Epilogue – Ashes to Ashes

Un verre de whisky, ce n'était certainement pas ça qui allait lui faire retrouver sa sérénité. Mais c'était déjà un petit pas vers l'oubli. Pourtant, Akihito ne parvenait pas à se décider à le boire. Il se contentait de fixer le liquide doré, attendant peut-être qu'il s'évapore. Après tout, il régnait une agréable chaleur dans le salon, peut-être la chimie finirait-elle par opérer.
Le fait était que les paroles d'Imamiya ne cessait de lui revenir en mémoire. Il n'y avait pas eu de poursuites pour un meurtre commis par légitime défense mais les paroles elles-même semblaient une condamnation, un jugement.
Akiko était sans doute folle. Akiko avait tenté de le tuer. Mais Akiko avait tellement subi et souffert.
Elle avait perdu sa famille à l'âge de dix ans, en raison de dette impayée envers des Yakuza. Elle avait été envoyée en Amérique, chez des proches parents, car il n'y avait plus personne pour s'occuper d'elle au Japon. Elle avait du se battre pour s'intégrer dans un pays dont elle ne connaissait pas la langue et les us. Et une fois adolescente, elle avait décidé d'entrer dans la police. Mais pas pour réguler durant des années la circulation, pour traquer les tueurs aux crimes les plus odieux. Elle avait finalement intégré le FBI. Son parcours professionnel fut irréprochable et elle tombe amoureuse d'un de ses collègues, moins d'un an avant son retour au Japon. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, jusqu'à ce que son fiancé se fasse tuer lors d'une enquête par la mafia italienne.
Ce fut à ce moment là qu'Akiko perdit pied. Mais personne ne s'aperçut de rien au départ. Elle agissait tellement normalement malgré cette douloureuse perte. Puis, quelques semaines après, le parrain mourut assassiné. Ce n'était pas en vérité un simple assassinat. Mais une explosion de violence et de cruauté. Même pour un homme tel quel lui, c'était une mort odieuse.
Il y avait bien entendu eu des doutes mais aucune preuve. Le FBI proposa une période de vacances à durée indéterminée à Akiko, celle-ci claqua la porte après avoir démissionné. Elle plaqua tout et partit au Japon, où elle fut intégrée à la police sans difficulté.
Imamiya avait eu beau travailler avec elle, il n'avait pas deviné un seul instant la vérité. Il savait juste qu'elle n'aimait pas Asami et bien moins Akihito qu'elle ne le laissait croire. Mais c'était tout. S'il avait mené avant son enquête sur le passé de la jeune femme, peut-être aurait-il pu faire un rapprochement. Peut-être. L'issue de tout cela aurait été sans aucun doute différente.
Mais, à présent, ils ne sauraient jamais si la folie d'Akiko aurait pu être soignée. Mais la raison retrouvée, aurait-elle pu se pardonne ses actes ?
Il n'y avait aucun mal à s'en prendre au crime organisé. Seulement, il y avait des lois à respecter. On ne pouvait tuer une avocate à coût d'une barre en fer sous prétexte qu'elle défendait des criminels. On ne pouvait pas mutiler une prostitué sous prétexte qu'elle avait refusé de témoigner contre un politicien véreux, impliqué dans des affaires de trafique de drogue. Il y avait des lois à respecter, même pour une jeune femme aussi blessée qu'Akiko.
« - Pour autant, était-ce mieux pour elle de mourir ? » s'était interrogé Imamiya après avoir raconté tout cela.
Etait-ce mieux ?
Ce n'était pas la bonne question à se poser. Est-ce que Akihito pouvait lui continuer à vivre après tout ça ? Avec ça sur la conscience ? Il ne pouvait pas oublier l'expression d'Akiko, aux derniers instants. Il ne pouvait oublier non plus les quelques conversations qu'ils avaient eu, avant que tout ne bascule. Il avait été obnubilé par sa relation avec Asami et par ce serial killer mais il se rendait compte à présent qu'elle avait été importante, même si elle se moquait de lui parfois méchamment. Elle lui donnait des conseils. Elle avait été son amie. Mais elle l'avait manipulé, elle le haïssait. Et il l'avait tué pour sauver sa peau.
La Vie était décidément une belle salope.

Akihito se décida enfin à boire une gorgée du whisky. Il entendait dans la pièce à côté le bourdonnement d'une conversation. Enfin, d'une moitié de conversation. Asami était encore au téléphone. Il vivait une parfaite idylle avec cet objet.
Akihito but encore une gorgée et se passa la langue sur les lèvres. Le bourdonnement s'interrompit. La porte s'ouvrit et Asami apparut dans son champ de vision. Les manches de sa chemise blanche étaient à moitié relevées.
« - Feilong rentre à Hong Kong.
« - Oh ! » fit Akihito avec un faux étonnement. Il s'en foutait totalement.
« - Il a promis de te tuer la prochaine fois.
« - Ah ! » Comme d'habitude, quoi.
« - Mais il a été tout de même positivement impressionné par… »
« - Qu'il aille se faire foutre, » coupa Akihito en essayant ensuite de se noyer dans son verre d'alcool. Mais il s'interrompit en percevant le regard d'Asami fixé sur lui. « Quoi ? Si tu te demandes combien de temps je vais encore squatter ton appartement, je compte partir ce soir. »
Il lui sembla alors qu'Asami tentait de réprimer un sourire alors qu'il s'approchait de lui. L'homme posa une main sur le dossier du canapé et se pencha en avant.
« - Je crois que tu vas devoir remettre ça à plus tard. Tu as été expulsé par un affreux concours de circonstance. »
Akihito avait le sentiment que l'affreux concours de circonstance était à quelques centimètres de lui, faisant semblant de prendre un air désolé. Et, qui plus est, avait 99 de chance de finir avec ce verre à la figure, l'affreux concours de circonstance.
Asami le saisit soudainement par le col de son T-shirt pour le tirer à lui, ses lèvres frôlant les siennes. Il y avait des choses qui ne changeraient apparemment jamais. La libido d'Asami en faisait partie. Le photographe se laissa embrasser et glissa ses bras autour du cou de l'homme.
La vie était sans aucun doute une salope, mais elle n'était pas foncièrement méchante.

Fin...