Point de vue : Harry

"Alpha, Bravo, Charlie ? Du mouvement ?", je voyais Tom cesser de respirer et de bouger comme moi pour ne pas manquer une miette des sons et des images captées en direct par les équipes. Je les scrutais aussi mais je ne voyais aucune trace de Mia ni d'Adrien. Je ne constatais de manière générale aucune âme qui vive dans ces trois maisons et j'entendais au même moment les équipes le confirmer tour à tour. J'étais muet, déçu et retourné quand Tom se décidait à réagir.

"Suis-moi", et je me contentais de le suivre mécaniquement malgré ce terrible coup de massue. Je quittais le fourgon et j'entrais à pas désespéré dans cette maison en sachant désormais que je n'y trouverai pas Mia.

"Pourquoi est-ce qu'on perd notre temps ici ? On ne devrait pas être déjà en train de chercher ailleurs ?"

"On doit d'abord s'assurer qu'elle n'était pas là", et je me contentais donc à ce stade de regarder Tom avancer avec détermination et énergie dans chaque pièce. Je le regardais balayer les chambres puis la salle de bain en retournant tout méthodiquement sur son passage pour trouver de quelconques effets personnels ou signes de vie. Il n'y avait absolument rien de concluant mais Tom s'acharnait et je continuais de le suivre sans entrain en cuisine. Je le regardais platement ouvrir un puis deux placards mais je fronçais les sourcils et sortait brutalement de ma torpeur en voyant les premiers contenus de ces meubles et en me jetant à mon tour sur ces placards.

"C'est tout ce qu'elle déjeune le matin...", j'étais particulièrement bouleversé de ma découverte mais je voyais à contrario Tom me contredire.

"Moi aussi donc ça ne veut rien dire", il était catégorique mais je décidais toutefois de l'ignorer et de suivre mon instinct qui était en code rouge au fur et à mesure de mes observations. Je continuais, avec une toute nouvelle énergie, en ouvrant le frigo, en inspectant un à un ce qu'il contenait et en me figeant définitivement en ouvrant un des tupperware rangé soigneusement sur la première étagère.

J'avais les yeux posés religieusement sur ce plat encore tiède puis sur ce plan de travail encore enfariné. Je me dirigeais vers un tiroir pour en sortir une fourchette et je me concentrais pour porter une cuillère à ma bouche malgré mon manque total d'appétit. Et je sentais de nouveau la situation m'échapper, j'essayais de contenir le mieux que possible toute ma frustration et ma colère. Je levais simplement les yeux au ciel pour retenir mes larmes car je comprenais à l'instant T à quel point je venais de passer à côté d'elle.

"Quoi ?"

"C'est elle qui les a cuisiné…"

"Ce sont des raviolis à la tomate. Il n'y a rien de plus banal"

"Non...Pas ceux-là. C'est la recette de sa mère…", mais je voyais très bien que Tom était encore sceptique, il ne me prenait absolument pas au sérieux et devait croire que j'étais en train de m'accrocher au moindre espoir mais je l'ignorais, encore, en balayant de nouveau la pièce des yeux et en la regardant cette fois avec un œil neuf et sentinelle. Je constatais comme la pièce était incroyablement bien rangée à l'exception de cette mallette de poker sur la table du salon qui retenait désormais toute mon attention. Je m'y dirigeais et je faisais part de mes déductions à Tom.

"Ça non plus ce n'est pas une coïncidence...",

"Pourquoi ?"

"Mia adore jouer au poker. C'est forcément elle qui l'a posé là", j'avais conscience que cette découverte n'apportait strictement rien aux recherches. Je ne savais pas quoi en faire et Tom reprenait le raisonnement pour moi en me voyant peiner.

"Jouer aux cartes, se préparer des déjeuners copieux et cuisiner des pâtes ? Ce ne sont pas les activités habituelles d'une captive…Ça n'a pas de sens Harry"

"Elle a confirmé sur son message qu'elle allait bien..."

"Peut-être mais il est possible qu'elle ait dit ça uniquement pour te rassurer. Et quand bien même, il y a un monde entre aller bien et mener la belle vie", et je gardais le silence, fortement contrarié par ces paroles très sensées de Tom. J'imaginais en effet le pire pour Mia depuis 11 jours. Si ce n'était pas la mort, je n'avais eu aucun espoir qu'Adrien la traite correctement et encore moins aussi bien après sa dernière trahison mais c'était forcément elle. La mallette de poker, passons, mais j'étais sûr de moi pour ce plat de pâtes pour avoir passé des années à l'accompagner dans ces restaurants italiens. J'aurai reconnu cette recette parmi mille, je reconnaissais sans l'ombre d'un doute cette recette que je l'avais vu encore reproduire il y a quelques semaines à notre dernier repas de famille. Donc ça ne pouvait être qu'elle et c'est ce qu'elle avait certainement cherché à faire : me confirmer sa présence mais je me creusais encore plus les méninges en découvrant ce jeu de mémoire accolé à la mallette de façon très soignée. Je réfléchissais péniblement pour tenter d'y lire un sens caché parce que Mia n'avait jamais vraiment aimé ce jeu là. Il l'ennuyait à la mort alors ça n'avait pas de sens. Mais elle était plus que maligne alors il y avait forcément un sens à tout ça que je ne comprenais pas encore. Malgré toute ma bonne volonté, je n'y arrivais pas. Les premières minutes du moins. Puis ma respiration se coupait ensuite, en devinant, en déduisant, en supposant une théorie que je trouvais complètement délirante avant même de l'avoir verbalisé.

"Elle est en train de bluffer..."

"Quoi ?", je tirais Tom de ses rêveries avec cette phrase.

"Elle fait croire à Adrien qu'elle a perdu la mémoire...C'est forcément ça…"

"Hein ?", je voyais Tom me fixer comme un timbré au même moment mais je ne me laissais pas démonter.

"Elle fait croire à Adrien qu'elle est amnésique !"

"...Ok là c'est complètement tiré par les cheveux"

"Comment tu expliques qu'elle s'en sorte aussi bien ? Adrien était en furie, elle a essayé de l'envoyer en prison, Tom. Elle savait qu'elle était dans une merde monstrueuse à son réveil..."

"Adrien est loin d'être aussi stupide"

"Oui mais c'est une situation plausible. Mia était en sang... Il l'a déjà mise dans le coma. L'amnésie est complètement crédible après un coup pareil sur la tête. Elle est en train de lui servir son rêve sur un plateau en lui laissant croire qu'il a enfin droit à une seconde chance avec elle...Poker et jeu de mémoire, ça ne peut vouloir dire que ça. Et ça expliquerait qu'elle mène la belle vie. C'est beaucoup trop beau et gros pour Adrien...Il a marché à coup sûr..."

"Elle est à huis clos avec lui depuis deux semaines, Harry...Personne ne peut tenir un mensonge aussi gros dans ces conditions de stress"

"Mia est capable de tous les exploits en situation de survie, crois moi...Et c'est une menteuse née. C'est complètement à sa portée"

"Si c'est vrai...C'est surtout extrêmement malin de sa part", je voyais Tom faire un premier pas vers ma théorie, y réfléchir sérieusement, y croire et rire d'admiration pendant que je pâlissais à vue d'œil de mon côté.

"Ou complètement inconscient…Il faut la retrouver. Vite. Avant qu'il ne s'en rende compte. Il ne doit pas pas savoir qu'elle est en train de se payer sa tête…", et ma théorie a rapidement été actée par Tom à défaut d'avoir une meilleure explication.

Je me retrouvais donc de nouveau au centre des opérations de Glasgow à subir une accalmie puis de nouvelles errances de la police. J'étais à bout de nerf et angoissé plus que jamais en pensant à cette stratégie très risqué de Mia. Elle prenait les plus grands risques et je ne pouvais pas m'empêcher d'imaginer le pire. J'imaginais aussi toute la pression qu'elle devait subir depuis deux semaines et les sacrifices qu'elle avait peut-être dû réaliser pour rendre son mensonge crédible. J'avais nettement la nausée face à toutes ces questions sans réponses mais j'essayais de me raccrocher au principal : Mia était forcément bien portante et il était juste question d'avancer plus vite qu'Adrien maintenant mais les jours s'étaient remis à défiler, sans aucune évolution, sans aucun signe de Mia, et au point de retourner à Londres pour reprendre les recherches depuis le commissariat principal.

Mon moral était clairement au plus bas après cet ascenseur émotionnel terrible et ce faux espoir cruel. J'essayais de ne pas penser au fait que Mia pouvait maintenant se trouver à un coin parfaitement opposé au précédent. J'essayais de ne pas penser au fait que nous venions peut-être de laisser filer notre seule chance de la retrouver.

C'était retour à la case départ à Londres donc et ce nouveau déjeuner ce midi en compagnie de Charlie et Théo me le confirmait un peu plus. J'avais hâte ce midi d'écourter pour pouvoir reprendre les recherches avec Tom dans le secret le plus absolu et j'étais particulièrement agacé de les voir se maintenir et rester malgré mes invitations à partir. Je m'ennuyais fermement, je m'impatientais quand je voyais mon téléphone sonner. Et je reconnaissais immédiatement le numéro. C'était celui avec lequel Mia avait cherché à me contacter la première fois et je décrochais à la vitesse éclair pour entendre de nouveau sa voix.

"Salut Harry...", mais ma déception et mon sang ne faisaient qu'un tour en reconnaissant sa voix à lui au lieu de la sienne et je me relevais immédiatement de ma chaise en m'emportant beaucoup trop vivement.

"OU EST-CE QUE TU L'AS AMENÉ, ADRIEN ?", c'était la seule question qui importait et la seule qui m'obsédait. J'étais suspendu au combiné, à sa réponse, après cette nouvelle semaine sans aucun signe de vie de Mia. J'apercevais Tom au même moment se redresser brusquement, m'obliger à passer l'appel en haut parleur et me faire des signes sévères pour m'obliger à baisser d'un ton et faire preuve de plus de contrôle. Ma poussée d'adrénaline était phénoménale et mon dégoût pour Adrien était à un point culminant mais j'essayais malgré tout d'obéir en attendant sa réponse au bout du fil.

"Tu comprends ce que ça fait maintenant d'avoir un connard qui t'empêche de la voir…?", je sentais ma mâchoire se crisper douloureusement, je sentais cette boule de rage au fond de ma gorge mais je la ravalais en voyant Tom me menacer du doigt et me fixer durement pour me dissuader de répondre à la provocation.

"Où est-ce qu'elle est...?", je faisais tous les efforts du monde pour me contenir, je levais les yeux au ciel en priant cette fois pour entendre la voix d'Adrien et je me forçais à lire les directives de Tom écrites à la hâte sur un papier. Prolonger l'appel. Gagner du temps. Il me demandait le pire : de faire la causette et de rester aimable avec mon pire ennemi mais j'obéissais sagement.

"Ça va beaucoup trop loin, il faut que tu mettes un termes à tout ça, c'est de la folie"

"Elle ne m'aime plus. Elle ne veut plus de moi", je buvais les paroles d'Adrien en me raccrochant à l'usage qu'il venait faire du présent. Cela voulait dire que Mia était toujours là, avec lui, et c'était un début de bonne nouvelle mais je réfléchissais méticuleusement à mes prochains mots pour l'inciter aux aveux.

"Alors lâche l'affaire et dis moi où elle est...", je retenais mon souffle comme jamais en espérant que cette prise de contact d'Adrien sonnait le début de la fin et le début d'une négociation avec nous.

"Elle s'est bien foutue de ma gueule..."

"Elle a eu peur de toi. Elle n'aurait jamais cherché à te nuire il y a trois semaines si tu l'avais laissé en paix et que tu n'avais pas agressé Charlie", je répondais de cette façon volontairement car j'étais convaincu de l'ignorance d'Adrien.

"Wai. Là aussi, elle s'est bien foutue de ma gueule. Mais tu sais bien que je ne parle pas de ça…", j'arrêtais subitement de respirer désormais et je croisais le regard de Tom qui devenait aussi soudainement très inquiet. J'étais en train de me liquéfier en imaginant l'inimaginable mais j'essayais de noyer le poisson en espérant encore une échappatoire.

"Non, de quoi tu parles ?"

"Elle a vraiment un don naturel pour le mensonge...C'était bien joué de sa part…J'y ai vraiment cru mais elle s'est trahie à table sur un détail tellement con..."

"Je ne te suis pas", et je fermais les yeux de peur malgré ma capacité apparente à jouer la comédie avec lui. J'essayais, du mieux que je pouvais malgré le regard particulièrement inquiet de Tom qui achevait de me tétaniser. Je le voyais en effet se décomposer pour la première fois en trois semaines. Ce constat était angoissant et paralysant. Tom était en train de se convaincre que Mia était fichue...

"Je sais qu'elle t'a appelé il y a une semaine et je sais que la police a retrouvé la précédente maison…", je me mordais les lèvres de douleur en ignorant les réactions très vives et interrogatives de Charlie et Théo à mes côtés. J'étais juste suspendu aux prochaines paroles de Adrien, j'attendais simplement douloureusement la suite de son laïus et les conséquences pour Mia.

"J'ai eu très chaud putain...Tu n'es pas passé loin, ça c'est joué à quelques heures près...Et même après ces découvertes, j'ai eu du mal à le croire. Je me suis dit qu'elle ne pouvait pas être aussi insensible...Me faire croire qu'elle est amnésique depuis trois semaines ? Me mentir H24 pour sauver sa peau ?", je posais ma main instinctivement sur le combiné pour qu'Adrien ne devine pas toute mon agitation ni celle de Tom, de Théo et Charlie. Je les voyais tous en train de grimacer et de s'arracher les cheveux, et en particulier Charlie et Théo qui comprenaient désormais parfaitement la gravité de la situation.

"C'était trop tordu et improbable alors je lui ai encore laissé le bénéfice du doute...Je suis sortie quelques minutes, j'ai fait semblant d'oublier de refermer la serrure en rentrant et de dormir sur le canapé. Et..elle a tellement hésité Harry. Ta petite chérie a tellement hésité...Si elle n'avait pas bougé de ce fauteuil, j'aurais peut-être fermé les yeux...Mais elle l'a fait...Cette garce a essayé de se barrer à la première opportunité…", et c'était l'information de trop, la phrase et la confirmation qui me faisaient littéralement tomber au sol d'horreur et de peur. J'étais incapable de retenir mon premier gémissement d'angoisse et Tom se dépêchait de m'arracher le téléphone des mains pour tenter de rattraper cette situation cauchemardesque.

"Adrien ? C'est l'inspecteur Tom Green"

"Inspecteur...Enchanté"

"Dites-nous où est Mia ?"

"Enfermée dans sa chambre...le temps que je décide de sa punition…", je me mordais les lèvres à sang en entendant cette menace franche et froide d'Adrien. Tous mes espoirs reposaient maintenant sur Tom et son expérience.

"Je vous conseille vivement d'abandonner cette idée. On peut encore trouver un accord qui convienne à tout le monde à ce stade"

"Vous voulez dire si je la laisse simplement partir et que je me rends?"

"C'est ça…"

"Mmh...Harry ? Tu es toujours là ? Tu m'entends ?", mais je n'arrivais à sortir aucun son, j'étais paralysé mais Adrien s'impatientait de mon silence.

"Réponds..."

"Oui...Je...t'entends…", les mots sortaient plus que péniblement de ma bouche parce que j'avais une peur bleue et une défiance totale en Adrien.

"Dis à l'inspecteur Green que je le remercie de sa proposition mais je dois la décliner..", je soupirais de douleur et les mots m'arrachaient la bouche mais je le suppliais en désespoir de cause.

"Prends le temps d'y réfléchir...S'il te plaît..."

"Le temps d'y réfléchir ? C'est que m'avait demandé Charlie la dernière fois non ? Il est là d'ailleurs ? Est-ce qu'il est avec toi ?"

"...Oui..."

"Et bien tu diras à Charlie qu'il a vraiment commis une grave erreur de jugement la dernière fois. Je vous laisse maintenant, ça ne m'enchante pas mais je dois faire regretter à Mia très fort son dernier coup de pute...Désolé que tu n'aies pas eu l'opportunité de lui dire adieu correctement mais je n'ai aucun doute sur le fait que ses dernières pensées iront vers toi malgré tout", et je recevais la sentence avec une violence inouïe. Je percevais ensuite encore plus douloureusement le bruit des tonalités et les échecs successifs de Tom pour l'avoir de nouveau au téléphone.

Je me sentais trembler comme une feuille après cette menace ou plutôt cette promesse d'Adrien. Il venait de raccrocher purement et simplement sur ces paroles surréalistes. J'aurais pu crier et exploser le mobilier comme était en train de le faire en ce moment Charlie à côté de moi mais je me sentais complètement hors de mon corps et anesthésié face à l'horreur de la situation. J'avais le regard plus vide que jamais en me repassant en boucle les dernières paroles d'Adrien. Il ne pouvait pas être capable de ça. Il ne pouvait pas être capable de lui faire ça et ça ne pouvait pas m'arriver une deuxième fois. Je n'osais pas y croire mais je savais que je n'avais plus qu'à prier désormais de toute mon âme : tout, par pitié, mais surtout pas Mia...