Point de vue : Ricardo

J'étais complètement désolé aujourd'hui encore pour Harry, Charlie, Théo et Julia. J'étais désolé car la situation n'avait pas évolué d'un pouce avec Mia et bien au contraire. Elle n'arrivait plus à faire d'effort avec eux et je la voyais, en totale impuissance, devenir de plus en plus farouche et fermée au terme de cette dernière journée. Elle tolérait juste leur présence, grâce à la mienne et à mes aptitudes au divertissement, mais la situation virait toujours au malaise profond à chaque tentative de ma part de les laisser seuls dans cette chambre d'hôpital.

Je ne savais vraiment pas quoi faire de plus pour aider et j'étais là, dans la salle d'attente, à attendre sagement le retour de Harry et à taper nerveusement du pied d'impatience car le temps défilait et je n'avais plus beaucoup de minutes devant moi si je ne voulais pas rater mon vol retour pour New York.

Et je le voyais enfin revenir en compagnie de Charlie. Ils avaient tous les deux un air tout à fait dépité qui me peinait. Je les regardais s'échouer de part et d'autre de mon siège et soupirer lourdement avant de se mettre à me parler.

"Elle ne supporte pas de se retrouver seule avec nous. C'est une catastrophe quand tu n'es pas là..."

"Je suis vraiment désolé. Je suis sûr que ça va lui passer..."

"Je t'assure que non. Mia est capable de tous les sacrifices pour les gens qu'elle aime mais elle ne se force pas beaucoup avec les inconnus... Tu ne peux pas rentrer à New York. Il faut que tu restes", et je tombais des nues à cette demande ou plutôt cet ordre subite de Harry. Je bloquais, sous l'effet de surprise, pendant plusieurs secondes.

"Je ne peux pas, Harry. J'ai lutté pour avoir cette permission de trois jours. Je dois rentrer à New York"

"ON SE CONTREFOUT DE TON TAFF A LA CON", et j'écarquillais les yeux de surprise face à la réplique soudaine, irrespectueuse, parfaitement égoïste et colérique de Charlie. J'étais plus que déstabilisé mais j'essayais de ne pas me démonter et de me défendre le mieux possible.

"Non. On ne s'en fout pas...Je risque un procès si je ne suis pas à New York demain pour la reprise du tournage. Mon producteur ne blague pas avec ces choses là…", j'essayais de répondre calmement mais j'étais très contrarié du comportement de Charlie. Harry le devinait et il se dépêchait d'intervenir pour apaiser la situation.

"Ce que Charlie essaye de te dire très maladroitement, c'est que ta présence ici est beaucoup plus impérieuse. On a besoin de toi, Mia a besoin de toi. Envoie ton contrat de travail, Charlie va regarder ça et trouver un arrangement avec ton producteur", et je me figeais encore face à ce guet-apens très organisé de Harry et Charlie. Ces deux hommes aux deux méthodes très différentes étaient focalisés sur le même objectif en ce moment : me faire rester pour garder le lien avec Mia.

"Si tu veux mais bon courage pour ça. En attendant, mon taxi est arrivé et je dois vraiment monter dans cet avion. Je n'ai pas le choix mais je repasserai dès que possible", et je me levais sans demander mon reste et en quittant l'hôpital sous leurs airs impuissants.

J'y réfléchissais ensuite dans le taxi, j'envoyais mon contrat à Charlie pour lui laisser tenter sa chance sans grand espoir et je passais tout le trajet à penser à Mia et à la suite des évènements. J'avais toujours la même peine pour elle mais maintenant aussi pour toutes ces personnes que j'avais appris à découvrir et à apprécier un peu plus ces derniers jours.

J'arrivais ensuite à l'aéroport, je passais la porte d'embarquement en envoyant un dernier message à Mia avant de monter à bord et de quitter le sol anglais.

"Force et honneur, ma belle...Comme toujours d'accord ? Je vais bientôt décoller. Je repasse au plus vite. Essaye de te contenter de Harry d'ici là. Je t'assure qu'il n'est pas juste plus beau que moi, il est aussi de meilleure compagnie", je soupirais de tristesse en lui envoyant ses au revoir et je souriais de tendresse à sa réponse.

"Peut-être...mais il n'empêche que je te préfère toi"

"Pour l'instant. Tu verras...Tu vas bientôt courir de nouveau dans ses bras et m'abandonner comme une vieille chaussette", je riais cette fois de ma réplique et j'attendais la sienne.

"Si tu le dis. Et en attendant, c'est toi qui m'abandonne comme une vieille chaussette…", et je sentais mon cœur rater un battement à cette réplique ô combien culpabilisante de Mia. Je me détestais de partir, je ne lui avais jamais fait faux bond par le passé et je me maudissais d'être contraint et forcé en ce moment. Et comme si le ciel avait entendu ma prière, je recevais au même moment un message toujours aussi agréable de Charlie.

"C'est réglé avec ton producteur. Tu as une permission de deux semaines. Je t'envoie un taxi. Je t'interdis de les planter. Crois-moi, ton patron sera le cadet de tes soucis si tu oses monter dans cet avion", je n'approuvais pas du tout le ton mais je souriais et je me mettais à rire malgré moi à cette menace de Charlie. Il me donnait vraiment l'impression de se forcer et de jouer un rôle pour m'intimider et préserver au mieux les intérêts de Harry et de Mia. J'étais dans tous les cas admiratif de son niveau de dévotion et plutôt impressionné aussi par son efficacité puisque ce n'était pas faute de mon côté d'avoir lutté pour persuader mon employeur.

"Demandé si gentiment…Bravo, tu es plutôt valable comme avocat", je riais de son smiley insultant très sommaire en retour et j'en profitais au même moment pour adresser la bonne nouvelle à Mia.

"C'est ton jour de chance. Je reste deux semaines de plus finalement. Je repasse demain matin. Bonne nuit mon chat", et je m'émerveillais de ses smileys cœur par dizaine en retour et je me disais que deux semaines, c'était déjà ça. Les séparations seraient moins pénibles pour Mia d'ici là et ce sursis serait certainement suffisant pour que les choses rentrent dans l'ordre entre elle et Harry ou au moins avec un autre de ses amis pour me permettre de rentrer avec l'esprit tranquille.

J'avais donc fini par revenir le lendemain matin comme promis, en saluant amicalement Harry à mon arrivée et sans manquer une seule miette du sourire moqueur et beaucoup trop satisfait de Charlie. Cet homme était définitivement en train de se payer ma tête.

"Qu'est-ce qui te fait marrer toi ?"

"Rien"

"Si, accouche", et je le voyais hocher la tête négativement et s'obstiner. Je le fixais jusqu'à le faire céder.

"Tu es vraiment un putain de trouillard. Il suffit d'élever la voix et d'être un tantinet menaçant pour te mettre au pas. C'est affligeant. Tu as fait le toutou face à la menace de ton patron et il a suffit que j'aboie plus fort que lui pour que tu changes d'avis", et j'avais la bouche grande ouverte à l'entente de son jugement plutôt humiliant et de son air très taquin. Dire que j'étais surpris et vexé était un euphémisme.

"...N'importe quoi", et je voyais Charlie rire de plus belle face à mon manque d'éloquence et de défense qui en disait long sur la justesse de son analyse. Je pestais simplement et je me dirigeais à pas rapide vers la chambre de Mia pour le fuir. Je le faisais, sans manquer une miette de son nouveau rire moqueur après mon départ.

Et ce rituel avait duré une semaine de plus. Je venais à l'hôpital tous les jours voir Mia, je tenais la chandelle pendant les visites du groupe et de Harry et je passais mes soirées avec eux à la fin des heures de visite. C'était devenu une vraie routine et malheureusement ces jours de plus n'avaient pas permis à Mia de se débloquer. J'en étais toujours au même stade avec elle, elle refusait de décoller de moi, elle refusait de s'ouvrir à eux et elle ne se souvenait toujours pas. Et je sentais Harry se tendre de plus en plus au fil des jours. Sa situation devenait préoccupante, j'avais de plus en plus de mal à le remobiliser et à le faire positiver et la situation se ressentait nettement pendant ses visites à Mia. Il n'arrivait plus à se forcer et sa présence devenait plus désagréable pour Mia. Il refusait pourtant toujours de l'abandonner mais il ne savait plus du tout y faire avec elle, ou du moins avec cette version d'elle.

C'était le bilan de cette semaine malheureusement et j'étais impuissant. Mia était complètement hermétique à mes arguments et mes encouragements et je comprenais un peu plus les discours de Harry sur ses problèmes de confiance. Elle était farouche, vraiment très farouche et beaucoup trop farouche. Je la trouvais particulièrement impitoyable aussi, d'une façon que je ne lui connaissais pas.

Point de vue : Harry

Je prenais encore la route de l'hôpital ce matin pour la retrouver. Mia se contentait de tolérer ma présence et le fait que son comportement soit identique avec Charlie, Théo et Julia me réconfortait dans une certaine mesure. Mais je brûlais malgré tout parce que c'était un supplice. J'angoissais de voir cette amnésie s'installer au fil des jours.

Donc j'étais là ce matin, à me diriger dans sa chambre et je me figeais en trouvant un lit parfaitement vide. J'interpellais l'infirmière qui m'annonçait que Mia venait de sortir et j'étais hors de moi de ne pas avoir été informé. J'étais sur le point de passer tous les coups de fils de la terre pour savoir où elle était quand je tombais un message non lu de Ricardo remontant à plus d'une heure.

"Salut. Mia est autorisée à quitter l'hôpital. Elle m'a appelé pour passer la récupérer...Je la ramène à Paris, rejoindre ses parents. Je t'appelle quand j'ai un moment seul", je soupirais de contrariété mais aussi de soulagement à ma lecture. De contrariété parce qu'elle était entre les mains d'un autre, encore, mais de soulagement parce qu'elle était malgré tout entre de bonnes mains, les siennes en lesquelles je commençais à avoir confiance. Et je me dépêchais aussi de quitter définitivement Glasgow et l'Angleterre pour la rejoindre. Charlie, Théo et Julia avaient déjà pris un vol retour avant hier et je n'avais plus rien à faire ici non plus si Mia n'y était plus.

J'avais pris l'initiative d'aller directement chez ses parents dans l'espoir de l'y retrouver et elle y était. En présence aussi de Ricardo. C'est d'ailleurs Mia qui m'avait ouvert la porte et je n'avais rien manqué de son air surpris et à la limite de la contrariété en me voyant sur son pallier mais j'essayais de l'ignorer, j'essayais de me blinder et je demandais l'accès innocemment en prétextant rendre visite à Ricardo. J'attendais patiemment qu'elle m'ouvre et je l'écoutais m'indiquer avec courtoisie la direction de la cuisine. Elle me l'indiquait poliment...comme si je n'avais jamais mis un pied ici, comme si je n'avais jamais passé toutes ces soirées et tous ces dimanches dans cette famille depuis toutes ces années. J'avais mal, très mal mais je me blindais et je trouvais Ricardo en cuisine avec Pierre. Je les voyais sursauter et je voyais Pierre refermer rapidement la porte derrière moi après mon arrivée. Je comprenais immédiatement qu'une conversation était en cours à propos de Mia et j'essayais de rattraper le train en marche discrètement, en les écoutant attentivement. Ricardo semblait contrarié et Pierre en pleine démonstration d'autorité.

"Son neurologue l'a conseillé"

"L'hôtel est à 100 mètres d'ici, bon sang...Je peux respirer un peu ?"

"Qu'est-ce qu'il se passe ?", mais je ne pouvais pas m'empêcher de poser la question car je ne comprenais rien de leur échange et je m'inquiétais de leur ton.

"Ricardo refuse de séjourner chez nous", et je me renfrognais immédiatement en découvrant cette requête de Pierre et j'étais du même avis que Ricardo.

"Encore heureux. Ric a largement les moyens de se payer un hôtel. Pourquoi est-ce que tu l'obligerais à rester ici ?"

"POUR MIA, HARRY ! Son neurologue n'était pas d'accord pour la déraciner et il nous a mis en garde sur ce qui pouvait arriver si le retour était trop brutal. Elle a besoin de stabilité et de soutien et j'aimerai GRANDEMENT que Ricardo se donne la peine de poser ses valises chez nous pour la dernière semaine. Ça ne va pas le tuer !", j'étais scié et muet. Je n'arrivais pas à le rejoindre sur cet argumentaire, je détestais très franchement l'idée et je voyais Ricardo se tortiller de gêne aussi. Il voyait parfaitement où était le problème, je le savais à ses regards fuyants mais il se faisait dessus face à Pierre. Il n'avait pas le courage de lui tenir tête et il n'avait pas le courage non plus d'affronter ma réaction. Il était dans une position périlleuse, entre deux hommes volcaniques et aux intérêts totalement divergents en ce moment. Et je devais décider des suites à donner : le torturer ou l'aider. Et je repensais à ces derniers jours, à ses efforts, ses sacrifices et je tranchais. Je me dirigeais vers la valise située à côté de lui, je la prenais dans ma main à contrecœur, en soupirant lourdement et en concluant leur échange..

"Je t'installe dans la chambre d'ami au fond du couloir", je voyais le regard surpris et interdit de Ricardo qui se contentait de me laisser faire sans un seul commentaire et avec toujours le même malaise et c'est précisément ce sentiment et cette retenue qui me donnaient envie de lui faire confiance.

J'avais donc déposé ses affaires puis pris quelques secondes d'intimité dans la salle de bain avant de gagner le salon pour le début du repas. J'avais les mains posées sur la vasque de la salle de bain et le moment m'achevait. J'étais venu ici pour me ressaisir et chasser mes idées sombres et tout ce que je trouvais dans cette pièce était ces souvenirs enivrants de Mia [voir CHAPITRE 49 RÉUNION DE FAMILLE]. Je repensais inévitablement à mon dernier passage avec elle dans cette salle de bain, deux mois plus tôt. Je fermais les yeux dans un élan masochiste pour me remémorer la scène et j'avais encore plus mal parce que c'était hier et il y a mille an à la fois. Je sentais l'émotion me submerger et j'entendais au même moment cogner à la porte. Je me dépêchais de me ressaisir et d'ouvrir pour laisser la place au prochain occupant quand je butais sur elle. Sur Mia, toujours aussi surprise de me voir chez elle, toujours aussi importunée par ma présence et à des années lumières de penser aux mêmes choses que moi en ce moment. Je me contentais de lui laisser l'accès en partant sans un commentaire et j'avais poursuivi dans cette lancée à table en l'ignorant.

C'était mieux comme ça pour ce soir. Je me contentais de l'écouter, de la regarder en rêvant éveillé d'être à la place de Ricardo pour la voir de nouveau me sourire et de nouveau l'entendre rire à mes paroles. Mais j'en étais bien loin et la situation ne changeait pas spécialement au cours de la dernière semaine de Ricardo. Bien au contraire, j'avais parfaitement noté les fuites de Mia quand l'un de nous avait le malheur de la prévenir de ma visite mais le plus éprouvant m'était tombé dessus quelques jours avant le départ de Ricardo en surprenant derrière la porte cet échange insoutenable entre Mia et Ricardo.

"Tu es obligé de le traîner partout derrière toi ?"

"Oui. Harry est un ami"

"Tu l'as vu à peine deux fois au Mexique"

"On s'est rapproché après le Mexique ! On a beaucoup échangé à distance, figure-toi. C'est devenu un très bon pote et tu le saurais si tu n'avais pas trouvé le moyen de perdre la mémoire. Donc tu devrais t'habituer à sa présence et commencer à être aimable avec lui", je détestais de savoir que j'étais au cœur de ses messes basses mais j'étais touché et reconnaissant de voir Ricardo prendre ma défense et mentir sans vergogne pour m'aider à gagner du terrain.

"M'habituer ? Comment ? Ce type est malaisant et envahissant. Sans oublier le fait que mon père n'a que son prénom à la bouche et que tu es en train de prendre la même pente insupportable !", et ses paroles me faisaient l'effet d'un vrai coup de poignard parce que je n'étais plus que "ce type", parce qu'elle avouait sans aucun complexe qu'elle n'appréciait pas ma présence et que je l'oppressais. C'était insoutenable pour mes oreilles et insupportable pour mon cœur.

J'étais au bord du précipice quand je voyais Monica arriver à vive allure et ouvrir la porte sous mon nez en toute innocence en les interrompant par la même occasion. Je voyais Ricardo se tortiller de gêne pour la millième fois et quitter la pièce rapidement. Je regagnais le salon et je me dépêchais de prétexter je ne sais quoi pour écourter le repas et fuir cette scène et fuir Mia.

J'avais pourtant promis d'être là pour elle et je l'étais, physiquement mais je savais que je n'y arrivais plus mentalement parce que j'avais beaucoup trop de mal à accepter cette situation, son amnésie mais par-dessus son rejet. Alors j'avais commencé à déserter, à m'inscrire aux abonnés absents pour ne plus l'oppresser mais j'avais fini par remettre les pieds chez ses parents sous l'insistance de Pierre trois jours plus tard et j'étais aussi soulagé que déçu de ne pas voir Mia à ce repas. L'ambiance était supposée être plus légère en son absence mais ce n'était pas le cas. Le silence était pesant, les regards étaient gênés et je m'impatientais rapidement en comprenant que quelque chose n'allait pas.

"Qu'est-ce qu'il y a ?", je lisais au même moment ces expressions simultanées sur leurs visages. Je déduisais effectivement qu'il y avait anguille sous roche.

"Okay...Dites-moi simplement pourquoi je suis ici ?", j'attendais le plus patiemment possible et je voyais Ricardo prendre son courage à deux mains.

"Je rentre demain. Je n'ai plus le choix. Charlie n'a plus de solution pour moi", je posais ma fourchette péniblement à cet aveu et je me faisais violence.

"Je sais. C'était ce qui était prévu", l'idée ne me réjouissait pas du tout puisque je savais que Ricardo se battait bec et ongle pour prêcher ma paroisse auprès de Mia et je savais que son neurologue l'avait identifié comme la meilleure chance de Mia de retrouver la mémoire. Il était le pont entre son ancienne et sa nouvelle vie alors je voyais nécessairement son départ sous un mauvais œil mais je n'avais pas le choix, il n'avait pas le choix et je pouvais juste être reconnaissant de sa présence ses trois dernières semaines.

C'était en théorie le moment de le remercier, de lui souhaiter bon voyage et de rebondir peut-être sur sa prochaine visite mais je n'en avais pas le courage. C'était déjà beaucoup me demander d'accepter son départ car je devinais juste à quel point la suite avec Mia allait se corser, ici et sans lui. Alors je me contentais de prendre mon verre en main avec la ferme intention de faire comme si de rien n'était et de profiter de sa compagnie pour ce dernier repas mais Ricardo prenait de nouveau la parole.

"Je l'ai annoncé à Mia avant-hier et elle n'a pas très bien pris la nouvelle", je gardais le silence, je n'avais pas de commentaire agréable à faire puisque j'avais juste envie de hurler en notant une nouvelle fois à quel point elle était devenue dépendante de lui depuis son réveil à Glasgow. Elle ne jurait que par Ricardo alors que j'aurais dû être son unique point d'ancrage. Elle l'avait toujours été pour moi et encore une fois, je ne l'étais toujours pas pour elle.

"J'imagine", je me contentais donc de cette réponse plate et vide d'émotion. Je posais mon regard sur Ricardo et je plissais des yeux en le voyant légèrement paniquer et je n'aimais pas du tout ce regard. Je commençais à lire beaucoup trop de crainte dans ses yeux et je voyais Pierre courir à sa rescousse. Je l'écoutais d'une oreille distraite, sans quitter Ricardo des yeux.

"Mia a prévu d'aller à New York aussi"

"...Pardon ?", et je tournais la tête vivement cette fois vers Pierre qui avait trouvé le courage le premier de m'exposer le problème.

"Qu'est-ce qu'elle irait faire à New York ?"

"Se changer les idées. Il y a trop de journalistes, de curieux et de pression à Paris. Elle aimerait déconnecter"

"A New York ? Avec Ric ? Et bien non. Il en est hors de question", j'essayais de garder mon calme mais ma réaction était immédiate e sans appel.

"Ce n'était pas une question. Elle va à New York, Harry", j'étais à deux doigts de m'indigner mais je me ravisais face au ton autoritaire employé par Pierre. Il me défiait de lui tenir tête. Je connaissais ce regard, il n'appelait pas de protestation alors je réfléchissais à la vitesse éclair pour trouver un terrain d'entente qui me permettrait de sortir vivant de cette nouvelle épreuve parce que c'était tout bonnement impensable que Mia s'éloigne de plus d'un kilomètre de moi. Je ne supportais pas l'idée malgré toute la complexité de nos rapports en ce moment.

"Très bien. Je vais m'organiser pour vous rejoindre la semaine prochaine", c'était tout trouvé et je redescendais nettement en pression en trouvant cette échappatoire mais j'étais pris de court par la réponse encore très ferme de Pierre.

"Non. Elle y va sans toi. On a proposé aussi d'y aller et elle a refusé. Elle ne veut pas de nous et encore moins de toi. Tu vois très bien qu'elle t'évite à chaque occasion. C'est vraiment malheureux mais ta présence la rend inconfortable en ce moment...Tu la connais, tu sais maintenant que c'est sa façon de gérer les crises. J'en ai parlé encore avec son médecin et il pense dans tous les cas que c'est un coup à tenter. Mia a peut-être besoin de cette coupure pour se souvenir donc la décision est prise. Elle part demain, seule, avec Ricardo".

Je le regardais comme un ovni. J'étais scié au point d'en avoir des palpitations. Pierre était en train de me décapiter. Il me jetait sous un bus. Je sentais mes tripes se tordre un peu plus et mon humeur s'anéantir définitivement. J'osais un regard en biais pour Ricardo qui n'était absolument pas fier et à son aise. Je voyais son air grave, très gêné et compatissant.

"C'est provisoire...Ne fais pas cette tête. On parle de vacances", je notais la tentative de Pierre pour me récupérer au vol et limiter la casse mais c'était complètement inutile. Aucune argumentation ne pouvait me convaincre de la laisser partir.

"Vous ne pouvez pas me demander de rester à Paris...Je ne m'éloignerai pas de Mia...S'il lui arrivait quelque…", et j'entendais Ricardo me couper la parole et intervenir pour la première fois.

"Il ne lui arrivera rien. Adrien est mort et enterré, Harry. Et dans tous les cas, je te promets que je ne la quitterai pas des yeux. Mia s'installera chez moi pour les vacances", et je riais jaune très subitement à cette intervention de Ricardo pleine de bonne volonté et supposée me persuader.

"Chez toi ? Ça n'arrivera définitivement pas...", et je continuais de rire jaune et très jaune. Je n'osais plus un regard pour Ricardo. Je l'évitais pour m'éviter de ressentir cette poussée de violence indésirable envers lui. J'essayais d'inspirer, de me canaliser, je n'étais pas du tout familier à l'exercice, c'était quelque chose que j'avais toujours été incapable de faire mais je n'avais pas le choix parce que j'étais à la table de Monica et de Pierre. Je devais m'écraser et me calmer mais le fond de mes pensées transpirait dans cette réplique. Ricardo n'avait pas besoin de dessin pour le comprendre. C'était une parodie, un nouveau triangle amoureux en perspective, ma fin assurée avec Mia, du moins le risque très important de ma fin assurée avec Mia. Et il était hors de question que je prenne ce risque. Ricardo s'empressait de réagir en ayant pleinement conscience de mes tourments et de mes angoisses sur ce point.

"Enlève-toi ça de la tête...", je pouffais de nouveau de rire. D'un rire particulièrement nerveux. Je me mordais les lèvres et je le fixais. Avec beaucoup trop de dégoût. Je savais que mon ressentiment à date était injustifié et inapproprié mais je n'arrivais pas à m'en empêcher parce que j'avais des nausées violentes rien que de l'imaginer. J'avais déjà été sensiblement torturé de le savoir ici, chez ses parents, en sa compagnie, mais c'était encore pire de l'imaginer à New York, en tête à tête avec elle, dans son loft ostentatoire. Cette fois, c'était beaucoup trop m'en demander. Ricardo pouvait me sortir tous les violons possibles, je n'arrivais pas à lutter. Et il le constatait. Je le voyais à son air particulièrement indigné et je dirai même blessé.

"Pour qui est-ce que tu me prends...? ", je gardais le silence malgré sa nouvelle tentative de me convaincre. J'étais en posture de défense, j'étais beaucoup trop retourné par l'annonce pour me raisonner. Je ne changeais toujours pas d'avis même en le voyant quitter la table brutalement, vexé comme un poux.

Il ne restait plus que moi et les parents de Mia à cette table après le départ subite de Ricardo. Je voyais Monica se lever de table aussi et partir discrètement, certainement pour rectifier le tir auprès de lui. J'éloignais mon assiette avec contrariété pendant ce temps là. Cette conversation venait définitivement de me couper l'appétit mais surtout j'avais un mal de chien. Il ne restait plus que Pierre et moi et je n'arrivais pas à sortir le moindre son ni à me sortir de mon état chaotique.

"Il n'était pas du tout enthousiaste à l'idée, Harry. D'abord, parce qu'il savait parfaitement que ça n'allait pas te plaire et ensuite parce que ça ne l'amuse vraiment pas d'avoir cette place et cette responsabilité aujourd'hui envers Mia. Cette histoire est en train de chambouler toute sa vie aussi. Ricardo est un loup solidaire. Il a beau adorer Mia, ce n'est pas le genre d'homme à aimer jouer aux chaperons et encore moins à apprécier la colocation. C'est moi qui ait insisté pour qu'il accepte. Je lui mets une pression monstrueuse pour qu'il continue de la prendre sous son aile et il faut que tu ailles dans mon sens. Ne te mets pas à le prendre en grippe", je soupirais douloureusement à ce discours de Pierre. J'essayais de l'entendre, d'être raisonnable mais je n'y arrivais toujours pas. Mais je comprenais parfaitement bien à ce stade de la soirée que Mia avait pris sa décision et que Pierre ne lâcherait rien pour faire appliquer sa volonté. Je savais que c'était perdu d'avance mais j'essayais une dernière fois d'argumenter pour le ranger de nouveau de mon côté et le faire abandonner cette idée insupportable.

"Tu ne peux pas me demander de sourire alors qu'elle est en train de me fuir dans ses bras...Tu ne sais pas tout ce qu'il s'est passé entre eux...Et elle s'en souvient très bien...Elle se souvient parfaitement de lui et elle a tout oublié de moi...", cette réplique sonnait de façon suppliante. Les mots sortaient péniblement mais je suppliais Pierre du regard parce que c'était là tout mon problème. J'avais déjà eu l'occasion de me frotter et de me confronter à Ricardo et je savais que mon seul véritable avantage était cette vie de souvenir avec Mia. Pour le reste, il excellait sur tous le reste. Il était tout à fait capable de rivaliser, de la charmer et de la faire céder.

"Bien sûr que je sais. Ils ont eu une aventure. Soit. Il n'y a rien de plus à dire à part que c'est terminé. Dans tous les cas, Mia est convalescente, elle n'est pas du tout prête pour ce genre de chose et il faut aussi être deux pour ça et Ricardo m'a promis qu'il ne se passerait rien. Je pense que c'est un homme digne de confiance"

"Je n'ai pas envie de courir le risque..."

"Il n'osera pas. Cet homme est très loin d'en avoir une aussi grosse paire que toi. J'ai pu constater de moi-même qu'il était très réceptif aux menaces. Je te promets qu'il sait ce qu'il attend s'il montre le moindre signe de faiblesse...", Pierre me souriait, il essayait de me détendre pendant qu'il m'adressait une poigne ferme sur l'épaule mais je n'avais aucune envie de rire et je n'arrivais pas à redescendre en pression. J'avais ce poids énorme sur l'estomac, cette boule insupportable dans la gorge et cet étau étouffant dans la poitrine qui m'empêchait complètement de lâcher prise.

J'étais écorché vif, pour la millième fois en deux ans. Je brûlais à l'idée de la voir quitter encore le pays, à l'idée de la voir encore s'éloigner davantage et toujours plus loin de moi mais surtout je brûlais à l'idée de la perdre. A l'idée de la perdre pour de bon cette fois. Avec Ricardo ou même avec un autre.

Donc je n'arrivais pas à répondre à Pierre, je sentais juste l'émotion arriver à un point culminant en pensant encore à cette éventualité et il n'en manquait pas une miette. Je le sentais à sa poigne maintenant plus douce et à son ton plus empathique en me voyant me décomposer encore plus.

"Harry...si j'avais eu mon mot à dire, c'est chez toi que je l'aurai envoyé. Tu le sais très bien", ses paroles étaient supposées être réconfortantes mais mon agonie se poursuivait.

"Je n'y arriverai pas... Je ne peux pas la laisser partir. Je suis incapable...de vivre sans elle...Je n'ai jamais réussi et je n'y arriverai plus...Pas après tout ça…", j'entendais ma voix s'enrouer en fin de phrase. Je me dépêchais de me taire avant le torrent de larmes et je sentais le regard très étonné et indigné de Pierre.

"Qu'est-ce que tu racontes ? C'est l'histoire de quelques semaines. Mia va revenir et elle va se souvenir de toi. Tu l'as écrit sur son dos. Vous allez vous retrouver. Ne perd pas ça de vue, fiston", il venait de tenter un dernier sauvetage mais sa référence à ce tatouage et à cette promesse (**toujours t'aimer, ne jamais t'oublier**) était la phrase de trop. Elle était beaucoup trop cruelle, elle me donnait le coup de grâce et je m'effondrais. Je craquais, je pleurais, purement et simplement, sous les yeux impuissants de Pierre. Je le faisais pudiquement d'abord puis sans filtre en sentant son étreinte puissante autour de mes épaules. Je recevais docilement son geste paternel qui me soulageait autant qu'il me tuait.

J'étais juste maudit. J'avais promis de tenir sur mes pieds pour elle mais j'avais vraiment besoin d'en finir pour de bon maintenant. J'avais besoin que cette farce prenne fin rapidement parce que je sentais le point de rupture approcher dangereusement. J'essayais malgré tout de me ressaisir sous les encouragements et gestes de réconforts de Pierre.

Mia avait besoin de ces vacances à New York, loin de moi. Je commençais à me le répéter en boucle pour l'intégrer et je m'accrochais à l'idée qu'elle en avait besoin pour mieux me retrouver. J'allais encore devoir serrer les dents mais je ne supportais pas de ne pas savoir encore pour combien de temps.