Hey !
J'arrive avec un OS un peu spécial, puisqu'il s'agit d'un cadeau d'anniversaire. En effet, on fête aujourd'hui la naissance d'une personne merveilleuse qui mérite toute l'affection du monde, Ya !
Joyeux anniversaire, merveille !
Je t'envoie de l'amour par colis de vingt kilos, des bisous et mon cœur. Et ce cadeau. (qui est d'ailleurs un RP!UA. C'est lisible même pour les gens qui n'ont pas le contexte, mais ça va faire très "fragments de vie" pris au hasard)
Tu es une personne précieuse, alors prends soin de toi et de ta lumière. On aime venir s'y réchauffer.
(J'ai piqué des passages du RP, du coup tu es techniquement un peu l'autrice de ce qui va suivre. Il est possible que j'ai modifié des morceaux de dialogues, pour que ça colle avec le style du texte. Voilà)
J'espère que la lecture te plaira !
A l'amour comme à la guerre
.
"Eh."
Les mains sur sa feuille, Saïx trace une ligne droite au stylo Bic. Il abaisse la règle, répète l'opération. Le bandeau vide fend la page lisse. Il contemple le résultat d'un air satisfait, et repose délicatement son outil avant de s'emparer du sujet qu'on leur a distribué. Quatre exercices. Des équations.
Il sait faire.
"Quoi ?"
Près de lui, Axel s'est installé sur le lit. Sa tignasse rousse jure sur un oreiller indigo, où se mêlent mèches et tissus effilochés. Son corps long se termine sur deux jambes croisées qui dépassent du matelas, comme sa tignasse déborde elle-même contre le mur. Il a grandi. Et il est bien parti pour pousser encore. Bientôt, ce sont les murs de la maison qui s'écarteront sur son passage. Déjà qu'il doit courber le dos pour grimper au grenier.
"Tu me coupes les cheveux ?"
Saïx souffle. A quoi est-ce qu'il s'attendait ?
"Je suis occupé.
- C'est bon. On a une semaine pour le rendre, ce devoir."
Une semaine. Axel va la prendre pour se prélasser sous les restes de soleil et agripper solidement sa manette. Puis il viendra gratter à sa porte la veille, armé d'un regard suppliant, à lui demander de l'aide pour résoudre une équation qu'il aurait tout aussi bien pu réussir seul, s'il s'y était pris dans les temps. Alors Saïx a tout intérêt à terminer maintenant. Plus vite il en aura fini avec ce devoir, vite il pourra lui refiler sa réponse. Glisser la feuille vers lui sans un regard.
"Et dans une semaine, on aura d'autres devoirs.
- Mm."
Un grognement plein de mauvaise foi quitte la bouche légère du rouquin. Son ami garde ses deux yeux solidement ancrés sur la feuille qu'il tient. La pointe de sa plume gratte sur le papier. Un bruit irrégulier, irritant. Comme la pâte d'un petit animal qui griffe contre la porte. Ça frotte.
Les chiffres se mêlent sous ses yeux. Mais sur sa peau, il sent le poids de deux cercles vert nucléaire qui l'agrippent.
"Allez. Tu pourras faire ça plus tard.
- Tu peux aller chez un coiffeur.
- Ouais, va dire ça à ma mère."
Sa langue claque. Une douleur mince dans le torse du bleuté. C'est bas, ça. Axel appuie là où ça fait mal. Consciemment.
"Demande à la mienne. Elle t'y emmènera."
Il l'entend qui souffle, alors qu'il donne un coup de surligneur sur l'encre enfin sèche. Aucune bavure. Le résultat est d'une netteté satisfaisante. Saïx s'autorise même un sourire, alors qu'il repose l'outil pour relire son premier calcule. Il tend la main pour saisir sa calculatrice, voir si l'appareil lui donne bien le nombre qu'il vient d'inscrire. Mais une volée de doigts blancs s'empare de l'outil avant lui.
"Vas-y, balance l'énoncé.
- Axel.
- Allez. Donne, j'me fais chier."
Une longue inspiration. Le collégien cherche à l'intérieur le calme serein que son camarade a le don de briser. Le vide. Pas de colère. Juste la concentration qu'il lui faut. Un océan blanc. Vierge. Il pose ses mains sur la table, ses yeux sur la feuille. Articule nettement.
"4a plus 2 qui est égale à 43.
- a égale 19."
Il fronce les sourcils. Les chiffres ne sont pas bons.
"Donne.
- C'est bon, j'déconne. Ça fait 10,25."
Le soulagement. Il reprend son activité. L'encre bleue dessine des boucles et des barres entre les lignes claires. Toujours, les traits se terminent sur le même petit interligne azuré. Il trace chaque trait à la règle, gomme d'un coup d'effaceur le détail qui dépasse. Puis il pose son stylo. Encore, il attend que l'encre sèche. Bras croisés.
"En vrai ça prend cinq minutes. Faut juste des ciseaux et un miroir.
- Tu trouveras tout ça dans la salle de bain.
- Et quelqu'un pour couper. Gros malin."
Saïx ignore ce morceau de phrase. Il attrape la feuille qui porte les énoncés, raye proprement les deux calculs qu'il vient d'effectuer. Encore deux, et il sera libéré. Un DM de moins. Ne restera plus que ce cours de conjugaison à réviser, pour l'interro de demain. Puis le repos mérité. Paré pour les cours, fin prêt pour les examens de fin d'année. La Seconde ne lui fait pas peur, il l'attend le pied ferme.
Et celui d'Axel, justement, tape contre le parquet abîmé de la chambre. Son corps souple glisse hors du lit. Il l'entend qui frotte contre les draps alors que le félin se redresse, s'approche sur la pointe des pieds.
"S'il te plait ?
- Je suis toujours occupé.
- Allez, c'est chiant ton truc. Tu peux t'en occuper quand je suis pas là."
Le fait est - Saïx est tenté de lui faire remarquer - qu'il est toujours là. Axel est assis à sa droite en classe. A sa gauche, à la cantine. Il rentre avec lui après les cours. Il partage son goûter avant de grimper dans sa chambre, squatte sa console, s'assoit contre la baignoire quand il se lave, se fait une place contre lui les nuits où il reste dormir. Il vient frapper à la porte les Samedis et rit avec sa mère sur le seuil, avant de venir le tirer du lit. Ou de son livre, selon l'heure.
"Et toi, tu peux attendre que je termine.
- Ça veut dire que tu t'occuperas de moi quand t'auras fini ?"
Sa voix, comme du miel. Saïx jure. Il se savait bien qu'il y avait un piège. Avec Axel, la méfiance est toujours de mise. Et il s'est fait avoir. Trop tard.
"On verra."
Un pas régulier derrière lui. Des planches qui grincent. Un sourire qui flotte. Sur le dossier de sa chaise, deux mains aux doigts longs se posent. Un poids nouveau pèse.
23a x 12a + 8 = 2. Il écrit patiemment. Dessine avec application la forme des chiffres, et tire une satisfaction plaisante à observer le résultat.
Le poids s'accentue. Celui des mains, et du regard sur lui. De la présence qui le surplombe.
"T'as bientôt fini ?"
Le son traverse son oreille. Une lance pleine de miel. Son cerveau se fige. Ses pensées, brusquement secouées, se mêlent dans sa tête. Son stylo attend, la pointe de la plume suspendue au-dessus de la feuille, soutenue par une main paralysée. La voix est proche, si proche, trop proche. Il en distingue l'articulation nette et franche, rapide. Sent le souffle qui s'enroule autour de son oreille. Réchauffe le lobe. Rougit la peau. Son cœur qui cogne, effrayé par le prédateur.
"Non.
- Tu veux pas faire une pause ?
- A ton avis ?
- Si je dis oui, tu t'arrêtes ?"
Saïx, à nouveau, cherche à l'intérieur le calme dont il a besoin pour reprendre son activité. L'expérience échoue lamentablement alors que la main pleine de doigts longs passe du sommet de la chaise à l'arrondi musclé de son épaule adolescente. Sa tiédeur se diffuse dans le tissu. Sous le tissu. Sur sa peau. Le corps du bleuté se contracte.
"Non.
- Dommage."
Il se tend tout entier, comme un unique bloc de ciment. Un ensemble de muscles qui fusionnent, crispés. Sa plume retombe sur la feuille. Ses mouvements, cette fois, perdent en précision. La précipitation vient tromper son trait alors qu'il aligne les différentes étapes de l'équation. Il inspire.
Mais le pouce remonte. Il appuie le ton du tissu de son pull. Dessine une bosse qui s'enfonce dans sa peau alors qu'elle taille son chemin, lentement. Et puis, soudain, quitte le vêtement pour trouver sa nuque. Sa peau. Contre la sienne. Leur sang séparé par la finesse de leurs deux épidermes.
L'allumette craque.
Saïx note le troisième résultat.
"Et là, t'as bientôt fini ?"
Il descend ses yeux sur la feuille. Enchaîne les nombres qui se mêlent, s'enfoncent les uns dans les autres, sont à la fois des six et des huit et des deux, pleins de boucles.
Les chiffres du dernier énoncé n'ont plus de sens. Il les lit un fois, deux fois, détourne les yeux sans tourner la tête. Mouvement imperceptible, caché. Pourtant, il est sûr qu'Axel le sent. Qu'il le sait. Il savoure la brûlure qu'il vient d'inscrire dans sa chair.
"Constate par toi-même."
Le poids de sa main le broie et l'allume tout à la fois. Il sent dans sa voix capricieuse d'enfant impatient, l'éclat qui pétille. Le plaisir qu'il prend à l'embêter. Le besoin d'attention avide, alors que son visage se penche encore, pour le pousser à tourner la tête. Ses phrases qui, sous leurs mots geignards, veulent dire Regarde moi. Ne regarde que moi.
Ses jambes s'allument d'une chaleur diffuse.
"Il t'en reste qu'une. Ça va.
- On a aussi des leçons à réviser.
- Cool. Tu me fais réciter ?"
Son timbre. Un tremblement de terre. La secousse remonte entre ses cuisses alors qu'il sent la chaleur d'Axel, si proche, qui se mêle à lui. Qui est lui, presque. Ce volcan nouveau qu'il redécouvre chaque fois que son ami s'approche trop. Qu'il effleure sa main, attrape une mèche de cheveux, s'approche pour remonter lui-même le zip descendu de son manteau. Quand ses yeux s'attardent trop longtemps sur sa peau, quand il les sent qui tombent sur sa bouche.
"Je terminerai plus vite si tu me laisses finir tranquille."
La dernière équation. Six chiffres, une lettre. Il se les répète. En dessine un. Revient au sujet. En ajoute un autre. Et quand enfin, la ligne est complète, il a l'impression d'avoir couru un marathon. Il halète en pensées. Axel est derrière lui toujours et-
Non. Le devoir. Il doit se concentrer sur le devoir.
Il commence à calculer. Attrape un morceau de brouillon pour griffonner au crayon à papier.
Et la paluche du renard se glisse dans sa tignasse, impunément.
"Mm. Mais je m'ennuie."
Il en sent chaque phalange qui escalade son crâne. Réprimande le long frisson qui lui échappe, tombe contre sa colonne comme un lourd serpent et le crispe jusqu'au poindre doigt de pied. Saïx étouffe la voix qui ronronne pour la caresse offerte, qui en demande d'autres, savoure le contact de ce doigt qui remonte, contourne son oreille. L'ignore. L'adore.
L'incendie démarre.
"Tu as la console pour t'occuper."
Ne pas cracher. Ne pas céder. Inspirer grand.
"Nan, j'ai déjà fini Space Invader trois fois. C'est saoulant."
C'est rien. C'est rien, ça va passer. La boule de feu entre ses reins. Cette brûlure qui tend le tissu de son pantalon, bien caché sous le rebord de sa table. L'envie brusque qui lui court dans les jambes. Et la voix d'Axel si près, tout près, un diable posé dans son oreille. Une musique. Un supplice.
"Alors trouve autre chose à faire."
Il glisse tout ce qu'il y a de froid en lui dans cette réponse. Une fêlure. Ça y est. Il perd le contrôle. Son calme s'éparpille en milliers de petits grains qu'il contemple, impuissant, répandus à ses pieds comme autant de cadavres. Des restes de ce qui fait sa patience légendaire. Presque, son corps tremble. Un trop plein.
Il se mord la lèvre de l'intérieur. Commence à recopier les étapes qu'il a gribouillées.
Imagine cette même main qui enroule habilement ses cheveux glisser encore. Passer sur sa gorge offerte, où pousse une jeune pomme d'Adam. Jouer avec le col de son pull, s'y suspendre comme un acrobate, descendre encore et trottiner sur ce torse dont il ne pourra que vaguement deviner les formes couvertes d'un tissu. Tomber, enfin, sur cette barrière qui le démange. Une ceinture serrée qui enfonce ses bords dans sa chair. Un boucle de fer que ses phalanges, habiles lorsque la situation l'exige, pourraient défaire.
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Il entend le son sec du bouton imaginaire qui saute, alors le la ceinture pendouille mollement autour de sa taille. Fantasme le poids d'un index qui passe tout le long de la braguette, là où son corps s'est mis à pulser. La pression qui se joue, la friction du tissu.
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De justesse, il étouffe le gémissement qui manque de naître dans sa gorge. Avorte ce morceau de voix brisée.
"Allez, t'y es presque."
Il sent le majeur rêvé qui pousse lentement le zip, alors que la pulpe de son doigts frotte contre le boxer. Le frisson qui lui électrise les jambes, lui, est bien réel. Un éclat qui part, qui contracte son ventre et le remplit d'une chaleur tendre. Un appétit insatiable. Son cœur cogne jusque dans sa tête.
"Et alors, ça fait combien ?"
Cette bouche si près de son oreille, qui pourrait bien la mordre. Saisir le lobe comme sa main saisirait la forme sous le pantalon, encore lovée sous le tissu serré de son sous-vêtements. La paume appuyée contre le membre palpitant, qui viendrait lui-même s'appuyer contre la dextre bienvenue. Son corps mourant, au supplice.
Son visage exagérément concentré sur la feuille sous ses yeux. Il prie pour que ses joues ne rougissent pas. Comme il prierait, sa main plaquée sur sa bouche fébrile, pour que celle de son ami vienne enfin le chercher sous la dernière couche de tissu. Sentir sa peau chaude s'enrouler autour de lui, serrer, caresser avec cette assurance dont il déborde. Deviner ses doigts cherchant à tatillons le morceau de peau qui ferait encore se tendre ses jambes. Savourer ce contact intime, prendre le temps et, enfin, sentir la paluche aller et venir comme il sait si bien le faire lui-même, quand il est seul dans sa chambre.
Non.
4,5.
"Yes ! C'est bon ?
- Oui."
Non, non, ce n'est pas bon. Il doit encore relire, vérifier son calcule sur son cher outil qu'Axel a abandonné sur le lit. Il doit attendre que l'encre sèche, surligner et ranger proprement la feuille dans une pochette, que son chat ne vienne pas l'abîmer ensuite quand il ira se reposer sur le bureau. Il doit vérifier la date de rendu du devoir pour la noter dans le coin de la feuille, sous son nom, lui-même inscrit à l'encre noire. Respirer. Il ne doit pas oublier de respirer.
Mais ce qu'il imagine, là, ce qui se joue dans sa tête, c'est bon.
"Tu vas me couper les cheveux, maintenant ?"
Saïx soupire. Crache tout ce qu'il lui reste de souffle, qui ne s'est pas déjà perdu dans son imagination erratique.
"File dans la salle de bain.
- Tout de suite !"
Aussitôt la chaleur s'en va. Le poids disparaît, le fantôme s'envole. La couleur rousse qu'il devinait du coin de l'œil laisse place à la fenêtre, ouverte sur un hiver naissant. Il entend le pas pressé s'éloigner de lui. Plus de main câline pour cajoler les petits cheveux de sa nuque. Plus de voix ronronnante pour déverser son miel dans son oreille. Plus d'impatience capricieuse. Plus de renard.
L'érection, en revanche, est toujours bien présente entre ses cuisses.
Saïx déglutit. Axel est un ami. Un ami.
Il repousse sa feuille sur un coin de la table, referme son stylo plume qu'il oublie de ranger. Il jette un coup d'œil à la console qui traîne sous un meuble, à la gameboy posée sur sa table de chevet. Se mord la lèvre.
"Allez ! T'attends quoi ?
- Pas que tu fasses preuve de patience. J'aimerais autant m'éviter une déception."
Depuis la salle de bain, il l'entend grogner. Pauvre garçon mécontent qui veut sa récompense. L'attention entière de son tendre camarade pour quelques minutes de coiffage. Le bleuté inspire. Bien.
Il quitte la chambre. Quelques pas dans le couloir. Il regarde autour de lui. Avale sa salive, encore.
"Je passe aux toilettes et j'arrive."
Pourvu qu'il ne se sente pas trop coupable.
xoxoxo
1993. Saïx repose son téléphone, il souffle du nez, sec. Demain, 18h, en sortant du bureau. Bien. Il ne connaît pas ce café. Ce sera l'occasion de découvrir le coin.
xox
Il sort du boulot, son manteau sur les bras. Un tissu long qui lui tombe sous les cuisses. Un bloc gris, uni, qui le cache tout entier. Une barrière. Il faut au moins ça pour affronter Axel, après dix ans passés sans se voir. Il va s'amener, accompagné de son visage dur, de son air fermé et de sa cicatrice. Est-ce qu'Axel va dire quelque chose, en la voyant ? Poser des questions ? Le fixer, l'œil intrigué, effrayé. Non. Il l'a vue, à l'hôpital. Il est passé. Une fois. Saix ne sait pas, lui, il dormait encore. Mais sa mère lui a dit. Le renard doit bien se douter qu'une plaie pareille, même le temps ne l'efface pas. Le temps ne soigne pas toutes les blessures. Pas toutes les trahisons.
Un coup d'œil à sa montre. L'aiguille s'agite sous le cadran, à l'instar de ses pieds qui foulent le pavé mal agencé d'une rue qui mériterait bien quelques travaux. Les pierres rondes appuient sur la plante de ses pieds. La nuit attrape le ciel. Morceau par morceau, elle assombrit les rues. Laisse un mince filet de lumière qui fait la ville grise comme sa mine.
Saïx avance à son rythme, la tête trop pleine d'idées. Axel. Axel était déjà si grand, à l'époque. Sans compter ses cheveux, dressés sur sa caboche de petit paon. Est-ce qu'il a encore poussé ? Il mesure combien, maintenant ? Un mètre quatre-vingt ? Quatre vingt dix, deux mètres ? Peut-être qu'il s'est arrêté. Qu'il avait déjà tout donné à dix-sept ans. Est-ce qu'il a toujours une tignasse aussi rousse ? Un regard aussi vert ? Comme les belles bouteilles d'absinthe et de liqueur qu'ils admiraient dans les vitrines, petits. Un vert qui rampe, qui bouge. Vivant. Une bête enroulée autour de sa pupille, un chat lové.
Mais est-ce qu'ils étaient vraiment verts, ses yeux ? Peut-être qu'il se souvient mal. Qu'il a oublié. Peut-être.
L'ombre s'avance autour, elle le suit. Chassée par les lampadaires soudain allumés, elle se terre derrière les pavés, les murs, se love dans la moindre fissure. Tapie, patiente. L'ombre. Prête à surgir.
Est-ce qu'Axel est toujours aussi inconscient ? Sûr de lui, pitre sur pattes en quête d'attention, toujours là pour épater la galerie ? Crétin impulsif qui revenait les genoux en sang après une bagarre, la trace du poing de Seifer marquée de bleue sur sa mâchoire. Est-ce qu'il est toujours... Lui ?
Et s'il n'est plus lui, qu'est-ce que Saïx peut bien espérer de cette rencontre ?
xox
Bien sûr. Ça ne pouvait pas se terminer autrement.
"Salut.
- Salut.
- Merci d'être venu."
Ça commençait bien, pourtant. Les salutations les plus banales qui soient, le sourire assuré d'Axel. Son visage allongé, plus fin qu'au temps de l'adolescence. Celui de Saïx, au contraire, est un carré dur que les années ont solidifié.
"Qu'est-ce que tu veux.
- Toi."
Un soupir.
"J'déconne. Tu... T'as le temps pour boire un truc ?
- J'ai le temps
- Cool."
Il l'avait détaillé de haut en bas. Son dos long, interminable, et ses jambes fines. Sa taille marquée comme celles de ces filles qui font la une des magazines, alors qu'il a des épaules aussi larges que les siennes. Même sous ses vêtements, il devinait les os qui peuplaient la peau. Son corps squelettique, trahi par la forme pointue de son visage et les angles marqués de ses articulations. Il le regardait, et il repensait au peu de muscles qu'il avait, à l'époque. Est-ce qu'il les avait perdus ? Comment est-ce qu'il aavait pu à ce point fondre ?
"Le quartier est sympa."
Il fait la conversation comme il meuble un appartement. Pour cacher le vide immense que les murs lissent trahissent. La peur de ce trop plein d'espace inconnu.
"Sympa, le manteau
- Merci." il désigne son blazer. "Pas mal non plus.
- Menteur."
Il a dû rire, là. Il rit si facilement.
"Pour tout te dire, j'ai hésité à mentir au téléphone. Je pensais pas que tu viendrais.
- Et qu'est-ce que tu pensais me dire, alors ?"
- Qu'est-ce que tu pensais que je te dirais ?
- Je préfère ne pas imaginer."
Un silence.
"On commande ?"
Et Axel, lui, qu'est-ce qu'il avait vu en l'observant ? Son vieil ami des coups fourrés au lycée ? Le pote qu'il avait abandonné à l'hôpital ? Est-ce qu'il l'avait remarquée, sa cicatrice ? En tout cas, il ne la fixait pas. Peut-être qu'il l'évitait. Peut-être qu'il avait peur. Honte. Qu'il se souvenait. Qu'il ne voulait pas se souvenir.
C'est du passé, Saïx s'était répété. C'est du passé. Il n'y avait pas lieu de raviver tout ça. Il n'était pas venu ici en guerre.
"Un café.
- Un limoncello."
Seulement, ils sont doués pour la provoquer. La guerre.
"Alors, pourquoi cette entrevue ?
- À vrai dire je sais pas. Je voulais juste savoir si tu viendrais, et t'es venu.
- Oui. Je suis venu.
- Ouais. T'es venu."
Il y avait quelque chose entre eux. Quelque chose qui gênait.
"J'avais envie de te voir. J'étais pas défoncé, pas bourré ni rien, juste... T'es dans ma tête, souvent."
Ou plutôt, il n'y avait pas quelque chose.
"Ça faisait longtemps.
- Ouais. T'as pas l'air trop différent.
- Toi non plus. Toujours aussi tape à l'œil."
La complicité.
"Qu'est-ce que tu fais ?
- Un peu tout. Je bosse au cinéma, là, mais parfois je fais d'autres trucs. Qu'est ce qui te prend autant de temps ?
- Des dossiers.
Il avait tiqué. Bien sûr qu'il avait tiqué.
"D'autres trucs ?
- Le tapin."
Il s'est tendu. Puis il a compris.
"Hilarant."
Il n'a pas ri.
"Ton sens de l'humour ne s'est pas arrangé avec le temps.
- Le tien non plus."
Forcément. Il fallait qu'ils glissent à un moment. Qu'ils dérapent sur la pente lisse des retrouvailles. Eux qui s'entendaient si bien, avant. A se comprendre d'un regard. C'était là, tapi entre eux. Une rage qu'ils ne comprenaient pas. Le besoin de se chercher. Leurs crocs les démangeaient.
"Tu ne me trouve pas assez bien pour le job ?
- La question n'est pas là. C'est risqué, comme travail. Par les temps qui courent.
- Autant que de traverser la rue. Tu me prends pour un abruti ? Tu pense que je si je travaillais là dedans, je ne choisirai pas méticuleusement mes clients pour éviter de chopper cette merde ?"
Appuyer là où ça fait mal. C'était trop tentant.
"Au vu de ta capacité à prendre des risques inconsidérés, laisse-moi en douter.
- Oh? Je devrais faire comme toi alors, arrêter de coucher ? T'es le meilleur exemple quand il s'agit de ne pas prendre de risques, pas vrai ? Vas-y, éclaire-moi."
Axel n'avait pas changé, non. Toujours aussi con. Amoureux du danger. Il avait le goût du risque, de la provocation. Mais aujourd'hui, Seifer n'était plus sa cible.
"T'as raison. La question ne tourne pas autour du job mais autour du fait que tu me considères toujours comme un allumeur décérébré. Et que je te fais peur. Je te fais peur, Saïx ?"
Il serrait les dents.
"Ça te plais encore ? Tu te branles parfois, en pensant à moi ? Tu veux de l'aide ? Tu te rappelles ?
- Tu ne me fais pas peur."
Et les poings
"Tu m'écœures.
- Wow."
Il avait frappé dur.
"Wow. Je pensais jamais te traiter d'hypocrite. Mais si je t'écœures, alors tu dois te trouver à vomir."
Mais Axel était incapable de se taire. C'était plus fort que lui. Il traquait, il cherchait le point qui allait faire mal. Le détail à titiller, le nerf. Il avait des aiguilles au bout des doigts. Des griffes. Et ça le démangeait, de s'en servir. De prouver qu'il savait encore comment blesser. Comment blesser Saïx. Une manière comme une autre de montrer qu'il le connaissait bien.
"Cette conversation a assez duré."
Et comme bien souvent, il avait raté une occasion de se taire.
"Tu fuis."
Et voilà. La catastrophe.
Saïx n'est pas aussi doué avec les mots. Il sait cracher, mais il n'a pas la subtilité suave de ce qui a un jour été son meilleur ami. Pas son habileté à manier le verbe comme on tire une épée, pas son vocabulaire ni sa précision. Pas même son audace.
Alors quand Axel a le culot de l'attraper par le col pour plaquer sa bouche chaude sur la sienne, quand il ose l'embrasser en public, mêler leurs langues, lui mordre violemment la lèvre, il sort la seule réponse qui lui vient.
Son poing dans sa mâchoire.
Le rouquin tombe. Mais il a encore le cran qu'il faut pour lui sourire. Le chercher. Il a dans l'œil cette satisfaction de savoir qu'il a raison, qu'il a trouvé la corde sensible. Cette assurance qui le rend malade. Incapable de respecter la limite qu'il vient de révéler, il provoque encore, il cherche, il joue. Excité, impatient, le cul sur le béton, il crache, sa salive mêlée de sang. Il le fixe, l'attend. Sa trogne victorieuse insupportablement agitée sous son nez. Même sans parler, il l'invective encore. Il se moque. Ça empoisonne l'air.
"Tu bandes." il dit tout haut, assez fort pour être entendu, trop doucement pour être sérieux. "Putain, tu bandes."
Et, parce que Saïx ne vaut pas mieux qu'Axel, il ne sait pas s'arrêter.
Ses pieds, partout. Un coup dans son ventre, un autre dans ses côtes, un autre lancé vers son visage. Des couinements pitoyables, les poumons de la proie qui se vident subitement. Plus d'air. Plus rien. Son corps à sa merci, offert à sa colère, à sa furie. La pluie qui tombe et qui l'assaille. Dans le dos, dans les jambes. Sa peau qui vire au bleu. Le bruit des os qui craquent. Qui cèdent. Le squelette qui se plie, vaincu, qui se brise. La voix d'Axel qui suit à chaque frappe.
Il résiste. Essaie.
Mais, enfin, il abandonne. Tente de s'éloigner. Enfin il se recule, il se cache derrière ses bras douloureux. Il glisse ses mains - que Saïx écrase d'un coup sec - devant son visage en sang. Il essaie de se cacher. De se soustraire. De se sauver. Et l'acharné redouble d'efforts pour le faire craquer.
Il frappe. Il frappe. Il frappe avec toute la rage qu'il a dans le ventre. Il frappe avec toute l'énergie dont il se sait capable. Avec la peur qu'Axel lui inspire, avec le dégoût, comme on écrase un asticot. Il cogne encore, et encore, et encore. Et chaque fois qu'Axel crie, c'est une victoire. Chaque fois qu'il couine, qu'il se replie, chaque fois que son corps se recroqueville, il gagne. Contre le sang sur sa lèvre et le souvenir terrifiant de sa bouche, il gagne. Contre le regard des passants qui ont vu ça, ce baiser qui l'écœure, il gagne. Et c'est aussi grisant que les soirées qu'ils passaient à baiser, planqués au grenier, en rentrant du lycée.
Quand il s'arrête, il ne reste plus qu'une drôle de chenille colorée de tâches bleues et rouges. Une boule sur le sol. Silencieuse. Pas de bruit, plus de cris, même pas un pauvre gémissement. Une masse endormie.
Saïx réalise.
Tout le monde les regarde.
xoxoxox
Saïx soupire. Les nuits sont longues, quand on n'arrive pas à dormir. Il se tourne et se retourne dans son lit, perdu entre la fraîcheur de l'oreiller et la chaleur de son corps que les draps emprisonnent. Près de lui, rien. Une place vide. Celle qu'Axel aurait dû occuper, s'ils ne s'étaient pas couchés sur une dispute.
"Mais elle a tout ce que tu voudrais.
- Je te savais idiot, mais pas à ce point. Il n'existe qu'une seule personne que cette planète, qui a tout ce que je voudrais.
- Peut-être. Mais tu préfères me cacher. Tu me veux mais comme une éclipse, quand personne regarde. L'amour de ta vie c'est bien, c'est génial, vraiment. Parfait comme titre, je me sens comme la plus belle pierre précieuse du placard.
- Tout le monde n'a pas envie de s'afficher au grand jour.
- Je suis pas tout le monde. Et je sais que tu m'aimes pour ça. Et tu sais que je t'aime même si tu te caches. Juste, me dis pas que t'aurais pas voulu de cette vie avec Naminé parce que tu m'as moi, pour ensuite me dire que je suis dingue d'espérer que toi et moi, on ait une chance de vivre un truc pareil. C'est hypocrite, et cruel. Si t'es trop lâche pour t'exposer avec moi, aies au moins la décence de me le dire au lieu de me laisser me bercer d'illusions. On est plus au lycée.
- J'ai toujours été clair là-dessus. Tu savais très bien à quoi t'attendre avec moi. Alors ne fais pas comme si j'étais à l'origine du problème. Ça, c'est hypocrite. Je ne suis pas responsable des illusions dont tu t'es toi-même bercé."
Il suffit d'un rien. Une étincelle, et le monde, leur monde, s'enflamme. Une comète dans leur triste ciel.
Comment est-ce qu'ils en sont arrivés là ? A se déchirer pour une rien. A éclater pour une assiette oubliée sur le rebord de la table, pour un morceau de vaisselle sale, un coup d'aspirateur que personne n'a daigné passer. Une phrase qui glisse, un sous entendu qu'ils croient voir, et ça y est, les crocs sont sortis, les paris sont lancés, la guerre peut commencer. Le dérapage de trop, et c'est terminé. Ça feule, ça crache. Frigide, allumeur. Lâche. A se renvoyer la balle, armés du souvenir de leurs multiples trahisons encore chaudes dans leur mémoire. Prêts à afficher les plaies. La culpabilité, une attaque délicieuse contre Axel. Saïx ne se lasse pas de la brandir au moindre faux pas. Chaque fois que le démon s'amuse à passer le pied derrière ses limites.
Il serre les dents. Si sa manière de vivre ne lui convient pas, et bien qu'il dégage. Il ne l'a jamais appelé, lui. Ne lui a jamais donné rendez-vous. Il était confortablement installé dans sa vie, et il a fallu que l'autre fanfaron débarque pour pointer tous les défauts de son cocon.
Il ne lui a rien demandé. Toujours à faire des conneries, l'autre. Et qui doit les rattraper ? Rien n'a changé depuis le lycée. Axel casse les pots, et c'est lui qui paie la facture. Encore.
Saïx se lève. Puisqu'il ne se rendormira pas tout de suite, autant aller préparer une tisane. Ça l'aidera peut-être à trouver le repos.
Alors que l'eau coule, sa colère se calme. Et il aperçoit, dans le mince cadre de la porte entrouverte, échappée du bureau, une lumière qui l'intrigue. Un coup d'œil vers le canapé. Aucune trace du corps d'Axel, si long. Sa tignasse devrait dépasser. Ou ses pieds. Mais non. Il entre, et il trouve son minois posé sur une robe, alors que l'allumé s'est endormi sur le parquet. Devant sa commode. Entouré d'un grand bordel. Un grand bordel que Saïx devra sans doute ranger, puisque l'autre semble si peu porté sur le ménage. Il soupire. L'observe qui dort, là, dans une position ô combien inconfortable. S'il reste comme ça, il aura mal en se levant, demain. Ses bleus ne sont toujours pas partis. Il faut qu'il fasse attention.
Saïx s'approche. Il se pose à sa hauteur.
Il le revoit, plus jeune. Grand crétin de quatorze ans endormi dans son lit, alors qu'il le veillait après une mauvaise grippe. Sa main toujours dans la sienne. Sa face paisible. Son torse qui se levait et s'abaissait régulièrement, comme le flanc d'un lion endormi.
Fut un temps, ils ne se disputaient jamais. Ils ne savaient pas faire. Impossible d'être en colère contre l'autre, de lui en vouloir. Pas de coup entre eux. Quand Saïx tendait la main, c'était pour passer un coton imbibé de désinfectant sur une énième blessure qui tachait la peau d'Axel. Il n'y avait pas de désaccords. Pas de disputes. Inconcevable. S'entredéchirer, eux ? La bonne blague. Ils n'auraient pas su s'y prendre, ne serait-ce que pour hausser le ton. Ils ne parlaient pas la colère. Une langue inconnue. Inutile.
Qu'est-ce qui leur est arrivé ?
Le torse d'Axel bouge tout doucement. Saïx tend la main pour atteindre sa joue, la caresser. Délicat. Veille à ne pas le briser. Pour peu, il pourrait presque décaler sa tête, la poser sur ses jambes. Et rester là, sans dormir, à veiller sur son sommeil. A attendre qu'il se réveille. Qu'il ouvre ses mirettes illuminées, égarées. Un grand sourire lui traverserait la face, au moment de croiser les siennes. Pas un de ces rictus exécrables dont Axel a le secret, quand il déverse son venin. Une expression simple, tendre.
Mais il ne peut pas le laisser dormir là. Pas sur le parquet. Alors ses doigts glissent dans son cou, sur cette peau fine, chaude, qui se déforme au moindre mouvement. Son pouls palpite sous sa main. Sa vie. Il appuie sur son épaule, écarte le pan chatoyant de la robe qui lui sert d'oreiller, toute froissée. Et il le secoue. Délicatement.
Il sent ses os rouler sous ses doigts. Sa voix échappe un bref couinement mécontent. Une plainte d'enfant qu'on réveille pour l'emmener à l'école. Et puis, il ouvre les yeux. Il l'observe, incertain. Egaré. Est-ce qu'il le tire du pays des rêves cotonneux, ou vient-il de l'arracher au monde des cauchemars ? Vu sa trogne brumeuse, il a du l'extirper du néant, le sortir de cet entre-deux sans couleurs, cet océan noir qui avale les nuits.
"Putain, c'est toi." il souffle en se redressant lentement. "Qu'est-ce que tu fous debout ?
- Qu'est ce que tu fais allongé par terre ?" Saïx le laisse se redresser. "Je sais que mon canapé n'est pas très confortable, mais quand même."
Axel revient à lui, observe les vêtements qu'il a éparpillés. Joyeux bordel. Il ouvre la bouche, la referme, échappe un bruit mouillé alors qu'il essaye de chasser la désagréable sensation pâteuse sur son palais. Ses idées sont floues, elles se bousculent, s'entrechoquent. Saïx le sent vaseux. La fatigue ?
"Je rangeais.
- Sauf erreur de ma part, tu avais plutôt l'air de dormir."
Le renard ne l'écoute pas. Il se tourne, attrape ses vêtements de foires qu'il a entassés au fil des ans. Ses tenues de drag qui attendaient sagement au fond de l'armoire. Un haut en résille qui laisse voir sa peau, même à travers la double épaisseur du tissu. Une jolie paire de chaussettes colorées, pleines de rayures, et deux paires de portes jarretelles entremêlées cachées sous un sweat gris - il a trouvé l'intrus.
Alors qu'Axel rassemble le tout, il attrape doucement - mais non moins fermement - sa main.
"Tu feras ça demain. Viens te reposer.
- Non.
-Tu ne ranges jamais tes affaires, Axel. Encore moins la nuit."
Il plisse les yeux. L'incohérence de son comportement l'inquiète. Son regard fou qui traine sur les couleurs éparpillées autour de lui, ses doigts malhabiles enroulées autour des tissus qu'il entasse et tente d'enfoncer dans l'armoire. Comme si quelque chose l'effrayait, l'alertait. Il se tourne, se retourne et soudain, Saïx tilte.
Son ton se refroidit. Il a été clair sur un point. Pas de produits illicites ici.
"Tu as pris quelque chose ?"
La folie passagère d'Axel se dissipe, alors que tombe brusquement cette allusion à ses vieilles addictions. Il tourne vers Saïx un visage sans expression, une face lisse où pointent soudain des traits de colère. Sa bouche se déforme, une gueule de serpent. Son regard pétille. Il rompt d'un coup le contact et chasse son bras d'un geste sec.
"Me touche pas."
C'était, peut-être, seulement la fatigue qui lui bousculait les idées. Mais le balafré n'a pas le temps de retirer ses mots.
"Ouais, j'ai pris plein de trucs." il lance, acide. "J'ai chouré un permis, sniffé du liquide vaisselle, j'ai même gratté la poussière entre les lattes tellement j'avais envie d'un rail."
Bien. Il s'est trompé. Il n'empêche que si l'idée lui est venue, c'est parce que jusqu'ici, Axel ne lui a pas souvent donné de raisons de lui faire confiance. Alors il excusera son scepticisme face à l'incohérence de son comportement, mais il y a de quoi se poser des questions. Il n'est plus à une mauvaise surprise, avec lui. C'est même une habitude, les conneries cachées sous de jolis sourires. Mais s'il prend la mouche…
"Tu m'excuseras d'avoir eu un doute en te voyant t'exciter de la sorte, après t'avoir trouvé endormi sur le sol." la froideur lui vient si facilement. "Tu avoueras que la probabilité n'était pas des plus faibles. Te connaissant."
Toc. Droit dans le cœur. L'ego dégonfle, et le regard d'Axel s'aplatit comme un soufflé raté. Il pose un iris désolé sur son meilleur ami, le détourne. Soupire et se redresse doucement, abandonnant-là ses tenues pleines de souvenirs. Il est épuisé. Ils sont épuisés. C'est bon. Ils ont déjà suffisamment craché pour aujourd'hui.
Mais c'est si simple de piquer. De laisser déborder ces vieilles rancœurs qui restent, qu'ils gardent enfouies en eux. Il suffit d'un rien.
"J'ai rien pris." il avoue docilement.
"Bien."
S'il le dit, il le croit. Il n'a pas envie de douter, cette nuit. Axel ment sans vergogne, mais uniquement quand ça l'arrange. Quand il en a l'énergie, surtout. Le loup inspire. Il cherche en lui ce calme ancestral qu'il maintient sans efforts, au moins en apparence. Ce calme que son ami brise, lui aussi, sans efforts.
Il approche sa main de la sienne.
"Viens." cette fois, Axel ne le chasse pas. "J'ai préparé une tisane. Ça aide à dormir."
Axel l'observe comme un enfant apeuré, alors qu'il prend ses doigts. S'approche. Il y a un silence, un silence de gestes et de mots. L'attente d'une permission. Pas de rejet. Il vient contre lui, chercher de la chaleur.
Dormir. Ça leur fera du bien, à tous les deux.
Voilà. Et un petit supplément juste pour toi.
Qu'aux premières lueurs un astre millénaire
Accueille ton nouveau jour d'une tendre lumière
Qu'un cocon duveteux enrobe ton réveil
Puisque mes bras ne peuvent protéger ton sommeil
Pour le moindre matin qui nous est dérobé
Je dédie à ton être un millier de pensées
Pour le chemin trop long qui s'étire entre nous
Je tresse des sourires que je noue à ton cou
Invisible parure qui t'accompagnera
Et qui pour cette journée entremêlera nos joies
Encore un joyeux anniversaire !
