La vie de Takaba Akihito n'avait rien d'un long fleuve tranquille. Et cela pour deux choses évidentes : La première était qu'il vivait d'un travail instable, celui de photographe, et que ses contrats n'étaient pas toujours suffisants pour payer le loyer de son petit appartement. La seconde, parce qu'en raison de son travail, il avait le chic pour se mettre dans des situations impossibles.
Tout
avait commencé quelques mois plus tôt, lorsqu'il avait
eu le malheur de se mêler des affaires de ce Ryûichi
Asami. L'homme en question était puissant. Un businessman
aux dents longues, proche de certains politiciens. La police l'avait
toujours soupçonné de diriger une organisation de
Yakuza. Ce que beaucoup de gens ignoraient par contre, c'était
qu'Asami avait des passions peu communes, comme les jeunes hommes
en sueur et nus dans son lit. Et il avait pris un malin plaisir à
faire de Akihito sa propriété, lorsque celui-ci avait
fouiné là où il ne fallait pas, suite aux
« conseils » de son mentor et ami, Yamazaki. Un
inspecteur de police… Qui l'avait trahi en le jetant dans la
gueule du loup. Il avait essayé de le tuer, Asami l'avait
sauvé – après lui avoir offert une leçon comme
il les aimait – et, depuis, Akihito ne parvenait plus à se
défaire de cette sangsue en costume trois pièces.
Le plus
étrange, c'était qu'Asami était toujours là
pour lui sauver la mise. A croire qu'il avait un radar intégré
lui signalant quand son jouet risquait de se faire
tuer/séquestrer/violer (rayez la ou les mentions inutiles).
Le plus
agaçant, c'était qu'il se retrouvait justement en
danger à cause d'Asami. Enfin presque toujours.
Il y
avait eu la fois où il avait pris possession de documents
sensibles, destiné à Asami. Ce qui lui avait valu de se
faire enlever par l'une des Triades de Hong Kong et de se faire
torturer par Feilong. Et manque de bol, il avait fallu que lui aussi
soit attiré par les jeunes hommes en sueur et nus dans son
lit. A croire que tous les mafieux étaient homosexuels et
dominateurs. Ses fesses s'en souvenaient encore. Non seulement à
cause dudit Feilong mais aussi à cause d'Asami, qui était
venu le tirer d'affaire entre temps pour mieux lui faire comprendre
qu'il était à lui, uniquement à lui, point
barre à la ligne.
Il y
avait eu aussi la fois où Imamiya, un collègue de
Yamazaki, l'avait quasiment obligé à enquêter
avec lui sur Asami. Mais l'opération avait failli très
mal tourner et Akihito avait appris plein de choses dérangeantes
sur la façon dont s'occuper dans une salle de vidéo
surveillance.
Parfois,
Asami venait simplement lui rendre visite dans son appartement, comme
ça, à l'improviste, en invoquant le fait qu'il
pleuve à verse dehors. A se demander franchement à quoi
servent les limousines et depuis quand les businessman milliardaire
se promènent à pied dans les quartiers populaires.
Oh, et
puis il se retrouvait aussi de temps en temps, par l'opération
du Saint Esprit, dans le lit du Yakuza et cela sans se rappeler du
pourquoi du comment. Généralement, Asami invoquait
toutes sortes de justifications comme « tu ne te souviens
pas de t'être saoulé et de m'avoir sauté
dessus dans la voiture ? ». Mais Akihito ne buvait
pas, notamment parce qu'il ne tenait pas l'alcool, alors il
pouvait être à 100 sûr que la faute revenait
constamment à son amant non-souhaité. Même si…
Oui bon, d'accord, il avait une fois harcelé au téléphone
Asami, lors de la nouvelle année, parce qu'il avait
justement trop bu. Et il avait d'ailleurs encore une fois atterri
dans son lit. A croire qu'il était aimanté.
Akihito
était toutefois sûr d'une chose. Il n'aimait pas
Asami et rien ne lui ferait changer d'avis. Il avait bien de temps
en temps des instants de sympathie mais c'était tout. Asami
était le Diable. Asami était le Mal. Asami ne l'aimait
pas et se contentait de jouer avec lui, parce qu'il n'avait rien
d'autre à faire les soirs de Noël… Tous les soirs.
Mais pour
le moment, Akihito avait d'autres soucis que l'homme versant le
poison de la luxure dans sa vie.
Une fois n'était pas coutume, il avait du retard dans son
loyer. Cerise sur le gâteau, la plomberie de l'appartement
était à refaire et le propriétaire ne voulait
pas payer les frais en invoquant ses multiples retards de payement.
La nuit, en grelottant de froid parce qu'on lui avait aussi coupé
le chauffage, il repensait à la proposition d'Asami de
l'entretenir et de lui payer un plus bel appartement. Il avait
parfois la larme à l'œil, puis un soudain éclair de
lucidité qui lui rappelait qu'un pacte avec un démon
tournait toujours mal. Sans compter qu'il avait sa dignité.
Un jour il deviendrait un photographe célèbre qui
n'aurait pas besoin de l'aide d'un Yakuza pour survivre à
la fin du mois.
Son seul espoir résidait dans son nouveau contrat :
prendre des photos lors d'un gala de charité. Il y aurait
des célébrités, des politiciens, enfin bref,
tout un tas de gens influents. Et ils donneraient pour les pauvres et
les démunis, non pas par compassion mais parce qu'ils
avaient assez d'argent pour s'acheter une conscience.
Comme lui avait dit son boss du moment « Takaba, si tu
loupes ce travail, je t'arrache les yeux et j'en fais de la
confiture ». Monsieur Furono avait un grand talent pour
motiver sa troupe de photographes.
Akihito ne se sentait jamais très à l'aise au sein de
la haute société. Ce n'était pas par timidité,
il avait juste l'impression de faire constamment tâche. Même
avec un costume. Il avait toujours à l'esprit qu'il
n'était pas comme ces gens. Ses préoccupations
étaient différentes des leurs, il passait la plupart de
son temps le nez rivé sur le casse tête des factures.
Eux n'avaient aucun soucis de ce style. Mais il y avait autre chose
qui l'exaspérait très souvent : Tous ces gens
lui rappelaient Asami. Ils avaient l'argent et le pouvoir.
Le gala avait lieu à l'Intercontinental Tokyo Bay, un des
nombreux hôtels luxueux de Tokyo. La salle de réception
se trouvait exactement au sixième étage.
Armé de son appareil photo, Akihito entra dans le hall de
l'immense building. Il y avait déjà quelques
photographes d'agences concurrentes. Tous se regardaient en chien
de faïence. Il y avait toujours une ambiance du tonnerre régnant
entre les différents participants en lisse.
A la demande d'un des employés de l'hôtel, Akihito
se pressa de prendre le plus proche ascenseur pour rejoindre la salle
où aurait lieu la réception, histoire de prendre de
l'avance sur le groupe de vipères.
L'ascenseur en question était plus grand que la pièce
qui lui servait de chambre et il était tapissé d'une
moquette rouge et épaisse. Akihito appuya sur le chiffre 6 du
cadran et attendit patiemment d'arriver à destination, en
regardant les chiffres défiler sur le compteur. Il n'y avait
aucun bruit, pas le moindre petit chuintement. Si le jeune homme
n'avait pas eu ses entrailles qui le chatouillaient bizarrement, il
aurait pensé que cette ascenseur ne grimpait pas d'un
centimètre.
Les portes s'ouvrirent avec un petit « ding »
caractéristique.
Quelques mètres plus loin, il trouva l'entrée de la
salle. Des serveurs s'affairaient à vérifier que tout
était en ordre sur les buffets et sur leur plateau à
champagne et petits fours. Le ventre d'Akihito gargouilla. Ne plus
avoir un sou signifiait aussi la diète. Il quitta la
nourriture des yeux pour se concentrer sur autre chose, comme les
lustres en cristaux qui pendaient au plafond.
Derrière lui, une voix aiguë s'exclama :
« - Eh bien, on peut dire qu'ils ne lésinent
jamais sur les moyens ! »
Akihito se retourna pour jeter un rapide regard à une jeune
femme, elle aussi armée de son appareil photo.
« - Je suppose que c'est parce qu'ils ont beaucoup
d'argent à gaspiller, » répondit-il, plus
par politesse que par réel intérêt.
« - Il paraît que beaucoup de personnalités
vont venir ! Oh, vous croyez qu'il y aura Michelle Yeoh ! »
continua-t-elle sans prêter attention à la réponse
qu'on lui avait donné. Chacune de ses phrases terminaient
dans les aiguës de l'exclamation, ce qui lui donnait un fort
côté hystérique.
« - Euh… » tenta Akihito après un
autre regard à cette jeune femme petite mais aussi agitée
qu'une grenouille sous ecstasy.
« - Je me demande qui a organisé cette
réception ! » poursuivit-elle sur sa lancée.
« - Quelqu'un de vraiment très riche et qui veut
s'acheter une bonne conscience ? » proposa Akihito dans
un soupir.
« - Il est peut-être célibataire ! »
Cela faisait trop de points d'exclamation à la fois pour
Akihito, qui décida de voir ailleurs s'il y était
avant de finir avec une ou deux oreilles malentendantes.
Lorsque les premiers invités arrivèrent, ils furent
accueillis par une pluie de flash. De quoi provoquer une crise chez
un épileptique. Tirer le portrait des célébrités n'était
pas son travail favori, ça manquait de piquant et ce n'était
pas ça qui allait le rendre connu. Il lui fallait un scoop.
Mais ici personne ne s'adonnerait à des activités
illégales ou perverses, alors qu'une vingtaine d'objectifs
étaient braqués sur eux.
« Qu'est ce qu'il ne faut pas faire pour payer ses
factures, » songea Akihito alors qu'un homme sonnait
déjà le clairon du départ. « Oui,
oui, on s'en va. On sait très bien que les gens de la haute
société n'ont pas envie que des photographes mangent
les mêmes petits fours qu'eux. Dès fois qu'on leur
transmettrait une grave maladie, comme la pauvreté. »
Le jeune homme glissa son appareil photo bien à l'abris dans
son sac puis suivit le troupeau ruminant de photographes. Deux mètres
devant lui « pile électrique girl »
cherchait toujours Michelle Yeoh des yeux ou alors son mystérieux
célibataire vraiment très riche.
« Et pourquoi se soucierait-il d'une fille comme toi ? »
pensa Akihito qui se perdait en médisances intérieures.
« Tu comptes le séduire avec ton appareil photo
dernier cri ? Monsieur, puis-je vous prendre en photo !
Si vous pouviez enlever votre chemise ! Elle va se mettre à
baver si ça continue. »
Akihito eut un sourire en coin. La seconde d'après, il
perdit l'équilibre en se faisant bousculer par l'un des
invités.
« - Merd… » commença-t-il en
s'asseyant par terre.
« - Tu devrais regarder où tu vas, » fit
la voix moqueuse et sucrée d'Asami.
Akihito fixa la main tendue avant de relever les yeux sur son
interlocuteur non espéré. Asami affichait un de ces
sourires étranges. Froid mais sous-entendant pourtant bien des
perversions. Le jeune homme eut envie de se rebiffer comme un chat
venant de recevoir un seau d'eau et un coup de pied aux fesses.
Mais il se contrôla – principalement en se rendant compte que
bien des yeux étaient posés sur eux – et accepta bon
grès, mal grès de prendre la main de l'homme
d'affaire.
Une fois Akihito sur pied, Asami le regarda de biais comme s'il
s'apprêtait à glisser un sarcasme. Mais il se détourna
brutalement pour disparaître au milieu des convives.
Akihito ressentit une certaine animosité. Cela l'énervait
quand il faisait semblant de ne pas le connaître. Sûrement
parce qu'il n'était que le sale morveux avec lequel il
s'amusait de temps en temps. Personne de très important en
somme. Il ne devait pas nuire à son image en s'affichant
avec lui. Ce n'était pas comme s'ils étaient une…
Sorte de couple.
Le jeune homme serra les dents lorsque la voix suraigu de la
photographe résonna encore à ses oreilles.
« - C'était Ryûichi Asami ! Vous l'avez
touché !
« - Je vous l'échange contre un paquet de
cookies. »
On ne se nourrissait pas d'amour et d'eau fraîche. Surtout
quand il n'y avait ni amour, ni eau fraîche. Comme quoi,
cette expression était vraiment d'une stupidité
absolue. Mais qui avait bien pu l'inventer ? Sûrement un
gars ayant trouvé la femme parfaite et pensant par
égocentrisme que toutes les relations ressemblaient à
la leur.
Il n'y avait pas de femme parfaite dans son équation. Asami
était un homme, imparfait et pervers.
Chaque fois qu'il le regardait… C'était comme si ses
pupilles et son sourire étaient des extensions de ses pensées.
Le regard d'Asami insufflait l'idée de luxure, parfois de
tortures terribles quand il avait décidé de faire la
peau à quelqu'un. Son sourire était celui d'un
serpent qui se languissait en attendant que la petite souris approche
et tombe dans le piège. Qu'il soit en colère ou de
bonne humeur, il était toujours aussi « brrr ».
Bien que dans les deux cas le « brrr » pouvait
revêtir deux sens différents. « Brrr, au
secours il va me tuer » ou « brrr, je veux pas
me retrouver dans le lit ». Le « brrr, je vais
craquer » était exclu, Akihito refusait de
reconnaître toute attirance pour le sombre Yakuza. Même
s'il avait bien souvenir… Non il ne voulait pas se souvenir.
Lorsqu'Akihito se retrouva dans l'un des bars de l'hôtel,
au troisième étage, il se demanda d'abord comment il
avait atterri là. Il fixa comme un poisson dans son bocal les
bouteilles alignées, ce qui lui rappela une histoire de crème
glacée et de whisky.
Asami le traitait toujours comme un enfant. Est-ce qu'il était
vraiment un enfant ? Est-ce qu'il fallait boire pour être
un adulte ? Et porter des costume trois pièce noir ?
Et se plaquer les cheveux vers l'arrière ?
Akihito commanda une crème glacée. Parce que ses
précédentes expériences avec l'alcool
n'avaient pas été concluantes. Et qu'il se fichait
de l'avis d'un Yakuza encore célibataire à plus de
trente ans.
1340 yen
la glace. Et 260 yen
pour un verre d'eau.
Akihito n'en croyait pas ses yeux. Et son portefeuille criait
famine en voyant partir les derniers billets.
La glace était en train de lui tourner dans l'estomac. 1600
yen. Bordel. 1600 yen (1). Il y avait une inflation sur la crème
glacée et l'eau ou quoi ?
« - Souhaitez-vous autre chose ? » demanda
le serveur d'un air sombre et aussi aimable qu'une porte de
prison.
Akihito secoua la tête et quitta le tabouret. Tout ça
était encore de la faute d'Asami. S'il ne l'avait pas
croisé, il n'aurait pas perdu un peu plus d'argent à
des futilités. Le jeune homme glissa les mains dans ses poches
et se dirigea vers les ascenseurs. Ruminant de sombres pensées
à l'encontre de celui qui l'obsédait tant, il
appuya sur le bouton pour appeler l'ascenseur et attendit.
Lorsque les portes s'ouvrirent, il entra dans la cabine pour
stopper net.
« - Oh non ! Mais tu me suis à la trace ou
quoi ! » s'exclama Akihito.
Asami, appuyé contre l'une des parois, bras croisé,
le fixait froidement. Puis il se mit à sourire… Lentement.
« - Ce serait à moi de me poser cette question.
J'ai une chambre ici, toi tu n'as rien à faire dans cet
hôtel. »
« Merci de me le rappeler, » pensa Akihito en
fronçant des sourcils.
Il recula avec humeur pour heurter les portes à présent
closes de l'ascenseur.
Les cabines lui avaient semblé grandes quand il était
entré pour la première fois dedans. A présent,
il se sentait à l'inverse trop à l'étroit.
Asami était avec lui, cela changeait toute la donne.
« - Je descend, » fit-il en dirigeant sa main
vers le panneau.
Mais Asami le devança et appuya sur le bouton du dernier
étage. Akihito lui adressa un regard noir, ce à quoi le
Yakuza répondit par une indifférence totale. Comme
d'habitude, il n'en avait rien à faire. Jusqu'au moment
où il lui sauterait dessus sans prévenir.
Asami plongea la main dans la poche de sa veste pour en sortir un
paquet de cigarettes. Il en prit une qu'il glissa entre ses lèvres
avant de l'allumer avec un briquet. Une odeur familière
envahit l'habitacle.
Akihito détourna la tête pour regarder ailleurs, en
direction du sol. Il se concentra sur la moquette rouge. Ils
arriveraient bientôt à destination. Et adieu Asami, pour
cette fois.
« - Alors… Tu noyais ton chagrin dans l'alcool ou la
glace à la vanille ? » demanda soudainement
Asami.
Le jeune homme grinça des dents et reporta son attention sur
l'empêcheur de tourner en rond.
« - Whisky, je buvais du whisky ! »
rétorqua-t-il sur la défensive. « Et arrête
de sourire comme ça ! »
Ce qui poussa Asami à sourire d'autant plus en prenant sa
cigarette entre deux doigts.
« - Parce que tu tiens l'alcool, morveux ? Et
depuis quand ? »
Akihito entrouvrit les lèvres pour répondre mais le
Yakuza lui coupa la parole.
« - La dernière fois, tu t'accrochais à
moi pour ne pas tomber.
« - Je me suis entraîné à tenir
l'alcool, » répliqua le jeune homme en serrant
les poings.
Asami franchit soudainement la distance qui les séparait, ce
qui conduisit Akihito à se plaquer un peu plus contre les
portes de l'ascenseur. L'homme d'affaire posa une main sur la
parois de métal et se pencha vers le photographe, en
reniflant.
« - Tu t'es entraîné aussi à ne pas
sentir l'alcool.
« - Ta cigarette enfume tout, comment veux-tu sentir
quoique ce soit ?
« - Je peux goûter, alors…
« - Goû… »
Les lèvres d'Asami se joignirent aux siennes. Il aurait du
se douter que cette phrase presque anodine cachait quelque chose. Sa
langue jouait avec la sienne. Sa main se glissait derrière sa
nuque pour l'empêcher de bouger la tête et de se
défiler. Akihito se laissait faire avec apathie, les yeux à
moitié clos. Il peinait à reprendre son souffle. Et il
commençait à avoir trop chaud.
Lorsqu'il cessa enfin, Akihito détourna la tête, tout
en se demandant s'il n'était pas en train de rougir
stupidement.
« - De la glace. Tu n'es vraiment qu'un gosse, »
déclara Asami en caressant les lèvres d'Akihito du
pouce.
Le jeune homme lui décocha un regard noir.
La seconde d'après, les lumières s'éteignirent
et l'ascenseur fut violemment secoué.
Lorsqu'Akihito rouvrit les yeux, il faisait sombre, mais pas
totalement noir. Un éclairage de secours, rougeâtre,
s'était mis en route pour prendre le relais.
Il avait été projeté contre Asami lorsque
l'ascenseur avait entamé sa gigue infernale. Se retrouver
dans les bras du Yakuza était tout pour lui déplaire.
Et il avait fermé les yeux en croyant sa dernière heure
arrivée. Il avait survécu à Feilong et à
Asami pour mourir dans un idiot d'ascenseur.
Mais non, il était bien vivant. Asami aussi. Et il n'était
pas dans le Paradis des dominateurs victorieux et des esclaves
soumis. Ouf, les chaînes et le cuir ne lui allaient vraiment
pas.
Il réalisa alors dans quelle situation il se trouvait. Il
repoussa Asami pour mieux se précipiter sur le panneau,
appuyant avec désespoir sur tous les boutons. Il ne voulait
pas se retrouver enfermé avec lui. L'air allait sûrement
finir par manquer et euh… En fait ce serait certainement à
cause des choses perverses qui n'allaient pas tarder à se
produire.
Lorsqu'il comprit que l'ascenseur ne redémarrerait pas
plus vite en s'acharnant sur lui, il se tourna vers Asami qui le
considérait avec un certain agacement. Puis il leva le nez
pour apercevoir la trappe se trouvant au plafond de l'ascenseur.
« - Si tu me portes, je pourrai l'ouvrir et on…
« - Ca ne marche que dans les films. »
La réponse dédaigneuse d'Asami eut l'effet d'une
douche froide. Le photographe essaya de se calmer et, par la même
occasion, de s'éloigner autant que possible du Yakuza. Mais,
cette fois ci, il n'osa pas le quitter du regard. Avec la lumière,
sa peau avait une teinte rouge étrange, ce qui lui donnait
d'autant plus l'air d'un diable, avec ses cheveux noirs ramenés
vers l'arrière. Heureusement, l'homme d'affaire semblait
ne plus lui prêter attention.
Akihito avala difficilement sa salive. Plus Asami l'ignorait, plus
il se sentait mal à l'aise. Le silence était
insupportable dans une telle situation. Et il ne put s'empêcher
de le rompre après seulement quelques minutes.
« - Alors… Euh… Ce gala de charité, c'était
ton idée ? » demanda-t-il avec difficulté.
« - Non.
« - Tu étais là pour donner alors ?
« - Non… »
Asami se rapprocha de lui. Il ne souriait pas, son regard était
glacial, ce qui en fait n'avait rien d'exceptionnel. Il tendit la
main et caressa la joue d'Akihito, sans le quitter des yeux. Ses
doigts glissèrent sous le menton du jeune homme, il lui releva
le visage.
« - Tu es plein de contradictions, »
murmura-t-il en effleurant son oreille des lèvres. « Lorsque
tu es saoul, tu réclames mon attention. Lorsque tu es sobre,
tu voudrais que je te laisse en paix. Mais tu oublies constamment une
chose : tu m'appartiens. »
Ses lèvres rejoignirent le cou d'Akihito tandis que son
autre main se posait sur sa hanche. Il pressa sa peau au travers le
tissu de la chemise. Le jeune homme ne put s'empêcher de
frissonner. Les lèvres d'Asami étaient douces.
C'était pour le troubler, n'est ce pas ? Pour le
faire fondre, afin qu'il se complaise à suivre les moindres
de ses désirs.
« - Je ne t'appartiens pas, » réfuta
Akihito après un effort de concentration.
Asami se mit à rire tout bas. Son souffle tiède
chatouilla le cou du photographe.
« - Et pourtant… Ce n'est pas moi qui t'ait harcelé
au téléphone à la nouvelle année. »
Akihito se mordilla la lèvre. Une chaleur caractéristique
se répandait dans son corps alors que la langue d'Asami
caressait son cou. Il n'arrivait pas à réagir et à
le repousser. Et il savait qu'il s'en voudrait ensuite autant
qu'il en voudrait au Yakuza.
La bouche d'Asami s'empara à nouveau de la sienne alors
qu'il glissait le bras autour de taille pour le plaquer contre lui.
Akihito aurait du avoir l'habitude de ces baisers enflammés,
qui ne laissaient pas l'opportunité à la
protestation. Asami dirigeait, lui se contentait de suivre. Il n'y
avait pas d'amour chez le Yakuza. Pas d'affection non plus. Juste
du désir. L'envie de s'amuser à ses dépends.
Mais il le méprisait, n'est ce pas ? Il le prenait pour
un incapable, lui proposait de le « supporter »
en lui achetant un appartement. Il se plaignait qu'il agisse comme
un idiot et un enfant, mais il s'amusait à l'humilier en
le lui rappelant. A croire que cela lui plaisait en vérité.
« - Je te hais, » s'écria Akihito
lorsqu'Asami cessa le baiser.
L'homme d'affaire se contenta de lui renvoyer un sourire narquois
qui en disait long. Le photographe chercha à reculer, ce qui
lui était impossible, car déjà dos contre la
cloison de l'ascenseur. Il posa les mains sur le torse d'Asami,
essayant de le repousser. Mais c'était vain. Akihito n'avait
pas la force suffisante. Ou peut-être qu'il n'en avait pas
réellement envie, malgré ses paroles.
La main d'Asami se glissa sous sa chemise pour remonter le long de
son dos. Suivant la colonne vertébrale. Soulevant le tissu au
fur et à mesure de son ascension. Les lèvres de l'homme
frôlèrent à nouveau les siennes pour le tenter.
Akihito perdait tout contrôle. Asami était beaucoup trop
proche, il sentait son corps au travers de ses habits. Le mouvement
de ses muscles à chacun de ses gestes.
La respiration d'Akihito se fit plus rapide alors que l'autre
main d'Asami se dirigeait vers son entrejambe. Il entrouvrit les
lèvres pour formuler une protestation mais le Yakuza s'empara
à nouveau d'elles, glissant sa langue entre elles. Etouffant
un gémissement du jeune homme alors qu'il appuyait un peu
plus sur ce point sensible de son anatomie. Akihito se sentait de
plus en plus à l'étroit et ses joues lui brûlaient
de honte.
« - Coucher avec quelqu'un que tu hais t'excite donc à
ce point ? Intéressant… » susurra Asami.
Akihito lui décocha un regard assassin. L'ivresse
disparaissait peu à peu pour laisser place à la colère.
« - Je ne t'ai rien demandé. C'est toi qui me
saute dessus comme si tu étais en manque. Je ne suis pas ton
amant ! »
Non, il ne l'était pas. C'était toujours ce damné
pervers qui lui tendait des pièges, pour se retrouver seul
avec lui. Depuis ce jour où il avait voulu lui donner une
« leçon ». En le droguant, et en
l'attachant. En le forçant. Et en lui faisant ressentir
toutes ces choses dégoûtantes et dégradantes.
Auxquelles il n'arrivait pas toujours à résister.
C'était totalement insensé. Son comportement était
insensé. Il ne pouvait pas ressentir du désir pour un
homme qui le tourmentait sans cesse. Et encore, tourmenter était
un bien faible mot.
Et pourtant, c'était son corps qu'il réclamait
secrètement. Il avait beau le repousser, se convaincre de le
haïr, chaque fois la même scène recommençait.
Malgré sa méfiance et sa peur, il le cherchait
constamment. Il se plaignait de son comportement. Et lorsqu'il
buvait trop, il ne contrôlait plus rien.
Mais ça… Ca… Il ne pouvait pas se l'avouer, car tout
était si grotesque. Tomber amoureux d'une personne si
détestable. Concevoir une telle attirance pour celui qui le
traitait comme un gosse et un jouet.
Asami avait eu beau lui sauver la vie par deux fois, il n'était
qu'un homme d'affaire véreux. Un Yakuza qui usait de ses
appuis financier et politique pour ne pas être démasqué.
Cela ne l'empêchait pas de brûler chaque fois qu'Asami
posait ses mains sur lui. Le dégoût et l'envie se
mêlaient en lui. C'était un paradoxe dont il
n'arrivait pas à se dépêtrer.
Asami avait bien raison de profiter de lui. Il n'était pas
capable de se décider. Il fuyait pour mieux revenir. Quel
jouet passionnant il devait être !
Il lui appartenait. C'était vrai. Son corps, son esprit.
Asami pouvait s'amuser aussi longtemps qu'il en aurait envie avec
lui. Coucher avec lui n'importe où, l'inviter à
boire pour mieux le ridiculiser. Et ensuite, ramasser la loque qu'il
était, avec un semblant de compassion, pour le posséder
encore une fois.
Et tout cela pourquoi ? Parce que lui-même ne pouvait pas
contrôler ce désir irrationnel. Il blâmait Asami,
mais peut-être cherchait-il à oublier sa propre
culpabilité. Comme l'assassin fuyant son reflet dans un
miroir.
Son corps était couvert d'un fil de sueur. Sa peau était
brûlante mais l'air était glacé, il peinait à
se retenir de trembler. La moquette qui couvrait le sol lui irritait
le dos. Il aurait grandement apprécié qu'un innocent
matelas traîne dans les parages. Un matelas masochiste prêt
à se faire défoncer les ressorts. Et Akihito eut envie
de se taper la tête contre un mur à cette dernière
pensée : Dans ce cas précis, il était le
matelas. (2)
Il tourna légèrement la tête de côté
alors qu'Asami suçotait la peau de sa gorge.
Il lui retenait les poignets au dessus de la tête d'une main
ferme. Akihito commençait à trouver la position
désagréable et même douloureuse. Les muscles de
ses épaules étaient trop tendus. Mais le Yakuza
s'appliquait à lui faire oublier sa gêne. Son autre
main s'était glissée entre ses cuisses. Et il n'y
avait rien d'autre à faire pour Akihito que de gémir.
Les caresses d'Asami étaient une cruelle torture. Elles ne
le soulageaient pas, bien au contraire. Aucune délivrance ne
lui était apporté, tout était minutieusement
calculé pour le faire chavirer de plaisir sans le mener à
l'extase.
« - Et maintenant, tu m'appartiens ? »
questionna Asami en redressant la tête.
Akihito n'avait pas envie de répondre mais les doigts
glissant sur son sexe le pressaient à parler.
« - Regarde moi, » ajouta le Yakuza en tirant
un nouveau gémissement de son partenaire.
Le jeune homme tourna la tête après quelques secondes
d'hésitation. L'expression froide d'Asami contrastait
avec la douceur étrange de ses gestes. Ce visage pouvait donc
paraître si détaché dans une telle situation ?
Oui, bien sûr… Tout n'était qu'un jeu auquel
Akihito acceptait de participer.
« - Oui, » concéda Akihito, entre deux
respirations rapides.
Asami eut ce qui ressemblait à un sourire victorieux. Il
embrassa le photographe, mêlant sa langue à la sienne,
alors que sa main remontait sur sa hanche. Akihito, délaissé,
se sentit instinctivement contrarié. Mais l'homme lui tenait
toujours aussi fermement les poignets pour l'empêcher de
bouger.
Le baiser brûlant l'empêchait de protester.
Mais il poussa un cri étouffé lorsqu'Asami commença
à s'enfoncer en lui. La sensation était désagréable
et même douloureuse.
Un léger goût de sang se répandit dans sa bouche.
C'était salé mais sans saveur. La lèvre
d'Asami était légèrement écorchée,
là où il l'avait mordu par accident. Mais le Yakuza
ne semblait pas en tenir rigueur. Il se contenta de le fixer avec un
éclat amusé dans le regard tout en le pénétrant
un peu plus.
Akihito ferma les yeux et serra les dents. Il essayait de penser à
autre chose mais cela lui était impossible. Le corps d'Asami
était trop près du sien. Le contact de sa peau humide
était trop réel. Tout comme cette douleur insidieuse
qui n'était que temporaire.
Elle se calmait toujours au fur et à mesure des mouvements de
va-et-vient. Et Akihito serrerait les dents, non plus pour ne pas
crier, mais pour ne pas gémir. Cette sensation de plaisir
envahirait son corps, se répandrait en lui.
Il en était toujours l'esclave. Comme une drogue. Ce qu'il
ressentait à ce moment là effaçait tout ce qui
avait précédé, du moins durant un court moment.
Et la honte reviendrait avec la colère. Il se sentirait sale
et nierait tout. Le plaisir connu, l'ivresse des sens. Il fuirait,
rendrait Asami responsable de tout pour mieux se cacher la vérité.
La routine reviendrait. Sa haine et sa méfiance pour le
Yakuza. Il l'insulterait et l'accablerait de reproches, tout en
sachant au fond de lui-même que le combat était déjà
perdu. Depuis au moins le jour où Asami était venu chez
lui, en prétextant qu'il pleuvait trop pour rester dehors. (3)
« - L'ascenseur est toujours en panne, »
constata Asami d'une voix indifférente.« - C'est certainement un complot, » marmonna
Akihito entre ses dents et pour lui-même. « Pour que
tu m'agresses une deuxième fois. »
La main d'Asami passa devant son champ de vision pour ramasser la
cravate qui traînait paresseusement sur le sol. Et il n'y
avait pas qu'elle qui traînait sur celui-ci.
« - Tu devrais t'habiller. Si l'ascenseur redémarrait
sans prévenir, les clients seraient très surpris de te
voir nu et allongé par terre. »
Akihito devint rouge cramoisi et se redressa brusquement.
« - Tout ça, c'est de ta faute ! »
s'exclama-t-il tout en ramassant ses habits. « Chaque
fois que tu es dans les parages… Il se passe quelque chose… »
Le Yakuza eut un sourire en coin alors qu'il réajustait sa
cravate.
« - Bien sûr, c'est de ma faute aussi si les
extraterrestres envahissent la Terre et si ton loyer a encore grimpé.
Oh, comment se portent tes finances, au fait ? »
Le jeune homme grinça des dents tout en essayant de passer la
deuxième jambe de son pantalon.
« - Je pourrai t'aider à payer tes dettes… »
poursuivit Asami en attrapant brusquement Akihito par la taille, pour
le ramener dos contre son torse. « Ou bien un appartement
digne de ce nom… »
Le photographe agrippa le bras du Yakuza. La colère montait en
lui, elle n'allait pas tarder à exploser.
« - Je ne suis pas ton amant, ni une sorte de prostitué
que tu payes pour ses services ! » s'écria-t-il
violemment. « Si c'est ce que tu penses de moi… Eh
bien je te déteste encore plus ! »
Ce fut l'instant que choisirent les lumières pour s'allumer
de nouveau, mettant fin à cet horrible éclairage de
secours rougeâtre. L'ascenseur trembla légèrement
et se remit en marche.
Akihito poussa un long soupir lorsqu'Asami s'écarta de
lui. Mais il y avait ce sourire qui ne le quittait pas et ce n'était
pas pour lui plaire. Il s'empressa de passer sa chemise et de
mettre de l'ordre dans ses cheveux d'une main nerveuse.
Les portes de la cabine infernale s'ouvrirent et un employé
affolé se précipita auprès d'Asami pour
s'excuser de la panne. C'était ce fichu générateur
qui avait encore fait des siennes et ils étaient prêts à
faire n'importe quoi pour faire oublier l'incident.
Le léchage de botte devait être une pratique courante
dans un hôtel aussi luxueux. Mais seuls les riches clients
avaient le droit à des excuses. Akihito eut un autre soupir et
sortit de l'ascenseur en pressant le pas. Il s'éloignait
mais la voix d'Asami se fit entendre. Et elle le paralysa comme un
poison se répandant dans ses veines.
« - Pourquoi ne penserais-je pas « cela »
de toi ? »
A suivre...
(1) Environ 12E.
(2) Qui a dit qu'il fallait forcément être subtil ? Pas moi : )
(3) Voir fin du volume 1.
