Chapitre 10 : Killer's Betrayal

Pourquoi fallait-il toujours, lorsqu'il se sentait désespéré, que quelqu'un lui enfonce un peu plus la tête sous l'eau pour lui faire comprendre qu'il était encore plus mal barré qu'il ne le pensait ?
Akihito n'arrivait pas à trouver le sommeil, non pas parce que le canapé était dur et qu'il avait froid malgré la couverture, mais parce qu'il n'arrêtait pas de penser à sa dernière conversation avec Asami, sans parvenir à orienter ses pensées sur un autre sujet.
« - C'est insultant pour ceux qui essayent de te sauver de t'entendre te plaindre constamment. Si tu es si certain de mourir, sors d'ici et balance toi sous le Shinkansen. »
C'était ce qu'avait dit Asami, avant de l'ignorer le restant de la soirée, même durant le repas. Akihito n'avait pas vraiment eu le courage d'entamer le dialogue à nouveau ou de s'aventurer dans la chambre pour dormir ensuite. Non, et puis le canapé était tellement plus confortable il fallait dire… Enfin il essayait de s'en persuader. Il valait peut-être mieux pour lui partir discrètement et rentrer chez lui. Après tout, il n'était qu'un étranger ici, aussi bien dans l'appartement que dans la vie du Yakuza.
Il était convaincu que les paroles d'Asami n'étaient pas à prendre à la légère. En fait, est-ce qu'une seule de ses paroles étaient à prendre à la légère ? Il était tout le temps… Sérieux. Et calculateur.
Etait-il lâche en pensant que tout était perdu ? Ou bien trop pessimiste ? Mais il ne voyait vraiment pas quoi faire. Il n'avait aucun indice, la police n'en avait pas, Asami n'en avait pas… Alors… Comment déjouer les plans de ce cinglé avant qu'il ne tue quelqu'un d'autre, encore ? Akihito était à peu près sur que son nom serait inscrit dans la prochaine missive qu'il recevrait. Est-ce qu'il n'avait déjà pas tenté de le tuer et… Est-ce qu'il ne l'avait pas torturé aussi ? Et il n'avait pas le droit de se sentir désespéré après tout ça ?
Dire que tout avait commencé comme un simple jeu de piste un peu morbide. A présent… Il repensait à ces jours passés dans le noir, à être torturé, et avait envie de pleurer.
Bon sang, il n'était qu'un photographe ayant certains mois à peine assez d'argent pour payer son loyer. Quelle erreur avait-il pu commettre pour s'attirer les foudres de ce tueur ? Sortir avec un Yakuza ? Eh, il y avait été forcé ! Ce n'était pas lui qui agressait sexuellement Asami, il n'était qu'une victime, une balle de ping-pong que se renvoyait tour à tour Asami et Feilong dans leur rivalité. En un an, il avait été violé plus de fois qu'il n'avait mangé de pates bolognaises dans sa vie.
C'était une vie, ça ?
Peut-être qu'Asami n'avait pas tort, il était temps de sortir et de se jeter sous une rame de métro ou un train. Et les gens ne pleureraient pas sur sa mort, ils se plaindraient au contraire qu'à cause d'un jeune con, les transports en commun avaient encore du retard. Ces gens si méprisants de la vie des autres. Asami était comme eux, n'est ce pas ? Même avec lui.
Akihito se leva. Il ne savait pas quelle heure il était, peut-être cinq heure ou six heure. Plutôt six à en juger par le jour naissant, visible par la baie vitré. Il s'en approcha en gardant la couverture sur ses épaules et contempla Tokyo en contrebas. Même à cette heure les rues n'étaient guère calme. Pourtant, le bruit de la circulation ne lui parvenait pas. Il appuya son front et sa main droite contre la vitre avec un soupir fatigué. Et resta sans rien faire de plus. Il aurait aimé pouvoir se vider entièrement l'esprit, ne plus penser à rien, comme s'il n'était rien de plus qu'une coquille vide.
Les bras nus d'Asami se glissèrent soudainement autour de sa taille mais il ne sursauta pas malgré le silence de cette approche. Il l'entendit chuchoter à son oreille qu'il n'était qu'une tête de mule passant son temps à bouder comme un enfant mais le Yakuza aurait tout aussi bien pu parler à son propre reflet dans une glace, le résultat aurait été le même : Aucune réponse.
Akihito était en vérité en train de se demander s'il rêvait la présence d'Asami ou pas. Et dans le doute, il s'abstenait de la moindre parole. Peut-être qu'en réalité il dormait toujours et qu'en l'entendant parler dans le vide, il viendrait se moquer de lui.
Le jeune homme ne broncha pas lorsqu'il fut soulevé. Il se contenta de glisser un bras autour du cou d'Asami et de fixer le vague d'un œil morne. Le monde qui l'entourait était lointain et diffus. Ou bien étaient ce ses paupières si lourdes qui lui offraient cette impression de flotter dans du coton ? Il essayait de lutter mais avec de moins en moins de courage. Le contact des draps sur sa peau atteignit à peine ses sens.

Lorsqu'il reprit conscience, il n'avait pas réellement l'esprit plus clair. Et son corps lui paraissait tout engourdi. Il bougea tout d'abord les doigts de sa main droite pour sentir des picotements monter le long de son bras. Puis quelque chose de doux et soyeux frotta contre sa joue, avec un petit ronronnement caractéristique. Il bougea la tête pour apercevoir les grands yeux verts de Lucifer qui le contemplait avec affection. Avec un petit miaulement plaintif. Sans doute parce qu'il avait faim, le vil.
Akihito réalisa alors que son portable était en train de cancaner joyeusement de sa sonnerie stridente. C'était sans aucun doute ça qui l'avait réveillé. Il devait se lever pour aller répondre mais il n'en avait pas le courage, l'envie, et ne savait même pas où se trouver l'infernale téléphone. Au lieu de ça, il caressa le chaton qui tenta de lui faire comprendre son envie de saucisses en forme de poulpe en lui mordillant l'index.
Ah, si seulement Lucifer pouvait parler et faire comprendre à ce jeune homme plongé en pleine apathie qu'il était friand de knacki et de crevettes. Eh, eh, où il allait le jeune homme amant de son maître, là ? Lui préparer ses knacki fantaisistes ? Oh oui, oh oui ! Le chaton sauta en bas du lit et galopa autour du jeune homme tout en essayant de le pousser tactiquement vers la cuisine en manquant de le faire trébucher quand il n'allait pas là où il voulait.
Bip-bip-bip…
Le chaton s'assit sur son arrière train et jeta un regard plein de désespoir au dépressif qui venait de prendre le téléphone portable. Etait-ce vraiment le moment de répondre alors que la faim régnait dans le monde et surtout dans son ventre ? Lucifer miaula de dépit et, en vengeance purement féline, aiguisa ses griffes sur le tibia du garçon.
« - WAHAAAAAAAAAAAAAI ! »
Que c'était beau d'entendre un humain chanter au clair de lune.
« - Akihito… Vous allez bien ?
« - Je déteste les chats. Vous n'avez pas envie d'un chaton, mademoiselle Inoue ? » demanda le photographe en saisissant d'une main la bestiole griffue qui ronronnait innocemment. « C'est pas moi, c'est pas moi, c'est pas moi, » semblait-elle dire.
« - Non merci, je suis allergique. De plus, ce n'est pas le moment de discuter de cela. Imamiya vient de m'appeler. Il y a eu un meurtre dans la zone industrielle de la banlieue de Shiba. Dans un entrepôt. Il pense qu'il s'agit de notre tueur et… » Akiko marqua une hésitation et prit une longue inspiration. « Il a besoin de vous pour identifier le corps. »
Le cœur d'Akihito se serra malgré tout, tout comme sa gorge. Non, pourquoi ressentait-il soudainement une bouffée d'angoisse l'amenant à serrer un peu plus fort le téléphone portable.
« - Est-ce qu'Asami… »
Mais il ne termina pas sa phrase.
« - En ce moment même, il est à une réception en train de graisser la patte à quelques 'amis' politiciens. Il ne vous a pas prévenu ? »
La tension d'Akihito se dégonfla comme un pneu que l'on tailladait à coup de couteau. Mais sa contrariété fit un bond en avant. De quoi se mêlait-elle encore ? Il serra les dents et marmonna entre elle.
« - Non il ne m'a pas prévenu et, ceci dit, je m'en fiche. Pouvons nous revenir à un sujet plus important que ma vie privée, par exemple l'identification d'un cadavre…
« - Imamiya se demande s'il ne s'agirait pas d'un de vos amis. »
Akihito faillit en laisser tomber le téléphone. Quelqu'un avait-il déjà dit à cette femme à quel point son tact était exemplaire ? Elle lui faisait le même effet qu'un piano tombant sur la tête d'une vieille dame venant d'apprendre qu'elle avait un cancer.

« - Où sommes nous ?
« - Devant un en-tre-pot, dans une voi-tu-re.
« - Oui mais, où sont Imamiya et ses hommes ?
« - Je n'en ai aucune idée ! » rétorqua avec agacement Akiko. Un rapide coup d'œil dans sa direction et Akihito devina sans une seconde d'hésitation qu'elle était tout aussi perplexe que lui.
Il reporta ensuite son attention sur la lignée de bâtiments à l'apparence plutôt menaçante sous le ciel nocturne. Il y avait à peine quelques néons éclairant le parking, vide. Une fragrance de poisson flottait dans l'air. Le photographe avait froid malgré son blouson. Peut-être aurait-il du mettre un pull plutôt qu'un t-shirt. Peut-être aurait-il du avoir des pensées plus sérieuses que son habillement en cet instant de tension.
A sa droite, Akiko pianota de ses doigts sur le volant en ayant un air pensif. Le bruit de ses ongles était stressant mais le jeune homme n'en fit aucune remarque.
« - Etes-vous sûre que c'était bien Imamiya qui vous a fait venir ici ?
« - Je sais encore reconnaître la voix d'un inspecteur !
« - Alors rappelez-le. Soit il s'est trompé d'adresse, soit votre oreille n'est pas si bonne que ça et ce n'était pas lui.
« - Soit c'est le tueur, » conclut Akiko avec un sérieux à faire peur qui insinua du même coup le doute dans l'esprit d'Akihito.
« - Imamiya… Le… Tueur ?
« - Oui, je sais, c'est aberrant ! Il ressemble à un vieux célibataire dont la seule activité dangereuse est de siroter du sake devant 'Mac Gyver', » s'exclama-t-elle d'une voix un peu trop aiguë. Et elle ouvrit soudainement la portière de la voiture sous le regard surpris du jeune homme.
« - Makugaiberu quoi ? » tenta de répéter Akihito avec concentration.
« - Vous ne connaissez pas Mac Gyver ? Allons, le type qui arrive à fabriquer une bombe avec un bonbon à la mente, un foulard et de l'huile de tournesol, » fit-elle en vérifiant que son Browning BDM était bien chargé et s'il lui restait des munitions dans son sac Christian Dior. Elle glissa celle-ci dans les poches de son pantalon puis jeta le sac sur le siège conducteur.
« - Maku, c'était un de vos anciens collègues, c'est ça ? » demanda le jeune homme perplexe, visiblement peu réceptif à la culture télévisuelle américaine. « Euh, Akiko, qu'êtes-vous en train de faire, exactement ?
« - Je vais faire un rapide tour des lieux. Vous pouvez rester ici si vous avez peur de venir ou m'accompagner si vous avez peur de rester seul, » lâcha-t-elle sarcastique.
Akihito ne lui répondit pas. Il était bien trop occupé à la regarder avec des yeux ronds comme des billes.
« - Mademoiselle… Et… Si le tueur est là bas ? » souffla-t-il à mi-voix comme s'il avait soudainement peur qu'on les entende.
« - Oh, eh bien, je tirerai d'abord et je demanderai à son cadavre quelles étaient ses motivations après. C'est mon collègue Dick Tracy qui me l'a appris. »
« Diku… Oh peu importe », pensa Akihito en soupçonnant fortement la profiler de profiter de son ignorance pour se moquer de lui. Etait-il donc si amusant comme défoule nerf du monde entier ? Il était en tout cas impressionné par la détermination suicidaire dont elle faisait preuve. Comme quoi, il valait mieux se préserver de toute pensée misogyne envers la faiblesse des femmes avec elle.
Il la suivit du regard se diriger vers l'un des entrepôts numérotés 001. Et la suivit tout court. Ce n'était pas parce qu'il avait peur de rester seul dans la voiture. Il ne voulait simplement pas rester inactif. Les paroles blessantes d'Asami lui revenaient en mémoire et il avait honte de n'être qu'un lâche qui se plaignait. Quel genre d'homme serait-il s'il laissait Akiko y aller seul ? Il ne pouvait pas se cacher encore, même si cela voulait dire… Risquer de mourir. Le froid de l'acier se faisait sentir malgré la barrière de tissu, il avait glissé le Beretta que lui avait donné Asami dans une poche intérieur de son blouson. L'arme lui semblait peser lourd. Il se demandait combien de secondes exactement il lui faudrait pour la sortir, viser son adversaire et… Et tirer. Trop peut-être.
Il était à quelques pas seulement d'Akiko, elle avançait rapidement mais prudemment, sans aucune hésitation, le Browning tenu d'une main le long de sa jambe. Les néons le firent briller un court instant puis il se confondit à nouveau avec le noir de son pantalon.
Il décida de sortir l'arme de sa poche et de la glisser dans son dos, coincée dans la ceinture de son pantalon et cachée par le bas du blouson. Lorsqu'il avait été poursuivi dans ce parking, quelques mois plus tôt, par les sbires de Feilong, il avait eu le temps d'attraper le revolver pour les mettre en joue. S'il avait pu tirer, la suite n'aurait certainement pas connu le même chemin. Feilong avait lu dans son regard l'hésitation et il en avait profité.
Mais peut-être que le tueur, lui, ne verrait pas dans l'obscurité des lieux cette peur dilatant légèrement ses pupilles et rendant ses mains humides. Peut-être se laisserait-il impressionné et… Et après, quoi ? On en revenait au même. Akihito ne trouverait pas la force d'appuyer sur la détente, il se ferait tuer.

La porte de l'entrepôt grinça horriblement en coulissant sur le côté. Akihito failli faire un bon en arrière d'au moins deux mètres. Ses sombres pensées l'avaient mené dans un autre monde durant quelques secondes, il ne s'était pas rendu compte qu'ils étaient arrivés à destination.
Il avait chaud soudainement et son cœur battait vite, trop vite.
Akiko jeta un rapide regard à l'intérieur tout en restant adossé à la porte juste suffisamment ouverte pour laisser passer une ou deux personnes. Le jeune homme, de là où il était, ne voyait qu'une faible portion du hangar. Il ne faisait pas excessivement noir, comme il s'y attendait. Il y avait quelques ampoules le long des murs, des ampoules rouge baignant les lieux dans une ambiance bien étrange. Sans les caisses, remplie d'il ne savait quoi, on aurait cru une boite de nuit crade et glauque.
Alors que la jeune femme s'engageait dans le bâtiment, bien décidée apparemment à mener son inspection jusqu'au bout, Akihito crut apercevoir du coin de l'œil une ombre fugitive dans le parking. Son cœur fit un bond dans sa poitrine et il porta instinctivement la main derrière son dos, cherchant le contact rassurant de l'arme.
Il fit une inspection minutieuse du regard mais ne surprit pas d'autres mouvements suspects. Peut-être n'était ce qu'un simple animal. Ou bien peut-être étaient ce ses sens qui lui offraient des hallucinations. Il poussa un soupir et se détendit.
En pivotant pour rejoindre la profiler, il constata que celle-ci avait disparu de son champ de vision. L'angoisse dissipée revint aussitôt et il pénétra à son tour dans l'entrepôt. Pourquoi avait-il fallu qu'il oublie son portable à l'appartement, dans un moment pareil ? Il aurait aimé pouvoir appeler n'importe qui, tant que celui-ci pouvait lui envoyer des renforts. Asami, Imamiya, l'armée… N'importe qui pour ne pas devoir s'aventurer lui-même dans le bâtiment.
Son regard balaya rapidement les alentours alors qu'il avançait prudemment. Il plissa des paupières en percevant un étrange écho, métallique. Une porte ? Une fenêtre que l'on avait fermé trop rapidement ?
Un éclat brillant attira son regard. Le Browning gisait par terre.
Il avait l'envie tenaillant de s'enfuir en courant. Cet endroit était mille fois plus effrayant que tous les lieux où il avait pu se retrouver face à face avec Feilong.
Il s'arrêta. Si seulement il pouvait appeler Akiko sans craindre d'alerter quiconque. Mieux valait pour le moment retourner dans la voiture. Oui. C'était plus prudent, elle le rejoindrait, et si elle ne le rejoignait pas… Eh, eh bien il enfreindrait la loi et conduirait une voiture sans avoir le permis pour trouver la cabine téléphonique la plus proche. Peu importait qu'Asami se moque de lui après. Ou pire. Non, peu importait tant qu'il était encore vivant.
Tant pis pour Asami, tant pis pour Akiko. Il y avait plus important dans la vie que de jouer les têtes brûlés avec un psychopathe…
… Plus important comme…
Akihito perdit totalement le fil de ses pensées décousues lorsque le canon glacé d'une arme colla sa tempe.
« - Où penses-tu aller ? »
C'était une voix qu'il aurait aimé ne pas entendre. Pas avec ces mots là. Prononcé si froidement, si inhumainement. Ce n'était pas que cette voix n'avait jamais été dure avec lui, à se moquer. Mais son intonation était si différente, angoissante. Comme une autre personnalité tenue cachée qui prenait plaisir à éclater au grand jour.
Il aurait du se poser des tas de questions comme « Pourquoi ? Pourquoi avoir ainsi joué avec lui et les autres ? » mais son esprit était vide comme une boite en carton. La seule certitude qu'il avait était celle de sa mort prochaine.
Il entendit à peine les pas du tueur lorsqu'il le contourna. Silencieux comme un chat. Silencieuse plutôt. Le visage d'Akiko affichait une expression qu'il n'avait jamais vu chez elle. Du mépris, mais plus que cela encore. De la haine et du dégoût. Mais elle était calme pourtant, aucune rage émanait d'elle, juste une terrifiante détermination dans le désir d'exécuter son plan jusqu'au bout.
Il avait un glock juste sous le nez. La jeune femme le pointait sur lui d'une main. Le revolver était petit mais il n'en était pas moins mortel. Sa gorge se dessécha un peu plus.
« - Je vous faisais confiance, » murmura-t-il d'une voix faible et étranglée.
« - Oh. Tu es vraiment naïf, » répliqua-t-elle avec une mimique moqueuse avant de retrouver son sérieux.
L'idée de parler pour gagner du temps lui vint à l'esprit. Mais gagner du temps sur quoi ? Les quelques minutes qui lui restaient à vivre ? Il se rappela alors la présence du Beretta, elle ne s'était pas aperçue qu'il possédait une arme. Peut-être avait-il une chance… Peut-être… Mais s'il faisait mine de prendre l'arme, elle aurait le temps de l'abattre. Cette situation était trop stupide. Il était stupide ! Il se détestait pour n'avoir rien vu venir.
« - Si je comprend bien, il n'y a jamais eu de serial killer. C'est la nouvelle tactique de la police pour démanteler les réseaux mafieux ? » demanda-t-il en baissant légèrement la tête pour fixer le sol plutôt que le glock.
La jeune femme éclata de rire à sa question.
« - La police ? Mon Dieu ! Le jour où Imamiya et ses hommes auront idée d'un plan aussi génial n'est pas encore arrivé ! Vous êtes tout ce que je hais. Feilong, Asami, et toi. Surtout toi. Oh, toujours à te plaindre encore et encore de tes mésaventures amoureuses si… Dégoûtantes. Tu es gay et en plus tu sors avec un Yakuza. Tu n'as vraiment aucune honte ? »
Akihito tressaillit. Les mots que crachaient Akiko avaient perdu leur calme froideur pour devenir brûlant de haine. Où était donc passé la jeune femme qui plaisantait avec lui quelques minutes auparavant encore ? Cela n'avait-il était qu'un rôle pour cette profiler ? L'Akiko Inoue qu'il connaissait n'existait-elle pas ?
« - Si encore tu émettais des regrets, je t'aurai peut-être épargné pour seulement me servir de toi et attirer Asami dans mon piège. Oui, j'espérais vraiment t'épargner mais, jour après jour, ah, tu m'as montré combien tu ne méritais pas de vivre. Chaque conversation… Et devoir faire semblant de t'apprécier malgré tout… Il est vite devenu évident que je devais te tuer. Mais tu as eu à chaque fois une chance inattendue. Feilong n'aurait jamais du se trouver à Teiou, tu aurais du mourir. Et puis, tu as amené Feilong à se pencher sur cette histoire de serial killer. Pourquoi tout gâcher, il devait croire qu'Asami était responsable des meurtres à Hong Kong !
« - Feilong n'est pas idiot, il n'a jamais cru qu'Asami était coupable, il ne l'aurait jamais cru, » s'exclama brutalement Akihito. En toute réponse, la jeune femme le frappa de son arme à la joue, comme pour le punir de prendre la parole pour lui montrer les faiblesses de son plan. Elle recula ensuite de quelques pas, le regard brillant de rage. Le regard d'une personne qui n'a plus rien à perdre. Elle allait le tuer, quelles qu'en soient les conséquences. Elle ne réfléchissait, elle suivait juste sa folie.
« - Peu importe, ses hommes le pensaient et ils auraient fait pencher la balance ! Ils auraient fini par agir. Il y aurait eu une guerre. Et ils en seraient morts ! Asami aurait même pu croire que Feilong t'avait enlevé encore une fois. Mais non, malgré mes efforts, il a fallu qu'Asami et Feilong te retrouvent ! Qu'ils s'allient ! »
Lorsqu'il avait été enlevé et torturé. Akihito trembla en repensant à cela et la sueur coula à ses tempes. Non, il ne devait pas repenser à cela, se laisser envahir par les souvenirs. Il devait se concentrer sur le moment présent pour avoir une chance de sauver sa peau.
« - Je me suis débarrassée de Feilong ensuite. Ce maudit chinois allait foutre en l'air mon plan. » Elle se mit à rire à nouveau d'une façon nerveuse avant de poursuivre. « Tu aurais pu au moins montrer ta joie de voir disparaître ton pire ennemi ! Mais non, tu étais choqué. Est-ce que coucher avec des trafiquants de drogue et des tueurs t'excite tant ? »
Akiko secoua la tête en poussant un petit soupir et abaissa son arme, sans que son regard ne quitte toutefois le jeune homme. Un sourire peu plaisant étira ses lèvres et Akihito recula de deux pas. Le moment était venu. Il le savait avec une terrible angoisse. Son cœur battait si fort, à lui en faire mal. Et son t-shirt lui collait à la peau à cause de la sueur. Il plissa légèrement des paupières, les doigts de sa main droite tremblèrent. Face à Feilong ou un homme du même acabit, il n'aurait eu aucune hésitation à se défendre. Mais… C'était Akiko. Il l'avait considérée comme… Comme son amie. Ca ne pouvait pas se terminer comme ça.
« - La chance a tourné Akihito. Tu vas mourir dans cet entrepôt rempli de rats. Mais, ne t'inquiète pas, j'enverrai bientôt Asami te rejoindre. En attendant, tu tiendras compagnie à Feilong. Oh, fais moi plaisir. Cours ! »
Akihito était sûr d'une chose toutefois, il n'avait pas envie de jouer au lapin se faisant tirer par le chasseur.
Il effectua un bon en arrière tout en portant sa main droite derrière lui pour saisir le Beretta. Et le pointer ensuite en le tenant des deux mains sur la jeune femme. Une goutte de sueur roula sur sa tempe.
« - Ne t'approche pas ou je tire ! » cria-t-il en essayant tant bien que mal d'avoir une voix assurée. Sa mise en garde ne porta pas ses fruits. La profiler releva son arme avec une nonchalance tenant de la démence.
« - Tirer ? Tes mains tremblent, tes yeux sont remplis d'effroi, tu es couvert de sueur… Nous savons tous les deux que tu n'en serai pas capable. »
Akihito aperçu une ombre se découper dans le dos d'Akiko. Son regard se fixa sur ce point malgré ses efforts pour rester concentré sur la jeune femme. Le canon d'un fusil étincela tout d'abord à la lumière rougeâtre de lampe, puis…
« - Pouvez-vous affirmer la même chose de moi ? »
Le photographe tenta d'articuler un nom mais les mots se perdirent en chemin. Alors qu'il détaillait un peu plus la silhouette qui avait émergé totalement de l'obscurité, Akiko exprima à voix haute les questions qu'il se posait lui-même.
« - Vous êtes en vie… Feilong. Comment ? »
L'homme ne répondit pas. Il se contenta de fixer d'un de ses regards glacial la profiler qui lui tournait toujours le dos pour garder Akihito en vue. Le photographe constata que sa main gauche était entièrement bandée et qu'il avait plusieurs marques du même côté du visage.
« - Vous ne pouvez pas être vivant, » poursuivit Akiko avec un éclat de panique dans la voix. « Je vous ai vu monté sur le bateau et il a explosé ensuite.
« - Mon costume s'en souvient, et le teinturier aussi quand je le lui ai apporté… Que devais-je dire déjà ? Ah oui, au nom d'Asami, je vous demande de relâcher le gamin. »
Akihito grinça des dents. Il n'était pas certain que faire de l'humour était une bonne idée alors que la jeune femme avait toujours son glock braqué sur lui et qu'elle était elle-même menacée par un fusil qui semblait à pompe. Et quant on se trouvait face à la personne mise en joue par une arme pareille, on commençait à se demander avec inquiétude si le jouet faisant de gros trous risquait d'en tuer deux pour le prix d'un. Non, il n'était vraiment pas rassuré par l'arrivée surprise de celui qui passait son temps à le menacer de mort.
« - Akiko… Je crois que vous feriez mieux de poser votre arme, » murmura Akihito en avalant sa salive avec difficulté.
La jeune femme se contenta de froncer dangereusement des sourcils et d'avancer d'un pas.
« - Tu ferais mieux de faire ce qu'il te demande, » fit la voix sans émotion de Feilong. Mais à l'expression de son visage, Akihito comprit qu'il ne lui laisserait pas la vie sauve même si elle obtempérait. Même si elle acceptait de se rendre à la police. « Si tu le tues, je tuerai aussi, » ajouta-t-il un peu plus bas.
Akiko eut un rictus alors que son doigt pressait légèrement la détente.
« - Alors nous serons au moins deux à tuer quelqu'un ici. »
Akihito arrivait à peine à respirer. Le regard de la profiler était étrangement vide. Toute vie semblait l'avoir quitté.
« - Je compte jusqu'à trois, » déclara Feilong en se rapprochant d'un ou deux mètres. « Un… »
Le jeune homme se passa la langue sur ses lèvres desséchées par la terreur. Le Beretta semblait plus lourd, ses mains en sueur glissaient dessus.
« - Deux… »
La détonation vrilla les oreilles d'Akihito et une odeur de poudre se répandit dans l'atmosphère. Une seconde claqua quasiment en même temps et il se sentit basculer sur le côté. Il cria. Il n'était pas le seul à crier. Et un poids écrasa son corps alors qu'il se retrouvait par terre, le nez dans la poussière.
Il tenait toujours le Beretta, le canon était chaud. Il le sentait en effleurant le métal.
Il fut tiré en arrière et remis sur ses pieds.
Qu'avait-il fait ?
Sans se demander ce qu'il pouvait faire là, son regard hagard se leva sur Asami.
Puis il le reposa sur Akiko. Une tache rouge fleurissait sur sa poitrine, du côté droit, et un filet de sang coulait de ses lèvres.
« - Pour-pourquoi faut-il que tu gâches tout ? » questionna-t-elle d'une voix entrecoupée par une respiration difficile. « Tu vas devenir comme eux, Akihito. Je te déteste. »
Il l'avait fait. Il avait tiré. Par instinct, sans réfléchir. Son doigt avait pressé la détente. La balle n'avait pas touché par chance mais parce qu'il l'avait voulu durant ces deux petites secondes.
Akiko laissa tomber son Browning par terre et eut un hoquet faisant jaillir un peu plus de sang d'entre ses lèvres. A son tour, son corps chuta. Et le sang se répandit goutte après goutte sur le sol gris.
Feilong s'approcha, le fusil reposant sur l'épaule et s'agenouilla à terre. Portant deux doigts à la gorge de la profiler. Il prit le même ton qu'un médecin annonçant implacablement son diagnostique.
« - C'est fini. »