Point de vue : Harry
Mia est en vie et Adrien est mort. C'était les informations que je me répétais en boucle pendant le trajet en voiture vers l'hôpital de Glasgow en fixant le paysage avec le regard vide. J'avais senti les premières tensions quitter mes épaules en entendant l'équipe médicale l'amener puis les suivantes disparaître en apprenant qu'elle venait de nous débarrasser d'Adrien de la façon la plus radicale et définitive qui soit mais j'étais encore une boule de stress parce que j'avais besoin de la voir et de la tenir dans mes bras pour y croire et laisser définitivement ces trois semaines d'horreur derrière moi. Mais ce trajet était interminable, je fixais la route et le GPS désespérément en attendant l'arrivée quand j'apercevais enfin l'entrée de l'hôpital et me dirigeais au sein du hall à la vitesse éclair.
"La chambre de Mia Gauthier, s'il vous plaît", je sentais au même moment Charlie, Théo et Tom me rattraper difficilement en attendant la réponse de cette employée qui prenait beaucoup trop de temps à mon goût à chercher l'information.
"Elle est aux urgences, au bloc opératoire. Je vais vous demander de patienter en salle d'attente"
"Au bloc opératoire ? Pourquoi ?", j'étais horrifié, je sentais toutes mes tensions revenir parce que ce sang n'était pas supposé être le sien mais celui d'Adrien alors je me décomposais en apprenant son état critique.
"Je n'ai pas encore les détails. Je suis désolée. Je demande au chirurgien de passer vous voir en salle d'attente après l'opération", je soupirais lourdement de frustration à sa réponse en sentant Tom me traîner de force sans me laisser la possibilité de protester ni d'insister. Et je voyais les minutes défiler, puis une demie-heure puis une heure. C'était beaucoup trop long pour être de bonne augure. Je commençais à perdre toute mon assurance et à m'enfoncer dans ce siège quand je voyais l'employée d'accueil se diriger vers nous. Il n'en fallait pas plus pour me faire bondir de ma chaise et je poussais un soupir de soulagement en devinant son sourire rassurant et en entendant les nouvelles positives de Mia.
"L'opération s'est bien passée. Mlle Gauthier est en état stable et en salle de repos"
"Je vous en prie, dites moi où elle est..."
"C'est interdit au visiteur. L'équipe médicale s'occupe encore d'elle. Vous pourrez la voir quand elle sera installée dans sa chambre"
"Quand ?"
"Votre amie est arrivée dans un état grave et la procédure nécessite de faire plusieurs tests et prélèvements. Les infirmières doivent aussi lui donner une toilette. Encore un peu de patience...Il n'y en a plus pour longtemps", je soupirais et je soufflais encore de contrariété en me rasseyant. Les accolades fraternelles de Charlie et Théo n'aidaient pas beaucoup. Elles n'étaient même d'aucune utilité parce que j'avais simplement besoin de Mia. Et j'en étais toujours au même stade et dans le même état de stress et d'impatience deux heures plus tard quand je voyais de nouveau cette employée revenir vers nous.
"Elle est endormie sous sédatif mais vous pouvez y aller. Chambre 31, au 3ème étage", j'entendais à peine Tom la remercier derrière moi. J'étais déjà devant cet ascenseur à marteler le bouton d'appel puis maintenant dans la cage d'escalier, à force d'impatience, à enjamber les marches quatre à quatre et à parcourir ce couloir interminable à la recherche du bon numéro.
Et j'y étais enfin. Devant la chambre 31. J'aurais dû entrer en courant mais je tétanisais devant cette porte. J'essayais de reprendre le contrôle de mon corps mais je n'arrivais pas à faire taire mes angoisses et à calmer mes palpitations. Je fermais les yeux un court instant pour essayer de faire le vide mais cette initiative était aggravante puisque les images de Mia, de la première fois où elle avait fini dans un lit d'hôpital à cause d'Adrien, envahissaient de façon incontrôlable mon esprit. Je me frappais la tête contre cette porte en bloquant ma main sur cette poignée mais je me décidais finalement courageusement à entrer parce que le besoin de la revoir était bien plus fort que la peur de découvrir son état.
La première chose que je percevais en entrant ensuite était le son des moniteurs et le silence de plomb de la pièce. La seconde était Mia. Mia qui avait grâce à dieu le visage aussi intact qu'une poupée de cire, à l'exception de son teint blafard et de ses lèvres gercées par le froid. Elle était là, à portée de main, paisiblement allongée et endormie, au chaud et en sécurité dans ce lit. Il me fallait quelques secondes pour le réaliser, puis quelques secondes de plus pour oser m'approcher et le moment tant espéré depuis trois semaines était enfin en train d'arriver. Après toutes ces journées et toutes ces nuits à en rêver, je pouvais enfin la regarder, enfin la toucher et enfin l'embrasser.
Et c'est à ce moment précis que j'ai senti toutes les dernières tensions quitter mon corps : quand j'ai posé mes mains et mes lèvres sur ma raison de vivre. Puisque c'est la seule conclusion de ces trois semaines : j'étais incapable de vivre sans elle. Et mes tripes me le confirmaient à l'instant T, au bonheur extrême de ces retrouvailles, au sentiment de libération et au soulagement infini que je ressentais de pouvoir la serrer de nouveau dans mes bras et de la savoir enfin en sécurité.
Maintenant, je pouvais respirer. Et je le faisais, après une ultime crise de larmes puis un temps interminable à la caresser, à l'embrasser et à me bercer du son régulier et bienfaiteur des battements de son cœur. J'essayais maintenant de me calmer, en faisant de mon mieux pour ne pas l'étouffer ni la déranger avec mes gestes de tendresse inlassables et incontrôlables. Et j'en étais toujours là, une demi-heure ou une heure plus tard, à la couver du regard, à tenir sa main dans la mienne et à caresser ses cheveux avec une infinie tendresse quand j'entendais la porte s'ouvrir sur Tom, Charlie et Théo.
Je ne bougeais pas d'un iota du chevet de Mia, pas même pour leur laisser la chance de la retrouver aussi. Je sentais les accolades fraternelles de Charlie et Théo et j'entendais Théo briser le silence et s'autoriser enfin une parole positive.
"On te l'avait dit. La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit", Théo souriait mais c'était encore beaucoup trop tôt pour moi. Je n'avais pas encore l'énergie ni le courage de me réjouir avec lui. Pas tant que je n'aurai pas entendu sa voix. Théo ne s'en formalisait pas et je les sentais tous les trois s'installer sagement dans le canapé de la chambre.
Je continuais de veiller Mia, pendant que je les devinais en train de pianoter frénétiquement sur leurs téléphones. Je voyais au même moment Théo sortir en parlant à une personne que je devinais être Julia et je voyais Tom revenir dans la chambre au même moment.
"Son père était à deux doigts de la crise cardiaque. Ils vont à l'aérodrome, ils seront là dans quelques heures", et je soupirais de nouveau en comprenant que la bonne nouvelle était en train de se répondre. C'était en train de devenir officiel et très réel : le cauchemar était terminé. J'étais donc maintenant plus soulagé que jamais mais je commençais aussi à montrer les premiers signes d'impatience. Je faisais de mon mieux pour ne pas perturber son repos bien mérité mais je mourrais d'envie maintenant de croiser son regard et d'entendre le timbre merveilleux de sa voix.
Nous étions dans cette chambre depuis deux heures maintenant et Mia était toujours aussi paisible et endormie quand j'entendais subitement tous les moniteurs s'affoler. Je sentais mon cœur s'affoler de concert. J'étais de nouveau et subitement paralysé mais Charlie réagissait à ma place en partant à la recherche d'une infirmière qui entrait dans la seconde suivante pour contrôler l'état de Mia.
"Qu'est-ce qu'il s'est passé ?", j'entendais cette infirmière me parler calmement et je voyais Mia toujours dans le même état de calme apparent alors j'essayais de ne pas m'affoler non plus.
"Rien. Absolument rien. Elle dormait", je répondais toutefois avec une note de panique très nette dans ma voix en m'éloignant de Mia pour laisser l'infirmière l'inspecter. Une de ses collègues se joignait à la tâche et je m'arrachais les cheveux à force d'entendre les bruits assourdissants et pétrifiants des machines. Je les scrutais attentivement en train d'inspecter les appareils, prendre la fiche médicale quand je les voyais échanger un regard entendu et relever subitement les draps et la robe de chambre de Mia. Et je suffoquais après cette initiative. Je sentais ma vision devenir trouble, j'étais à la limite de l'évanouissement, à la limite de m'écrouler au sol en découvrant toutes cette partie immergée de l'iceberg, en découvrant tous ces hématomes sur ses jambes et cette mare de sang entre ses cuisses. J'étais tétanisé et je subissais. Je regardais les infirmières s'agiter et commencer à déplacer Mia à la hâte.
"Phil, les points ont lâché. On la remonte en urgence au bloc. Préviens le chirurgien", j'avais bien entendu. Mia avait des points. A cet endroit. Je n'avais pas le courage d'interpeller l'infirmière pour demander des explications et je n'étais pas sûr de toute façon de vouloir le savoir et de pouvoir l'entendre pour l'instant. Je me sentais de nouveau traîné au sol brutalement et replongé dans mon agonie à ces dernières découvertes et en voyant de nouveau Mia disparaître entre les mains de l'équipe médicale, dans un état de nouveau critique.
"Assieds-toi. Ça va aller. Ils vont encore s'en occuper. Calme-toi", j'entendais et je sentais Charlie me pousser sur ce canapé et j'attendais, en totale impuissance et en silence, encore et encore pendant plus d'une heure. Je continuais de souffrir pour elle quand je voyais la porte s'ouvrir et les infirmières revenir très tranquillement avec Mia et je soupirais de soulagement pour la millième fois aujourd'hui en les voyant la réinstaller à sa place initiale et en voyant un médecin entrer dans la pièce.
"Bonsoir Messieurs. Je suis le Docteur Harris, le chirurgien en charge de Mlle Gauthier depuis son arrivée"
"Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Comment est-ce qu'elle va ?"
"Une complication post opératoire mais Mlle Gauthier va bien. Les infirmières vont la veiller précieusement mais son état ne me préoccupe plus. Votre amie a besoin de soins et de repos. Ça va aller maintenant", et je buvais ses paroles positives et son dernier diagnostic comme un drogué. Je tournais de l'œil et soupirais lourdement en sentant une fois encore cette nouvelle descente, ce nouvel ascenseur émotionnel.
"Inspecteur ? Je peux vous parler à mon bureau s'il vous plaît ?", et je relevais le visage vers Tom qui obéissait sans un mot en quittant la pièce.
Mes yeux se posaient ensuite de nouveau sur Mia. J'essayais de penser à elle, juste à elle et aux bonnes nouvelles, en essayant de chasser de ma tête toutes mes interrogations, mes angoisses et mes craintes. Je choisissais le déni. C'était peut-être la première fois de ma vie que je ne voulais pas savoir. C'était un sujet qui attendrait le réveil de Mia. Pour l'instant, elle allait bien, elle n'avait conscience de rien et moi non plus. Et je profitais de ce statut quo et de ce nouveau calme pour la choyer comme la prunelle de mes yeux. Je le faisais pendant peut-être une heure encore quand j'entendais de nouveau la porte s'ouvrir et que je voyais cette fois Pierre et Monica entrer dans la chambre précipitamment et s'effondrer sur le lit de leur fille. Je prenais la peine cette fois de décoller de Mia une courte minute pour les laisser profiter de la même libération.
J'étais toujours à son chevet, ma main dans la sienne, pendant que Monica la couvrait de baisers et que Pierre la couvait du regard quand j'entendais de nouveau les moniteurs changer de rythme mais d'une autre façon que précédemment. Ce n'était pas les mêmes sons mais je m'affolais malgré tout, comme Pierre qui se précipitait sur l'infirmière pour obtenir des explications.
"QU'EST-CE QU'IL Y A ?"
"Rien. Ne vous inquiétez pas. Mia est juste en train de se réveiller. Phil, ramène-moi de la morphine, s'il te plaît"
L'équipe médicale avait pris l'initiative d'interrompre les sédatifs depuis son retour du bloc opératoire pour réveiller doucement Mia et je percevais enfin du mouvement. Je voyais les paupières de Mia s'agiter et ses doigts avoir quelques spasmes au creux de ma main. Pour la première fois depuis mon arrivée, je la voyais enfin bouger. Je ne rêvais plus que de la voir ouvrir les yeux mais toute mon euphorie et mon impatience retombaient en discernant ces grimaces sur son visage et en entendant ses premiers gémissements. Je comprenais immédiatement que son réveil était beaucoup trop douloureux. Je souffrais en même temps qu'elle, j'embrassais sa main, je caressais son visage dans l'espoir complètement vain de la soulager et mes espoirs se dirigeaient vers l'infirmière qui venait de rejoindre son chevet.
"Mlle Gauthier ? Est-ce que vous m'entendez ?", j'étais suspendu aux réactions de Mia qui se mordait les lèvres de souffrance, les yeux toujours clos et je sentais mes tripes se tordre en notant ses réactions encore plus vives. Elle n'arrivait pas encore à répondre mais seulement à gémir encore plus fort.
"Vous êtes à l'hôpital. Je sais, le réveil est douloureux mais c'est tout à fait normal. Vous vous remettez de l'opération mais tout va bien. Vous allez bien. Essayez de vous détendre"
"J'ai mal…", et je fermais les yeux en retenant mon profond soupir. J'étais torturé en ce moment par deux sentiments complètement contradictoires : le malheur de la savoir en train de souffrir et le bonheur d'entendre enfin sa voix.
"Je sais. Vous pouvez noter la douleur de 1 à 10 ?", et j'étais définitivement aux abois en voyant ses larmes couler, en l'entendant gémir encore davantage et en la sentant broyer ma main avec une force au moins équivalente à sa douleur du moment. L'infirmière le comprenait et tranchait sans attendre la réponse de Mia.
"Très bien. On va vous rendormir. On a tout notre temps. Reposez-vous encore, d'accord ?", et j'approuvais parfaitement son initiative, je n'attendais plus que le silence, je voulais la voir se rendormir et redevenir paisible.
"Garde-là au repos. On réessaye d'ici 48 heures", je notais ce nouveau délai et je comprenais que j'allais devoir encore prendre mon mal en patience avant de la retrouver mais j'aurai attendu 48h, 3 jours ou une semaine de plus pour être sûr de ne plus lire cette souffrance sur ce visage. Ce délai supplémentaire était aussi le bienvenue pour me permettre de me remettre un peu plus de mes émotions et être prêt à la soutenir à son réveil.
***s***
J'avais finit par trouver le sommeil cette première nuit sur ce fauteuil et contre elle. Ce n'était pas encore le confort de nos draps ni le bonheur ultime de l'avoir dans mes bras mais elle était là et je commençais enfin à retrouver les sensations d'un sommeil réparateur après trois semaines de trouble et d'insomnie.
J'avais commencé à tuer le temps ensuite dès le lendemain avec ses parents, Théo et Charlie. Nous avions fait installer la télévision, je voyais la nouvelle désormais partout aux informations et j'entendais nos téléphones sonner de nouveau. Julia était aussi arrivée entre temps à Glasgow. Théo me soulageait en donnant des nouvelles à Liam et Olivia puis à Claire et Grégory à partir du discours vu ensemble ce matin à savoir interdire les visites jusqu'à nouvel ordre sur les conseils de l'équipe médicale mais aussi de la police qui restait postée à l'entrée pour faire fuir les paparazzis en soif de détails sordides. De mon côté, je n'avais envie de parler à personne, je n'avais absolument pas la tête à ça mais j'avais un cas de conscience en retombant encore sur une série en particulier d'appels manqués.
"Il faut que je rappelle Ricardo...", je parlais à haute voix et en soupirant d'avance à l'idée de cette corvée mais j'entendais avec soulagement Julia m'enlever aussi cette épine du pied.
"Ne t'inquiète pas, je l'ai eu au téléphone tous les jours . Il est au courant et il sait que les visites sont limitées pour l'instant. Il attend ton signal pour prendre le premier vol depuis New York", j'avais les yeux rivés sur Mia au même moment. Je lui caressais délicatement et amoureusement le visage en méditant sur les paroles de Julia et mon instinct me poussait à faire une exception pour Ricardo parce que j'avais le sentiment que sa visite ferait le plus grand bien à Mia. J'étais prêt à tous les efforts pour ça même si je n'avais pas envie de voir plus de monde défiler dans cette chambre et pas envie de partager son chevet avec d'autres.
"Non, rappelle-le et dis-lui de venir s'il te plaît. Je vais prévenir Tom et l'équipe médicale", et je voyais Julia sortir pour s'en occuper sans délai.
J'assistais ensuite au défilé d'infirmières dans sa chambre pour contrôler son état et lui prodiguer des soins. Je décidais de rester cette nuit encore près d'elle. La troisième journée passait au même rythme et je tuais le temps beaucoup moins péniblement grâce à la compagnie de ses parents, de Charlie, Théo et Julia. J'avais même pris le temps de déjeuner et de prendre l'air.
C'était maintenant la fin de journée, nous étions de nouveau dans la salle d'attente, après avoir été délogés une nouvelle fois par les infirmières, quand je voyais les portes de l'accueil s'ouvrir bruyamment.
Je les voyais s'ouvrir sur Ricardo qui entrait à la hâte, balayait le hall des yeux, captait mon regard et trottinait avec détermination dans notre direction avec un sourire et des mimiques sur son visage qui étaient toujours aussi communicatives. Et pour la première fois depuis trois semaines, je souriais aussi et sincèrement.
