Point de vue : Ricardo

J'étais encore sonné du diagnostic du neurologue mais je l'étais aussi après ces aveux de Pierre. Il venait de tout exhiber sans aucune pudeur et surtout sans mon consentement ni celui de Mia et je devinais au regard pénétrant de Harry qu'il n'allait pas se contenter de si peu. Et j'avais vu juste, je le voyais venir aussitôt le neurologue parti et je me retrouvais à le suivre docilement dans les jardins de l'hôpital, à attendre qu'il me cuisine.

"Raconte-moi"

"Pierre a tout dit"

"La version détaillée", j'hochais la tête et je soupirais bruyamment en fixant un point invisible derrière lui pour résister à sa directive.

"Si Mia n'a pas jugé utile de te la donner, ce n'est pas à moi de le faire"

"Elle n'est plus en état de prendre ce genre de décision...J'ai besoin de savoir...S'il te plaît, Ric", je le regardais intensément en entendant ce surnom sortir de sa bouche pour la première fois parce que c'était celui réservé aux amis. Il le savait et il profitait de notre rapprochement de Thanksgiving et de notre soirée de confidences pour me tirer les vers du nez. Harry en avait parfaitement conscience et il me défiait de refuser. J'avais les cartes en main. Je devais décider si oui ou non je voulais jouer dans son camp alors je soupirais lourdement en prenant un temps de réflexion supplémentaire et j'essayais juste de me mettre à la place de Mia. Je n'étais pas du tout persuadé du fait qu'elle s'en serait confié aujourd'hui mais j'en avais vu suffisamment de Harry ces derniers temps pour être certain que ces informations ne seraient pas utilisées à mauvais escient. Je n'avais aucun doute sur sa sincérité, sur son amour pour Mia et je décidais de faire ce que je pensais être le mieux pour elle.

"Je ne t'ai rien dit, Harry. Elle m'a fait promettre de ne rien dire de son passage au Mexique et je la connais assez maintenant pour savoir que la directive valait particulièrement pour toi", et je le fixais très sérieusement et je le voyais simplement acquiescer en retour.

**Début du flashback**

J'essayais de partir du début pour Harry et il ne me fallait pas plus de quelques secondes pour me souvenir du premier jour de notre rencontre.

C'était une belle journée de septembre, il y a un peu plus de deux ans de cela. J'étais confortablement installé sur la terrasse de ma villa à profiter d'un verre en compagnie de Daniel quand j'ai reçu ce coup de fil sur mon téléphone professionnel. J'avais vu Daniel se plaindre en entendant comme moi cette femme au bout du fil me réclamer des informations sur une de nos villas à vendre.

"La flemme, Ric. Prends rendez-vous demain. C'est notre jour off. Ton boss t'ordonne de raccrocher", j'avais ri à cet argument d'autorité. Je le connaissais depuis l'adolescence, il était mon meilleur ami de toujours, celui qui n'avait jamais manqué d'aider ma famille dans les pires moments, celui qui m'avait tiré vers le haut à la sortie de l'adolescence, après le suicide de mon père en m'entraînant dans cette affaire familiale particulièrement florissante pour me changer les idées et m'obliger à prendre ma vie en mains. Je travaillais dans son agence depuis plus d'une décennie maintenant. Je n'avais pas encore atteint sa fortune personnelle mais j'y travaillais avec beaucoup d'acharnement. Avec beaucoup trop d'acharnement parfois et son ordre du jour était une nouvelle fois complètement inefficace. Je riais simplement de sa remontrance inutile et je me reconcentrais sur cette femme que j'avais au bout du fil, guidé par mon éternel appât du gain.

"Bien sûr. Vous souhaitez des informations sur quelle villa ? Vous êtes à quelle adresse ?"

"Mmh, je ne vois pas de numéro. Je suis à Tulum, en bord de mer"

"La villa blanche avec un toucan sur la porte principale ?"

"Oui, tout à fait !", et j'avais ressenti une pointe d'excitation terrible car c'était la plus belle villa que j'avais sur le marché en ce moment et j'étais incapable de prendre le risque de passer à côté d'une aussi grosse vente alors j'avais désobéi à Daniel et pris la peine de traiter l'appel.

"Alors vous êtes une femme de très bon goût. Excellent choix. C'est mon jour de repos mais j'habite juste à côté. Je peux passer vous la faire visiter d'ici une dizaine de minute si vous n'êtes pas pressée de repartir ? "

"Vous êtes sûr ? Alors avec plaisir, je vous attends. Merci", et j'avais quitté la villa en laissant Daniel me sermonner d'avoir mis un terme très prématurément à notre jour de congé. Je m'étais empressé de courir jusqu'à cette villa voisine en me remettant en tête les meilleurs arguments de vente mais tout mon baratin de vendeur s'était envolé en fumée en rencontrant Mia pour la toute première fois.

J'étais le genre d'agent immobilier particulièrement professionnel pourtant, je mettais toujours de côté les attirances ou le flirt dans ce contexte mais j'avais senti toutes mes résolutions flancher en la voyant. Parce que je n'avais jamais rencontré plus belle qu'elle. J'avais eu le tournis dans la seconde en la voyant assise sur les marches du perron, en découvrant ses boucles sublimes, ses jambes bronzées et ce décolleté particulièrement vertigineux. Elle avait encore la tête dans son bouquin mais j'adorais déjà tout ce que je voyais. Je devinais ses formes absolument parfaites et je sentais l'excitation et la tentation rappliquer à toute vitesse.

"Bonjour. Désolé pour l'attente", et j'avais été incapable de retenir mon sourire et mon air émerveillé en la voyant enfin relever son visage parce que cette femme était tout simplement magnifique. Je n'avais pas d'autres mots pour la décrire. Je tombais instantanément sous le charme de ses traits fins, de ses lèvres gourmandes et de son regard noisette particulièrement envoûtant. Je la voyais au même moment se relever et me tendre la main pour me saluer et je notais une nouvelle fois son accent espagnol moyen qui me confirmait qu'elle n'était pas d'ici.

"Merci plutôt d'être venu pendant votre jour de congé"

"Aucun soucis. Qu'est-ce qui vous amène à Tulùm ? Vous ne donnez pas l'air d'être du coin"

"Parisienne et de passage pour les vacances"

"Parisienne ? Vraiment ? J'aurai parié sur autre chose"

"Franco-italienne"

"Oh, alors c'est ça…", et je n'avais pas pu me retenir de me mordre les lèvres à cette confirmation. Je comprenais mieux en effet l'origine de ces courbes particulièrement pulpeuses et de cette chevelure infernale. Je sentais son malaise d'ici et je me décidais à reprendre la conversation innocemment pour ne pas griller toutes mes chances d'entrée de jeu puisque j'étais certain de les avoir. Ce n'était pas possible autrement. Je plaisais à toutes les femmes.

"Et en vacances pour combien de temps ?", et Mia avait longuement hésité avant de me répondre ce qui avait nettement piqué ma curiosité.

"Une durée indéterminée"

"Mmh. Ce sont les meilleures vacances ça…", et j'étais encore plus émerveillé de voir ce sourire sur son visage. Il était forcé et timide mais déjà étourdissant et j'étais planté là sur le perron à la dévorer des yeux avec beaucoup trop d'appétit et peut-être beaucoup trop ouvertement puisque je l'entendais me rappeler à l'ordre assez froidement.

"On commence ? Par l'extérieur ou l'intérieur ?"

"Par où vous voulez, quand vous voulez…", et je n'avais pas pu retenir le sourire très charmeur et la réplique ambigüe. J'avais noté son air toutefois imperturbable et cette attitude n'avait fait que de m'exciter davantage pour la suite de la visite. J'étais venu pourtant avec pour seule idée en tête de vendre cette villa mais je n'en avais eu plus qu'une en la voyant : la mettre absolument et urgemment dans mon lit. Mais cette inconnue avait résisté, bravement et fièrement malgré mon agressivité et mon impatience sans précédent.

"Et le clou du spectacle est derrière cette porte", et j'avais vu Mia me fixer avec excitation en arrivant à l'étage. Elle adorait cette villa et j'étais convaincu, d'expérience, qu'elle l'achèterait avant la fin de la semaine.

"La chambre principale ?", et j'avais simplement souri en ouvrant la porte et en la laissant passer la première. C'est à ce moment-là que j'avais découvert son sourire. Le premier, sincère, rayonnant et renversant. Elle n'avait pas été capable de le retenir en découvrant cette pièce, cette terrasse et cette vue absolument imprenable sur la mer.

"Cette villa est paradisiaque", et je la voyais s'affaler au même moment sur le lit en s'émerveillant et en fermant les yeux de plaisir.

"Contente qu'elle te plaise", j'avais osé le tutoiement et je l'avais vu relever un sourcil, se redresser et me reprendre immédiatement et avec fermeté.

"Oh...On se tutoie maintenant ?"

"Mmmh. Ça me paraissait plus adapté à la situation"

"Quelle situation ?"

"Toi, allongée devant moi sur ce lit avec cet air particulièrement satisfait sur ton visage..." , j'étais allé loin, je le savais et je comptais sur mon sourire ravageur et mon air le plus innocent pour faire passer gentiment ce rentre-dedans outrageux et j'avais été particulièrement déstabilisé de l'entendre éclater d'un rire franc et sincère en se relevant et en me tenant tête fièrement.

"OK joli cœur. Il va falloir que tu calmes tes ardeurs"

"Joli cœur...Mmh j'adore ça...", et j'avais rit à mon tour face à son air tout à fait estomaqué et déstabilisé à cette réplique joueuse, malgré son stop phénoménal, puis je l'avais vu prendre une seconde de réflexion et poursuivre.

"C'est une technique de vente très douteuse"

"Technique de vente ?"

"Oui, pour me faire signer le chèque"

"Oh ? Tu parles de la villa ? Non pas du tout. La vente m'était vraiment sortie de la tête depuis cette vision divine. Et on sait tous les deux que tu as déjà décidé de l'acheter. Non, je suis déjà dans l'étape d'après"

"L'étape d'après ?"

"Oui. La célébration…Parce que je tiens...VRAIMENT...à fêter ça avec toi..."

"Seigneur...Marie...Joseph...Vous êtes toujours aussi chauds les mexicains ?"

"Et vous êtes toujours aussi frigides les parisiennes ?", et j'avais rit en même temps qu'elle de cette joute verbale particulièrement excitante. J'avais été à deux doigts ensuite de la plaquer sur ce lit. J'aurai pu la prendre d'ailleurs dans toutes les pièces de cette villa pendant la visite mais Mia avait résisté en me donnant un aperçu particulièrement grisant de son tempérament bien trempé. Elle m'avait résisté adroitement, sans perdre de vue son objectif du jour qui était uniquement d'acheter cette maison.

J'étais donc reparti complètement retourné et définitivement challengé par cette rencontre mais surtout j'étais rentré avec son numéro de téléphone en poche. Mia me l'avait donnée contrainte et forcée pour sceller la vente. Elle avait scellé sa condamnation par la même occasion parce que je m'étais fait la promesse ce jour-là de ne pas lâcher le morceau tant que je n'aurai pas eu le plaisir de dévorer son corps et de me glisser entre ses cuisses. Alors j'étais naturellement retourné à la charge lors des rendez-vous ultérieurs mais Mia s'était montrée un peu plus farouche que la première fois. J'étais tombé sur un os à chaque reprise en rentrant toujours un peu plus frustré. Frustré de ne pas parvenir à mes fins et frustré de rester constamment sur ma béquille alors que j'étais convaincu que je lui plaisais. Je savais en effet reconnaître une femme intéressée et j'avais noté à plus d'une reprise ses hésitations. J'étais persuadé que des choses merveilleuses pouvaient se passer dans son lit mais pour des raisons inconnues, elle nous le refusait.

J'avais donc commencé à creuser, à me renseigner sur elle et j'étais tombée des nues en tombant sur ces articles. J'avais eu une brève impression de déjà vue en la voyant mais je ne suivais pas assez les faits divers et les potins pour faire le lien. Alors j'étais estomaqué de découvrir que c'était elle, la femme qui avait survécu à ce naufrage infernal dernièrement. J'avais été choqué puis j'avais ressenti ensuite une pointe de culpabilité parce que j'y étais allé avec mes gros sabots alors qu'elle sortait à peine d'une expérience plus que traumatisante. Elle devait être ici pour s'en remettre, pour trouver la paix et un peu de sérénité et j'avais choisi la pire des méthodes incontestablement pour l'amadouer. Et j'avais été encore plus impressionné et émerveillé par Mia après ça. J'avais noté son tempérament de feu mais j'en mesurais un peu plus la portée après cette révélation et ce constat n'avait fait que de m'exciter encore plus parce qu'il n'y avait rien qui me plaisait plus que les femmes de caractère. C'était celles que j'admirais le plus et Mia avait l'air d'être la plus brave que je n'avais jamais vu. Alors je n'avais pas du tout lâché le morceau après cette découverte. Bien au contraire, j'avais martelé encore plus souvent à sa porte mais j'avais mis un peu d'eau dans mon vin sur la méthode pour la prendre un peu plus en douceur et j'avais d'ailleurs noté quelques avancées. Mia était devenue un peu plus chaleureuse même si elle avait continué à rejeter toutes mes avances avec la froideur d'un glaçon. Mais c'était mal me connaître si elle pensait me décourager. Je ne lâchais rien depuis deux semaines et j'étais un peu plus résolu ce soir en passant devant chez elle et en voyant la lumière de sa chambre allumée. Je n'avais pas pu empêcher mon esprit de l'imaginer complètement nue dans cette chambre et j'avais donc tenté un énième détour par sa villa.

"Mia ? Tu es là ? Ouvre moi ! S'il te plaît ? Allez ? Promis je suis venu en toute innocence et amitié…", j'avais tenté un horrible mensonge pour avoir au mois l'autorisation de franchir le seuil de sa maison. J'avais attendu une seconde puis une minute mais Mia ne me répondait pas et je commençais à vraiment m'impatienter et m'agacer. J'étais pris d'un élan de rébellion et d'un esprit malicieux en voyant la baie vitrée de sa terrasse légèrement entrouverte et je décidais sans hésiter de m'engouffrer discrètement et d'y aller au culot en montant directement à l'étage. C'était une technique que je n'avais pas encore essayé avec elle jusqu'à présent : le forcing, le contact et l'appel de la chair, j'avais la ferme intention de la plaquer contre un mur et d'attendre sa réaction. A ce stade de préliminaire, j'avais supposé qu'elle y serait peut-être sensible alors j'avais décidé de choisir l'audace.

J'avais ouvert la porte de sa chambre sans autorisation et avec beaucoup d'excitation et j'étais au paradis de l'y trouver, parfaitement endormie, pas nue mais en tenue très légère. Je n'avais pas pu résister à l'envie de m'approcher, de m'agenouiller à son chevet et de passer au crible son corps de rêve. J'avais même osé le faire avec l'aide de ma main, de façon très discrète et juste un peu, en profitant avec très peu de moralité de son sommeil. Je le faisais juste un peu, avant de me manifester et de la réveiller, puisque c'était bien sûr beaucoup plus divertissant si Mia participait. J'avais fait le tour désormais de son corps parfait et je me décidais à la réveiller.

"Mia ?", je parlais doucement pour ne pas l'effrayer puisque j'avais conscience que mon initiative et ma présence pouvaient être plus que mal vue mais Mia ne répondait pas.

"Réveille-toi. Je te déconseille de rester inconsciente puisque c'est définitivement un de mes plus gros fantasmes…", je ricanais de ma réplique encore osée et je désespérais de la voir toujours aussi impassible. Elle dormait d'un sommeil de plomb et c'était de mauvais augure pour la suite de mon programme mais je prenais mon mal en patience.

J'attendais quelques secondes, en balayant la pièce du regard pour chasser mon ennui quand mes yeux se posaient sur sa table de chevet. Il se posait sur ces comprimés que je connaissais trop bien puisqu'il s'agissait des antidépresseurs de ma mère. J'avais un goût terrible de déjà vu et je regardais Mia d'une toute autre façon après ça parce que la vérité m'éclatait en pleine figure ce soir : elle allait mal, très mal, puisque ces comprimés n'étaient prescrits que dans les pires situations. Je n'aimais pas ça et j'avais maintenant beaucoup de peine pour elle. Et j'hésitais, je ne savais pas si je devais partir et faire comme si je n'avais rien vu ou si je devais rester et en parler avec elle. Je n'étais personne, elle n'était personne mais je décidais de rester puisque j'étais incapable d'ignorer ça. Incapable d'ignorer cette situation. J'avais toujours détesté voir une femme en détresse, j'en avais souffert toute ma jeunesse et je continuais encore de ramasser ma mère à la petite cuillère tous les quatre matins à cause de sa dépression sans fin et du suicide de mon père. Donc Mia n'était peut-être personne pour moi mais elle était angélique, agréable, sympathique et j'avais envie d'intervenir. J'avais envie d'aider à mon niveau alors je me décidais à la réveiller, avec plus de fermeté pour avoir cette discussion pénible et impertinente avec elle.

"Mia, réveille-toi s'il te plaît…", j'avais allumé cette fois la lampe de chevet pour la sortir de son sommeil et je sentais une pointe d'angoisse en la voyant toujours aussi indifférente et inerte sur ce lit.

"MIA !?", et je me figeais et je paniquais clairement cette fois en comprenant enfin ce qui était en train de se passer. Je reprenais de nouveau ces comprimés, je voyais la boîte vide, je voyais l'inertie totale de Mia et j'étais pris d'un éclair de lucidité terrible à ce constat.

"Oh non ! non ! non ! Je t'interdis de faire ça dans ma villa", j'avais parlé plus fort encore et en la secouant mais Mia était définitivement inconsciente. Je prenais son pouls immédiatement qui était beaucoup trop faible, je relevais ses paupières pour voir ses pupilles qui ne réagissaient pas et je n'avais plus aucun doute sur la situation. Elle venait de forcer la dose et de s'intoxiquer. Mia pouvait rendre l'âme d'un instant à l'autre sans une intervention rapide. Alors j'avais réagi à l'instinct en la portant dans mes bras, en l'amenant à sa salle de bain attenante, en l'installant dans cette baignoire entre mes jambes et en ouvrant la pomme de douche située au-dessus de nos têtes pour tenter de lui faire retrouver ses esprits. J'avais ouvert l'eau froide mais Mia ne réagissait toujours pas. De mon côté, j'essayais de garder mon sang froid et j'y allais de nouveau sans hésiter en introduisant de force mon doigt dans sa bouche, en l'enfonçant profondément au fond de sa gorge dans l'espoir de la faire régurgiter. Je n'y arrivais pas mais j'insistais malgré tout et j'insistais encore plus en percevant son premier réflexe nauséeux puis je soupirais de soulagement en l'entendant tousser puis cracher tout ce qu'elle avait sur l'estomac. Elle le faisait dans cette baignoire, son dos contre mon torse et devant moi.

"Ça va aller ma belle. Je vais appeler une ambulance. On va te remettre sur pieds", je lui laissais quelques secondes de répit après ces mots, je les prenais aussi pour me ressaisir après ce moment de terreur complètement imprévu. Je la gardais dans mes bras, je prenais la pomme de douche pour la nettoyer et amener l'eau fraîche jusqu'à elle. Mia était toujours particulièrement faible mais elle trouvait la force d'un dernier geste. Elle se retournait aux trois quarts vers moi, se cramponnait à ma chemise et abandonnait sa tête au creux de mon cou avant de se vider de toutes ses larmes. Et la conclusion était limpide après ça et en découvrant ce niveau de désespoir : ce n'était pas un accident. Cette femme venait d'essayer de se suicider et j'étais traversé de frissons de toute part à cette conclusion.

Je m'étais dépêché ensuite d'appeler les secours. J'avais emporté ses affaires avec moi et j'avais essayé tous les codes de déverrouillage possible sur son téléphone une fois à l'hôpital pour prévenir ses proches mais je n'y arrivais pas. Et j'étais à deux doigts d'abandonner jusqu'à ce que je vois ce "papa" s'afficher à l'écran. Je me dépêchais de répondre et j'essayais de présenter la situation le moins brutalement possible à son père que j'avais au bout du fil pour la première fois. J'avais entendu sa voix paniquée et j'avais accepté à sa demande suppliante de rester au chevet de Mia jusqu'à leur arrivée au Mexique. J'avais accepté aussi sous la menace de lui communiquer mon numéro de téléphone et de lui faire un rapport de la situation toutes les trente minutes. J'avais fait de mon mieux dans cette situation et en sachant que je n'étais absolument pas habitué à gérer un père inquiet et aimant. Je ne savais pas comment faire puisque le mien avait été de son vivant d'un tout autre style : absent, violent, alcoolique et égoïste.

**Fin du flashback**

Je voyais Harry se frotter le visage douloureusement à cette première partie du récit. J'avais donné assez de détails pour qu'il puisse parfaitement visualiser la scène. J'en avais peut-être trop donné à en juger par son air torturé et horrifié mais j'avais fait ce qu'il m'avait demandé. J'avais tout raconté.

"Qu'est-ce qui lui est passé par la tête…", je le regardais avec empathie et j'essayais de répondre le mieux possible.

"C'est la première chose que je lui ai demandé quand elle s'est réveillée le lendemain matin. Mia est restée muette comme une tombe sur les raisons mais tu es capable comme moi d'assembler les pièces : Adrien, Victoria, le naufrage, son avortement, la culpabilité...Ça faisait beaucoup et elle a commis la terrible erreur de se terrer au Mexique et de s'enfermer dans la solitude"

"Donc j'avais raison...Tu n'as pas connu Pierre et Monica pendant une sortie bateau"

"Non...On était très loin des eaux calmes...Ils ont débarqué en catastrophe au Mexique, j'ai proposé de les héberger pendant la semaine d'hospitalisation de Mia pour qu'ils n'aient pas à rester seuls chez elle. Et je dois dire que c'était une expérience assez inédite d'avoir des parents normaux et équilibrés sous mon toit...", je ricanais faussement pour essayer de faire retomber l'ambiance et détendre Harry. Je le voyais sourire à moitié face à ma réplique puisqu'il la comprenait depuis mes confidences à l'hôtel.

"Enfin, du moins pour Monica. Pour Pierre, j'émets une réserve parce que je l'ai trouvé un peu flippant sur les bords", et je voyais avec plaisir cette fois Harry pouffer de rire à ma réplique.

"Oui, Pierre est tout sauf normal…Il est exceptionnel"

"J'ai vite compris ça…", je soupirais un peu, je relâchais les tensions après avoir livré la plus grosse partie de l'histoire et j'entendais Harry reprendre aussi avec un peu plus d'assurance et de sérénité.

"Comment s'est passé ensuite le retour de Mia ?"

"Étrangement bien. Je ne l'avais jamais vu aussi souriante et avenante que devant ses parents mais j'ai vite compris que c'était une sombre mascarade pour les renvoyer rapidement à Paris"

**Début du flashback**

"Ma fille vient de nous foutre à la porte. On rentre à Paris", j'avais le plaisir de recevoir la visite surprise de Pierre et Monica ce soir. Ils étaient sur le départ, après trois semaines au Mexique auprès de leur fille et j'étais touché qu'ils prennent la peine de me saluer.

"J'étais vraiment ravi de faire votre connaissance"

"Nous aussi. J'ai une dette éternelle envers toi, Ricardo. Je te remercie...sincèrement...Et le mot est vraiment très faible. Tu le comprendras le jour où tu seras père à ton tour"

"Peut-être avec votre fille ? Qui sait ?"

"Oh, dans tes rêves ! Je ne parlais pas de ce genre de dette...Je t'interdis de toucher à ma fille, Dom Juan", j'avais explosé de rire en même temps que lui et mes yeux s'étaient posés ensuite sur Monica qui me parlait avec douceur et pincettes.

"Je sais que tu en as largement assez fait mais est-ce que tu peux continuer de garder un œil sur elle ? Mia va beaucoup mieux mais si tu pouvais juste passer de temps en temps et nous alerter si tu sens que quelque chose ne va pas ? Tu as nos numéros", je regardais Monica et Pierre avec respect et admiration puisque c'était définitivement très loin de mon modèle familial. Je n'avais pas prévu d'abandonner Mia à son triste sort après leur départ mais cette dernière requête me donnait encore plus envie de m'impliquer.

"Bien sûr. Je peux faire ces 300 mètres tous les jours. C'est tout à fait à ma portée", j'avais répondu en souriant et avec le plus de bienveillance possible et j'avais accueilli leur sourire reconnaissant en retour et leur accolade familière avec une émotion très vive. Mia avait dans son malheur cette chance incroyable de les avoir et j'étais mieux placé que quiconque pour savoir que cette chance n'était pas donnée à tous le monde.

"Et tu penses à nous passer un coup de fil si tu es de passage un jour à Paris ? Je te réserverai ma plus belle bouteille"

"Alors avec grand plaisir ! Je vous raccompagne à l'aéroport ?", et j'avais fait ce trajet ensuite avec Mia à bord également. Le trajet aller était sur le ton de la légèreté. Mia était encore une fois très avenante, bavarde et aimante en compagnie de ses parents mais le trajet retour avait sérieusement dénoté. J'avais constaté immédiatement le changement d'humeur et les nouveaux silences pesants. Mia était complètement dans la lune et taciturne. J'avais respecté son moment de recueillement et j'avais coupé le moteur silencieusement à l'arrivée en nous plongeant dans le noir complet en attendant un commentaire de sa part qui ne venait pas. Alors je me décidais à rompre le silence.

"Tu fais ça souvent ?", je la voyais sursauter, quitter ses pensées et se retourner vers moi avec curiosité.

"De quoi ?"

"Embobiner les gens. Je t'ai déjà dit que j'adorais le théâtre ? Je prends des cours à mes heures perdues. Je sais reconnaître les menteurs et je dois dire que je te trouve plutôt excellente à ce jeu là"

"Ce n'est pas un jeu. lls ne méritent pas ça, c'est tout"

"Je ne te suis pas. Qu'est-ce qu'ils ne méritent pas ?"

"De s'inquiéter pour moi. Mes parents sont merveilleux, Ricardo. Mes amis aussi et je n'ai pas pour habitude de torturer les gens que j'aime. Je sais me débrouiller seule. Je n'ai pas besoin de pleurer dans les chaumières",

"Tu sais...te débrouiller...seule ? Tu n'as pas pour habitude de torturer les gens que tu aimes ? Bon dieu...Mia, tu as prouvé le contraire, il y a trois semaines. Tu crois que tes parents auraient été dans quel état si j'avais décroché ce téléphone en leur annonçant la mort de leur fille ? Tu crois que ça ne les aurait pas torturés ?", le sujet était très grave mais j'avais ricané, moqueusement, puis je l'avais vu baisser la tête puis tourner la tête vers la vitre pour fuir mon jugement sévère. J'avais soupiré de lassitude mais j'avais repris de plus belle en essayant de tempérer un peu mes propos parce que je savais que j'étais dur sur ce sujet à cause de mon expérience dramatique avec mon père. J'étais dur puisque je n'avais jamais eu de respect pour lui mais je savais que la situation de Mia n'était pas du tout comparable.

"C'était une très grosse connerie, Mia…Et si tu veux mon avis, c'est aussi un merveilleux gâchis. Tu as tout pour toi. Tu es une femme magnifique, tu es riche, tu as des parents exceptionnels. Je ne sais pas ce qui t'as poussé à faire ça mais tu as mille raisons de t'accrocher, si tu fais l'effort de creuser"

"Peut-être... Mais j'arrive au bout de mes efforts…"

"Donc tu es venue au Mexique pour t'offrir une tombe avec vue mer ?", sa réplique me fendait le cœur mais je restais implacable pour aller au bout de cette conversation avec elle.

"Non, je suis venue initialement pour arrêter de penser aux autres et me vider la tête..."

"C'est difficile de se changer les idées seule…", je la voyais hocher la tête avec obstination et je notais encore à quel point elle était craquante avec cette moue. J'étais beaucoup trop charmé, je le savais et beaucoup trop impliqué maintenant aussi à cause de cette rencontre avec ses parents. Je me retrouvais à soupirer lourdement en le réalisant et je reprenais avec une nouvelle idée fixe en tête.

"Réessaye", et je la voyais me regarder en plissant des yeux avec incompréhension.

"Réessaye encore une fois. Avec moi. Je t'assure que je suis une merveilleuse source de distraction. Tu as une chance inouïe que le voisinage soit aussi disponible et surtout sexy. Et je ne suis définitivement pas ton père ni un de tes amis. Tu peux pleurer aux chaumières et faire tout ce que tu veux avec moi, je t'assure que ça ne me torturera pas. J'en ai vu de toutes les couleurs aussi Mia. Teste-moi", je me contentais de la regarder avec mon air le plus persuasif possible. Je voyais sa bouche en cœur estomaquée à ma proposition visiblement très surprenante puis je la voyais subitement éclater de rire.

"Comment est-ce que tu peux encore t'intéresser à une timbrée comme moi après ça ? Je t'ai littéralement vomi dessus...", et j'avais ri à mon tour à cette réponse de sa part. J'avais rit de longues secondes puis j'avais essayé de répondre avec le plus de sincérité possible et en pensant à ma mère pendant ma réponse.

"Tu n'es pas la première femme à le faire, ne t'inquiète pas…Et oui, je crois que j'aime beaucoup ton côté très...intense ? Je le trouve plutôt prometteur...Et seigneur, tu te regardes dans le miroir de temps en temps ? Donc oui, tu peux me vomir dessus autant de fois que tu le voudras, Mia…", et j'étais aux anges de la voir rougir, sourire, rire puis réfléchir sérieusement.

"Qu'est-ce que tu es en train de me proposer au juste ?"

"Une thérapie par le sexe. Bien évidemment. Je te promets que je serais plus efficace qu'un psy ou tes cachets à la con...", et j'étais encore plus émerveillé au son de son rire cristallin et sincère mais Mia continuait de me regarder comme si j'étais une licorne. Elle ne me prenait pas encore au sérieux alors que je l'étais vraiment.

"Je prends des cours de danse à Playa tous les vendredis. Viens avec moi demain soir ?", je savais que j'abattais ma meilleure carte. Son père m'avait confié qu'elle était une excellente danseuse, j'avais fait mes recherches après ça et je me doutais que cette proposition et cette activité ne pouvaient pas la laisser indifférente.

"Je...vais y réfléchir…", et je lui rendais mon sourire le plus victorieux à cette porte ouverte. J'étais très proche du but et cette pensée m'encourageait à laisser de côté tout le morbide de cette tentative de suicide pour me focaliser de nouveau sur mon objectif premier : conclure avec elle.

"Parfait. Alors je passe te récupérer demain à 18h. J'ai installé une alarme anti-suicide qui est directement reliée à mon téléphone donc reste sage maintenant …Si tu ne veux pas que je balance encore à ton père !", et je choisissais ce moment et l'air faussement indigné de Mia pour me pencher au-dessus d'elle. Je le faisais avec une lenteur exagérée, en franchissant son espace vital, en me rapprochant dangereusement de ses lèvres et en frôlant sa poitrine. Je la voyais légèrement paniquer mais je me contentais de poser ma main sur la poignée de porte et de lui ouvrir la portière avec mon sourire le plus ravageur.

"Bonne nuit, ma belle. Essaye de ne pas trop rêver de moi", et je lui rendais mon clin d'œil le plus tentateur en la voyant pouffer de rire et sortir sagement de ma voiture. Je la suivais du regard ensuite et je soupirais lourdement après son départ parce que j'espérais sincèrement que mon speech avait fait mouche. J'espérais qu'il ait trouvé écho dans son esprit et qu'elle accepte cette main tendue et ce nouveau départ.

**Fin du flashback"

"Tu l'as très vite cerné...", je voyais Harry me sonder intensément après ces premiers souvenirs.

"Parce que Mia me ressemble pas mal sous plusieurs aspects"

"J'avais remarqué...", et j'étais presque mal à l'aise de le voir me fixer de cette façon puis je le voyais méditer, hocher la tête puis reprendre avec plus d'entrain.

"Et bien joué pour les cours de danse, enculé", et j'éclatais de rire à ce commentaire spontané de Harry. Je riais à sa marque de respect et à son insulte simultanée et il souriait aussi à contrecœur face à mon assurance.

"Merci...Mais ça n'a pas été aussi simple que ça. Mia allait vraiment mal. Elle se mettait des freins incroyables et pour tout. Elle avait souvent la tête dans les étoiles. Ça m'a pris au moins deux semaines "

"Pour ?"

"...", je me contentais de garder le silence et de sourire malicieusement en guise de réponse.

"Fils de pute…", je riais de nouveau aux éclats face à sa mine renfrognée et son insulte qui manquait de sincérité.

"Oh ce n'est pas gentil ça. Tu devrais faire comme son père et simplement me remercier…", ma réplique était très humoristique, je n'en pensais pas un seul mot, je voulais juste le voir se détendre et passer au dessus de toute cette histoire parce qu'il en avait assez à gérer pour aujourd'hui mais je n'obtenais pas du tout l'effet escompté. Je ne voyais pas Harry sourire, je voyais bien au contraire son air s'assombrir.

"Merci…", et j'étais particulièrement déstabilisé mais je l'écoutais sagement et très sérieusement.

"Je savais qu'il me manquait une pièce du puzzle. J'ai pensé la même chose que Charlie jusqu'à il n'y a pas si longtemps. Mais il n'était pas là à Thanksgiving contrairement à moi et ça m'a sauté aux yeux le soir du spectacle"

"Quoi ?"

"Toute l'affection que Mia a pour toi...C'est une chose suffisamment rare pour que je le note et je ne connais que trois hommes sur terre à avoir ce privilège : son père, Charlie et moi. Donc oui, je sais aussi que tu as largement mérité l'attention de Mia si elle en est arrivée à là avec toi en si peu de temps. Et oui, j'ai aussi une dette éternelle envers toi parce qu'il n'y a personne sur terre qui ait plus d'importance qu'elle à mes yeux…", je souriais timidement à cet aveu de Harry et j'étais ému qu'il trouve le courage de me remercier et de se mettre à nu mais je me dépêchais de revenir à mes provocations habituelles pour l'inviter à changer de conversation.

"Ne t'inquiète pas, Mia a déjà largement donné de sa personne pour payer cette dette...On est plus que quitte", la réplique était osée dans ce contexte mais j'étais soulagé de voir Harry rire faiblement de mon affront.

"Abstiens-toi de me donner plus de détail sur cette partie là. J'en sais déjà beaucoup trop sur la façon dont Mia a payé sa dette...", et j'écarquillais les yeux d'étonnement et d'incrédulité. Je n'osais pas y croire, je n'osais pas le dire le premier dans l'hypothèse où je me ferais des films.

"Elle t'a raconté ça…", et je voyais Harry me fixer avec un air mauvais.

"Oui, j'ai été son meilleur pote gay il n'y a pas si longtemps, tu as oublié ? Donc ravale. Je suis particulièrement à cran aujourd'hui…Ne me teste pas, Ric", et je me mordais douloureusement les joues pour ne pas sourire jusqu'aux oreilles à cette confirmation implicite de Harry. Mia avait tout tût de son voyage au Mexique sauf le meilleur visiblement et j'étais absolument conquis de savoir que Harry m'avait aussi bien accepté malgré ça. Cet homme ne cesserait jamais de m'étonner et il était définitivement de taille pour une femme comme Mia... J'étais particulièrement amusé mais je notais la menace sous-jacente alors je me taisais, pour une fois.

Je le laissais partir et je gardais les détails de ces moments sublimes pour moi parce que cela ne regardait que Mia et moi mais aussi parce que j'avais beaucoup trop d'empathie en ce moment pour Harry. Je redoutais le vrai réveil pour lui. J'avais eu le meilleur d'elle au Mexique malgré sa situation et j'étais donc révolté à l'idée que cet homme ait pu la blesser, qu'il ait osé la forcer, qu'il ait osé la briser et j'étais révolté pour Harry parce que je savais que la situation allait lui éclater à la figure un jour où l'autre. Et il serait cette fois le seul en charge de ramasser Mia à la petite cuillère. J'avais réussi au Mexique grâce au sexe mais de toute évidence, il serait contraint et forcé d'avoir recours à une autre méthode cette fois pour la convaincre de s'accrocher.

J'essayais encore une fois de positiver et de croire qu'elle pouvait de nouveau y arriver. Grâce à lui, cette fois. Si elle avait réussit avec moi, je n'avais vraiment pas de raison de m'inquiéter avec Harry qui avait l'air tout à fait d'attaque pour la suite du programme.