le rejoindre et de lui lui tenir la main aussi était très forte.
Au bout d'une demie heure interminable d'attente, j'entendais enfin la porte cogner. Tom entrait discrètement, je le saluais et je commençais à discuter à voix basse pour ne pas déranger le repos de Charlie. J'étais en partie soulagée de pouvoir compter sur son aide. Il avait pris le relais avec ses collègues investis du dossier.
"Alors ? Qu'est-ce que tes collègues ont dit ?"
"Qu'il y a pas mal de cambriolages dans le quartier ces temps-ci. Selon eux, ce sont les faits d'une petite frappe. Une enquête de voisinage est en cours", je jetais un coup d'œil en coin à Catherine qui était focalisée sur Charlie. Elle ne décollait pas ses yeux de lui et ne prêtait pas attention à Tom alors je continuais de gérer avec lui.
"Ils sont au courant pour dimanche dernier ? Ça ne peut pas être une coïncidence...Et Charlie n'est pas le genre d'homme à se laisser victimiser par un gamin", j'avais retrouvé l'attention de Catherine en citant Charlie. Elle était maintenant parfaitement concentrée sur notre échange.
"Oui, je suis d'accord avec toi mais je ne peux rien faire de plus en attendant. J'ai appelé le propriétaire de l'immeuble et les caméras des parties communes sont HS depuis une semaine...J'ai besoin du témoignage de Charlie."
"Les caméras sont HS ? Comme par hasard...", et je lisais à son regard approbateur qu'il partageait ma théorie. Les conclusions étaient les mêmes pour lui. Charlie était bel et bien au cœur d'un règlement de compte malheureux à cause de son travail, comme il l'avait supposé. Il n'y avait plus qu'à attendre maintenant qu'il se réveille et nous confirme l'identité de cet homme. Alors j'attendais sagement.
Il était une heure du matin et mon ventre criait famine malgré moi et Harry le remarquait. Je le voyais se relever et murmure à mon oreille en faisant un pas vers la sortie ensuite.
"Je vais chercher quelque chose à manger à la cafétéria"
"Je n'ai pas faim"
"Mais tu vas manger quand même"
"Je t'accompagne"
"Non, reste là. Je reviens", j'abdiquais après son baiser doux sur mes lèvres et je couvais de nouveau Charlie du regard après son départ. Je remarquais justement du mouvement sur le lit et sur les machines peu de temps après. Catherine réagissait au quart de tour, je la voyais se relever vivement et se pencher vers lui. Je mourrais d'envie de courir à son chevet aussi mais je m'efforçais de rester à ma place pour ne pas créer d'incident diplomatique.
"Amour. Tu es réveillé ?", Catherine s'adressait à lui avec beaucoup de tendresse et j'étais comme elle suspendue aux lèvres de Charlie.
"Mmh...Mia", et mes yeux s'écarquillaient de surprise en entendant cette réponse de Charlie. J'étais sous le choc mais ma réaction n'était rien à côté de celle de Catherine. Elle pâlissait à vue d'œil, elle se décomposait et mes pensées défilaient à la même vitesse que les siennes. La situation était tout à fait embarrassante voire catastrophique. Je priais pour qu'il ne s'agisse pas d'une manifestation de son subconscient mais pour que Charlie soit simplement désorienté . Il n'arrivait pas encore à ouvrir les yeux mais je le voyais avaler sa salive et recueillir ses forces pour parler de nouveau après ses premières paroles.
"Chérie…passe moi mon téléphone...je dois appeler Mia", je poussais un très long soupir de soulagement car Charlie ne l'avait pas confondu avec moi. Il semblait avoir les idées très claires et je voyais Catherine passer par toutes les couleurs de l'arc en ciel également. Elle relevait la tête vers moi ensuite en me regardant avec curiosité. Je lui rendais le même air d'incompréhension à cette requête surprenante de Charlie et je me dépêchais de manifester ma présence. Je me relevais et me rapprochais du lit en posant ma main brièvement sur le bras de Charlie pour lui faire remarquer ma présence.
"Je suis là, Charlie. Qu'est-ce qu'il y a ?", son soupir de soulagement au même moment me perturbait et je le voyais enfin ouvrir les yeux. Il me regardait, sans prêter la moindre attention à Catherine et il balayait la chambre du regard. Je le sentais pris par un nouveau sentiment d'urgence que je ne comprenais pas.
"Où est Harry ?", Catherine l'aidait au même moment à se relever, je lui tendais un oreiller pour lui permettre de l'installer plus confortablement et j'avais mal au cœur d'entendre ses gémissements de douleur.
"A la cafeteria. Il revient", il avait l'air clairement soulagé de ma réponse une nouvelle fois et j'étais toujours aussi interloquée.
"Je t'écoute ? Qu'est-ce que tu voulais me dire ?", j'étais suspendue à ses lèvres mais Tom nous coupait la parole.
"Avant ça, est-ce que tu peux juste me dire si tu as reconnu ce type ? Est-ce que c'est un des hommes dont tu m'as parlé cette semaine ?", je restais droite devant son lit, j'attendais impatiemment la réponse de Charlie mais il restait muet.
"Tu te souviens de quelque chose ?", Catherine essayait la méthode douce pour l'inciter à parler. Il la regardait un très bref instant et il reposait ses yeux sur moi avec insistance.
"Charlie ? C'était qui ?", c'était au tour de Tom d'intervenir un peu plus brutalement mais Charlie s'obstinait dans son mutisme.
Je le voyais fermer les yeux douloureusement et je comprenais qu'il était lucide, qu'il entendait très bien les questions mais qu'il refusait juste de répondre. Et il s'y refusait en me fixant, moi. Il refusait avec un regard empreint d'inquiétude et de compassion à mon attention. Je connaissais ce regard et je sentais mes tripes se tordre d'appréhension en reliant les wagons. Je repensais à mes derniers déboires, à sa liste d'ennemi, à son sentiment d'urgence au réveil, à ses airs préoccupés et à sa façon très anormale de chercher après moi et Harry. Je commençais à avoir entrevoir clairement la réponse quand je voyais Charlie mobiliser son courage, répondre à Tom en confirmant au passage toutes mes craintes.
"L'ex de Mia…", j'étais incapable de retenir ma réaction d'horreur à cette révélation. Mes jambes s'écroulaient à l'annonce et Tom réagissait rapidement en venant jusqu'à moi et en me soutenant pour me guider vers le canapé. Tom m'obligeait à trouver refuge dans son cou et c'est à ce moment là que je me laissais submerger par un torrent de larmes silencieux et incontrôlable. J'étais incapable de les retenir, j'étais juste capable de me mordre les lèvres pour étouffer les bruits. J'encaissais violemment l'information. Adrien était de retour et il venait d'envoyer Charlie à l'hôpital.
"L'ex de Mia ? Pourquoi est-ce qu'il s'en prendrait à toi ?"
"Je t'expliquerai plus tard, chérie...", j'étais véritablement six pieds sous terre après cet échange à peine perceptible entre Charlie et Catherine. Je sentais la honte s'ajouter à la liste des tourments que je ressentais en ce moment en comprenant que j'avais passé une heure à réconforter Catherine alors que j'étais la seule responsable de la situation. Et je bénissais Tom en ce moment. Je m'accrochais à lui désespérément, je cachais toutes mes émotions avec pudeur contre lui en cachant mon visage à Charlie et Catherine et j'essayais de me concentrer sur ses paroles pour reprendre pied en continuant de fuir leurs regards.
"Calme-toi, ma belle…", je sentais les gestes de réconfort inlassables de Tom, j'entendais ses directives très faibles à mon oreille. Il mesurait très bien ma situation en ce moment. Il sentait mon corps trembler et mes larmes dans son cou. J'essayais de suivre ses directives, je fermais les yeux et j'essayais de reprendre pied. Il me laissait le temps pendant qu'il me gardait dans ses bras et qu'il continuait de questionner Charlie.
"Tu es sûr d'avoir reconnu Adrien ?"
"Certain. C'était lui..Attends..Comment est-ce que tu connais son prénom ?", Tom marquait une pause et il déduisait de mon mutisme que je lui donnais carte blanche pour dire la vérité à Charlie.
"Parce qu'il s'est remis à harceler Mia. Je suis à sa recherche depuis trois semaines", et je subissais péniblement ensuite la réaction immédiate et très vive de Charlie.
"TROIS SEMAINES ? Mia ?! Pourquoi...est-ce que tu n'es pas venue m'en parler ?", les mots étaient coincés, j'étais encore sous le choc mais je reniflais et j'inspirais profondément. Je trouvais le courage de quitter les bras de Tom et de répondre à Charlie en faisant un effort surhumain.
"Parce que ce ne sont plus tes problèmes", je le pensais sincèrement et j'étais remuée de voir Charlie me répondre avec une voix particulièrement abattue et grave.
"Ce ne sont plus...Comment est-ce que tu peux dire ça ? Je serais toujours concerné. Par toi, Harry et Théo. Tu le sais très bien. Dis moi que tu en as au moins parlé à Harry ?", je restais silencieuse et je baissais les yeux en retour pour lui faire comprendre que ce n'était pas le cas...
"Seigneur...Tu es complètement inconsciente...", et mes nerfs cédaient de nouveau, je me remettais à craquer sans avoir le temps de cacher mes larmes derrière Tom cette fois, à ces paroles beaucoup trop culpabilisantes de Charlie. Il le notait et j'entendais à peine sa tentative de rattrapage.
"Ce n'est pas ce que je voulais dire...", je me contentais d'ignorer Charlie et de me tourner de nouveau vers Tom.
"J'aurai dû t'écouter...Ça ne serait jamais arrivé si je t'avais écouté...", je pensais à ses dernières directives. Il avait tellement insisté pour que je le dise à Charlie et Harry. Je levais les yeux au ciel, je gémissais de tristesse et de culpabilité, j'étais inconsolable mais Tom s'approchait de moi. Il m'obligeait à le regarder et je buvais ses paroles.
"Ce cinglé aurait trouvé un moyen malgré tout. Mais après ce qu'il vient de faire à Charlie, il n'aura plus aucune chance d'éviter la prison. Je vais le coffrer et tu n'en entendras plus parler, d'accord ?", j'essayais de me raccrocher à ses paroles, j'essayais de respirer profondément et de me calmer en regardant de nouveau Charlie qui venait d'échapper au pire à cause de moi et de ma vie chaotique.
"Raconte-moi en détail ce qu'il s'est passé", cette question de Tom me faisait l'effet d'un électrochoc ensuite. Elle me remettait les idées en place. Je me faisais définitivement violence pour reprendre le contrôle car c'était Charlie qui était à l'hôpital avec ces blessures. Pas moi. Je n'avais pas le droit de pleurer, il fallait que je me ressaisisse et j'y arrivais très vite après cette prise de conscience et une fois le choc passé.
Je décidais donc de quitter les bras de Tom. Je me relevais avec la force qu'il me restait dans les jambes, je fixais l'horizon à travers la vitre, je me concentrais pour retrouver mon masque des grands jours et je les écoutais d'une oreille très attentive.
"Il a débarqué à l'appartement avec l'arme à la main. C'était lui pour la moto et l'appartement. Le ton est monté. Disons qu'Adrien avait des comptes à régler avec moi..."
"Tu n'es pas obligé de parler en langage codé. Je suis au courant pour votre expédition punitive inconsciente et débile avec Harry...Et ensuite ?", je voyais en coin de l'œil Charlie gober les mouches à cette mise au point de Tom mais je le voyais obéir et continuer en comprenant avec soulagement que Tom n'avait pas l'intention de le menotter pour ça.
"Il n'a fait que de parler de Harry et Mia...Ça n'avait ni queue ni tête. Il disait aussi que sa visite était un moyen de dissuader Mia de l'ignorer", je me mordais les lèvres à sang et je fermais les yeux péniblement parce que j'avais effectivement bloqué le numéro d'Adrien le weekend dernier malgré les directives de Tom car j'avais eu trop peur que Harry tombe sur un de ses messages. Adrien l'avait simplement deviné. Tout était véritablement de ma faute et je me retournais péniblement en sentant Tom tapoter mon bras avec un air renfrogné et autoritaire.
"Ton téléphone", j'obéissais docilement en le retirant de ma poche et en lui passant. Je devinais qu'il était en train de débloquer le numéro car j'entendais un flot effrayant de notifications à retardement après ça. Tom était en train de rattraper le fil silencieusement et je le laissais faire pendant des minutes interminables sans y prêter attention. Je ne voulais pas les lire, je ne voulais pas savoir, surtout pas maintenant.
"Tu ne bloques plus ce numéro à partir d'aujourd'hui...Il y a plus de 200 messages manqués mais lis celui-là", je prenais mon téléphone en tremblant.
Point de vue : Charlie
Tom reprenait le téléphone des mains de Mia après sa lecture et je voyais ses yeux s'inonder à nouveau de larmes. Je la voyais trembler encore plus que précédemment et je me maudissais de mon handicap. Je mourrais d'envie d'aller près d'elle mais j'étais incapable de quitter ce lit. J'étais complètement impuissant mais Tom prenait le relais encore une fois et avec beaucoup d'affection. Il essayait tant bien que mal et je le regardais avec insistance en tendant ma main valide. Il acceptait de me donner le téléphone de Mia et je me figeais en lisant le contenu du message en question.
"Je t'avais prévenu et tu aurais pu éviter ça. Reste joignable à l'avenir, s'il te plaît. Ne t'inquiète pas pour Charlie, on est quitte maintenant. Par contre, arrête définitivement avec Harry si tu ne veux pas que je vide mon chargeur dans la tête de ton beau brun la prochaine fois", j'étais interdit et chamboulé également par cette dernière menace glaçante contre Harry et j'étais révolté de savoir qu'il avait osé revenir dans sa vie malgré tout ce que j'avais mis en œuvre pour l'en dissuader. Il revenait et il la torturait en s'en prenant à moi et en menaçant de la pire manière Harry.
J'en étais là de mes réflexions quand je sentais Catherine remuer à côté de moi. Elle faisait tous les efforts pour retenir ses questions et ne pas nous interrompre alors je lui laissais aussi l'occasion de lire ce message pour lui permettre de comprendre un peu plus la situation.
"Cet homme est fou…", Catherine était incapable de retenir cette réaction. J'espérais que Mia ne se formaliserait pas mais elle l'entendait à peine et Tom reprenait après ça à notre attention à tous.
"Adrien est clairement en train de perdre son sang froid. Il va falloir calmer le jeu jusqu'à ce que je lui mette la main dessus. Avec un peu de chance sa dernière sortie va me permettre de remonter jusqu'à lui maintenant", Mia ne réagissait pas. Elle avait de nouveau le visage tourné vers la vitre et j'intervenais face à son nouveau mutisme.
"Qu'est-ce que tu entends par calmer le jeu ?"
"Mia doit arrêter les tournages"
"Quel est le rapport ?"
"La situation s'est aggravée depuis sa surmédiatisation. Adrien a vrillé depuis le succès de Thanksgiving. Ses nombreuses apparitions sont en train d'alimenter ses névroses", mais je réfléchissais et j'intervenais de nouveau pour m'opposer à son point de vue.
"Le travail de Mia n'a rien à voir avec ça. Elle s'est mise en couple avec Harry à Thanksgiving. C'est ce qui explique le comportement d'Adrien et rien d'autre. Elle ne peut pas arrêter les tournages avec tous les projets en cours. Ce serait la mort du studio", je prenais à cœur mon rôle d'avocat. Je bataillais contre l'idée de Tom car j'étais plus que bien placé pour savoir tout ce qui était en cours et tout le cœur qu'y mettait Mia.
"Tu préfères la mort de ton pote Harry ? Adrien est sérieux et dangereux. Regarde où tu es aujourd'hui, Charlie. Le studio n'est plus votre priorité. Plus maintenant...Mia ? Il faut que tu te fasses oublier", j'étais soufflé par sa réplique et je tournais aussi la tête vers elle et je la voyais hocher la tête positivement. Elle approuvait docilement et simplement et je fulminais de colère à sa place. J'étais révolté pour elle parce que ce studio était sa plus grande fierté. C'était la seule chose positive qu'elle retenait de Londres et elle devait y renoncer aujourd'hui à cause d'Adrien. Elle devait le sacrifier, cela voulait dire aussi qu'elle devait abandonner le deuxième studio. Adrien allait bouleverser tous ses plans et ce retour à Paris qui la rendait si heureuse. J'étais définitivement hors de moi mais j'écoutais Tom poursuivre.
"Sage décision. Et tu vas mettre Harry dans la confidence aussi", je ne trouvais rien à redire sur cette partie là mais Mia s'indignait cette fois et avec fermeté.
"Hors de question", j'étais sidéré par son refus et je me dépêchais de la contredire avec fermeté.
"Tu vas tout avouer à Harry, si tu ne veux pas que je le fasse à ta place", et j'entendais Tom surenchérir.
"Il doit savoir et prendre ses distances le temps que j'attrape Adrien", je tiquais à cet argument surprenant de Tom.
"Prendre ses distances ? C'est une blague ? Qui la protège s'il fait ça ?"
"Sam et moi. C'est notre travail, Charlie et celui de la justice. Même si tu as l'air de l'avoir oublié", je notais le pic à mon attention pour me sermonner à propos de notre expédition punitive. Je ne m'en formalisais pas, je me concentrais sur le fond de sa réponse et j'étais moyennement satisfait de sa proposition. Je le rejoignais sur la nécessité de protéger Harry mais je n'étais pas à l'aise à l'idée de la laisser seule chez elle avec Adrien dans la nature.
"Personne ne va rien dire à Harry. Il ne me lâcherait plus d'un millimètre. Je t'ai déjà longuement expliqué tout ça. Si ton objectif est de le tenir à distance, il ne doit pas savoir", je voyais Tom s'agacer puis abdiquer au nouvel argument de Mia.
"Très bien. Alors trouve une autre idée "
"Je peux essayer une excuse avec le travail mais ça ne tiendrai pas éternellement. Tu dois te dépêcher de le trouver", je me concentrais aussi de mon côté pour aider. J'essayais de me mettre dans la peau de Harry et j'avais une autre proposition à soumettre à Mia.
"Ou tu dis sinon à Harry que tu as besoin d'un break", je la voyais se figer à mon idée. Elle la détestait visiblement et je la détestais aussi et je détestais encore plus de savoir que Adrien était sur le point d'arriver à ses fins, en l'éloignant de Harry, au pire moment.
"Non"
"C'est la meilleure idée pour donner à Tom le temps nécessaire aux recherches et pour calmer Adrien"
"Ça ne tient pas la route. Ça n'aurait ni queue ni tête"
"Si. Ça tient la route. Tu lui dis que tu as besoin d'air pour réfléchir"
"Mais tout va très bien, Charlie ! Tout va parfaitement bien ! Je n'ai pas besoin d'air pour réfléchir ! Harry ne croira jamais à ça, ça n'aurait aucun sens, ton idée est stupide"
"Il me l'a dit, Mia. Il est tétanisé à l'idée que tu te mettes à le fuir. C'est ce que tu fais toujours avec les hommes quand les choses deviennent sérieuses donc c'est ton moyen le plus crédible de le tenir à distance ...", Mia était bloquée sur mon aveu mais Tom s'impatientait de nos échanges stériles.
"Tu dis ce que tu veux mais tu fais plaisir à Adrien. Tu m'écoutes cette fois et sans discussion", je continuais de fixer Mia en essayant de lire sur son visage sa décision. Son cerveau était en ébullition, je le voyais d'ici.
"Ou je vais l'appeler et lui donner rendez-vous une bonne fois pour toute", j'étais sidéré, je la fixais comme un fantôme mais je devinais à ses traits qu'elle était très sérieuse. Je ressentais une angoisse fulgurante sur le moment en repensant au dépôt de plainte que j'avais eu entre les mains il y a quelques mois.
"Je te l'interdis", ma réaction fusait avec une autorité qui faisait sursauter Catherine à mes côtés. Je regardais Mia très sévèrement en ce moment mais elle fuyait effrontément.
"Mia ?", je l'obligeais à me regarder et elle le faisait en soupirant mais en soutenant mon regard avec insolence.
"Tu ne serviras pas d'appât à ce timbré. Tu ne t'approches plus jamais de lui", je ne pouvais pas être plus ferme et clair mais Mia n'était pas intimidée. Je détestais cette lueur de rébellion très familière dans son regard.
"Ce n'est pas une si mauvaise idée. Je vais y réfléchir...", j'avais envie de coller mon poing à la figure de Tom à cette intervention surprenante et je serrais les dents à m'en déboîter ma mâchoire en entendant l'obstination de Mia.
"Réfléchir à quoi, Tom ? Ce n'est pas Al Qaida. Je lui donne rendez-vous, tu te pointes et tu l'embarques c'est aussi simple que ça. Adrien ne résistera pas à l'envie de me voir, il attend ça depuis des années", je détestais définitivement la tournure que prenait cette conversation. J'avais vu de mes yeux la dernière folie d'Adrien et il était impensable qu'il se retrouve de nouveau face à Mia.
"Vous oubliez ça tous les deux. C'est un plan stupide et dangereux. Harry serait définitivement d'accord av...", et je me taisais brusquement en voyant la porte s'ouvrir sur Harry. Tout le monde se taisait au même moment. Mia se dépêchait de se redresser et de se ressaisir et je voyais Harry s'approcher de moi avec un sourire bienveillant qui dénotait terriblement avec l'ambiance générale précédente.
"Ah ! Tu es réveillé ! Putain, tu nous a foutu la frousse", je recevais sa tape amicale et prudente sur ma jambe pendant qu'il s'asseyait doucement sur le rebord du lit.
"Qui est le connard qui a osé te faire ça ? Dis moi que j'aille lui faire regretter ça. Il n'y a que moi qui ait le droit de te foutre ta raclée", j'aurai dû faire l'effort de sourire a minima à son trait d'humour mais j'étais sous pression.
J'étais plus que tendu par notre précédent échange et je sentais le regard intense et suppliant de Mia après cette question de Harry. Je réfléchissais à toute vitesse. Mon instinct me disait de ne pas céder mais je pesais les arguments. J'aurai pu tout révéler à Harry mais cette information avait le potentiel de le rendre fou. Je repensais à ses derniers coups de sang, je repensais à la menace d'Adrien, à cette lueur de folie dans son regard à mon appartement et c'était la dernière chose à faire s'il était question de calmer le jeu comme le disait Tom. Je n'avais pas beaucoup de choix si je voulais éviter l'affrontement et protéger Harry. Mais j'avais aussi besoin de savoir Mia en sécurité et je ne savais pas si je pouvais me fier à Tom pour ça. Alors je mesurais le risque. La menaçante imminente était sur Harry au vue des derniers messages de Adrien et c'était le métier de Tom d'assurer les arrières de Mia. Ils avaient l'air amis en plus de cela alors j'étais tenté de lui faire confiance. Mais surtout je faisais encore confiance au jugement de Mia qui avait toujours été des meilleurs conseils dans les pires situations. C'était elle qui avait pris toutes les décisions qui nous avaient permise de survivre à ce naufrage donc aujourd'hui encore, je décidais de lui faire confiance. Je tranchais dans l'urgence, sans grande conviction.
"Un connard qui n'a pas apprécié son séjour en prison. Les risques du métier...", et j'arrivais à lui rendre un sourire faux.
"Alors j'espère que tu t'es gavé au moins sur les honoraires…", je riais faussement à sa blague et je le faisais en croisant le regard infiniment reconnaissant de Mia. Elle se dépêchait ensuite de se tourner contre la vitre pour cacher ses émotions à Harry.
De mon côté, je regrettais déjà mon mensonge. J'étais dans une situation pourrie. Je venais à peine de me réconcilier avec lui et je sautais à pieds joints dans un plus grand bourbier. Je savais qu'il n'existait aucune trahison plus grave que de le tenir à l'écart de la sécurité de Mia. J'aurai sûrement couru moins de risque en essayant de coucher avec elle. J'étais donc réduit à ce mensonge terrible avec lui alors qu'il m'avait fait confiance le premier concernant Adrien. J'avais géré ce sujet avec lui la première fois et je l'évinçais aujourd'hui au moment le plus critique et le plus grave. Je me confortais autant que possible en me répétant que je prenais cette décision pour le protéger. J'étais prêt à affronter sa colère si cette décision venait de lui sauver la vie.
