ACTE III :

Jaime s'était rendu dans un quartier beaucoup plus pauvre que ceux qu'il fréquentait d'habitude, et avait déniché une petite pharmacie dans un angle de rue, qui ne payait pas de mine mais qui ferait très bien l'affaire, pensait-il…

Il entra, et le capharnaüm qui régnait aurait du lui mettre la puce à l'oreille et le faire fuir : des cartons de produits non déballés s'entassaient à hauteur de hanches entre les rayons déjà exiguës de la petite échoppe, et personne dans les allées. Il se fraya un chemin jusqu'au comptoir où il devinait une personne en blouse blanche accroupie en train d'éventrer des cartons au cutter.

-Bonjour…

La femme se redressa immédiatement, le cuter en main et une lueur un peu folle dans le regard. Jaime recula imperceptiblement. Elle était indienne et tout à fait banale, sur son badge argenté on pouvait lire "Litany".

-Vous désirez ?

-Heu… bafouilla Jaime, un peu mal à l'aise sous le regard inquisiteur de son interlocutrice, qui le matait ostensiblement. Ce serait pour une pilule du lendemain, s'il vous plaît.

-Je vois…

Dans la réponse de la pharmacienne on pouvait lire du jugement. Le jeune homme se demanda s'il devait rester : plusieurs fois déjà on lui avait stipulé que c'était la personne qui prendrait le médicament qui devait se présenter à la pharmacie, mais la réponse variait selon les employés.

-Je suppose que ce n'est pas la peine de vous faire la morale, vous n'utiliserez pas de préservatifs si je vous en parlais ?

-C'est à dire que…

-J'ai quelque chose pour vous, jeune homme ! le coupa la pharmacienne avec un grand sourire en filant dans l'arrière-boutique.

Comme ce n'était pas un "non", Jaime resta. Il l'entendit fouiller, quelque chose de lourd tomba, un "aie" retentit, on brassait des cartons… La porte du magasin s'ouvrit et une jeune femme de petite taille entra. Elle tenait un bébé emmailloté de jaune poussin dans les bras et un cabas sous le coude.

Quand la pharmacienne revint, elle avait des dizaines de boites du même médicament entre les bras.

-Alisone ! De quoi as-tu besoin ? s'exclama-t-elle en voyant la jeune mère.

Elle fit le tour du comptoir et donna toutes les boites à Jaime qui les prit par réflexe.

-Tenez, c'est pour vous. La date de péremption est tout juste dépassée mais vous pouvez encore vous en servir toute l'année.

Jaime regarda son chargement : des dizaines de boites de spermicide… Cette pharmacienne était givrée ! Encore que ça n'était pas le plus inutile des dons… Mais il n'avait toujours pas ce qu'il était venu chercher.

-Je t'écoute Alisone. Comment va ce petit trésor ?

-Pas très bien justement. J'aurais besoin de produit pour lui déboucher le nez, et de doliprane en poudre en attendant de voir un docteur.

-Je vais te chercher ça tout de suite. Tu sais te servir du spray ?

-Oui, mais…

-Très bien. Des fois je vois passer des parents affolés qui ne sont pas fichus de se mettre à soigner leurs enfants. ça me dépasse…

-Mais, le jeune homme était là avant moi… précisa la dénommée Alisone en lui jetant un regard.

-Le jeune homme peut attendre, balaya la pharmacienne en filant à travers les rayons.

-C'est à dire que justement, ce n'est pas quelque chose qui peut attendre ! la contredit Jaime en élevant la voix pour être sûr qu'elle l'entende.

-Je connais le concept, mon garçon, mais crois-moi, ce ne sont pas quelques minutes de plus qui vont changer ton affaire, le rabroua la pharmacienne. Je vais te donner de quoi ne pas attraper la même chose qu'Alisone, n'ai pas peur. Je n'ai pas pour habitude d'effrayer les lycéens comme certains confrères, moi.

Alisone lança un regard perplexe à l'adolescent, qui lui rendit un regard disant "c'est votre amie pas la mienne" en haussant les épaules, et une boite de spermicide tomba par terre, qu'il était en incapacité totale de ramasser. Agacé, il déversa les boites sur le comptoir. Par curiosité il s'approcha pour voir l'enfant. Rien de transcendant. La jeune maman lui sourit néanmoins.

La pharmacienne déjantée revint avec un spray nasal pour tous petits et du doliprane en poudre pour bébé.

-Et voilà ! Rien d'autre ?

La jeune mère fit non de la tête. "Merci."

-De rien, passe le bonjour à Brendan.

Alisone paya et s'en alla sans demander son reste. A vrai dire, c'était la pharmacie au bout de sa rue, et elle était bien pratique. Pour le reste… le service était un peu étrange.

-A nous deux, jeune homme. C'était pour quoi déjà ?

-Vous vous foutez de moi ?

-Totalement. Vous voulez la marque ou le générique ? Je n'ai que ça à vous proposer, mais de vous à moi, toutes les marques ont la même efficacité.

-La marque, je préfère… bredouilla Jaime, pris au dépourvu. Est-ce que vous auriez un… sac, pour toutes ses boîtes ?

-Un carton, ça vous irait ?

Sans broncher il prit ce que la pharmacienne lui donna, et avant de partir il lui balança :

-La pilule… c'est pour ma soeur.

L'indienne eu l'air bien embêtée et rougit, mais avant qu'elle ai pu bredouiller une quelconque excuse, l'adolescent avait franchi le seuil de sa boutique.

Et Jaime rentra chez lui avec un carton débordant de boîtes de spermicide, et une pilule du lendemain.

Quand Cersei, en peignoir de bain et les cheveux encore humides, le vit entrer dans sa chambre, elle haussa un sourcil surpris.

-Tu es bien sûr de toi… siffla-t-elle en pointant du menton le carton rempli de spermicide.

-Ce n'est absolument pas ce que tu crois, et ne pose pas de questions, s'il te plait. Voila ta pilule.

Cersei s'empressa de déballer le médicament et l'avala avec un grand verre d'eau. Elle se sentit tout de suite rassérénée.

-Merci, souffla-t-elle.

-Tout ce que tu voudras… Qu'est-ce qu'on fait de ça ? en pointant le spermicide.

Cersei en prit une boîte et alla la cacher sous sa commode.

-Père ne me rend pas souvent visite, mais on ne sait jamais : cache le reste dans ta chambre, il ne faudrait pas qu'il me trouve avec ça… et reviens me voir… Je suis toute propre… bien trop propre…

Jaime fit l'aller-retour en un temps record.