Lettre Seconde.

Mon cher enfant,

Ton inquiétude pour mon bien-être est touchante, mais inutile, je te l'assure. Mon étoile n'est plus à son apogée, mais elle n'est en aucun cas éteinte, et elle pourrait bien se lever de nouveau. Azkaban est loin d'être agréable, mais depuis que les Détraqueurs sont partis, l'endroit est moins pénible qu'il ne l'a été.

Je comprends parfaitement ton manque d'enthousiasme pour les études moldues – tu me demandes pourquoi tu devrais perdre du temps à étudier les habitudes d'une race inférieure. La raison en est simple : il faut connaître son ennemi.

Et puis, même la plus méprisable des créatures peut te fournir une leçon. L'aigle vole haut et voit les choses d'un œil dépassionné. (L'aigle s'accouple aussi en vol. Si tu tiens à tenter cette expérience, souviens toi d'appliquer des sortilèges pour capitonner et réchauffer ton balai, et par dessus tout ne perds pas ta concentration. C'est déjà bien assez embarrassant de se retrouver à l'infirmerie pour être tombé de son balai, sans avoir à expliquer pourquoi on se retrouve avec des échardes à un endroit si inhabituel. Je suis certain que je n'ai pas besoin de te rappeler les sortilèges contraceptifs, ta mère m'assure qu'elle est bien trop jeune pour devenir grand-mère. Je la crois, et il serait diplomatique de ne pas lui donner tort.)

Le serpent est rusé et prudent, mais sa langue distille le venin. Le blaireau est loyal et travailleur, des qualités admirables chez les autres. Le lion nous enseigne à regarder les choses telles qu'elles sont et non telles qu'on les imagine. Ce sont les lionnes qui chassent et non les lions, et ce sont elles qui devraient être le symbole de la maison Gryffondor. C'est typique de cette maison d'avoir choisi pour mascotte un symbole qui n'est finalement qu'une contrefaçon. Les Gryffondors sont tout en panache et en fanfaronnade, ce qui peut être utile à exploiter, mais se révèle souvent pénible à supporter.

Donc, que pouvons-nous apprendre des moldus ?

Mon père a toujours considéré l'Empire Romain comme riche d'enseignements. Les regards se portent habituellement sur la République et sa morale rigide. Le devoir et l'honneur y étaient primordiaux – mais si on y regarde de plus près, on se rend compte qu'en fait ces grandes idées n'étaient qu'un écran de fumée, une légère patine de respectabilité pour masquer les habituelles luttes de pouvoir.

Non, c'est vers l'Empire qu'il nous faut nous tourner pour tirer des enseignements. C'est l'Empire qui nous fournira les meilleurs exemples de cruauté, de cupidité, de fierté et de luxure, et qui nous montrera comment on peut et on doit exploiter ces faiblesses.

Tous les hommes peuvent être achetés, Drago, et toutes les femmes aussi. La seule question est de savoir à quel prix. Pour certains, il s'agira d'une transaction monétaire pure et simple, d'autres demanderont rétribution sous forme de pouvoir ou de position sociale. Ce sont les cas les plus courants, et les plus sûrs. Tant que tu as de l'argent à leur donner ou du pouvoir à partager, ils seront de ton côté. A moins que quelqu'un ne leur offre un prix plus élevé.

Il est plus incertain de traiter avec ceux qui se nourrissent de cruauté. Ils se retourneront contre toi à la moindre occasion, s'ils se sentent blessés ou trahis. Ils ne se préoccupent pas de savoir si c'est toi ou ton ennemi qui agonise à leurs pieds. Ils ne sont loyaux à rien d'autres qu'à leurs appétits, et ça les rend imprévisibles. Leur imprévisibilité les rend dangereux.

Si tu dois traiter avec de telles personnes, ne te fie pas à elles, et ne leur fais pas confiance. Je suis sûr que je n'ai pas besoin de te rappeler de ne pas accorder ta confiance à la légère, mais c'est une leçon qui mérite d'être répétée jusqu'à ce qu'elle devienne une seconde nature, et dans ce cas précis deux précautions valent mieux qu'une.

Néron n'a peut-être pas joué de violon pendant que Rome brûlait – ne serait-ce que parce que les violons n'existaient pas à l'époque – mais il est resté immobile pendant que son peuple souffrait. Il a pu se permettre d'agir ainsi sans perdre la loyauté de ses sujets les plus puissants, mais une fois qu'il les a soumis eux aussi à ses appétits les plus féroces, il ne lui restait plus la moindre chance de survivre.

Mais je ne te dis pas non plus qu'il ne faut faire confiance à personne, je te conseille simplement d'exercer la prudence. Si tu peux faire à quelqu'un une faveur qui te coûtera peu, alors fais-la. Plus tard, s'il te retourne la faveur, tu sauras que tu as gagné un allié. S'il ne le fait pas, alors tu auras appris une chose qui vaut bien plus que ce qu'elle t'aura coûté – que tu ne peux pas faire confiance à cette personne. Il vaut mieux l'apprendre quand une broutille est en jeu, au lieu de s'en rendre compte quand ta vie ou ta liberté sont dans la balance.

Tu devras tenir les comptes de tes faveurs comme un gobelin surveille son or. Devoir trop à quelqu'un est presque aussi mauvais que d'avoir trop octroyé à un autre. Dans le premier cas, tu es à la merci d'un tiers. Dans le second, tu ne recevras pas de gratitude, mais de l'amertume, car aucun homme ne se réjouira de ta générosité, mais tous envieront la chance qui t'a permis de te montrer si généreux.

Ces deux situations sont dangereuses.

Et pourtant, si tu sais faire les bons choix, tu pourras t'attacher tes alliés avec des liens de loyauté – et même d'affection – qui surmonteront tous les revers de fortune.

Mon enfant, tu seras entouré de personnes qui se réjouiront de tes déceptions, de personnes qui attendront de voir si tes déboires sont temporaires, et de véritables amis.

Il te faudra apprendre à les distinguer les uns les autres.

Ta situation actuelle te rend la chose facile – n'oublie pas qui te soutient en ce moment, et qui te tourne le dos.

Tu devras les traiter en conséquence dans le futur.

Ton père,

Lucius.

Lettre Troisième.

Severus,

Narcissa m'a dit ce qu'elle avait fait.

J'imagine que tu as des regrets, mais je ne parviens pas à les partager.

Tout ce que je possède est à toi si tu peux le protéger.

Lucius.