Chapitre 2 – Killer's Eyes
Certains matins, Akihito n'avait vraiment pas envie de se réveiller. Son réveil hululait pourtant joyeusement de sa sonnerie aiguë afin de lui signaler qu'il était enfin 7 heure. Il aurait dû sortir de son lit, avaler son petit déjeuner à base de Nato-beurk, se rendre présentable, puis se trouver une quelconque occupation potentiellement lucrative, comme errer en ville en espérant surprendre le crime pour le photographier.
Mais ce jour-là, le jeune homme avait surtout envie d'abattre ce maudit réveil avec un revolver à gros calibre et de se rendormir en grognant. Hélas, on fait rarement ce que l'on veut dans la vie.
Cela faisait deux jours depuis le dernier meurtre. Deux jours depuis son arrestation. Deux jours depuis le passage d'Asami chez lui.
Pourquoi quasiment chacune de ses rencontres avec Asami finissait dans la case lit du monopoly de la vie ? Était-ce le destin qui prenait un malin plaisir à lui jouer ce tour ? Ou bien cet homme était-il à ce point pervers ?
Oh, question inutile : il l'était. Absolument. Et Akihito n'avait pas la volonté de le repousser autant qu'il l'aurait dû pour son propre bien. Il ne pouvait pas prétendre ne pas avoir éprouvé du plaisir l'autre nuit, même s'il mourait d'envie de se cacher sous sa couette à cette pensée. Merde, il n'avait pas fallu grand-chose pour qu'il oublie totalement sa colère à son égard.
Le fait de commencer à se laisser mener par le bout du nez par Asami l'effrayait et l'irritait. S'il réfléchissait correctement aux choses, c'est-à-dire en écartant le fait qu'Asami lui avait sauvé la vie, c'était à cause du mafieux qu'il se retrouvait - presque - à chaque fois dans des ennuis impossibles.
Sans Asami, Feilong ne l'aurait pas kidnappé deux fois. C'était une raison suffisante pour lui en vouloir à vie, non ? Entre ça et ne jamais se soucier de ce que lui voulait... Par ailleurs, sa façon de fêter la nouvelle année était tout sauf morale. Oui, bon, d'accord, complètement ivre Akihito avait passé la soirée à téléphoner à – pour ne pas dire harceler - Asami. Était-ce une raison pour l'emmener – pour ne pas dire l'enlever - sous le nez de SES amis ? Il n'avait pas spécialement envie que tout le monde sache qu'il avait une liaison avec un homme. Non, correction, il n'avait aucune liaison avec un (surtout cet) homme.
Tout en s'habillant, Akihito décida de réciter son mantra habituel : « je déteste Asami, je déteste Asami, je déteste Asami… »
Rien ne prouvait que la thérapie marchait, mais c'était une bien meilleure façon de garder les pieds sur Terre que d'aller se cogner la tête contre un mur et de finir à l'hôpital avec un traumatisme crânien.
La matinée se déroula d'une bien morne façon. Le photographe avait l'impression de tourner en rond. Il n'avait rien trouvé d'intéressant à se mettre sous la dent. Même ses plus fidèles contacts n'avaient pas d'informations croustillantes à lui donner. En vérité, ces derniers temps, mis à part ces curieux courriers et les meurtres qui en découlaient, il ne se passait rien de spécialement palpitant dans sa vie. Non pas qu'il aurait voulu que sa vie redevienne aussi palpitante que lorsque Feilong l'avait enlevé... Non, sûrement pas !
Il n'avait pas reçu d'autres lettres non plus, ce qu'il ne regrettait pas particulièrement, parce que la réception d'une nouvelle missive signifierait la mort horrible d'un autre innocent. De toute façon, il était impossible de prévoir quand le prochain message arriverait. Il n'y avait pas de durée précise séparant les crimes.
Il était en train de consulter son portable, prêt à appeler l'un de ses amis pour lui proposer de venir déjeuner avec lui à l'heure du midi - en vérité, de lui payer à manger avant qu'il ne meure de faim -, lorsque la voix de l'inspecteur Imamiya retentit. La chaaaance !
Akihito leva les yeux au ciel tout en glissant le portable dans la poche de son pantalon. Allons bon, que lui voulait-il encore ? Lui passer les menottes et l'arrêter ? Quelle rencontre fortuite, Tokyo devait être bien petite pour un pareil hasard !
Le jeune photographe pivota tout en jetant un regard hostile à l'inspecteur. Il n'était pas seul. Une femme à qui il aurait donné la trentaine, pas plus, l'accompagnait. De la police aussi ? Il la jaugea rapidement du regard. Et la seconde chose qu'il remarqua après son âge, c'était qu'elle était plutôt grande même en lui retirant ses talons. 1m65, par là…
— Je te présente mademoiselle Akiko Inoue. Elle a déjà travaillé avec le FBI et vient de revenir récemment au Japon. Il s'agit d'une profiler très renommée.
— Profiler ? répéta Akihito avec de la surprise dans la voix.
Pourquoi lui faire rencontrer ce genre de personne ? Le photographe adressa un regard méfiant à Imamiya. Il se demandait ce qu'il avait bien pu lui pondre encore. L'inspecteur se contenta de lui sourire… Hypocritement. Pendant que mademoiselle la profiler affichait un air des plus sévères. Super. Un peu plus d'emmerdements dans sa vie de merde.
— Monsieur Imamiya, pouvez vous nous laisser seuls ?
Akihito reporta son attention sur Akiko. Voir le policier congédié ainsi sans plus d'explication lui faisait grand plaisir, même si cela ne signifiait pas pour autant qu'il la considérait comme une alliée potentielle. Tout ce qui avait rapport avec la police, franchement, beurk !
— Comme vous voulez, mademoiselle Inoue, répondit Imamiya en grinçant des dents et en affichant un air contrarié.
Akihito le suivit du regard alors qu'il s'éloignait. Puis la main de Akiko se posa sur son épaule, et il se tourna vers la jeune femme. Même s'il était débarrassé de l'autre pot de colle, elle était toujours là. Il lui lança un regard interrogateur. L'air implacable et décidé sur son visage ne le rassurait pas vraiment sur ses intentions. D'ici à ce qu'elle lui annonce qu'elle le soupçonnait d'être le petit frère d'Hannibal Lecter.
— Je ne vais pas perdre de temps en politesse inutile, monsieur Takaba. Parlez moi du tueur.
Le moment était visiblement venu de jouer les idiots ne sachant rien sur rien. Si la police était mise au courant de la situation, Asami l'étranglerait... ou pire. Non mieux valait ne pas imaginer dans quel état d'humeur le yakuza serait. Même s'il n'avait pas mentionné les conséquences en cas de bavardage intempestif. Et de toute façon, ce n'était pas comme si Akihito était empressé de leur venir en aide. Se faire utiliser par Asami lui suffisait... Il n'était pas un paillasson. Du moins pas 24h/24 et 7 jours sur 7.
— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler Mademoiselle Inoue. De quel tueur s'agit-il ?
Elle lui lança un regard corrosif. Manque de bol pour elle, il avait de l'entraînement avec Asami, aussi aurait-elle du mal à l'intimider ainsi.
— Vous voyez très bien où je veux en venir, monsieur Takaba. Il y a eu des fuites ne venant pas de nous. Des photos des corps de deux dealers et d'une prostituée. Sans compter cette avocate. A priori, ces meurtres n'ont rien en commun mais… Nous avons mené notre enquête. Nous savons que vous avez vendu ces clichés, et je ne crois pas que le hasard vous a amené sur les lieux de ces différents crimes. Il y a donc deux hypothèses. Soit vous êtes l'assassin, soit l'assassin vous connaît. Malgré votre passif, vous n'avez pas le profil d'un tueur, je ne garderai donc qu'une seule théorie.
Pas le profil d'un tueur ? Comment pouvait-elle affirmer cela avec une telle certitude ? Avait-il l'air si inoffensif ? Mais bon, il n'allait pas s'en offusquer.
— A votre place, je collaborai. Il serait très désagréable pour vous de refaire un séjour au commissariat.
— J'ai l'habitude des menaces, vous savez ? marmonna-t-il en pensant à toutes les fois où sa vie avait été en danger. Je suis désolé, mais je ne vois pas de quoi vous parlez. Bye.
Akihito fit mine de s'éloigner. Cependant, la jeune femme s'accrocha à la manche de son blouson pour le retenir.
— De quoi avez vous peur au juste ? Pourquoi ne voulez-vous pas me parler ? Qui fait pression sur vous ?
— Au revoir, Mademoiselle Inoue, insista froidement Akihito tout en tirant sur son bras pour se dégager.
Il jeta un dernier regard courroucé à la jeune femme et fila aussi vite que possible en se fondant dans la foule de badauds.
Assis à son bureau, Akihito réfléchissait rapidement à la situation, son portable à la main et le regard figé sur l'appareil photo posé sur la table.
Que devait-il faire ? Prévenir Asami que les flics étaient désormais au courant de certaines choses et cela sans qu'il leur en ait parlé ? Il se demandait si le yakuza le croirait seulement ou s'il l'accuserait d'avoir vendu la mèche. Ils étaient les deux seuls à savoir pour les lettres et, quoi, cette femme, cette profiler, devinait tout en un clin d'œil ? En même temps, c'était son métier…
Peut-être était-ce mieux de confier tout ce qu'il savait à la police. Après tout, c'était son travail d'identifier et d'arrêter les serial killers. Ce n'était ni le sien ni celui d'Asami. La vie d'autres gens était sans aucun doute en jeu. Ses mauvaises expériences avec Yamazaki et Imamiya n'auraient pas dû l'influencer.
Après un long moment de concertation intérieure, Akihito ouvrit son portable et composa le numéro du démon. Qu'allait-il dire, il ne savait pas vraiment. Qu'il l'appelle comme s'il avait besoin de son assentiment lui posait problème aussi. Cependant, ça semblait une meilleure idée que de le mettre devant le fait accompli.
Le jeune homme prit une profonde inspiration pour se calmer.
Une sonnerie, deux sonneries, et il entendit la voix du yakuza.
Bien, c'était le moment de vérité… En quelque sorte. Il peinait à garder un ton de voix assuré.
— Asami, je crois qu'il y a un… petit problème.
Oh, non, mauvaise idée. Pourquoi commencer par dire qu'il y avait un problème ? Pourquoi avait il fallu qu'il annonce ça comme ça ? Pourquoi ? Pourquoi ? Imbécile !
« Parce qu'on ne parle pas de météo avec Asami, » pensa le photographe en se massant le front. Éventuellement, on finissait par parler de cul. Enfin, parler…!
— Un problème, répéta Asami d'un ton qu'il jugea plutôt acide, ce qu'il savait identifier comme un mauvais signe de part son expérience personnelle.
Oh génial ! Faites que cela soit simplement ce fichu portable qui s'amusait à déformer les voix !
— Eh bien, une profiler est venue me voir. Elle a compris qu'il y avait un lien entre les affaires à cause des photos que j'ai vendues à la presse…
Grand silence à l'autre bout du fil. Akihito perdit à cet instant toute patience et prudence.
— Et merde, elle a menacé de me mettre derrière les barreaux si je ne l'aidais pas ! Je suis censé faire quoi maintenant ? Une judicieuse idée à me proposer pour éviter de me faire égorger par un serial killer ou de finir en prison ?
Asami claqua de la langue.
— Arrête d'agir comme un gosse…
— Quoi ! Asami ! Je ne suis pas un gosse !
Il en aurait mis sa main au feu sans hésitation… Asami souriait à l'autre bout du fil.
— Tu agis comme un gosse, tu geins comme un gosse, tu bois comme un gosse… Tu es impressionnable comme un gosse pour te mettre dans tous tes états à cause d'une simple… profiler !
Enfoiré…
— J'vais tout lui dire, rétorqua Akihito avant de couper la communication.
Il avait une soudaine envie de réciter son mantra favori et d'émietter son portable à coups de marteau en imaginant la tête d'Asami à la place.
Ah oui, ça, monsieur, il était toujours là dès qu'il avait envie de tirer un coup, qu'il soit d'accord ou pas, mais après y avait plus personne. Quoi ? L'avoir sauvé de Feilong, deux fois ? Il ne devait jouer les chevaliers que lorsque le Chinois était directement source de ses problèmes. Peut-être qu'Asami devrait coucher avec Feilong au lieu de le harceler lui ! Ils feraient un si joli petit couple de pervers narcissiques !
Asami se moquait constamment de lui !
Connard, connard, connard !
— Ce sont donc les quatre lettres que vous avez reçu jusqu'à présent ? demanda Akiko tout en portant la cigarette à ses lèvres.
Akihito ne répondit pas immédiatement à la question. Son regard balaya le petit café bondé de monde. Bizarrement, il ne se sentait guère à l'aise. L'impression d'être observé… Il devenait parano à présent.
Il offrit à nouveau toute son attention à Akiko. Elle attendait patiemment qu'il prenne la parole tout en exhalant la fumée de sa cigarette. Le jeune photographe ignorait la marque de celle-ci, mais l'odeur lui rappelait celles d'Asami et une boule se forma dans sa gorge à cette pensée. En cet instant précis, il avait envie de tousser et d'écraser cette chose nauséabonde. Plus que jamais, il ne supportait pas cette fumée.
— Oui, les quatre lettres… répondit-il laconiquement.
— Seulement quatre ? Mais il y a eu cinq morts…
Essayait-elle de le tester ? Akihito fronça les sourcils, il n'aimait pas cette question.
Ses yeux glissèrent sur les quatre lettres enveloppées dans du plastique transparent et déposées sur la table.
— Il a tué les deux dealers en même temps, il n'avait pas besoin de faire deux lettres pour chacun des deux, fit-il remarquer.
— Bonne déduction… Vous voulez un café, un thé ?
Akihito secoua la tête. Son sentiment d'oppression ne le quittait pas. Cette dispute avec Asami en était sûrement la cause. Qu'il aille au Diable celui-là ! Il n'était pas un jouet dont on disposait. Il n'aimait vraiment pas l'attitude du Yakuza envers lui. Toujours à se moquer, à se servir de lui, à ne pas se soucier de savoir si c'était oui ou non…
— Vous n'avez pas l'air bien, monsieur Takaba. Je suis psychologue avant d'être profiler. Si vous avez besoin de parler… cette situation doit être angoissante pour vous. Après tout, vous recevez les messages d'un potentiel tueur en série…
— Non, non, ce n'est pas ça. C'est Asami, toujours Asami, s'exclama-t-il, trop énervé pour réfléchir à ses paroles.
— Asami… votre petite amie ?
Akihito eut une courte absence, parce qu'il essayait de se figurer Asami en robe, et aussi parce qu'il songeait à sa punition prochaine s'il bavait sur son dos. Hum… d'un autre côté, Asami ne l'apprendrait que s'il le lui racontait, ce qui n'arriverait pas.
— Oui… Ma 'petite amie', concéda-t-il en optant pour la prudence.
'Elle' allait réussir à le rendre dingue.
— Et votre petite amie est quel genre de femme ? poursuivit la profiler au lieu de laisser mourir le nouveau sujet de conversation.
Akihito se mordit les lèvres en prenant conscience de son idiotie : et si Imamiya avait mentionné ses relations avec le mafieux ? Il n'avait plus qu'une envie : courir hors de ce café pour ne pas mourir de honte.
Si elle apprenait la vérité…
— Un whisky, je voudrais un whisky…
Akiko afficha le sourire poli que l'on offre aux enfants capricieux.
« Clone d'Asami », pensa le jeune homme en serrant les poings sous la table.
Elle passa néanmoins commande au serveur le plus proche, et celui-ci ne tarda pas à revenir avec l'alcool demandé. Akihito s'empara du verre et en avala une lampée qui lui mit la gorge en feu et la tête en vrac. L'alcool avait toujours un effet incroyable sur lui. Pas le meilleur des effets, se rappela-t-il trop tard en buvant à nouveau.
— Quel genre de femme est donc cette Asami ? reprit la profiler.
— Une femme horrible. Un démon pervers. Une plaie. Depuis que je l'ai rencontrée, tout le monde cherche à me tuer ou à me violer !
Quelques personnes, en entendant son exclamation saugrenue, jetèrent des regards perplexes dans sa direction. Il n'y prêta pas attention et se contenta de boire une autre gorgée, et encore une autre gorgée et… Oh, le verre était vide, trop dommage, il lui en fallait un autre.
— Vous tuer ou vous violer… Intéressant Monsieur Takaba. Cette Asami a beaucoup d'ennemis ?
Que ce serveur était compréhensif pour déjà le resservir ! Akihito l'aimait, il méritait d'être canonisé.
— Monsieur Takaba, vous m'écoutez ? Akihito ? Arrêtez avec ce verre, ce n'est pas du lait bon sang ! Et vous ne semblez guère tenir l'alcool ! Répondez à ma question !
Le photographe considéra tristement son verre encore remplit de liquide ambré que la profiler venait de vilement kidnapper. Pfff…
— Oui… Il en a beaucoup… Surtout Feilong Liu… Lui… ? Liutruc…
Pourquoi réfléchir et parler devenaient si compliqué soudainement ? Akihito se passa la main sur le front, repoussant quelques mèches de cheveux rebelles, essayant de reprendre ses esprits avec peine.
— Ce Feilong est-il dangereux ?
Akiko n'en avait visiblement pas terminé avec son interrogatoire.
— Oui, il est dangereux, répondit Akihito d'un ton conspirateur. Il déteste Asami. Asami le déteste. J'ai toujours mal au cul à la fin. Super !
La profiler posa soudainement la main sur la sienne et la tapota.
— Bien. Akihito, je vais vous laisser, à présent. A votre place, je rentrerai bien sagement chez moi. Ne prenez pas un autre verre, par pitié.
— Je vais essayer, promis… marmonna le jeune homme, les joues rosies.
La promesse était vite tombée à l'eau. Akihito avait une déprime à noyer, même s'il ne s'en rappelait plus vraiment l'origine exacte. Hormis, bien entendu, qu'Asami en était responsable.
Au moins, Akihito avait fait une importante découverte : on servait de l'alcool dur à volonté partout, y compris dans les cafés. Somme toute, ce n'était pas très judicieux de la part du personnel de laisser un jeune homme se saouler - et par la même occasion dilapider son argent, donc avoir encore des problèmes pour payer son loyer à la fin du mois.
Il devait rentrer chez lui, désormais. Oui mais comment ? Il était incapable de retrouver son chemin. En plus, il avait mal à la tête et une sensation dans le creux de son estomac que l'on appelait fréquemment « j'ai envie de gerber ». Heureusement, il s'en retint et ne répandit donc pas ses entrailles sur le trottoir noir de monde en plein milieu de l'après-midi.
Un taxi, c'était ça qu'il lui fallait. Il était saoul, et le monde entier s'amusait à tanguer autour de lui pour rendre son avancée plus difficile.
Tiens, il y avait justement une belle voiture noire qui venait de se garer non loin de lui. Il s'en approcha et… Oh ça alors, c'était exactement la même marque que la voiture d'Asami. Oh ça alors, la portière venait de s'ouvrir et la douce voix de 'sa petite amie' lui ordonnait de monter sur-le-champ. Pourquoi était-il toujours là quand il avait besoin d'aide ? Ça lui plaisait tant que ça de se faire passer pour le chevalier servant pervers le cours d'un instant ?
— Tu as encore bu ? demanda Asami en tenant Akihito par le menton.
Le jeune homme se contenta d'acquiescer. Il n'avait pas spécialement envie de parler et, en plus, il avait soif.
— Tu as vu cette profiler alors ?
— Oui, et je lui ai dit à quel point tu es un type horrible.
Asami ne réagit aucunement à sa remarque, ce qui déçut à moitié Akihito. L'autre moitié de son humeur étant de son côté un poil énervée. Il pinça les lèvres avec une moue boudeuse.
— T'es pas en colère que je sois allé la voir ? T'avais dit de pas en parler à la police, et je l'ai fait. J'crois même qu'elle a gardé les lettres, enfin je sais plus. M'en fous. M'en fous de toi aussi, pervers.
Les doigts d'Asami quittèrent son menton, mais ses yeux marron restaient toujours posés sur lui. Akihito tenta de comprendre la signification du sourire qui fleurissait soudainement sur les lèvres de l'homme. Hélas, dès qu'il avait plusieurs verres de whisky dans le sang, son système de décryptage des infimes variations d'expression d'Asami tombait en panne. Aussi, il ignorait si le mafieux était amusé par ses propos ou si sa colère montait lentement comme la lave dans le mont Fuji.
— Non, c'était exactement ce que je voulais. Tu es tellement prévisible, Akihito.
Akihito ouvrit la bouche pour protester. S'interrompit. Rétropédala mentalement pour se répéter les mots qu'il venait d'entendre. Fronça les sourcils et agrippa Asami par le col quand un éclair de compréhension le frappa.
Quoiquoiquoiquoiquoiquoi QUOI ? « C'était exactement ce qu'il voulait ? » Saoul ou pas, ça ne l'empêcha pas de réagir comme il se le devait.
— Tu m'as encore utilisé ! Je te déteste Asami ! Tu me prends pour quoi au juste ? Ton larbin ? Je suis bon qu'à baiser et à te rendre service ? C'est ça ?
Asami laissa échapper un ricanement de dérision.
— Tu vois, tu réagis encore d'une façon prévisible.
— Laisse moi descendre de cette voiture ! Je ne veux plus jamais te voir ! Tu m'emmerd… Hmpfff…
Les lèvres d'Asami s'étaient soudainement collées aux siennes et, même avec la meilleure volonté du monde, il n'arriva pas à le repousser. Se perdit dans des réactions contradictoires. Ses doigts avaient beau se crisper nerveusement sur la veste de l'homme, ses lèvres s'entrouvrirent pour répondre au baiser, permettre à la langue du yakuza de jouer avec la sienne. Asami avait passé un bras autour de son dos pour le maintenir fermement contre lui. Son autre main… Akihito eut le rouge aux joues à la pensée de l'endroit où elle se trouvait.
« Pourquoi suis-je si faible ? » se lamenta-t-il intérieurement tout en fermant les yeux.
Peut-être parce qu'Asami savait si prendre pour lui faire oublier au cours d'un instant les griefs qu'il pouvait avoir. Akihito avait beau crier et s'énerver contre lui, à chaque fois cela se terminait de la même façon. Pourquoi donc tombait-il toujours dans le piège ? Ce n'était sûrement pas par amour, non, on ne pouvait aimer un homme comme Asami. Il devrait peut-être arrêter de se blâmer, pour commencer.
Bon sang, ce qu'il faisait chaud soudainement !
— N-non… Pas dans la voiture, protesta-t-il en sentant la main d'Asami se glisser à l'intérieur de son pantalon.
— Tu as peur de la salir ? Comme si tu t'en souciais…
