Hey !
Et encore un OS sur ces deux-là. Toujours pour le Calendrifinement organisé sur l'Eclaireuse. (Pas besoin d'avoir les détails pour lire ce texte, mais si vous voulez des infos là-dessus, vous avez tous les liens sur mon profil !)
Le thème du jour était Adopter.
L'OS d'hier a été écrit par Laemia, sur le thème Mondes. Celui de demain sera posté par Milou, sur le thème Académie !
Merci à Mijoqui et à Aya pour les reviews sous le texte précédent, je vous réponds au plus vite !
Sur ce, bonne lecture !
Des difficultés de la parentalité
.
C'est rien. Juste un surplus de fatigue. C'est que dalle vraiment, ça va passer. Comme à chaque fois. Il va laisser Axel coucher les gosses, filer se pieuter, et demain sera un autre jour. Un autre jour, oui.
Saïx inspire. Comme si la vague d'air qui vient gonfler ses poumons pouvait éteindre le feu qu'il sent pulser à l'intérieur.
Du bruit, en haut. Ça court, ça cogne. Des talons qui frappent le sol, des rires. La voix d'Axel qui monte, et les piaillements qui redoublent. Puis ça s'adoucit. D'un coup. Murmure, silence. Un tissu qui bruisse. Il imagine la couette épaisse sur les épaules de Roxas et Xion. Les chuchotis tout bas jetés comme des secrets. Les regards complices. Une voix, encore, une histoire qu'on lit. Un ton plein de mystère coupé d'exclamations. Tchoupi chez le docteur, une aventure palpitante.
Et puis plus rien. Le vrai silence. Posé sur le canapé, Saïx songe à la table derrière lui. Aux assiettes sales qu'il va devoir mettre au lave-vaisselle. Aux plats trop gros, qu'il va devoir laver à la main. Après en avoir vidé le contenu dans des Tupperwares. Et puis l'éponge, qu'il va devoir passer. Et l'aspirateur, aussi, puisque Roxas a envoyé voler ses délicieuses miettes de pain sur le carrelage. Pour nourrir les souris, qu'il dit. Les souris.
Rester calme.
Des pas dans les escaliers. Axel ne parle pas. Mais le pouce levé qu'il lui adresse suffit. Mission accomplie. Les marmottes dorment. Ils ont la paix. La paix pour la nuit, si les deux loupiots ne se réveillent pas sur un nouveau cauchemar pour mieux se glisser dans leur lit.
Au moins, avec l'adoption, ils se sont épargné les nuits fragmentées et les biberons à préparer passé deux heures du matin. Oh, et les couches. En partie. Saïx préfère mille fois jeter une couche pleine de pipi au matin, plutôt que de devoir laver les fesses crottées de ses gamins à longueur de journée. Là-dessus, il a de la chance. Il a passé le pire. Et puis, il a Axel pour l'aider. Axel qui vient se coucher près de lui, la tête sur son ventre. Ses jambes de sauterelle qui dépassent du canapé.
Il a Axel, oui.
"Ça va ?" le renard demande.
"Oui.
- Et en vrai ?"
Ses doigts vont jouer dans sa main, se baladent et grimpent le long de son bras pour retrouver sa joue. C'est tendre. Tendre comme le rouquin peut l'être, parfois, quand la fatigue l'assagit. Mais les contacts effleurants l'irritent pire qu'une craie sur un tableau. Il le chasse. S'en veut aussitôt. Comme l'huile jetée sur le feu, la culpabilité redouble sa colère.
"A ton avis."
Acerbe, le ton. Il le sait. Il le sait, mais tout ce qui sort de sa bouche prend la couleur noire de ses sentiments. Un venin qui lui pique la langue. De l'acide. Il se redresse.
"Saïx ?"
Sur lui, deux yeux limpides comme un verre d'absinthe. C'est peut-être ça qu'il lui faudrait, tiens. De l'alcool. Un grand verre pour lui assommer les idées. Oublier deux minutes que demain, son réveil va sonner à six heures trente parce qu'il amène les petits à la crèche. Qu'il doit se préparer lui, avant de les préparer eux. Puis qu'il va enchainer sur son mi-temps, les récupérer le soir avant qu'Axel ne rentre, et…
"C'est rien.
- C'est rien mon cul, ouais. T'as fais la gueule toute la soirée."
Ça pique. S'il ne lui rend pas la remarque, c'est bien parce qu'il voit la compassion sur l'iris lisse du renard. Pas de reproches, juste un constat. Un constat.
"Alors ?
- Je suis fatigué, c'est tout."
C'est tout. Ça sonne comme c'est rien. Comme c'est là que repose tout le problème. Il est fatigué.
Cette fois, il laisse se poser la main qui atteint sa joue.
"Saïx. Si je te pose la question, c'est pour que tu parles. Arrête de te planquer."
Se planquer. Il serre les dents.
"S'y a un souci, on en discute. J'ai plus quinze ans, je vais pas me vexer parce que t'as un reproche à me faire, ok ?"
Oui. Oui, bien sûr, il sait. Puis des reproches, il ne se prive pas de lui en faire. Mais c'est facile de le tacler, quand il cache ça sous une plaisanterie. C'est plus dur de l'ouvrir, quand il s'agit d'être sincère. Sincère sur un détail, une pensée, un sentiment qu'il ne devrait pas avoir. Qu'un parent ne devrait pas même envisager, en posant ses yeux sur ses gosses.
Il les a voulus, ces enfants. Ils les ont voulus. Et il les aime, sincèrement. Mais parfois…
"C'est pas toi."
Parfois…
"Raison de plus pour me le dire, alors."
Saïx déglutit.
"Alors ?"
La main passe derrière sa nuque. Il déglutit.
"C'est à propos de Roxas et Xion, hein ?"
Bien sûr, Alex le devance. Comme toujours. Et ça bloque dans sa gorge, d'un coup. C'est dur, ça pique, une brique coincée. Le chemin est barré. Son cœur se gonfle. Il pousse et tous ses muscles se crispent quand, soudain, la pauvre petite phrase couverte de honte lui sort du gosier.
"J'aimerais qu'on les ait jamais eus."
Odieux. C'est odieux, ce qu'il vient de dire.
"Parfois."
Voilà. C'est lâché. Il se penche, la tête entre les mains. Le visage caché derrière une fournée de doigts froids. Le corps comme sur un nuage. Sauf que le canapé n'est pas si léger. Son cœur non plus.
Bon sang.
Il y a des jours, des soirs surtout, où les petits regards brillants d'admiration qui se posent sur lui l'irritent. Des soirs où il voudrait juste du silence, un bon film, une clope au balcon et un chat à caresser. Mais pas des gosses. Surtout pas des gosses.
Sur sa nuque, le pouce d'Axel se perd en petits cercles.
Il se revoit, à peine une demi-heure avant.
La fin du repas. Se lever, aller chercher les desserts pendant que son mari et meilleur ami s'efforce de faire avaler deux cuillères de purée de plus à Xion. Attraper les yaourts au chocolat. Entendre Roxas se plaindre parce qu'il préfère ceux à la vanille. Nettoyer, au passage, la purée qu'il a fait tomber sur la table. Finir ses haricots. Ceux qu'il n'a pas mâchouillés avant de les recracher dans le coin de l'assiette. Se laisser tomber contre le dossier de la chaise. Et sentir, encore, une petite main qui tire sur son pull.
Ses nerfs en pelote.
"On mange sur une chaise, Roxas. Retourne t'asseoir.
- Les genoux.
- Qu'est-ce que j'ai dit ?
- Si te plaît."
Soupirer. Le regarder. Sentir cette colère qui monte, lasse, épuisée. Tendre un bras pour le laisser grimper. Attraper son yaourt avant qu'il ne s'écrase au sol. Supporter ce poids minuscule sur ses cuisses, qui l'empêche d'atteindre correctement la table. Inspirer. Expirer.
"Et tu sais, aujourd'hui, Hayner il a été puni par la maîtresse parce qu'il a écrit sur les murs, et qu'on a pas le droit d'écrire sur les murs."
Écouter. Faire semblant d'écouter. Hocher la tête. Entendre la cuillère tomber. Serrer les dents. Attraper Roxas avant qu'il ne tombe aussi en essayant de la récupérer. La ramasser. Aller en chercher une propre. Trouver le tiroir vide. Soupirer, laver la cuillère et s'en retourner au salon. Retrouver le blondin, une belle tache jaune sur son haut de pyjama.
"C'est tout sale !
- Oh, vraiment ?"
Affronter l'étonnement qui tombe face à son cynisme acerbe. Le regard perdu de son fils et celui, inquiet, d'Axel. Réaliser, trop tard, le timbre de couteau qui a accompagné ses mots.
"Monte poussin. On va nettoyer ça."
Et se sentir minable, de voir son époux prendre les devants alors qu'il doit se mordre la langue pour retenir sa colère.
"T'es fatigué, Saïx. C'est normal d'être à bout.
- Et quand est-ce que qu'on pourra enfin se reposer ?"
Savoir que cette journée, encore et encore, va se répéter. La couche, les trajets, les courses, le repas, les cris, les tâches, les verres cassés, les pleurs, les pansements. Les nuits trop courtes, et l'angoisse qui lui vole de précieuses heures de sommeil. Toujours.
Plus jamais, la vie calme d'avant.
Et pourtant il les aime, ces gosses. Ces deux bouilles friponnes pleines de malice qui se lovent contre lui la nuit, en secret, pour profiter de sa chaleur. Deux petits serpents roulés dans ses draps.
Et le sourire désolé d'Axel qui caresse sa joue.
"Pas dans l'immédiat."
Mais qui ne peut forcer Saïx à le regarder. Les yeux du balafré tombent sur le plaid sale qui recouvre le canapé. Sur les oreillers éparpillés.
"Eh."
Sur les doigts qui décorent sa joue. Longs doigts fins comme des tiges, sans les fleurs au bout. Ça fait longtemps qu'Axel n'a pas verni ses ongles. Ils n'ont plus le temps pour ça.
"C'est pas grave, Saïx."
Ses enfants. On ne rêve pas de voir ses enfants disparaître. On ne regrette pas de les avoir un jour accueillis dans sa maison.
"T'as le droit de penser ce que tu veux. Et de ressentir ce que tu ressens. Tu peux rien contre ça, alors t'en veux pas."
La main caresse une pointe de la croix qui fend son visage. Descend dans son cou. Là où ses cheveux colorés se promènent.
"On est fatigué, c'est normal d'en avoir ras le bol. Les gosses, ça bouffe de l'énergie.
- On les a voulus."
Il les a voulus. C'est même lui qui a glissé l'idée à Axel.
"Et ? Tu crois que t'es le seul père au monde à regretter, le soir, quand il a enchaîné le boulot et la garde des petits ?"
Oui ? Les autres, à la garderie, ils ont l'air rayonnants. Pressés, parfois. Un peu ailleurs. Au boulot, ça crache plus souvent sur la femme qui fait chier que sur les marmots qui courent dans la baraque. Alors oui. Non ? Il ne sait pas. La parentalité, chez les autres, ça a l'air tellement… Certes, c'est lourd, parfois. Mais pas autant. Pas à ce point. Il croit ?
Est-ce qu'il leur arrive parfois, juste parfois, de regarder ce rayon de soleil qui leur tend les bras, et de penser Je voudrais que tu n'existes pas ?
"C'est normal. Puis ça se passe dans ta tête. Ça fait de mal à personne, ok ? Ce que tu penses et ce que tu ressens, c'est à toi."
La tête qu'il a fait, Roxas, quand il lui a répondu. Il ne comprenait pas. Pourquoi ce ton ? Pourquoi ce regard comme un canon de fusil ? Il a quoi, papa ?
"C'est pas parce que tu penses ça que tu vas les abandonner sur le bord de l'autoroute sur le chemin des vacances. C'est deux trucs différents, ok ?"
Il laisse faire, quand Axel approche lui même sa tête de son épaule. Une invitation au repos. Sa main dans ses cheveux. Ses doigts qui glissent. Caressent. Dessinent des promenades sur sa nuque. Il ferme les yeux. Plus jeune, peut-être, il aurait pleuré. Pleuré de colère, d'impuissance, contre ces émotions qui se balancent à l'intérieur. Pleuré parce qu'Axel rayonne, en comparaison. Parce qu'il est là, tout sourire, à mettre le pyjama de Roxas au sale alors que le gamin court tout nu à l'étage. Il les couche, il leur lit des histoires et lui, lui, il s'affale dans le canapé et il pense Pourquoi est-ce qu'on les a adoptés ?
"C'est pas grave."
Il se laisse cajoler.
"Ils sont en vacances dans deux semaines. On les laissera chez ma mère le temps de se reposer, ok ?"
Deux bras maigres autour de lui. Tellement de force dans ce peu de chair. Tellement de conviction.
"On prendra une semaine juste pour nous."
Une semaine. Une semaine, juste lui est Axel. Sans les rayons de soleil. Une semaine de repos, de soirées films et de longues nuits ininterrompues. Oui. D'accord. Une semaine. Une semaine, et après, ils récupèrent les trésors.
"Bien.
- Je l'appelle demain et ce sera réglé."
Saïx ferme les yeux. Il ne le dit pas, mais il pense merci. Merci infiniment. Merci de ne pas juger. Merci de comprendre, et de le prendre dans ses bras. Merci de l'écouter. De creuser sous la carapace alors qu'il montre les crocs. Merci d'entendre ce tout petit mot que ses lèvres se refusent à souffler.
Une semaine. Une pause. C'est bien, une semaine.
"Maintenant va te coucher. Toi aussi, t'as besoin d'une nuit complète.
- Je dois m'occuper de la vaisselle.
- Que dalle, tu t'occupes de te foutre à poil et de m'attendre au lit. C'est moi qui gère la vaisselle et la bouffe.
- Tu ne sais pas ranger les assiettes dans le lave-vaisselle.
- Et toi tu sais pas prendre soin de toi. Pourtant, va bien falloir qu'on apprenne."
Un début de sourire. Saïx ne bouge pas pour autant. Il reste contre Axel, encore un peu. Là où ça sent la clope, même si ça fait cinq ans qu'il n'y touche plus. Cinq minutes. Juste cinq minutes.
Encore cinq minutes.
Wala Wala. Si ça vous a plu, n'hésitez pas à aller voir les participations des autres membres !
A une prochaine fois !
