Chapitre 8 : Killer's Revenge

Akihito souleva légèrement ses paupières. Toujours ce noir, si froid et terrifiant. Il avait un goût métallique qui lui emplissait la bouche. Celui du sang. Une odeur semblable flottait autour de lui, mêlée à celle de la boue. Mal au bras, il était suspendu au dessus du sol par des chaînes et il se demandait si ses épaules n'étaient pas déboîtées à force…
Il lui sembla percevoir des cris non loin. Peut-être au-dessus de lui, il ne savait pas. Mais, tout n'était sans doute qu'un rêve encore une fois. Il ne savait plus dissocier les choses. Et ce pouvait lui apporter ses sens n'étaient pas une preuve suffisant. Il avait bien imaginé se réveiller dans son appartement. Il avait même imaginé la chaleur d'une tasse de café entre ses doigts. Et la douleur, ah la douleur n'était plus là. Merveilleux moment… Vite éteint…
Sa tête vacilla sur le côté. Il plongeait déjà dans un autre rêve. Coups de feu et cri. Une fusillade. Il revit sans qu'il ne le souhaita le jour de sa première rencontre avec Feilong et de sa fuite grâce à Asami. Le regard meurtrier que leur avait alors lancé le Chinois avant de disparaître. Il n'avait pas deviné à l'époque à quel point Asami et lui entretenaient une telle animosité. Une haine mortelle qui ne semblait pouvoir trouver de fin qu'à la mort de l'un ou de l'autre. Du moins du côté de Feilong… Il était toujours le premier à attaquer.
Non, pourquoi pensait-il à cela ? D'autres choses lui revenaient en mémoire. Il ne voulait pas s'en souvenir. Car les blessures qu'il avait crues fermées s'éveillaient à nouveau alors que tout espoir avait disparu.
Pourquoi s'était-il intéressé à un homme comme Asami ? Et… Et pourquoi dès lors tout avait-il été si mal ? C'était comme si le Yakuza entraînait tout ceux qui le côtoyaient dans une éternelle malédiction. Son mentor en était mort. Il l'avait trahi mais… Akihito aurait préféré mourir à sa place… Pour ne pas connaître tout cela…
« - Où es-tu passé ? Je veux mourir… » supplia Akihito d'une voix éraillée.
Le voile fut ôté de ses yeux mais le visage de son tortionnaire était dans l'ombre. Il aurait voulu pouvoir le contempler, le toucher aussi, pour enfoncer les doigts dans ses yeux et les lui arracher. Pour lui faire partager sa souffrance.
« - Que veux tu, pretty boy ?
« - Mourir, » répéta Akihito alors que sa vision se brouillait. Il secoua la tête pour rester éveillé.
« - Comme tu veux, pretty boy. »
N'était ce pas la voix de Feilong remplaçant celle de cet anglais ou américain cinglé. Non… ! Feilong était donc le commanditaire de toute cette mascarade ? Il aurait du savoir qu'il ne pouvait se fier à sa parole !
Le jeune homme tenta de se libérer de ses chaînes mais Feilong l'imobilisa en glissant le bras autour de sa taille pour le ramener contre lui. Et il y avait le canon froid d'une arme sur sa tempe.
« - C'est dommage, j'aurai tellement aimé m'amuser encore avec toi. Zàijiàn… »
La détonation lui vrilla les tympans.
Mais ce fut tout.
Il rouvrit les yeux. Toujours suspendu à ces chaînes. Il bascula la tête en arrière, son crâne était toujours intact. Autour de lui, il entendait des voix qu'il n'identifiait pas et qu'il n'avait de toute manière pas envie d'écouter.
Le tortionnaire avait du amener ses amis pour voir qui était le plus doué en torture. Un joli jeu de société. Et Akihito se mit à rire, le corps entièrement secoué par son hilarité.
« - Il a totalement perdu l'esprit, » fit une des voix non loin de lui.
« - Feilong, je t'avais demandé de me tuer. Ce n'est pas fair-play, » se plaignit Akihito alors que le morceau de tissu qui lui couvrait les yeux était retiré. Encore une fois ? Feilong ne lui avait-il pas déjà enlevé ? Ah, encore un rêve, bien entendu.
Les chaînes se desserrèrent brusquement et il se sentit tomber dans le vide. Un cri de surprise franchit ses lèvres mais des bras le saisirent et l'empêchèrent de tomber à terre.
Des bras à la chaleur réconfortante, pour lui qui grelottait de froid. Un doux rêve pour une fois. Les larmes coulèrent entre ses paupières qu'il ne souhaitait pas ouvrir, de peur que le rêve ne devienne cauchemar à nouveau.
Mais, peu à peu, les sensations s'évanouirent, tout comme la voix qui l'appelait et lui ordonnait de rester éveillé.
« - Je n'en peux plus… Je veux mourir, » murmura-t-il dans un bref soupir.

Une sonnerie de téléphone portable et quelques murmures.
Un bruit étrange ressemblant à un ronronnement.
Akihito releva lentement les paupières.
Il faisait encore sombre mais pas comme dans sa prison. Il voyait distinctement la pièce, le plafond et le haut des murs. Ainsi qu'un morceau de fenêtre aux rideaux fermés.
Quelque chose d'humide passa sur sa joue et Akihito tourna la tête malgré son cou en compote pour apercevoir le museau noir d'un chaton.
« - Lucifer… ? Encore un rêve stupide, c'est ça ? Me faire lécher la joue par un chaton dans un lit, » pensa-t-il à voix haute.
Il voulut tendre la main pour repousser le Démon fait chat, hélas son corps lui paraissait fait de pierre. Lourd et malhabile. Avec une douleur faible mais qui ne semblait demander qu'à s'éveiller.
Le seul bienfait était les couvertures qui l'enveloppaient d'une chaleur qui lui avait tant manqué… Et il se surprit à prier pour que cela ne fut pas un rêve.
Lucifer ronronna encore et se frotta contre la joue du jeune homme. C'était soyeux. Akihito soupira de bien-être et s'endormit à nouveau.

Tellement froid… Non, pas encore.
Akihito n'était plus attaché cette fois ci mais il n'arrivait pas à ôter le voile qui lui couvrait les yeux. Et l'autre en profitait pour se moquer de lui tout en le frappant de temps à autre.
Non, non, il avait mal, pourquoi le faisait-il autant souffrir ?
Pourquoi cela le faisait-il rire ?
Akihito gémit comme un animal blessé, le visage crispé. Des bras l'enlacèrent alors et il parvint à ouvrir les yeux. Il y avait du tissu contre son nez, un tissu au parfum familier, celui de la cigarette. Ses doigts gourds tremblèrent et il parvint à s'agripper à la veste. Et il pleurait, comme un enfant terrifié.
« - A… Asami…
« - C'est terminé Akihito. On rentre chez nous. »
Chez nous… Oui, c'était vraiment le genre de chose qu'il aurait aimé entendre.
Tout en le soutenant, Asami posa sur les épaules du jeune homme sa propre veste, puis il glissa un bras sous ses genoux pour le soulever et le porter.
Le regard hagard d'Akihito parcourut sa prison. Une cave au sol de terre devenue boue à cause d'une fuite d'eau. Il se mit à tousser puis releva la tête vers l'unique source de lumière issue de la porte ouverte, en haut de l'escalier. Le jeune homme crut reconnaître la silhouette de Feilong dans l'encadrement mais l'individu qui s'y tenait se détourna bien rapidement et disparu dans la lumière aveuglante.

Akihito s'éveilla en sursaut, la respiration difficile et le sang battant violemment à ses tempes. Sa peau était humide de sueur et les draps collaient à celle-ci… Ce qui de toute évidence signifiait qu'il était nu… Il voulut se redresser mais la douleur qui irradia aussitôt son corps le poussa à rester sagement allongé.
Il tourna la tête de droite à gauche, reconnaissant peu à peu le lit d'Asami. Génial, il ne savait s'il devait commencer à criser ou s'enthousiasmer. Il avait l'impression que l'odeur du Yakuza était partout, même sur le chaton ronronnant sur son ventre comme un bienheureux. Eh bien, en voilà un qui était pas gêné de s'endormir sur lui. Sac à puce.
« - T'a du bol de rien peser Luci' et que je n'ai aucune force pour te virer de là sans me rompre les os. »
Le chaton bailla et le considéra de ses yeux verts endormis. Akihito sentit son cœur fondre, il était trop craquant ce sac à puce finalement. Amusant à regarder, le jeune homme eut son premier sourire depuis son éveil et eut envie de sortir sa main de sous les draps pour caresser la boule de poil.
La porte s'ouvrit soudainement, le faisant sursauter et grimacer ensuite à cause de la douleur qui lui vrilla le dos. Il se rembrunit ensuite légèrement en levant les yeux vers Asami.
« - Tu es réveillé ? » demanda-t-il visiblement surpris.
« - Ca se voit je crois, » bougonna Akihito en détournant la tête. « J'ai le corps en miette, pourquoi je ne suis pas à l'hôpital ? »
Il reporta brièvement son regard sur Asami en l'entendant soupirer. Sa chemise était légèrement déboutonnée en haut. Akihito s'attacha à ce détail et ne le quitta plus des yeux. Comme si cela pouvait lui vider l'esprit des récents évènements.
« - L'hôpital ne me semblait pas un endroit sûr. Et comme tes jours n'étaient pas en danger, j'ai préféré te ramener ici. Ai-je eu tort ?
« - Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'un camion m'est passé dessus, » fit Akihito d'une voix étranglée en essayant de se redresser un peu. Difficilement. C'était bien plus qu'un camion mais il n'avait pas spécialement envie d'y repenser. Même s'il ne pouvait s'en empêcher. Cela passait en boucle dans son esprit, comme une obsession dont il ne pouvait se débarrasser. Son corps était comme une plaie géante, les multiples coupures le brûlaient. Le jeune homme ferma les yeux et respira un grand coup pour essayer de se reprendre.
« - Que s'est-il passé, au juste ? » questionna-t-il en fixant à nouveau le Yakuza qui s'était adossé à la porte fermée, bras croisés.
« - Je n'aurai pas du te laisser partir du Sion. Il y a des caméras un peu partout, y compris dans les ruelles, mais je n'ai pas été averti immédiatement. Tu as disparu durant deux jours. Et bien sûr on ne peut pas dire que la police dans son grand ensemble soit très efficace. Serviable cette Akiko Inoue mais entourée d'incapables.
« - Non… Aucune importance, je n'ai pas envie de savoir comment tu as retrouvé ce malade finalement. Ca ne change rien à…
« - Il est mort, Akihito. »
Le photographe serra les poings sous la couverture en grinça des dents. La rage le faisait trembler, il avait envie de frapper quelque chose et de hurler.
« - Et alors, ça ne change rien ! Ce n'était qu'un intermédiaire, le vrai taré est toujours et encore en liberté ! Et tu le sais, sinon tu ne me garderais pas ici ! »
Akihito baissa le ton d'un cran. La chaleur lui monta aux joues. Non, pas ce trouble encore…
« - Pour me protéger… ? » fit-il tout bas, sans qu'Asami ne l'entende visiblement.
« - Ce n'est que temporaire. Si cette cohabitation te déplait, tu pourras rentrer chez toi une fois cette affaire terminée. »
Asami gagna la fenêtre pour entrouvrir les rideaux et donner un peu de lumière, puis il tourna la tête vers Akihito pour le regarder avec un léger froncement de sourcil. Cette expression si froide…
« - Quoi ? J'ai une sale gueule c'est ça ? » railla Akihito.
« - Oh non, je t'assure, cet hématome sur ta joue est le summum du sexy. »
Rah ! Toujours aussi imbuvable. Akihito ne parvint pas à cacher sa colère et son envie de lui lancer quelque chose de très dur à la tête, comme un bloc en acier blindé. Et Asami se contentait de sourire en coin, comme si sa réaction l'amusait. Espèce d'enflure. Il avait tort de penser qu'il ait pu changer par miracle sous prétexte qu'il était venu le sauver.
« - Tu es toujours aussi prévisible dans tes réactions. Ca m'aurait manqué… Ne plus avoir ce gamin pleurnichard dans mes pattes…
« - Arrête de te moquer de moi ! » s'énerva le jeune homme.
Asami vint s'asseoir sur le bord du lit. Son sourire avait disparu et il se contentait de fixer sans ciller Akihito de ses yeux marron si perçants, attractifs et dangereux. Il n'aimait pas ce regard. Il lui donnait froid dans le dos. Car il ne savait jamais à quoi il devait s'attendre ensuite.
« - Akihito, tu as tort de penser que tu n'as aucune importance pour moi. Mais…
« - Mais quoi ? » reprit le jeune homme alors qu'il avait marqué une brève pause.
« - Je serai toujours un 'salaud'. N'espère pas me voir changer. »
Toujours… Akihito plissa ses paupières en poussant un léger soupir. Sur son ventre, le chaton bailla et s'étira avant de reprendre sa position première, en boule, le nez entre les pattes.
Avoir de l'importance, est-ce que c'était suffisant pour lui… ? Ou bien… Ah, ça tête lui faisait mal soudainement. Akihito s'affaissa en fermant à demi les yeux. Non, il n'avait pas envie de dormir encore… Mais pourtant…
« - Tu devrais continuer à te reposer, tu as toujours de la fièvre. »
La voix d'Asami était comme assourdie. Le jeune homme se contenta d'acquiescer dans un vague murmure inaudible. Il écouta distraitement le Yakuza ajouter qu'il le réveillerait lorsque le repas serait arrivé. Arrivé ? Ah oui, Akihito ne voyait décidément pas celui-ci cuisiner avec un tablier rose de ménagère. Image cauchemardesque qui le fit grimacer. C'était pratique le traiteur pour garder sa dignité de mafieux même si l'on avait à s'occuper de son amant malade et…
Asami était venu le sauver. Il était venu pour lui. Toujours un salaud, hein ? Mais Asami ne serait plus Asami sans cette attitude qui faisait si souvent sortir de ces gongs Akihito… Si ce n'était plus Asami, il ne l'aimerait plus… Si compliqué…
Il ne put toutefois se retenir d'imaginer un gentil Asami armé d'un tablier rose en train de cuisiner du Oyakodon pendant que Lucifer traînerait en ronronnant entre ses jambes pour avoir les restes.

Akihito resta en tout et pour tout quatre jours au lit. Affaibli comme il était, il n'arrivait pas à faire plus de quatre pas tout seul en dehors de celui-ci. Soit sa tête se mettait à lui tourner, soit ses jambes le lâchaient à cause de la douleur qui vrillait tout son corps. Jamais les calmants ne lui avaient paru aussi salutaire. Un médecin était passé, lui faisant remarqué qu'il avait beaucoup de chance de n'avoir que des coupures relativement superficielles, dont il ne garderait pas longtemps des cicatrices. Contrairement à l'entaille à son bras… Coupures superficielles, son cul ouais… ! Ca se voyait que ce n'était pas lui qui se tordait au moindre mouvement de souffrance parce qu'une l'une d'elle se mettait à tirailler. Et Asami semblait retenir un sourire moqueur chaque fois qu'il faisait démonstration de son mauvais caractère.
Asami…
Il restait à proximité, pour l'aider. A sa manière… Akihito se sentait quelque peu humilié d'être aussi faible et avait l'impression de n'être qu'une gêne. Qu'Asami ne veillait sur lui que pour faire bonne figure.
Mais il espérait se tromper. Car il appréciait malgré tout la présence du Yakuza, même s'il était relativement antipathique. C'était toujours agréable de voir son amant apporter au lit les repas. Par contre, cela devenait bien plus gênant quand il avait besoin d'aller au toilette. Mais le pire n'était ce pas lorsqu'Asami s'était mis en tête de lui faire prendre une douche ? Rien que d'y repenser, Akihito avait la honte qui lui brûlait les joues. Ah, l'enfoiré… L'eau lui avait fait du bien, et pas seulement l'eau d'ailleurs… Mais… Il fallait être sans scrupule pour oser abuser d'un jeune homme convalescent. Mais au moins, il ne l'avait pas attaché au robinet comme… La dernière fois…
« - Je ne rentre pas avant ce soir. Tu n'as qu'à commander chez un traiteur pour ce midi, » lança Asami en ajustant le col de son manteau, tirant par la même occasion le jeune homme de ses précédentes pensées.
Akihito, jouant jusqu'alors avec son appareil photo en se remémorant les deux jours précédents – mais en omettant volontairement ce qui avait précédé – lui jeta un regard distrait avant d'examiner plus attentivement l'objectif.
« - Je sais me débrouiller seul, » maugréa-t-il en retournant une énième fois l'appareil. Et en plus, il arrivait enfin à marcher, même s'il avait toujours besoin de sa dose de calmant.
Il observa encore une fois furtivement Asami et eut une légère grimace. Non… Franchement… Ce costume, ce manteau… Vraiment tout de l'homme d'affaire séducteur et sûr de lui… Et comme s'il avait deviné ses pensées, le Yakuza pivota vers lui et s'avança pour lui saisir le menton entre ses doigts. L'obligeant à le fixer droit dans les yeux. Akihito chercha à détourner le regard, sans y parvenir. Le serpent le charmait.
« - Ne prends pas cet air triste comme si je t'abandonnais, je m'occuperai de toi ce soir. »
Enfin presque…
« - Ce soir je dors sur le canapé, pervers, » rétorqua le jeune homme en fermant les yeux. Il soupira alors qu'Asami laissait échapper un ricanement moqueur et lui relâchait le visage. Comme pour lui faire comprendre qu'il allait encore succomber à ses assauts malgré ses bonnes résolutions.
« - Mais tu m'aimes, » rappela d'ailleurs Asami.
Démon…
Akihito détourna la tête pour cacher son air renfrogné sans pouvoir toutefois empêcher ses épaules de se crisper.
Les pas d'Asami s'éloignèrent puis la porte d'entrée claqua. La tension du photographe se relâcha et il s'installa plus confortablement dans le fauteuil du salon.
Lucifer sauta sur la table basse et il en profita pour prendre quelques photo. Le chaton surpris par le flash le regarda tout d'abord avec de grands yeux étonnés et cracha comme s'il avait vu le diable pour courir se cacher derrière le second fauteuil. Passant de temps en temps son museau pour voir si la créature lumineuse allait encore se manifester. Voyant que le danger s'était éloigné, le chaton sortit de sa cachette et se lissa le poil ébouriffé précédemment par sa panique de quelques coups de langue. L'air de dire 'non non, je n'ai pas eu la frousse quelques secondes auparavant'.

Le reste de la journée s'enchaîna avec une lenteur exaspérante.
Le jeune homme n'avait malheureusement pas énormément d'activité possible dans l'appartement luxueux – hormis le sport de chambre lorsqu'Asami était présent, pensait-il sarcastiquement – et il s'ennuyait ferme. Même la télé ne parvenait à le distraire, il avait même l'impression que le journal n'était qu'un cortège de catastrophes fait pour lui 'remonter le moral'.
A midi, il se commanda une pizza. Vive la nourriture non diététique.
Plus tard, Akiko l'appela pour lui demander de ses nouvelles tout en lui précisant encore une fois, histoire sans doute d'être sûre de le voir tomber en dépression, que non ils n'avaient toujours aucune piste. Génial. Elle remarqua aussi, non sans agacement, que l'enquête aurait sans doute avancée si messieurs Asami Ryûchi et Liu Feilong n'avaient pas trouvé amusant de transformer la tête de son tortionnaire en sorbet sauce cervelle. Peut-être que si la police avait pu l'interroger aurait-elle eu des informations cruciales.
« - Je commence à douter toutefois qu'il s'agisse d'un vrai serial killer, » lui apprit toutefois Akiko. « Malheureusement on ne peut pas dire que les Triades soient très coopératives. »
En clair, Feilong n'était guère pressé de lui offrir SES informations sur l'affaire. Et Akihito se voyait mal de son côté harceler son pire ennemi pour qu'il lui en dise plus sur les meurtres à Hong Kong.
« - C'est un caste tête chinois. »
Akihito ne retint que difficilement un rire. Elle ne croyait pas si bien dire.
Lorsque la conversation téléphonique toucha à sa fin, Akihito alla dormir, suivit de près par Lucifer qui semblait avoir la même idée. Les cauchemars ne tardèrent pas à l'assaillir dans son sommeil mais, heureusement, le bruit de la sonnette le tira de ses songes néfastes. Le corps en sueur et l'esprit embrouillé, Akihito se leva en traînant des pieds pour ouvrir la porte d'entrée, jetant brièvement un regard à une pendule pour apprendre qu'il était aux environs de 16h. Prenant sous son bras Lucifer qui le suivait comme maman poule afin d'éviter qu'il n'en profite pour fuir, il déverrouilla la porte et tourna la poignée.
Il n'y avait personne. Mais par terre, il trouva une enveloppe rouge cachetée de cire.
Akihito se pencha pour la ramasser. Cela ne lui disait rien qui vaille et une boule se forma dans sa gorge.
Il referma le porte à double tour et rejoignit le salon. Après avoir reposé Lucifer dans un fauteuil, il décacheta la lettre et en sortit la carte qui se trouvait dedans. On aurait dit une carte de tarot. D'un côté était inscrit au feutre une heure et un lieu, et de l'autre se trouvait un simple dessin d'un chevalier ou quelque chose d'approchant terrassant un dragon occidental. Un de ces lézards ailés si terrifiants.
Akihito ne comprenait pas. Jusqu'à présent, il avait toujours eu le nom de la future victime… Et là… Il reporta son attention sur l'heure. 16h30, aujourd'hui. Le lieu lui était totalement inconnu. Blue Mary… Peut-être le nom d'un club… ? La panique monta en lui. Il était sans aucun doute trop tard pour sauver la future victime mais…
Akihito sortit son portable de sa poche et hésita un instant devant la liste des noms. Qui appeler en premier… Asami ? Akiko ? Il ne pouvait s'empêcher de pencher pour Asami mais… Ce n'était pas raisonnable, non… Ah, merde !
Akihito ferma les yeux et respira profondément alors qu'il comptait le nombre de sonnerie.
« - Mademoiselle Inoue ! C'est Akihito ! J'ai reçu une autre lettre mais… Je n'y comprends rien !
« - Tu devrais te calmer et parler moins vite. »
Le photographe resta un instant perplexe en entendant Akiko parler d'une voix aussi grave et masculine. Et la compréhension vint soudainement à lui.
« - Imamiya, passez-moi Inoue…
« - Désolé, elle a quitté son bureau et je ne sais pas où elle est passée. Dis-moi ce que contient cette lettre. »
Cela ne lui plaisait vraiment pas de confier des informations aussi cruciales à cet incapable et il se retint de justesse de raccrocher.
« - Le meurtre aura lieu à 16h30… Dans moins d'une demi-heure. Le lieu est Blue Mary. C'est inscrit sur une sorte de carte de jeu… Avec un dessin. Un chevalier tuant un dragon. Il n'y a aucun nom. »
Il y eut quelques secondes de silence, puis il entendit Imamiya jurer.
« - Je vais demander à ce qu'on me fasse sur-le-champ une liste des établissements appelés 'Blue Mary'. Je te rappelle si besoin est. »
Akihito n'eut pas le temps d'ajouter quoique ce soit de son côté, l'inspecteur avait déjà raccroché. Il serra fortement son portable et se laissa tomber dans le fauteuil. Son regard alla de nouveau à la carte et il l'attrapa, cherchant un quelconque indice de plus. Machinalement, il sélectionna le nom d'Asami dans la liste et attendit fébrilement qu'il décroche. Les mains tremblantes. Lorsque la voix du Yakuza retentit, le jeune homme se calma légèrement. Sans se sentir pour autant rassuré.
Il lui exposa la situation, d'une voix bien plus posée que lors de son appel à Imamiya.
« - Un chevalier et un dragon ? » répéta Asami d'un ton songeur.
« - Il a une lance et il tue le dragon avec.
« - Il s'agit de Saint Georges.
« - Qui ça ? » demanda Akihito un peu perdu. Qui était ce 'Saint Georges' ? Une connaissance d'Asami ? Il avait vraiment de drôle de connaissance dans ce cas.
« - Il est le patron des chevaliers pour les chrétiens. Il a gagné sa renommée en terrassant un dragon auquel on allait livrer une princesse. Il est un peu comme Susanô sauvant Kusinada du dragon. Tu ne sais donc pas ça ?
« - Je ne suis pas chrétien, » répliqua Akihito, énervé que l'on souligne son ignorance.
« - Moi non plus… Je te rappelle dès que j'ai quelque chose.
« - Asami, Atte… ! »
Trop tard.
Akihito plongea son regard dans les yeux verts de Lucifer qui le contemplait avec affection. Gratouillant l'oreille du chaton, il reporta son attention sur le cadran du portable, attendant avec impatience que Imamiya ou Asami le rappellent. Les chiffres affichés par l'écran LCD changeaient au fur et à mesure que les minutes passaient. 16h10, 16h15… 16h20…
Le photographe se leva et fit plusieurs allers-retours dans le salon avant de partir dans la cuisine pour ouvrir le réfrigérateur et sortir une canette de bière.
16h25.
Il porta la canette à ses lèvres et prit une gorgée tout en s'appuyant contre la gazinière qui ne semblait jamais avoir été utilisée par quiconque.
16h30, toujours rien.
Il avait les nerfs en pelote et sa canette était vide à son grand désespoir. Il sortit une assiette et dénicha dans un placard les croquettes du chaton. Il était temps de nourrir le fauve aux yeux verts.
Lorsque la sonnerie de son portable retentit enfin, il fut un instant paniqué en ne le trouvant pas. Lorsqu'il aperçut enfin le maudit objet posé sur la table de la cuisine, il se jeta dessus et hurla presque en prenant l'appel.
« - Akihito, tu es toujours dans l'appartement ?
« - Ah… Oui, pourquoi ? Asami, que se passe-t-il ?
« - N'en sors pas, c'est un ordre. »
Il entendait un étrange brouhaha à l'autre bout du fil, ainsi qu'un léger soupir émanant sans aucun doute d'Asami.
« - Que se passe-t-il ? Il… Il veut encore essayer de me tuer ?
« - Non. Akihito, Feilong est mort. »

Note de l'auteur : Pardon aux fans de Feilong, dont je fais partie : ) C'était trop tentant…