Point de vue : Harry
Encore un nouveau réveil. Le 10ème. Avec toujours ce même moment de torture et d'agonie en tournant la tête à ma droite dans l'espoir de la trouver endormie à mes côtés et en découvrant en lieu et place le vide sidéral. C'est réel, ce n'est pas un cauchemar mais ma vie et mon nouveau drame, le plus terrible de tous, depuis dix jours interminables. Encore un matin donc, à devoir trouver la force de quitter ce lit pour affronter une énième journée au poste de police et aller droit vers de faux espoirs avec Tom. Une nouvelle journée à devoir affronter les regards compatissants de Théo et Charlie au déjeuner et à devoir résumer à Pierre et Monica l'immobilisme complet des recherches. Encore ce même goût amer en bouche, encore cette même souffrance mais j'y arrive encore parce qu'il reste de l'espoir tant que personne n'a retrouvé son corps dans un sous-bois sordide.
Je me retrouve donc de nouveau ce matin à soupirer, à me lever mécaniquement, à m'infliger une douche glacée pour me bousculer. J'y arrivais encore miraculeusement et j'étais prêt au départ pour le poste de police à consulter mécaniquement mon téléphone quand je constatais un appel manqué, d'un numéro inconnu, à 2 heures du matin. Je me retrouvais à porter le téléphone à mon oreille de la façon la plus banale qui soit pour écouter le message vocal.
"Harry...C'est moi...", les mots sont murmurés, la voix est presque impossible à discerner mais je m'effondre de soulagement en entendant enfin sa voix pour la toute première fois en dix jours. Je n'ai plus rien suivi du message après ça, parce que j'étais trop bloqué dans mon émotion. Et je me suis maintenu dans cet état un temps indéfinissable jusqu'à ce que mon cerveau se reconnecte et que je me décide à sécher mes larmes, à reprendre mes esprits pour réécouter attentivement le contenu de ce message vocal de Mia.
"Ne rappelle surtout pas ce numéro. Adrien nous a amené dans un chalet en forêt. Dis à Tom de chercher dans un rayon d'une heure en voiture autour du 25 rue Privet drive, à Glasgow. Je crois qu'Adrien a été faire les courses là-bas aujourd'hui. J'ai trouvé un ticket de caisse à 15h23…..Je dois raccrocher. Faites vite, on change régulièrement d'endroit...Je vais bien...Je t'aime", et je me retrouvais à fermer les yeux de bonheur au terme de ma première écoute, puis de la deuxième et de la dixième, en me raccrochant à ses derniers mots au pouvoir salvateur redoutable. Elle venait de me le dire, de me l'avouer dans les pires conditions, après des mois à en rêver. Mia venait d'avouer à la hâte mais avec sincérité qu'elle était amoureuse de moi. C'était infiniment bon de l'entendre, de l'apprendre mais pas autant que d'entendre ses trois précédents mots : "Je vais bien". Je n'aurai jamais pensé un jour que ces trois mots d'une terrible banalité me feraient beaucoup plus de bien que sa déclaration d'amour.
Mais je n'avais pas vraiment le temps d'apprécier dans ce contexte. Je réalisais rapidement que le message de Mia remontait à cette nuit et je pestais maintenant de colère en réalisant que je venais de perdre 7 heures d'action. Je me dépêchais donc de partir avec la ferme intention de rattraper le retard et de courir vers Tom pour lui transmettre ces informations plus que précieuses de Mia.
Elle était à Glasgow. Cette ville à plus de 6 heures de route de Londres qui n'était absolument pas dans le périmètre de recherche de la police. J'aurai pu attendre des jours, des semaines ou des années sans que la police ne s'approche un tant soit peu de Mia.
En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, j'arrivais donc à moto devant le domicile de Tom, je me retrouvais à tambouriner comme un forcené à sa porte et à le regarder ouvrir avec son air endormi et mécontent de me trouver à sa porte de si bonne heure et dans un tel état d'agitation.
"Qu'est-ce que tu fais là ?"
"Mia m'a laissé un message cette nuit", et je le regardais comme moi passer par toutes les émotions, s'agiter et ressusciter face à ce nouvel espoir en me faisant entrer et en découvrant à son tour son message.
En moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, je me retrouvais au commissariat à écouter le brief de Tom dans la salle de réunion, en présence de ses "hommes".
"Interdiction totale d'en parler à qui que ce soit. Je veux une discrétion absolue. On ne doit pas perdre l'effet de surprise. Sous aucun prétexte. Personne n'en parle. Est-ce que c'est clair ?", je comprenais au regard insistant de Tom que la directive s'appliquait à moi aussi mais ça ne m'était même pas passé par la tête. L'idée de communiquer l'information à ses parents, à Charlie, Théo et le reste de nos amis était encore le cadet de mes soucis alors j'intégrais l'ordre avec beaucoup de docilité parce que la vie de Mia en dépendait clairement. Cette information ne devait sous aucun prétexte fuiter dans la presse ou arriver aux oreilles de Adrien. Tom s'appliquait en ce moment à passer le message avec la plus grande fermeté à son équipe et il pouvait compter sur moi pour éventrer le premier qui oserait braver la directive.
Je me sentais complètement inutile après ça, à regarder la police s'agiter, se passer en boucle le message vocal, répartir les tâches et avoir enfin une piste sérieuse à creuser. C'était beaucoup trop beau d'avoir enfin un fil sur lequel tirer, c'était le début d'un tout nouvel espoir. Nous reprenions enfin l'avantage sur Adrien, grâce à Mia, qui venait de réussir par je ne sais quel miracle à échapper à sa vigilance, à recueillir ses précieuses informations et à nous les communiquer. Ça m'en disait long sur son état en ce moment. Je me reposais sur ça pour croire en ses paroles rassurantes. Elle avait toute sa lucidité et toute sa ruse donc elle allait forcément bien. Autant que possible en tout cas dans sa situation et suffisamment pour réussir à duper Adrien et à livrer sur un plateau à la police sa première véritable piste.
J'en étais là de mes pensées quand j'entendais Tom échanger par téléphone avec une équipe de police locale. Je devinais à son ton et à son niveau d'excitation qu'il tenait enfin quelque chose. Et effectivement, au risque que cela soit trop beau pour être vrai, l'équipe locale venait de retrouver le supermarché décrit par Mia et de visionner les images de la vidéosurveillance. J'étais comme Tom suspendu au téléphone dans l'attente de chaque confirmation et l'enchaînement qui se produisait dans l'heure faisait monter mon adrénaline à un niveau insupportable : la police avait bien aperçu Adrien sur cette vidéo, elle venait d'identifier son véhicule, de confirmer une direction et de délimiter un tout nouveau périmètre de recherche grâce aux indications décisives de Mia.
Mais Glasgow était encore beaucoup trop loin et je me retrouvais comme Tom, complètement impuissant à distance et suspendu aux rapports périodiques de ses collègues, à taper du pied nerveusement et à ne plus tenir en place dans l'attente de la suite des opérations. J'en étais à mourir d'impatience quand je voyais Judith revenir enfin dans le bureau.
"L'hélico vient d'arriver. On peut y aller", dieu merci, j'allais enfin pouvoir me rapprocher d'elle et être au cœur de l'action. Ce moyen de transport rapprochait les distances mais le trajet était toujours trop long à mon goût. Je passais ce temps pour penser à Mia et je me retrouvais, pour la première fois en dix jours, à croire sincèrement au fait que je pourrais la serrer de nouveau dans mes bras avant la fin de cette journée mais je n'avais toujours pas eu le bonheur ni le plaisir de dormir contre Mia cette nuit. J'avais quitté en trombe ma chambre à l'aube ensuite pour suivre de nouveau en temps réel la reprise des opérations et je sentais cette nouvelle pointe d'adrénaline à 14h en entendant un des agents entrer subitement au sein du bureau.
"Inspecteur ? Il ne reste plus que trois maisons par élimination..."
"Laquelle en priorité ?"
"Impossible de le dire", et je regardais Tom se figer et réfléchir à toute vitesse à cette affirmation.
"Très bien alors prépare un assaut simultanée sur les 3", et j'étais aussi excité qu'effrayé à cette directive déterminée de Tom et mon agitation s'aggravait au fil des minutes en l'écoutant échanger avec le chef d'opération.
Mia avait toutes les chances d'être dans une de ces maisons et je passais au crible les trois équipes militarisées qui défilaient sous mes yeux et se présentaient tour à tour devant Tom avant leur déploiement. Je ne manquais pas une miette des échanges ni du regard déterminé et imperturbable de ces hommes qui avaient pour seule mission de me ramener Mia saine et sauve. J'étais aussi impressionné que tétanisé en prenant la pleine mesure du danger que représentait cet assaut.
"On va suivre l'équipe B toi et moi", j'étais tiré de mes pensées par Tom qui m'adressait enfin la parole directement.
"Pourquoi la B ?"
"L'instinct...", aucun doute sur le fait que Tom naviguait encore à vue mais je suivais le mouvement en suivant son instinct et j'essayais de ne pas me démotiver puisque 3 possibilités, c'était déjà bien mieux que les 0 d'hier. Je me dépêchais donc de m'engouffrer dans le fourgon de l'équipe B en compagnie de Tom pour suivre les opérations à distance grâce aux vidéos et micros emportés par les équipes d'intervention.
"Alpha, Bravo, Charlie : en position", et j'étais plus tendu que jamais les minutes précédant l'assaut. J'étais tétanisé, paralysé, angoissé mais aussi survolté. J'étais complètement submergé par l'adrénaline au point de douter même de mes capacités de résistance sous l'ampleur de ce stress. Tom n'en menait pas large non plus à mes côtés.
