Akihito
souleva légèrement ses paupières. Toujours ce
noir, si froid et terrifiant. Il avait un goût métallique
qui lui emplissait la bouche. Celui du sang. Une odeur semblable
flottait autour de lui, mêlée à celle de la boue.
Mal au bras, il était suspendu au dessus du sol par des
chaînes et il se demandait si ses épaules n'étaient
pas déboîtées à force…
Il lui
sembla percevoir des cris non loin. Peut-être au-dessus de lui,
il ne savait pas. Mais, tout n'était sans doute qu'un rêve
encore une fois. Il ne savait plus dissocier les choses. Et ce
pouvait lui apporter ses sens n'étaient pas une preuve
suffisant. Il avait bien imaginé se réveiller dans son
appartement. Il avait même imaginé la chaleur d'une
tasse de café entre ses doigts. Et la douleur, ah la douleur
n'était plus là. Merveilleux moment… Vite éteint…
Sa tête
vacilla sur le côté. Il plongeait déjà
dans un autre rêve. Coups de feu et cri. Une fusillade. Il
revit sans qu'il ne le souhaita le jour de sa première
rencontre avec Feilong et de sa fuite grâce à Asami. Le
regard meurtrier que leur avait alors lancé le Chinois avant
de disparaître. Il n'avait pas deviné à
l'époque à quel point Asami et lui entretenaient une
telle animosité. Une haine mortelle qui ne semblait pouvoir
trouver de fin qu'à la mort de l'un ou de l'autre. Du
moins du côté de Feilong… Il était toujours le
premier à attaquer.
Non,
pourquoi pensait-il à cela ? D'autres choses lui
revenaient en mémoire. Il ne voulait pas s'en souvenir. Car
les blessures qu'il avait crues fermées s'éveillaient
à nouveau alors que tout espoir avait disparu.
Pourquoi
s'était-il intéressé à un homme comme
Asami ? Et… Et pourquoi dès lors tout avait-il été
si mal ? C'était comme si le Yakuza entraînait
tout ceux qui le côtoyaient dans une éternelle
malédiction. Son mentor en était mort. Il l'avait
trahi mais… Akihito aurait préféré mourir à
sa place… Pour ne pas connaître tout cela…
« -
Où es-tu passé ? Je veux mourir… »
supplia Akihito d'une voix éraillée.
Le voile
fut ôté de ses yeux mais le visage de son tortionnaire
était dans l'ombre. Il aurait voulu pouvoir le contempler,
le toucher aussi, pour enfoncer les doigts dans ses yeux et les lui
arracher. Pour lui faire partager sa souffrance.
« -
Que veux tu, pretty boy ?
« -
Mourir, » répéta Akihito alors que sa vision
se brouillait. Il secoua la tête pour rester éveillé.
« -
Comme tu veux, pretty boy. »
N'était
ce pas la voix de Feilong remplaçant celle de cet anglais ou
américain cinglé. Non… ! Feilong était
donc le commanditaire de toute cette mascarade ? Il aurait du
savoir qu'il ne pouvait se fier à sa parole !
Le jeune
homme tenta de se libérer de ses chaînes mais Feilong
l'imobilisa en glissant le bras autour de sa taille pour le ramener
contre lui. Et il y avait le canon froid d'une arme sur sa tempe.
« -
C'est dommage, j'aurai tellement aimé m'amuser encore
avec toi. Zàijiàn… »
La
détonation lui vrilla les tympans.
Mais ce
fut tout.
Il
rouvrit les yeux. Toujours suspendu à ces chaînes. Il
bascula la tête en arrière, son crâne était
toujours intact. Autour de lui, il entendait des voix qu'il
n'identifiait pas et qu'il n'avait de toute manière pas
envie d'écouter.
Le
tortionnaire avait du amener ses amis pour voir qui était le
plus doué en torture. Un joli jeu de société. Et
Akihito se mit à rire, le corps entièrement secoué
par son hilarité.
« -
Il a totalement perdu l'esprit, » fit une des voix non
loin de lui.
« -
Feilong, je t'avais demandé de me tuer. Ce n'est pas
fair-play, » se plaignit Akihito alors que le morceau de
tissu qui lui couvrait les yeux était retiré. Encore
une fois ? Feilong ne lui avait-il pas déjà
enlevé ? Ah, encore un rêve, bien entendu.
Les
chaînes se desserrèrent brusquement et il se sentit
tomber dans le vide. Un cri de surprise franchit ses lèvres
mais des bras le saisirent et l'empêchèrent de tomber
à terre.
Des bras
à la chaleur réconfortante, pour lui qui grelottait de
froid. Un doux rêve pour une fois. Les larmes coulèrent
entre ses paupières qu'il ne souhaitait pas ouvrir, de peur
que le rêve ne devienne cauchemar à nouveau.
Mais, peu
à peu, les sensations s'évanouirent, tout comme la
voix qui l'appelait et lui ordonnait de rester éveillé.
« -
Je n'en peux plus… Je veux mourir, » murmura-t-il dans
un bref soupir.
Une
sonnerie de téléphone portable et quelques murmures.
Un bruit
étrange ressemblant à un ronronnement.
Akihito
releva lentement les paupières.
Il
faisait encore sombre mais pas comme dans sa prison. Il voyait
distinctement la pièce, le plafond et le haut des murs. Ainsi
qu'un morceau de fenêtre aux rideaux fermés.
Quelque
chose d'humide passa sur sa joue et Akihito tourna la tête
malgré son cou en compote pour apercevoir le museau noir d'un
chaton.
« -
Lucifer… ? Encore un rêve stupide, c'est ça ?
Me faire lécher la joue par un chaton dans un lit, »
pensa-t-il à voix haute.
Il voulut
tendre la main pour repousser le Démon fait chat, hélas
son corps lui paraissait fait de pierre. Lourd et malhabile. Avec une
douleur faible mais qui ne semblait demander qu'à
s'éveiller.
Le seul
bienfait était les couvertures qui l'enveloppaient d'une
chaleur qui lui avait tant manqué… Et il se surprit à
prier pour que cela ne fut pas un rêve.
Lucifer
ronronna encore et se frotta contre la joue du jeune homme. C'était
soyeux. Akihito soupira de bien-être et s'endormit à
nouveau.
Tellement
froid… Non, pas encore.
Akihito
n'était plus attaché cette fois ci mais il n'arrivait
pas à ôter le voile qui lui couvrait les yeux. Et
l'autre en profitait pour se moquer de lui tout en le frappant de
temps à autre.
Non, non,
il avait mal, pourquoi le faisait-il autant souffrir ?
Pourquoi
cela le faisait-il rire ?
Akihito
gémit comme un animal blessé, le visage crispé.
Des bras l'enlacèrent alors et il parvint à ouvrir
les yeux. Il y avait du tissu contre son nez, un tissu au parfum
familier, celui de la cigarette. Ses doigts gourds tremblèrent
et il parvint à s'agripper à la veste. Et il
pleurait, comme un enfant terrifié.
« -
A… Asami…
« -
C'est terminé Akihito. On rentre chez nous. »
Chez
nous… Oui, c'était vraiment le genre de chose qu'il
aurait aimé entendre.
Tout en
le soutenant, Asami posa sur les épaules du jeune homme sa
propre veste, puis il glissa un bras sous ses genoux pour le soulever
et le porter.
Le regard
hagard d'Akihito parcourut sa prison. Une cave au sol de terre
devenue boue à cause d'une fuite d'eau. Il se mit à
tousser puis releva la tête vers l'unique source de lumière
issue de la porte ouverte, en haut de l'escalier. Le jeune homme
crut reconnaître la silhouette de Feilong dans l'encadrement
mais l'individu qui s'y tenait se détourna bien rapidement
et disparu dans la lumière aveuglante.
Akihito
s'éveilla en sursaut, la respiration difficile et le sang
battant violemment à ses tempes. Sa peau était humide
de sueur et les draps collaient à celle-ci… Ce qui de toute
évidence signifiait qu'il était nu… Il voulut se
redresser mais la douleur qui irradia aussitôt son corps le
poussa à rester sagement allongé.
Il tourna
la tête de droite à gauche, reconnaissant peu à
peu le lit d'Asami. Génial, il ne savait s'il devait
commencer à criser ou s'enthousiasmer. Il avait l'impression
que l'odeur du Yakuza était partout, même sur le
chaton ronronnant sur son ventre comme un bienheureux. Eh bien, en
voilà un qui était pas gêné de s'endormir
sur lui. Sac à puce.
« -
T'a du bol de rien peser Luci' et que je n'ai aucune force pour
te virer de là sans me rompre les os. »
Le chaton
bailla et le considéra de ses yeux verts endormis. Akihito
sentit son cœur fondre, il était trop craquant ce sac à
puce finalement. Amusant à regarder, le jeune homme eut son
premier sourire depuis son éveil et eut envie de sortir sa
main de sous les draps pour caresser la boule de poil.
La porte
s'ouvrit soudainement, le faisant sursauter et grimacer ensuite à
cause de la douleur qui lui vrilla le dos. Il se rembrunit ensuite
légèrement en levant les yeux vers Asami.
« -
Tu es réveillé ? » demanda-t-il
visiblement surpris.
« -
Ca se voit je crois, » bougonna Akihito en détournant
la tête. « J'ai le corps en miette, pourquoi je ne
suis pas à l'hôpital ? »
Il
reporta brièvement son regard sur Asami en l'entendant
soupirer. Sa chemise était légèrement
déboutonnée en haut. Akihito s'attacha à ce
détail et ne le quitta plus des yeux. Comme si cela pouvait
lui vider l'esprit des récents évènements.
« -
L'hôpital ne me semblait pas un endroit sûr. Et comme
tes jours n'étaient pas en danger, j'ai préféré
te ramener ici. Ai-je eu tort ?
« -
Je ne sais pas, j'ai l'impression qu'un camion m'est passé
dessus, » fit Akihito d'une voix étranglée
en essayant de se redresser un peu. Difficilement. C'était
bien plus qu'un camion mais il n'avait pas spécialement
envie d'y repenser. Même s'il ne pouvait s'en empêcher.
Cela passait en boucle dans son esprit, comme une obsession dont il
ne pouvait se débarrasser. Son corps était comme une
plaie géante, les multiples coupures le brûlaient. Le
jeune homme ferma les yeux et respira un grand coup pour essayer de
se reprendre.
« -
Que s'est-il passé, au juste ? »
questionna-t-il en fixant à nouveau le Yakuza qui s'était
adossé à la porte fermée, bras croisés.
« -
Je n'aurai pas du te laisser partir du Sion. Il y a des caméras
un peu partout, y compris dans les ruelles, mais je n'ai pas été
averti immédiatement. Tu as disparu durant deux jours. Et bien
sûr on ne peut pas dire que la police dans son grand ensemble
soit très efficace. Serviable cette Akiko Inoue mais entourée
d'incapables.
« -
Non… Aucune importance, je n'ai pas envie de savoir comment tu as
retrouvé ce malade finalement. Ca ne change rien à…
« -
Il est mort, Akihito. »
Le
photographe serra les poings sous la couverture en grinça des
dents. La rage le faisait trembler, il avait envie de frapper quelque
chose et de hurler.
« -
Et alors, ça ne change rien ! Ce n'était qu'un
intermédiaire, le vrai taré est toujours et encore en
liberté ! Et tu le sais, sinon tu ne me garderais pas
ici ! »
Akihito
baissa le ton d'un cran. La chaleur lui monta aux joues. Non, pas
ce trouble encore…
« -
Pour me protéger… ? » fit-il tout bas, sans
qu'Asami ne l'entende visiblement.
« -
Ce n'est que temporaire. Si cette cohabitation te déplait,
tu pourras rentrer chez toi une fois cette affaire terminée. »
Asami
gagna la fenêtre pour entrouvrir les rideaux et donner un peu
de lumière, puis il tourna la tête vers Akihito pour le
regarder avec un léger froncement de sourcil. Cette expression
si froide…
« -
Quoi ? J'ai une sale gueule c'est ça ? »
railla Akihito.
« -
Oh non, je t'assure, cet hématome sur ta joue est le summum
du sexy. »
Rah !
Toujours aussi imbuvable. Akihito ne parvint pas à cacher sa
colère et son envie de lui lancer quelque chose de très
dur à la tête, comme un bloc en acier blindé. Et
Asami se contentait de sourire en coin, comme si sa réaction
l'amusait. Espèce d'enflure. Il avait tort de penser qu'il
ait pu changer par miracle sous prétexte qu'il était
venu le sauver.
« -
Tu es toujours aussi prévisible dans tes réactions. Ca
m'aurait manqué… Ne plus avoir ce gamin pleurnichard dans
mes pattes…
« -
Arrête de te moquer de moi ! » s'énerva
le jeune homme.
Asami
vint s'asseoir sur le bord du lit. Son sourire avait disparu et il
se contentait de fixer sans ciller Akihito de ses yeux marron si
perçants, attractifs et dangereux. Il n'aimait pas ce
regard. Il lui donnait froid dans le dos. Car il ne savait jamais à
quoi il devait s'attendre ensuite.
« -
Akihito, tu as tort de penser que tu n'as aucune importance pour
moi. Mais…
« -
Mais quoi ? » reprit le jeune homme alors qu'il
avait marqué une brève pause.
« -
Je serai toujours un 'salaud'. N'espère pas me voir
changer. »
Toujours…
Akihito plissa ses paupières en poussant un léger
soupir. Sur son ventre, le chaton bailla et s'étira avant de
reprendre sa position première, en boule, le nez entre les
pattes.
Avoir de
l'importance, est-ce que c'était suffisant pour lui… ?
Ou bien… Ah, ça tête lui faisait mal soudainement.
Akihito s'affaissa en fermant à demi les yeux. Non, il
n'avait pas envie de dormir encore… Mais pourtant…
« -
Tu devrais continuer à te reposer, tu as toujours de la
fièvre. »
La voix
d'Asami était comme assourdie. Le jeune homme se contenta
d'acquiescer dans un vague murmure inaudible. Il écouta
distraitement le Yakuza ajouter qu'il le réveillerait
lorsque le repas serait arrivé. Arrivé ? Ah oui,
Akihito ne voyait décidément pas celui-ci cuisiner avec
un tablier rose de ménagère. Image cauchemardesque qui
le fit grimacer. C'était pratique le traiteur pour garder sa
dignité de mafieux même si l'on avait à
s'occuper de son amant malade et…
Asami était venu le sauver. Il était venu pour lui.
Toujours un salaud, hein ? Mais Asami ne serait plus Asami sans
cette attitude qui faisait si souvent sortir de ces gongs Akihito…
Si ce n'était plus Asami, il ne l'aimerait plus… Si
compliqué…
Il ne put toutefois se retenir d'imaginer un gentil Asami armé
d'un tablier rose en train de cuisiner du Oyakodon pendant que
Lucifer traînerait en ronronnant entre ses jambes pour avoir
les restes.
Akihito
resta en tout et pour tout quatre jours au lit. Affaibli comme il
était, il n'arrivait pas à faire plus de quatre pas
tout seul en dehors de celui-ci. Soit sa tête se mettait à
lui tourner, soit ses jambes le lâchaient à cause de la
douleur qui vrillait tout son corps. Jamais les calmants ne lui
avaient paru aussi salutaire. Un médecin était passé,
lui faisant remarqué qu'il avait beaucoup de chance de
n'avoir que des coupures relativement superficielles, dont il ne
garderait pas longtemps des cicatrices. Contrairement à
l'entaille à son bras… Coupures superficielles, son cul
ouais… ! Ca se voyait que ce n'était pas lui qui se
tordait au moindre mouvement de souffrance parce qu'une l'une
d'elle se mettait à tirailler. Et Asami semblait retenir un
sourire moqueur chaque fois qu'il faisait démonstration de
son mauvais caractère.
Asami…
Il restait à proximité, pour l'aider. A sa manière…
Akihito se sentait quelque peu humilié d'être aussi
faible et avait l'impression de n'être qu'une gêne.
Qu'Asami ne veillait sur lui que pour faire bonne figure.
Mais il espérait se tromper. Car il appréciait malgré
tout la présence du Yakuza, même s'il était
relativement antipathique. C'était toujours agréable
de voir son amant apporter au lit les repas. Par contre, cela
devenait bien plus gênant quand il avait besoin d'aller au
toilette. Mais le pire n'était ce pas lorsqu'Asami s'était
mis en tête de lui faire prendre une douche ? Rien que d'y
repenser, Akihito avait la honte qui lui brûlait les joues. Ah,
l'enfoiré… L'eau lui avait fait du bien, et pas
seulement l'eau d'ailleurs… Mais… Il fallait être sans
scrupule pour oser abuser d'un jeune homme convalescent. Mais au
moins, il ne l'avait pas attaché au robinet comme… La
dernière fois…
« - Je ne rentre pas avant ce soir. Tu n'as qu'à
commander chez un traiteur pour ce midi, » lança
Asami en ajustant le col de son manteau, tirant par la même
occasion le jeune homme de ses précédentes pensées.
Akihito, jouant jusqu'alors avec son appareil photo en se
remémorant les deux jours précédents – mais en
omettant volontairement ce qui avait précédé –
lui jeta un regard distrait avant d'examiner plus attentivement
l'objectif.
« - Je sais me débrouiller seul, »
maugréa-t-il en retournant une énième fois
l'appareil. Et en plus, il arrivait enfin à marcher, même
s'il avait toujours besoin de sa dose de calmant.
Il observa encore une fois furtivement Asami et eut une légère
grimace. Non… Franchement… Ce costume, ce manteau… Vraiment
tout de l'homme d'affaire séducteur et sûr de lui…
Et comme s'il avait deviné ses pensées, le Yakuza
pivota vers lui et s'avança pour lui saisir le menton entre
ses doigts. L'obligeant à le fixer droit dans les yeux.
Akihito chercha à détourner le regard, sans y parvenir.
Le serpent le charmait.
« - Ne prends pas cet air triste comme si je
t'abandonnais, je m'occuperai de toi ce soir. »
Enfin presque…
« - Ce soir je dors sur le canapé, pervers, »
rétorqua le jeune homme en fermant les yeux. Il soupira alors
qu'Asami laissait échapper un ricanement moqueur et lui
relâchait le visage. Comme pour lui faire comprendre qu'il
allait encore succomber à ses assauts malgré ses bonnes
résolutions.
« - Mais tu m'aimes, » rappela d'ailleurs
Asami.
Démon…
Akihito détourna la tête pour cacher son air renfrogné
sans pouvoir toutefois empêcher ses épaules de se
crisper.
Les pas d'Asami s'éloignèrent puis la porte
d'entrée claqua. La tension du photographe se relâcha
et il s'installa plus confortablement dans le fauteuil du salon.
Lucifer sauta sur la table basse et il en profita pour prendre
quelques photo. Le chaton surpris par le flash le regarda tout
d'abord avec de grands yeux étonnés et cracha comme
s'il avait vu le diable pour courir se cacher derrière le
second fauteuil. Passant de temps en temps son museau pour voir si la
créature lumineuse allait encore se manifester. Voyant que le
danger s'était éloigné, le chaton sortit de sa
cachette et se lissa le poil ébouriffé précédemment
par sa panique de quelques coups de langue. L'air de dire 'non
non, je n'ai pas eu la frousse quelques secondes auparavant'.
Le reste de la journée s'enchaîna avec une lenteur
exaspérante.
Le jeune homme n'avait malheureusement pas énormément
d'activité possible dans l'appartement luxueux – hormis
le sport de chambre lorsqu'Asami était présent,
pensait-il sarcastiquement – et il s'ennuyait ferme. Même
la télé ne parvenait à le distraire, il avait
même l'impression que le journal n'était qu'un
cortège de catastrophes fait pour lui 'remonter le moral'.
A midi, il se commanda une pizza. Vive la nourriture non diététique.
Plus tard, Akiko l'appela pour lui demander de ses nouvelles tout
en lui précisant encore une fois, histoire sans doute d'être
sûre de le voir tomber en dépression, que non ils
n'avaient toujours aucune piste. Génial. Elle remarqua
aussi, non sans agacement, que l'enquête aurait sans doute
avancée si messieurs Asami Ryûchi et Liu Feilong
n'avaient pas trouvé amusant de transformer la tête de
son tortionnaire en sorbet sauce cervelle. Peut-être que si la
police avait pu l'interroger aurait-elle eu des informations
cruciales.
« - Je commence à douter toutefois qu'il s'agisse
d'un vrai serial killer, » lui apprit toutefois Akiko.
« Malheureusement on ne peut pas dire que les Triades
soient très coopératives. »
En clair, Feilong n'était guère pressé de lui
offrir SES informations sur l'affaire. Et Akihito se voyait mal de
son côté harceler son pire ennemi pour qu'il lui en
dise plus sur les meurtres à Hong Kong.
« - C'est un caste tête chinois. »
Akihito ne retint que difficilement un rire. Elle ne croyait pas si
bien dire.
Lorsque la conversation téléphonique toucha à sa
fin, Akihito alla dormir, suivit de près par Lucifer qui
semblait avoir la même idée. Les cauchemars ne tardèrent
pas à l'assaillir dans son sommeil mais, heureusement, le
bruit de la sonnette le tira de ses songes néfastes. Le corps
en sueur et l'esprit embrouillé, Akihito se leva en traînant
des pieds pour ouvrir la porte d'entrée, jetant brièvement
un regard à une pendule pour apprendre qu'il était
aux environs de 16h. Prenant sous son bras Lucifer qui le suivait
comme maman poule afin d'éviter qu'il n'en profite pour
fuir, il déverrouilla la porte et tourna la poignée.
Il n'y avait personne. Mais par terre, il trouva une enveloppe
rouge cachetée de cire.
Akihito se pencha pour la ramasser. Cela ne lui disait rien qui
vaille et une boule se forma dans sa gorge.
Il referma le porte à double tour et rejoignit le salon. Après
avoir reposé Lucifer dans un fauteuil, il décacheta la
lettre et en sortit la carte qui se trouvait dedans. On aurait dit
une carte de tarot. D'un côté était inscrit au
feutre une heure et un lieu, et de l'autre se trouvait un simple
dessin d'un chevalier ou quelque chose d'approchant terrassant un
dragon occidental. Un de ces lézards ailés si
terrifiants.
Akihito ne comprenait pas. Jusqu'à présent, il avait
toujours eu le nom de la future victime… Et là… Il reporta
son attention sur l'heure. 16h30, aujourd'hui. Le lieu lui était
totalement inconnu. Blue Mary… Peut-être le nom d'un
club… ? La panique monta en lui. Il était sans aucun
doute trop tard pour sauver la future victime mais…
Akihito sortit son portable de sa poche et hésita un instant
devant la liste des noms. Qui appeler en premier… Asami ?
Akiko ? Il ne pouvait s'empêcher de pencher pour Asami
mais… Ce n'était pas raisonnable, non… Ah, merde !
Akihito ferma les yeux et respira profondément alors qu'il
comptait le nombre de sonnerie.
« - Mademoiselle Inoue ! C'est Akihito ! J'ai
reçu une autre lettre mais… Je n'y comprends rien !
« - Tu devrais te calmer et parler moins vite. »
Le photographe resta un instant perplexe en entendant Akiko parler
d'une voix aussi grave et masculine. Et la compréhension
vint soudainement à lui.
« - Imamiya, passez-moi Inoue…
« - Désolé, elle a quitté son bureau
et je ne sais pas où elle est passée. Dis-moi ce que
contient cette lettre. »
Cela ne lui plaisait vraiment pas de confier des informations aussi
cruciales à cet incapable et il se retint de justesse de
raccrocher.
« - Le meurtre aura lieu à 16h30… Dans moins
d'une demi-heure. Le lieu est Blue Mary. C'est inscrit sur une
sorte de carte de jeu… Avec un dessin. Un chevalier tuant un
dragon. Il n'y a aucun nom. »
Il y eut quelques secondes de silence, puis il entendit Imamiya
jurer.
« - Je vais demander à ce qu'on me fasse
sur-le-champ une liste des établissements appelés 'Blue
Mary'. Je te rappelle si besoin est. »
Akihito n'eut pas le temps d'ajouter quoique ce soit de son côté,
l'inspecteur avait déjà raccroché. Il serra
fortement son portable et se laissa tomber dans le fauteuil. Son
regard alla de nouveau à la carte et il l'attrapa, cherchant
un quelconque indice de plus. Machinalement, il sélectionna le
nom d'Asami dans la liste et attendit fébrilement qu'il
décroche. Les mains tremblantes. Lorsque la voix du Yakuza
retentit, le jeune homme se calma légèrement. Sans se
sentir pour autant rassuré.
Il lui exposa la situation, d'une voix bien plus posée que
lors de son appel à Imamiya.
« - Un chevalier et un dragon ? » répéta
Asami d'un ton songeur.
« - Il a une lance et il tue le dragon avec.
« - Il s'agit de Saint Georges.
« - Qui ça ? » demanda Akihito un
peu perdu. Qui était ce 'Saint Georges' ? Une
connaissance d'Asami ? Il avait vraiment de drôle de
connaissance dans ce cas.
« - Il est le patron des chevaliers pour les chrétiens.
Il a gagné sa renommée en terrassant un dragon auquel
on allait livrer une princesse. Il est un peu comme Susanô
sauvant Kusinada du dragon. Tu ne sais donc pas ça ?
« - Je ne suis pas chrétien, » répliqua
Akihito, énervé que l'on souligne son ignorance.
« - Moi non plus… Je te rappelle dès que j'ai
quelque chose.
« - Asami, Atte… ! »
Trop tard.
Akihito plongea son regard dans les yeux verts de Lucifer qui le
contemplait avec affection. Gratouillant l'oreille du chaton, il
reporta son attention sur le cadran du portable, attendant avec
impatience que Imamiya ou Asami le rappellent. Les chiffres affichés
par l'écran LCD changeaient au fur et à mesure que
les minutes passaient. 16h10, 16h15… 16h20…
Le photographe se leva et fit plusieurs allers-retours dans le salon
avant de partir dans la cuisine pour ouvrir le réfrigérateur
et sortir une canette de bière.
16h25.
Il porta la canette à ses lèvres et prit une gorgée
tout en s'appuyant contre la gazinière qui ne semblait
jamais avoir été utilisée par quiconque.
16h30, toujours rien.
Il avait les nerfs en pelote et sa canette était vide à
son grand désespoir. Il sortit une assiette et dénicha
dans un placard les croquettes du chaton. Il était temps de
nourrir le fauve aux yeux verts.
Lorsque la sonnerie de son portable retentit enfin, il fut un instant
paniqué en ne le trouvant pas. Lorsqu'il aperçut
enfin le maudit objet posé sur la table de la cuisine, il se
jeta dessus et hurla presque en prenant l'appel.
« - Akihito, tu es toujours dans l'appartement ?
« - Ah… Oui, pourquoi ? Asami, que se passe-t-il ?
« - N'en sors pas, c'est un ordre. »
Il entendait un étrange brouhaha à l'autre bout du
fil, ainsi qu'un léger soupir émanant sans aucun
doute d'Asami.
« - Que se passe-t-il ? Il… Il veut encore essayer
de me tuer ?
« - Non. Akihito, Feilong est mort. »
Note de l'auteur : Pardon aux fans de Feilong, dont je fais partie : ) C'était trop tentant…
