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Laisse-les parler


Il neigeait.

Kyouya détestait ça. C'était froid et humide, ça s'accumulait dans ses cheveux où ça fondait pour s'attaquer à son crâne, c'était perfide et menteur – après tout, ça avait l'air solide mais ça se liquéfiait à la moindre occasion. Et surtout – surtout – ça l'obligeait à mettre des couches et des couches de vêtements. Il détestait l'admettre, mais il était quelque peu frileux – en tout cas, il adorait la chaleur.

En hiver, il ne sortait que le minimum nécessaire et restait parqué chez lui ou dans n'importe quel lieu chauffé. Il fallait une excellente raison pour le pousser à sortir.

Il en avait une, actuellement.

Kyouya avançait dans les rues de Bey-City, à la recherche de son rival. Ginga Hagane, le blader de Pegasus, le garçon qui avait changé sa vie et sauvé le monde plus de fois qu'il n'en tenait compte – avec un effort de mémoire, il pourrait toutes les lister mais c'était une perte de temps et d'énergie – était fiancé.

Il allait se marier.

Kyouya ne pouvait y croire. Il venait d'être engagé à la TC et passait beaucoup de temps à son travail, certes, mais il passait une partie de son temps libre avec Ginga. Pas une fois le rouquin n'avait évoqué ce projet de fiançailles ou d'éventuels sentiments à l'égard de Madoka – Madoka, parmi toutes les personnes qui existent ! Non, quand ils passaient du temps ensemble, il n'y avait qu'eux deux. Cette alchimie qu'il y avait eu entre eux dès que leurs regards s'étaient croisés, et qui n'avait cessé de s'approfondir depuis, s'était muée en quelque chose de plus solide et profond.

- Je n'ai pas rêvé tout ça, marmonna Kyouya en repensant aux moments qu'ils avaient partagé.

Des regards, des sourires, des paroles. La main de Ginga qui effleurait la sienne. La façon qu'il avait de le détailler, de plus en plus souvent, de plus en plus ouvertement. Le fait qu'il ne laissait tomber le masque qu'avec lui, montrant le vrai lui – un garçon plus dur, plus sauvage, plus incisif que ce que ses amis imaginaient.

Kyouya n'avait pas rêvé tout ça.

Ses poings se serrèrent. Ginga et lui ne sortaient pas ensemble. Ils prenaient leur temps : il y avait déjà tant de choses à penser, tant de responsabilités à porter. Ils voulaient faire les choses bien. Ils avançaient à un rythme tranquille, bien loin du rythme effréné qu'ils suivaient pour leur carrière de blader. Mais ils avançaient. Kyouya le voyait à chaque fois qu'ils passaient du temps ensemble.

Et Ginga s'était fiancé. À Madoka.

L'allure de Kyouya ralentit tandis qu'il s'approchait du quartier où Ginga et ses amis avaient l'habitude de traîner, au centre duquel se trouvait le B-Pit. Il réalisait chaque pas à contrecœur. Il voulait demander des comptes à Ginga, mais il n'avait aucune envie de le voir en compagnie de sa... de... de Madoka.

Il avisa Ginga sur le seuil du B-Pit, le dos tourné à la rue, discutant avec Kenta et Yuuki.

- Ginga.

Le rouquin tressaillit et ses épaules se tendirent. Il eut un instant d'hésitation avant de se retourner. Kyouya détailla son expression. Elle était grave, sérieuse, et ses yeux miel camouflaient mal l'obscurité qui se tapissait en lui.

Kenta et Yuuki sourirent, ne sachant rien du drame qui se déroulait sous leurs yeux.

- Tu es venu féliciter les fiancés ? demanda joyeusement Yuuki.

Kyouya grimaça de dégoût. Peu importait combien de fois il entendait cette nouvelle, il ne s'y habituerait jamais.

Par contre, il n'était pas surpris que ça fasse plaisir à Yuuki. Il avait une vision du monde tellement étriquée. Le héros qui tombait amoureux de la fille qui le "soignait" – ou, dans ce cas précis, qui réparait sa toupie – et qui se mariait avec était totalement conforme à ses idéaux. Il devait déjà les imaginer avec une maison remplie de cris d'enfants, et vieillissant côte à côte – parce que le divorce n'existait pas pour ces gens-là.

- On doit parler, dit froidement Kyouya, sans quitter Ginga des yeux.

Il aperçut, en arrière-plan, les sourires de Kenta et Yuuki s'effacer. Ginga se contenta d'un bref hochement de tête.

Kyouya tourna les talons et s'éloigna du B-Pit. Il entendit Ginga dire à bientôt à ses amis avant de le suivre. Le blader de Pegasus ne tenta pas de le rattraper et de marcher à ses côtés, comme à l'ordinaire. Le cœur de Kyouya se serra mais, à son grand soulagement, son bref malaise fut balayé par la colère. Ça, il savait gérer.

Ils quittèrent le centre-ville de Bey-City. Kyouya continuait d'avancer résolument. Ce qu'il avait à dire à Ginga était d'ordre privé. Il n'avait pas honte, mais il ne voulait pas qu'ils soient écoutés. Leur célébrité leur valait d'attirer l'attention partout où ils allaient, surtout quand ils étaient au Japon. Les années n'y avaient rien changé.

- Tu m'emmènes où comme ça ? demanda Ginga alors qu'ils longeaient le canal.

Kyouya se retourna. Ginga s'arrêta brusquement. Deux mètres les séparaient. Son rival se tenait hors de portée.

- Tu es fiancé à Madoka.

- C'est exact.

Kyouya serra les dents. Ginga tenta de soutenir son regard, mais il finit par baisser la tête et détourner les yeux. Au moins, il n'avait pas appris à mentir à sa face.

Pour l'instant.

- C'est quoi cette histoire ?!

- C'est... la meilleure chose à faire, s'efforça d'articuler Ginga.

Ces mots avaient beau franchir ses lèvres, il n'y croyait pas. D'ailleurs, il n'osait même pas le regarder en face.

- Qui t'a mis ça dans la tête ?

Ginga donna un léger coup de pied au sol. Le bout de sa chaussure racla la neige fondue. Il pinçait ses lèvres, refusant de répondre.

- Je n'ai pas la patience aujourd'hui pour t'extorquer la vérité Ginga.

- Comme si tu étais patient les autres jours.

Les épaules de Kyouya se tendirent. Ginga cherchait à le provoquer mais il ne le laisserait pas faire. Il s'était fiancé dans son dos malgré tout ce qu'ils avaient partagé. C'était de ça dont ils allaient parler et de rien d'autre.

- OK. Donc tu veux une gentille petite épouse, patiente, qui saura prendre soin de toi ?

Même si ce n'était pas ce dont il avait besoin. Kyouya savait quel était le partenaire idéal de Ginga et il était très loin du portrait qu'il venait de dresser.

- Et tu as choisi Madoka. Quelle blague.

- Arrête.

- Sinon quoi ?

Ginga soupira. Il se passa une main sur la nuque.

- Je suis désolé. Je ne voulais pas que tu l'apprennes comme ça.

Kyouya croisa les bras.

- Ce n'est pas pour ça que tu dois t'excuser.

Ginga releva finalement les yeux vers lui. Kyouya prit une profonde inspiration. Il avait une question à poser, mais il redoutait la réponse.

Ne sois pas lâche. Tu seras capable d'encaisser, quelle qu'elle soit.

Il se redressa, se tenant le dos bien droit et le menton légèrement relevé. Il était Kyouya Tategami, un homme digne et fier.

- Il y a... quelque chose de spécial entre nous. Je ne l'ai pas imaginé ?

Malgré sa résolution, il ne put s'empêcher de le formuler comme une question. L'expression de Ginga fut adoucie par un sourire triste. Le souffle de Kyouya se coupa, comme si on lui avait porté un coup au ventre.

- Non.

- Alors pourquoi... ?

- C'est ce que je dois faire.

- C'est stupide ! répliqua Kyouya, frustré par cette discussion qui tournait en rond.

Si Ginga n'était pas capable de le comprendre seul, il allait le lui expliquer en détails.

- Tu n'as pas vingt ans et tu as prévu de te marier. À quelqu'un que tu n'aimes même pas. Pourquoi tu devrais faire ça ?

Ginga garda le silence.

- Pourquoi ? insista Kyouya.

- Je suis enfant unique, et un modèle. Je suis censé...

Ginga déglutit.

- Je suis censé me marier, avoir des enfants, une vie... confortable.

Il buta sur le mot et le prononça comme s'il lui laissait un goût amer dans la bouche. Il aimait l'aventure, le danger. Ce n'était absolument pas ce que lui voulait.

- C'est ce qu'on attend de moi.

- Qui ça "on" ? Ton père ? Tes amis ? Ces gens que tu as sauvé plus de fois qu'ils ne sont capables de compter ? Tu ne leur dois rien. Et même si c'était le cas, c'est ta vie. Tu ne dois pas la gâcher pour le bon vouloir des autres.

- Ce n'est pas la gâcher si ça apporte du bonheur aux autres.

Kyouya grogna de frustration. Comment faire comprendre quoi que ce soit à un type qui passait son temps à se sacrifier pour les autres ? Comment lui montrer qu'il avait le droit de faire passer ses désirs et ses souhaits avant les leurs ? Qu'il en avait même le devoir, dans un cas comme celui-ci, s'il voulait garder un semblant d'équilibre moral et émotionnel.

- Et mon bonheur à moi ?

Un éclat de culpabilité perça les yeux de Ginga. S'il jouait là-dessus, Kyouya pourrait lui faire renoncer à son projet... sauf que ça voudrait dire qu'il ne valait pas mieux que les autres. Il fallait que Ginga choisisse pour lui-même, pour une fois.

- Tu n'aimes même pas Madoka.

- C'est mon amie, répondit Ginga en haussant les épaules.

- Tu sais parfaitement ce que je veux dire.

Cette fois, le rouquin eut l'intelligence de ne pas le contredire et de ne pas essayer de jouer sur les mots.

Kyouya détailla son visage. Il préférait le voir sourire sincèrement – c'était une précision obligatoire quand on parlait de Ginga, malheureusement – mais il ne pouvait pas dire que la tristesse et la mélancolie l'enlaidissait. Il restait beau avec ses traits réguliers, ses yeux à la couleur indescriptible et sa peau d'apparencee si douce. C'était un visage que Kyouya pensait voir chaque matin du reste de sa vie... jusqu'à maintenant. Son cœur se serra. Il risquait de le perdre.

- Si...

Kyouya se secoua mentalement. Il ne pouvait pas se montrer hésitant. Il releva la tête et regarda Ginga droit dans les yeux, puisant son assurance – d'une manière ô combien ironique – chez son rival.

- Si tu me dis que tu l'aimes, je laisse tomber. Je ne promets pas d'assister à votre "mariage", mais je n'essaierai pas de l'empêcher. Dis-moi que tu l'aimes, que tu ne supportes pas l'idée de passer ta vie loin d'elle, que c'est son visage que tu as envie de voir tous les matins.

Kyouya se pencha vers lui.

- Dis-moi que c'est elle que tu veux tenir dans tes bras et embrasser.

Ginga déglutit. Il observa ses traits, ses yeux passant de ses cicatrices à ses cheveux à sa bouche. Kyouya eut un demi-sourire. Jamais il ne regarderait Madoka de cette façon. C'était peut-être mesquin, mais il en ressentit de la fierté.

- Dis-moi que c'est elle que tu désires.

Et pas moi.

Kyouya se redressa.

- Explique-moi ce qui te plaît chez elle.

Ginga était-il capable de lister les qualités de Madoka comme il n'avait eu aucun mal à mettre en avant les siennes depuis qu'ils se connaissaient ?

- Dis-moi que tu es heureux à chaque fois que tu la vois.

Quand lui apparaissait, Ginga affichait d'immenses sourires, qui venaient du fond de son cœur, et rien d'autre ne semblait compter à ses yeux. Kyouya ne se souvenait pas qu'il ait eu une telle réaction avec un autre, et certainement pas avec Madoka.

Madoka, à qui Ginga était incapable de faire entièrement confiance et sur laquelle il ne pouvait se reposer. Qui pouvait le lui reprocher ? Madoka vivait dans un monde idéal, avec une vision simpliste des choses. Même Kyouya ne se faisait pas autant d'illusions, malgré le milieu dont il était originaire.

Kyouya laissa sa voix et son expression s'adoucir. Ginga le blessait, certes, mais ce n'était rien comparé à ce qu'il s'infligeait. Il était sur le point de sacrifier son futur et, malgré ce qu'il disait, il le savait et il le regrettait. Et, plus important encore, il ne lui faisait pas l'affront de lui mentir, ni même d'essayer. Si un de ses amis posait des questions sur son mariage, il répondait sans doute que tout était parfait, qu'il ne pourrait être plus heureux, en affichant ce sourire qu'il avait perfectionné pour cacher aux autres ce qu'il ressentait.

Du moment que Ginga ne commençait pas à lui mentir, il y avait de l'espoir.

- Tu ne lui fais même pas confiance, lui rappela Kyouya.

Ginga fronça les sourcils de confusion.

- Je lui fais confiance.

- Pour réparer Pegasus, peut-être, mais pas assez pour former un couple avec elle. Tu te vois lui parler de choses qui t'inquiètent ou te mettent en colère ? Est-ce que tu t'imagines de disputer avec elle pour des choses importantes ?

Une trentaine de secondes s'écoulèrent avant que Ginga ne souffle un "non" dans un soupir de capitulation.

Kyouya se pencha de nouveau vers lui. Dans un acte d'impulsivité totale, il lui prit la main. Il ne chercha même pas à savoir s'ils étaient seuls ou si quelqu'un risquait de les apercevoir, détail qui l'aurait stoppé habituellement – pas par honte de ce qu'il ressentait pour Ginga, mais parce qu'il faisait partie des rares de leur entourage à avoir reçu une éducation décente et à ne pas être contaminé par leurs manières occidentales.

Ginga baissa la tête vers leurs mains liées, l'expression emprunte d'une douce tristesse.

Ne les laisse pas te mettre en cage.

Kyouya ferma la bouche avant de laisser échapper ces mots, même s'il n'y avait rien de plus vrai. Un futur où Ginga serait obligé de prendre sur lui en permanence, de cacher ce qui faisait qu'il était vraiment lui, serait la pire des cages.

- Tu n'as rien dit de ce que j'ai demandé.

Ginga releva la tête vers lui.

- Je ne peux pas, Kyouya.

Le blader de Leone retint un soupir de soulagement. Malgré ce qu'il avait affirmé, il ne pensait pas qu'il aurait été capable de laisser partir son rival.

- Je crois que je me suis trop avancé tout à l'heure. Je ne suis pas prêt à te regarder t'éloigner de moi, Ginga Hagane. Même si tu m'avais dit une ou toutes ces choses à propos de Madoka.

- Et tu aurais fait quoi ?

- J'aurais chercher à te gagner, bien sûr.

Jusqu'à être certain de n'avoir aucune chance. Tant que Ginga aurait montré qu'il était spécial pour lui, il se serait battu pour le garder.

- Il faudrait vraiment être difficile pour que tu doives faire des efforts pour gagner.

La main de Kyouya se serra convulsivement sur celle de Ginga. Avec cette simple phrase, son rival venait de s'assurer qu'il se battrait crocs et griffes contre ces fiançailles.

Nous sommes censés être ensemble.

Ginga le voulait lui. Il n'y avait que deux obstacles : le point de vue du reste du monde et ce que le blader de Pegasus pensait devoir faire en conséquence.

En fait, non. Il n'y avait qu'un seul obstacle : Ginga et sa propension à croire que sa vie avait moins de valeur que celle des autres. Une fois qu'ils auraient franchi celui-là, le reste n'aurait aucune importance.

Et peut-être que Kyouya découvrirait au quotidien un Ginga incisif et sûr de lui, comme celui qu'il affrontait au Beyblade.

Il avait hâte.

- Ginga.

Le rouquin le regardait de ses yeux miel, si profonds, qui renfermaient des océans d'obscurité.

- Qu'est-ce que tu espères Kyouya ?

- Qu'est-ce que tu veux toi, Ginga Hagane ?


XXX


Ce qu'il voulait lui.

C'était une question piège. Ça n'avait pas réellement d'importance. Pourtant, Ginga avait dû déployer toutes ses forces et toute sa volonté pour ne pas répondre "toi". C'était difficile de renoncer à Kyouya quand ils étaient dans des villes différentes et qu'ils ne se voyaient pas pendant plusieurs semaines d'affilé, ça semblait impossible quand il se tenait en face de lui, avec ses yeux d'un bleu incroyable et ce sourire confiant qui jouait sur ses lèvres.

Parce que Kyouya pensait qu'on pouvait faire passer ses désirs personnels avant les attentes des autres. Non. Parce que c'était ainsi qu'il vivait. Il suivait ses ambitions et faisait ce qui était juste uniquement quand il avait quelque chose à y gagner et non parce que c'était ce qu'on attendait de lui.

C'était l'une des nombreuses choses qui lui plaisaient chez lui.

Tout le fascinait chez lui.

D'ailleurs, Ginga n'avait pas été capable de défendre sa position – mais était-ce sa position ? Pas vraiment. Kyouya avait attendu, sa main dans la sienne, puis son expression s'était muée en un sourire très doux, très tendre, qui avait volé l'air des poumons de Ginga. Il avait pressé sa main, lui avait conseillé de réfléchir de son côté avant de partir.

À présent, Ginga était assis sur la rambarde qui séparait le trottoir du canal. Il tenait la main que Kyouya avait serrée contre son cœur, le regard levé vers le ciel étoilé qui, pour une fois, ne lui apportait aucune réponse.

Dis-moi...

Toutes ces choses, il imaginait les faire avec Kyouya. Personne d'autre ne pouvait être à ses côtés de cette façon.

Pourtant, ça ne l'avait pas empêché de se fiancer à Madoka.

Ils avaient eu un rendez-vous. Son amie – il ne pouvait l'appeler autrement – avait rougi et bafouillé quand il lui avait pris la main, mais ça ne lui avait rien fait à lui. Ce n'était pas comme quand la peau de Kyouya avait frôlé la sienne et que ses doigts s'étaient refermés sur sa main. Il avait senti son cœur s'arrêter. Il avait ressenti la texture et la souplesse de sa peau avec une acuité étonnante, comme s'il découvrait pour la première fois le toucher. Un minuscule écrin de chaleur – leurs chaleurs combinées – s'était formé entre leurs mains. Il en avait un souvenir vif, comme s'il pouvait encore le ressentir.

Et ses yeux avaient beau être bleus, ils n'étaient pas aussi beaux ni aussi envoûtants que ceux de Kyouya. Ils ne lui donnaient pas envie de s'y perdre.

Ginga se mordit la lèvre. C'était injuste de comparer Madoka à Kyouya. Elle avait de nombreuses qualités. Elle était gentille.

Ce n'était pas de sa faute si son cœur appartenait à un autre.


XXX


Kyouya relut les comptes de la TC. Tous les chiffres étaient bien placés dans le tableur et toutes les opérations étaient justes. Encore un mois où ils avaient fait un excellent chiffre d'affaires. L'année s'annonçait prometteuse.

Il les envoya en pièce jointe à son père, avec un mail disant qu'il avait vérifié et que tout était en ordre. Il s'étira et jeta un coup d'œil à son horloge. Il était vingt heures passées. Rien d'étonnant à ce qu'il se sente si noué. Il aurait peut-être dû s'arrêter plus tôt, mais il détestait l'idée de laisser un travail inachevé.

Kyouya quitta son bureau et traversa les couloirs silencieux, mais pas déserts, de la TC. Il fit un arrêt devant la porte de son père. Il frappa et ouvrit sans attendre de réponse. Gaou était derrière son bureau, comme il s'y attendait.

- C'est bientôt 20 h 15. Mère t'attendait plus tôt.

Son père le regarda avec surprise. Il jeta un coup d'œil à l'écran de son ordinateur et laissa échapper un soupir.

- Oui. Je vais m'arrêter pour aujourd'hui.

Kyouya opina. Il s'apprêtait à reprendre sa route quand son père l'interpella. Il s'arrêta de nouveau.

- Quoi ?

- Tu vas bien ?

Kyouya dévisagea son père, choqué. Il n'était pas aussi intuitif que sa mère, surtout concernant l'état émotionnel. Ce qui voulait dire que ses préoccupations étaient bien plus évidentes qu'il ne l'avait cru.

Parce que Kyouya n'imaginait pas une seule seconde qu'il puisse s'agir d'une coïncidence. Il avait appris les "fiançailles" de Ginga la veille et son père, loin d'être adepte des discussions, s'enquérait de son état ?

Bon, peut-être qu'il n'avait pas été si discret que ça. Après tout, il avait passé chaque seconde de libre à ruminer contre Madoka. Comment Ginga avait-il pu accepter de se fiancer avec elle ? Il n'y avait personne de plus insipide dans leur entourage – à part peut-être Yuuki. Elle n'avait aucun caractère, était faible. Oh, il lui arrivait bien de crier ou de pleurer de temps à autre, mais d'une façon parfaitement clichée. Elle voyait le monde sans aucune nuance et n'avait pas ses propres opinions. Elle laissait le reste du monde décider de ce qu'elle devait penser. D'ailleurs, Kyouya était prêt à parier son Leone qu'elle n'avait pas une once de sentiment romantique pour Ginga. Elle avait dû se plier à l'avis général que la fille la plus proche du héros devait sortir avec.

Faible imbécile sans cervelle.

Et elle n'était même pas jolie ! Kyouya préférait les mecs, mais il avait des yeux, et Madoka était tout juste passable. Donc Ginga était prêt à gâcher le reste de sa vie en la partageant avec une idiote, avec qui il ne pourrait jamais être lui-même et qui ne serait même pas agréable à regarder. Tout cela pour faire plaisir à l'opinion générale.

Quoique, statistiquement, avec la régularité avec lequel le monde se mettait en danger, peut-être que Ginga ne s'attendait pas à profiter – ou subir, dans le cas présent – une vie particulièrement longue.

Même un an, avec une personne aussi terne que Madoka, c'est trop long.

- Kyouya ?

Le blader de Leone cligna des yeux. Voilà qu'il recommençait. Finalement, il n'y avait rien d'étonnant à ce que même son père se soit rendu compte que quelque chose n'allait pas.

- Ça va, grommela-t-il.

Son nez se fronça. C'était pas très convaincant ça.

Il se redressa, le menton relevé, les épaules légèrement en arrière.

- Ça va, répéta-t-il avec plus d'assurance. J'ai... un problème passager. Je vais bientôt le régler. Rapidement et sans aide.

Son père sembla soulagé. Si Kyouya avait des problème et lui demandait de l'assistance, il le lui apporterait sans hésiter. Mais il était très mal à l'aise avec toutes formes de démonstration d'affection.

De toute façon, un sujet pareil ne demandait aucune intervention extérieure. C'était entre Ginga et lui. C'étaient les interventions extérieures malvenues qui les avaient mis dans cette situation, en premier lieu.

Kyouya avait plusieurs pistes pour la régler. La première était de faire prendre conscience à Ginga que ses désirs étaient importants. La deuxième, eh bien, disons que tout le monde ne partageait pas son avis au sujet de Madoka.

Je vais devoir lui parler.


XXX


- Qu'est-ce qu'il veut encore ? souffla Yuuki, agacé.

Tsubasa regarda dans la direction qu'il fusillait du regard. Kyouya avançait dans les locaux de l'AMBB comme si les lieux lui appartenaient, chacun de ses pas déversant l'assurance qui emplissait chaque parcelle de son être. Il s'arrêta auprès du duo, le regard rivé sur Tsubasa, comme si Yuuki n'existait pas. Voilà qui était extrêmement insultant. Tsubasa n'avait pas aimé ses provocations pendant leur duel, avant les Championnats du Monde, mais il semblait qu'il était capable de bien pire.

- Tu sais où est Ginga ?

Le prénom l'emplit de malaise, mais Tsubasa fit de son mieux pour le cacher.

- Je pensais que tu savais toujours où trouver ton rival.

Tsubasa eut conscience de son ton ironique lorsque le regard de Kyouya s'acéra. Il avait beau mesurer toujours une tête de moins que lui, et travailler désormais dans la respectable TC, il restait l'imprévisible – et irritable – blader de Leone.

- Ça ne t'a pas suffi hier ? Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais M. Ginga était bizarre.

Kyouya adressa à Yuuki un regard de pur mépris.

- Si tu ne sais pas, c'est parce que ça ne te regarde pas. Et Ginga n'a pas besoin de toi pour le défendre.

- M. Ginga est mon ami.

- Ginga Hagane a sauvé le monde de nombreuses fois. Il a terrassé seul des ennemis puissants et voyagé seul plusieurs fois. Il est capable de se défendre seul.

Kyouya se détourna de Yuuki sans lui donner l'occasion de répondre et regarda Tsubasa d'un regard profond, qui l'intrigua.

- Je veux te parler. Tu viens ?

Kyouya leur tourna le dos et revint sur ses pas. Tsubasa était de plus en plus intrigué. Ça faisait des années que Kyouya n'avait pas cherché à lui parler en tête-à-tête – depuis l'Ultime Bataille, si ses souvenirs étaient exacts.

Tsubasa lui emboîta le pas.

- Tu es sûr ? lui demanda Yuuki.

- Je dois avouer qu'il m'intrigue. Ne t'inquiète pas pour moi.

Sans compter qu'il n'avait rien contre ce qui pourrait lui permettre de se changer les idées en ce moment. Au contraire.

- Fais attention. Ses paroles ont beaucoup perturbé M. Ginga.

- Je m'en souviendrai.

Quelqu'un comme Yuuki était un véritable atout pour l'AMBB. Il réfléchissait avant d'agir – une qualité bien trop rares chez les bladers – et il faisait passer le bien commun avant ses intérêts personnels, même quand il était inquiet, même s'il devait faire des efforts indicibles et prendre sur lui – il l'avait prouvé pendant la quête des bladers légendaires.

L'AMBB – le monde – avait besoin de davantage de personnes comme lui.

Tsubasa traversa le hall. Il le balaya rapidement des yeux. S'apercevant que Kyouya ne s'y trouvait pas, il se dirigea vers les portes. Le blader de Leone avait sûrement décidé de l'attendre dehors.

En effet, il était adossé au mur, les bras et les chevilles croisés. Tsubasa se posta en face de lui.

- Tu voulais me parler ?

- Ça m'étonne que tu sois à Bey-City.

Tsubasa haussa les épaules avec détachement.

- Toutes les missions confiées par l'AMBB ne sont pas forcément éloignées.

- Je parle des fiançailles de Ginga et Madoka. J'aurais pensé que tu voudrais rester aussi loin de ça que possible.

Tsubasa se tendit. Pour le changement d'idées, on repassera. Il avait effectivement espéré que des missions l'occuperaient à l'autre bout de la planète mais, par un malheureux hasard, l'AMBB avait besoin de lui à proximité.

Mais de voir Kyouya évoquer un sujet si sensible, si intime, avec autant de liberté... même le légendaire contrôle de soi de Tsubasa ne pouvait rien contre ça.

- Je pourrais dire la même chose de toi.

Kyouya haussa un sourcil. Quoi ? Pensait-il être discret dans ses affections ? Si c'était le cas, il devrait revoir sa notion de la discrétion, parce que passer son temps à parler d'une certaine personne, à lui faire des déclarations enflammées et à venir l'aider alors que l'on abhorrait le travail d'équipe était tout sauf discret.

- Je ne compte pas abandonner Ginga. Je vais le récupérer.

Ah. OK. Il assumait vraiment en fait.

- Et tu espères faire ça comment ?

Kyouya eut un sourire léger, sincère, qui rappela à Tsubasa pourquoi quiconque s'attacherait à lui.

- En passant du temps avec lui.

- C'est tout ?

- Ginga pourra comparer avec ce qu'il ressent quand il est avec Madoka et il sera obligé d'admettre qu'il ne veut pas d'une vie avec elle.

- C'est... présomptueux. Tout le monde n'est pas Benkei, prêt à tout abandonner pour te suivre.

Le sourire de Kyouya s'effaça.

- Je ne parle pas de me suivre, mais de m'accompagner. C'est moi qu'il désire à ses côtés.

Kyouya eut un demi-sourire.

- Je suis sûr que tu es d'accord avec moi quand je dis que Madoka et moi n'avons rien en commun.

Tsubasa ne put retenir un son incrédule. C'était peu dire. Madoka était à la fois douce et forte. Elle accompagnait Ginga dans toutes ses aventures, bien qu'elle ne soit pas une combattante, et elle s'assurait que ses amis avaient toujours de quoi se défendre. Elle était capable de s'affirmer devant des rustres, parlait de ses émotions librement et avait le cœur sur la main. Elle était toujours prête à aider et avait foi en l'avenir.

Et elle était si belle, avec ses grands yeux clairs, pleins de douceur, et ses courts cheveux bruns. Sa silhouette toute menue. Elle était adorable quand elle s'enthousiasmait pour des sujets qui lui tenaient à cœur, avec ses joues rougissantes...

- Vu que Ginga s'intéresse à moi, il y a peu de chances qu'il ait un faible pour Madoka, pas vrai ?

Tsubasa voyait où Kyouya voulait en venir. Il y avait bien trop de différences entre Madoka et lui pour que quelqu'un puisse s'intéresser à l'un puis à l'autre.

- Je me fiche complètement de Madoka, mais pas toi. Est-ce que tu es prêt à la laisser passer la fin de ses jours avec une personne qui ne l'aime pas de cette façon ?

- Madoka mérite mieux que ça.

Le sourire de Kyouya s'accentua et Tsubasa réalisa qu'il avait parlé à voix haute. Il resta digne.

- Qu'est-ce que tu attends de moi ?

- Rien. C'est à toi de décider de ce que tu veux faire.

Foutu chat.

Tsubasa n'avait jamais compris la popularité du Chat du Cheshire, avec ses apparitions et disparitions imprévisibles, ses paroles énigmatiques, et son aide à la roulette russe. Et le petit sourire qu'arborait Kyouya en cet instant augmentait son incompréhension. Ça lui donnait plus envie de l'étrangler qu'autre chose.

Kyouya déplia ses membres et se redressa. Il fit quelques pas et dépassa Tsubasa avant de se retourner.

- Je suppose que, toi aussi, tu as remarqué que Madoka n'est pas amoureuse de Ginga.

Quoi ?

- Toutes ces fiançailles, c'est rien de plus qu'une mascarade.

Kyouya repartit, laissant Tsubasa complètement stupéfait.

Madoka n'était pas amoureuse de Ginga ?


XXX


Ginga avait du mal à respirer. Un poids s'appuyait contre son ventre et bloquait les inspirations qu'il s'efforçait de prendre. Il n'arrivait pas à prendre des inspirations aussi profondes qu'il désirait. Sa respiration demeurait superficielle et sa tête commençait à lui tourner.

Il s'accrocha aux rebords du lavabo. Il baissa la tête, ferma les yeux et se mit à compter. Sauf que les chiffres lui rappelaient les sciences, les sciences Madoka...

Une boule se forma dans sa gorge. Il allait vomir.

Il se mit à lister les étoiles de Pegasus. Enif, sadalbari, markab...

Son cœur commença à ralentir. La boule dans sa gorge se résorba. Algenib, matar, baham, hornam...

Ginga souffla lentement. Il releva la tête et aperçut son reflet. Il avait une expression hagarde, des yeux hantés. Il n'avait pas l'air de se préparer pour le plus beau jour de sa vie.

Des coups frappèrent à la porte. Ginga tressaillit.

- Tout va bien mon ami ? lança la voix de Hyouma, étouffée par le battant. Ça fait longtemps que tu es là-dedans.

- J'ai fini ! répondit Ginga d'une voix joyeuse. J'arrive.

Il ouvrit le robinet et se passa le visage à l'eau froide, espérant que ça vivifierait ses traits. Il ferma l'eau et quitta la minuscule salle de bain. Il rejoignit la pièce de vie : une salle à peine plus grande, meublée d'un canapé cabossé. On lui avait assigné cet appartement exigu depuis qu'il était "fiancé" à Madoka. Apparemment, c'était inconvenant qu'ils dorment sous le même toit – ce qui lui faisait se demander à quel siècle ils vivaient.

Ginga jeta un coup d'œil à Hyouma, qui remplissait le réfrigérateur avec une attitude guillerette.

- C'est gentil d'être descendu de Koma.

Hyouma se retourna avec un grand sourire.

- Mon ami d'enfance se marie. C'est la moindre des choses, non ?

- Pas avant cinq mois, répliqua Ginga avec ce qu'il espérait être un sourire détendu.

- Je compte t'accompagner sur tout le chemin.

Le ventre de Ginga se tordit. Il n'était pas normal : il vivait l'offre désintéressée de son ami comme une menace. Il avait envie de s'enfuir et ne plus jamais revenir, ne jamais revoir ces visages.

Qu'est-ce qui cloche chez moi ?

- Tu crois que vous allez vous installer à Koma après ?

- À-à Koma ?

- Oui. C'est là où tu as grandi. Tu ne penses pas que c'est l'endroit idéal pour élever des enfants ?

Ginga allait vomir. Pour de vrai. Est-ce que ce serait étrange qu'il retourne se cloîtrer dans la salle de bain ?

Une sonnerie retentit dans l'appartement, le libérant de ses tourments. Il se précipita vers l'entrée et tendit la main pour ouvrir. Sa main se suspendit auprès de la poignée, hésitante. Et si c'était son père ? Ginga avait déjà du mal à gérer Hyouma, la présence des deux serait insupportable.

Il ferma les yeux.

Je suis... horrible.

Son père et son ami d'enfance ne voulaient que son bonheur. Comment pouvait-il être minable au point de ne pas se féliciter de cette chance ? Tout le monde ne pouvait pas en dire autant.

Il ouvrit la porte et son traître de cœur fit un bond.

- Kyouya.

Son rival se tenait sur le seuil. Malgré leur séparation difficile, la dernière fois, et ses exigences qui l'avaient assailli de doutes – dis-moi... – Ginga était heureux de le voir. Bien plus qu'il ne l'aurait cru possible.

Bien plus qu'il ne le devrait.

Une ombre survola son cœur. Jamais il ne pourrait ressentir cela pour Madoka. Elle était gentille, elle était son amie, mais elle n'était pas Kyouya. Et son cœur et son corps égoïstes semblaient ne vouloir que lui.

- Qu'est-ce que tu fais là Kyouya ?

Ginga se tourna pour dévisager son ami. Pourquoi sa question sonnait comme une accusation ?

- Salut Hyouma. Ça fait longtemps qu'on ne t'avait pas vu dans le coin.

La grimace de Hyouma s'accentua. Pourtant, le ton de Kyouya avait été parfaitement cordial. Il semblait lui en vouloir pour quelque chose.

Ginga se tourna vers Kyouya et son malaise décrut. Son rival le regardait de ses yeux si profondément bleus. Ginga remarqua qu'il portait de nouveaux vêtements – un jean slim, taille basse, qui mettait en valeur ses belles jambes un t-shirt court à manches longues et au col très évasé qui exposait sa clavicule et la ligne de ses épaules – et qu'il n'était pas coiffé comme à l'ordinaire. Une partie de ses cheveux était attachée, mais le reste effleurait librement ses épaules, d'une façon qui faisait de drôles de choses dans le bas-ventre de Ginga.

Kyouya était beau.

Il l'était toujours.

Il doit se rendre quelque part.

Cette pensée fut accompagnée d'un malaise que Ginga s'empressa d'écarter. Il était fiancé. Il n'avait rien à dire sur les sorties de Kyouya.

Même s'il aurait préféré qu'elles soient avec lui.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

Kyouya lui sourit. Ginga en perdit ses pensées.

- Je comptais faire un tour en ville. Tu m'accompagnes ?

- Que... ?

- D'accord, répondit Ginga, interrompant la question de Hyouma.

Il se retourna, voyant l'expression choquée, presque horrifiée, de son ami d'enfance. C'est quoi son problème ? Ginga pensait qu'il appréciait Kyouya. Après tout, le blader de Leone l'avait aidé à s'intégrer au groupe des nouveaux amis de Ginga et l'avait empêché de se mettre à l'écart. Il n'avait aucune raison de lui en vouloir.

Ginga tirerait ça au clair tout à l'heure. Pour l'instant, il sourit.

- On se voit plus tard !

- Tu ne vas pas...

Ginga sortit et ferma la porte derrière lui, coupant les paroles de Hyouma. Kyouya haussa un sourcil.

- Où allons-nous ? demanda Ginga.

Quelqu'un d'autre que Kyouya aurait exigé des explications, mais son rival n'était pas ainsi. Il le laissait garder pour lui ce qu'il désirait, ne le poussant jamais dans ses retranchements. C'était tellement agréable.

Il est le seul.

"Dis-moi que tu te vois te disputer avec elle."

Absolument pas. Je ne peux pas laisser Madoka voir le vrai moi. Celui qu'elle apprécie, c'est ce garçon immature qui ne pense qu'aux combats Beyblade et aux hamburgers. Pas ce garçon blessé qui a passé des mois seuls à chercher vengeance et c'est ce garçon qui ressort quand je suis en colère.

Mais Kyouya, lui, le connaissait. Il l'acceptait et n'avait aucun problème à passer du temps avec ce garçon.

- Faire un tour en ville, répondit nonchalamment Kyouya.

Ginga le regarda, surpris. Kyouya ne semblait pas avoir d'autres attentes que de passer du temps avec lui.

Les épaules de Ginga se détendirent. Il sourit.

- OK. Allons-y.


XXX


- Ça m'étonnerait que ce soit comestible.

- Et moi, je te dis qu'un vrai restaurant vend des hamburgers.

- Les fast-foods ne sont pas des restaurants. Tout le monde sait ça.

Ginga ne put se retenir plus longtemps : il rit. Les yeux de Kyouya s'arrondirent, dévoilant le blanc autour de ses prunelles. Le rire de Ginga redoubla. Sa réaction était parfaitement adorable.

Le duo était debout dans une rue commerçante. De là où ils étaient, ils voyaient deux restaurants – enfin, un fast-food et un restaurant, vu que Kyouya tenait à les différencier – et ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord sur lequel choisir. Cela faisait bien cinq minutes qu'ils campaient sur leur position.

Kyouya plissa les yeux.

- Pourquoi j'ai l'impression que tu n'es pas d'accord avec moi ?

- Parce que c'est le cas.

Kyouya renifla. Ginga rit de plus belle.

- Je ne vois pas ce qu'il y a de si drôle.

- Rien sans doute. C'est juste que...

...ça fait longtemps que je ne me suis pas senti si heureux. Ginga ne put le dire à voix haute. Ça ressemblerait bien trop à une trahison. Il était supposé se préparer pour le plus beau jour de sa vie.

- Et si on tirait au sort ? proposa-t-il, coupant court à ses propres pensées. À pile ou face. Tu as des pièces sur toi, non ?

- Mouais.

Ginga tendit la main. Kyouya y déposa une pièce avec une moue méfiante, qui arrondissait ses lèvres et donnait envie à Ginga de les capturer d'un baiser.

Il s'efforça de se concentrer sur son regard. Ce n'était pas un terrain plus sûr – comment un bleu pouvait être aussi envoûtant ? – mais il était moins évident.

- Pile ou face ?

- Pile, grommela Kyouya.

Ginga lança la pièce et la rattrapa. Il la plaqua sur le dos de l'autre main, la découvrit et...

- Mince alors.

Kyouya laissa échapper une exclamation joyeuse. Ginga releva la tête. Les yeux bleus pétillaient et les lèvres de Kyouya dévoilaient un croc.

Si ça lui permettait de le voir ainsi, peut-être que ce n'était pas si grave de perdre...

- Prépare-toi à goûter à de la vraie nourriture !

- Ce ne sera pas aussi bon que les hamburgers.

- Tu vas vite changer d'avis.

Ils traversèrent la route et se dirigèrent vers le petit restaurant traditionnel, sujet de leur dispute, s'éloignant du fast-food.

Les yeux de Kyouya glissèrent vers la vitrine d'une boutique de vêtements avant de se reporter vers leur objectif. C'était arrivé plusieurs fois au cours de la soirée : Kyouya avait ralenti son allure pour observer les articles de différents magasins, même s'il n'était entré dans aucun d'entre eux. Ginga adorait le fait d'avoir découvert un aspect de Kyouya qu'il ne connaissait pas. Il ne le savait pas aussi intéressé par les commerces.

Même si, en voyant son style travaillé, il aurait dû s'en douter.

Il se demandait comment il se comportait dans les boutiques.

Kyouya atteignit la porte du restaurant en premier. Il la maintint ouverte et adressa un sourire fier à Ginga.

- Tu vas oublier les hamburgers.

- Ça, ça m'étonnerait.

Ginga passa devant Kyouya.

- La prochaine fois, c'est moi qui choisis.


XXX


Deux semaines plus tard, Tsubasa n'avait toujours rien fait de sa conversation avec Kyouya. Il avait compris ce que le blader de Leone avait dit et ses intentions – il n'était pas idiot – mais il ne voyait pas pourquoi il devrait se laisser manipuler et agir en conséquence.

Parce qu'il s'agissait forcément de manipulation, pas vrai ? Pourquoi Madoka se marierait avec Ginga si elle ne l'aimait pas ? Il y aurait de nombreuses raisons d'épouser Ginga le héros sans impliquer les sentiments : la célébrité, le prestige, l'impression de gagner un trophée... mais Madoka n'était pas ce genre de fille. Alors pourquoi se marierait-elle avec Ginga si elle ne l'aimait pas ?

"Toutes ces fiançailles, c'est rien de plus qu'une mascarade."

Y penser lui donnait mal à la tête.

- Si je veux monter en grade dans l'AMBB, je n'ai pas le temps de me préoccuper de tout ça.

Mais...

"Est-ce que tu es prêt à la laisser passer la fin de ses jours avec une personne qui ne l'aime pas de cette façon ?"

Kyouya avait marqué un point là. Il était indéniable que Ginga n'entretenait pas de sentiments amoureux à l'égard de Madoka. Il n'y avait qu'une seule personne qu'il regardait et c'était Kyouya Tategami.

D'ailleurs, quand il avait commencé à les fréquenter, Tsubasa croyait qu'ils sortaient ensemble.

Tsubasa ne pouvait pas laisser Madoka continuer de s'investir dans cette relation, même en temps qu'ami. Elle méritait mieux que ça.

Je devrais lui parler.

Cette conclusion ne l'enchantait pas, mais il ne voyait pas d'autres façons de lui faire prendre conscience de l'erreur qu'elle s'apprêtait à commettre. Il ne pouvait pas la laisser gâcher sa vie sans réagir.

Et bien qu'il interviendrait en tant qu'ami, de façon parfaitement désintéressée, il n'était pas pressé d'avoir cette discussion.

Alors qu'il se dirigeait vers le siège de l'AMBB, Tsubasa avisa Hyouma avec surprise. Non seulement la présence du blader d'Aries en ville était incongrue – n'était-il pas censé être à Koma ? – mais il avançait d'une manière très... peu lui-même : il marchait d'un pas décidé, presque saccadé, les sourcils froncés et la mâchoire crispée. Quelque chose lui avait tant déplu qu'il ne faisait rien pour le cacher.

- Hyouma ?

Le blader d'Aries s'arrêta et se retourna. Quand il aperçut Tsubasa, il se plaqua un sourire doucereux sur le visage. Voilà qui lui ressemblait plus.

- Tsubasa ! Quel heureux hasard.

- Je travaille à l'AMBB. Ce qui est surprenant, c'est de te voir dans le quartier.

- Je voulais rendre visite à Ryuusei.

- Mais... tu ne peux pas le voir hors des heures de travail ?

Hyouma laissa son sourire s'envoler.

- Si, mais c'est une question de la plus haute importance. Elle concerne son fils.

- Ginga a un problème ?

Hyouma afficha une mine contrite. Il hésitait clairement entre lui en dire plus et changer de sujet. Il finit par soupirer.

- Même si tu n'es pas son ami d'enfance, tu connais Ginga depuis pas mal de temps, pas vrai ?

- Depuis un peu avant l'Ultime Bataille, acquiesça Tsubasa.

Le regard de Hyouma s'acéra.

- Et tu connais Kyouya depuis aussi longtemps ?

Qu'est-ce que Kyouya a fabriqué ? Tsubasa n'avait pas besoin de pouvoirs surnaturels pour comprendre que c'était lui, le cœur du problème, et qu'il avait réussi à énerver Hyouma.

Y avait-il une personne au monde qu'il n'arrivait pas à énerver ?

- À quelques mois près, mais nous ne nous fréquentons pas vraiment.

Hyouma hocha la tête. Ils firent plusieurs pas en silence.

- Ginga passe beaucoup de temps avec lui, en ce moment. En ce moment-même, d'ailleurs, ajouta-t-il avec une grimace de dégoût.

- Ils se sont toujours bien entendus.

- Et c'est pour ça que Kyouya n'a pas fait partie des Gan Gan Galaxy et qu'il a lâché les bladers légendaires, je suppose.

La rancœur de Hyouma était très perceptible. En même temps, ça devait être difficile de voir souffrir une personne à laquelle on tenait à cause d'une relation. Surtout qu'il devait songer que lui n'aurait jamais abandonné Ginga de cette façon. Ils étaient amis d'enfance après tout.

Malgré ce dont Kyouya se vantait, malgré les sentiments plus qu'évidents qu'ils avaient l'un pour l'autre, il n'était peut-être pas le meilleur choix pour Ginga.

Mais Ginga n'était pas le meilleur choix pour Madoka.

- Tu ne le défends pas, constata Hyouma avec un sourire.

- Kyouya et moi ne sommes pas amis, répondit nonchalamment Tsubasa. Je ne ressens pas le besoin de le défendre. Par contre, ajouta-t-il après réflexion, Ginga tient à lui.

Cette remarque effaça le sourire de Hyouma. Il soupira.

- Ginga a du mal à réaliser ce qui est bon pour lui.

Les sourcils de Tsubasa se froncèrent. Il lui semblait, au contraire, que Ginga avait une vie plutôt saine, privilégiant ce qui le rendait heureux – à savoir jouer au Beyblade et passer du temps avec ses amis – sans ignorer ses responsabilités ou les besoins de la communauté.

- Il ne s'était même pas rendu compte de ses sentiments pour Madoka, tu imagines ? lui confia Hyouma, de nouveau souriant, sans remarquer l'appréhension qui naissait en Tsubasa.

- Et comment... il a fini par se rendre compte ?

- Ryuusei et moi le lui avons fait remarquer.

C'était bien ce que Tsubasa craignait. Hyouma et le directeur pensaient que Ginga était amoureux de Madoka et, dans leur enthousiasme, l'avait convaincu de se lancer dans cette histoire de mariage, sans se rendre compte que son cœur appartenait à un autre.

Quoique... Tsubasa était saisi d'un doute. Est-ce qu'une personne aussi observatrice que Hyouma aurait pu passer à côté des sentiments évidents de Ginga pour Kyouya ? Surtout qu'il montrait à quel point il désapprouvait de les voir passer du temps ensemble.

Tsubasa décela un éclat calculateur dans les yeux bleus.

Il décida qu'il n'avait aucune envie de savoir.


XXX


Ginga passa ses mains sur son visage.

- Je n'aime pas Madoka.

Il le savait, n'avait jamais eu un seul doute à ce sujet, mais le dire à haute voix le fit quand même culpabiliser.

Il était étendu sur son canapé minuscule, dans "son" studio. Il aurait préféré être sous les étoiles ou, dans une ironie qui ne lui échappait pas, au B-Pit. C'étaient des lieux où il se sentait à l'aise et où il pourrait réfléchir librement. Il ne se sentait pas chez lui ici.

- Qu'est-ce que je dois faire ? souffla-t-il d'une voix fatiguée.

La réponse était évidente, à première vue. Elle l'était depuis longtemps. Après tout, tout le monde s'attendait à ce qu'il se marie avec Madoka – son amie la plus proche – et à ce qu'ils aient des enfants – une perspective qu'il trouvait terrifiante... mais qu'est-ce qui clochait chez lui ? Même si ce n'était pas la vie dont il rêvait et qui le rendrait heureux, il savait qu'il ne serait pas malheureux avec Madoka.

Pas constamment, en tout cas.

Pas les rares moments où il parviendrait à oublier Kyouya et leurs possibilités qu'il aurait repoussées.

Ginga n'était pas stupide ni naïf. Il n'imaginait pas que tout serait parfait si Kyouya et lui sortaient ensemble. Il y aurait forcément des désaccords, des disputes, des incompréhensions... mais même ces perspectives ne le dérangeaient pas. Au contraire. Même partager ça avec Kyouya l'attirait davantage qu'une vie idéale – d'après ce que tout le monde disait – avec Madoka.

"Dis-moi..."

- Je ne l'aime pas, murmura-t-il, cachant ses yeux sous ses mains. Ça ne me dérange pas d'être loin d'elle, même pendant de longues périodes.

Alors qu'il ne supportait pas d'être séparé de Kyouya. Quand leurs chemins divergeaient, bien souvent, cela lui brisait le cœur. Et il lui manquait intensément.

- Je n'attends pas avec impatience de la voir chaque matin.

À quoi ressemblait Kyouya au réveil ? Était-il du genre à avoir les idées claires rapidement ou devait-il s'extirper des brumes du sommeil en suivant un long rituel ?

- Je n'ai pas envie de la serrer dans mes bras, ni de l'embrasser. Je ne la désire pas elle.

Alors que Kyouya avait des yeux qui étincelaient quand il souriait. Ils changeaient selon ses émotions comme l'océan se modifiait en accord avec le ciel. Ses cheveux verts semblaient si doux au toucher que c'était une véritable torture pour Ginga de ne pas passer sa main au travers. Sa peau était toute aussi tentante, de son visage à son ventre exposé, aux parties qu'il ne voyait pas et qu'il aimerait découvrir. Sa silhouette était si agréable à regarder et il ne se lassait pas de sa façon de bouger. Il aimait le son de sa voix et la manière dont il agençait les mots. Et sa bouche... Et sa gorge...

- Je ne suis pas heureux quand je la vois.

Il aimait passer du temps avec Madoka – du moins, c'était le cas avant – mais son cœur ne faisait pas un bond quand il la voyait. Il n'était pas submergé par l'admiration ou époustouflé. Il n'avait pas l'envie toute bête de sourire sans s'arrêter. Pas comme quand il apercevait...

- Kyouya.

Ginga aimait prononcer son nom. Il aimait passer du temps avec lui et penser à lui. Il n'avait pas besoin de grand chose pour être heureux lorsque cela concernait Kyouya – mais il voulait plus.

- Je ne lui fais pas confiance. Je ne me vois pas lui parler de ce qui m'effraie ou m'inquiète ou me met en colère... Surtout pas de ce qui me met en colère. C'est... Je ne peux pas leur montrer comment je suis quand je suis en colère. Je ne veux pas les perdre.

Ses amis étaient trop importants pour lui. Il ne voulait pas les perdre. Il avait eu de la chance qu'ils aient accepté de lui adresser la parole après son pétage de plomb face à Ryuuga. Il ne pouvait plus prendre ce risque.

Les lèvres de Ginga tremblèrent. Ses murmures semblaient se répercuter entre les murs. Les mots qu'il avait laissés échapper le libéraient et alourdissaient sa culpabilité en même temps.

- Tout ça, c'est toi, avoua-t-il, le visage solennel de Kyouya se dessinant dans son esprit, avec ses yeux si profonds et attentifs. Ce que je veux, c'est toi.

Sa gorge se serra.

- Qu'est-ce que je dois faire ?


XXX


Madoka réparait des toupies dans son atelier. Elle venait de terminer les vérifications d'une Flame Gasher et s'apprêtait à travailler sur une Earth Gemios, en se disant que cela faisait un moment que ses amis ne lui avaient pas confié leurs toupies. Elle s'inquiétait particulièrement pour Pegasus et Leone. Leurs bladers ne devraient pas tarder à s'affronter.

Madoka cessa de fouiller dans ses outils, les sourcils froncés. N'auraient-ils pas déjà dû s'affronter ? Kyouya défiait Ginga à la moindre accalmie, souvent avec toute une mise en scène qui faisait se demander à Madoka s'il avait d'autres passe-temps dans la vie.

Elle balaya son inquiétude. Tout le monde avait beaucoup à faire en ce moment, y compris Kyouya. Le blader de Leone avait un véritable travail ! Et Ginga était fiancé...

La pensée s'accompagna d'un élan de nervosité, comme à chaque fois. Elle ne se sentait plus aussi à l'aise avec Ginga depuis qu'ils étaient fiancés. C'était normal. Leur relation avait évolué. Mais elle mentirait si elle prétendait que la simplicité de leur amitié ne lui manquait pas.

- Madoka ?

La jeune femme releva la tête. Tsubasa avait descendu les premières marches menant au sous-sol et attendait patiemment son autorisation pour la rejoindre dans son espace de travail. Madoka ne put s'empêcher de sourire. Il était le seul à lui témoigner un tel respect.

- Bonjour Tsubasa.

Son ami eut un léger sourire et descendit le reste des marches.

- Comment va Eagle ? demanda-t-elle quand il fut à ses côtés.

Le sourire de Tsubasa s'accentua. Cela lui donnait une impression très douce. Quel dommage qu'il ne l'arborait pas plus souvent : ça lui allait bien et il semblait moins... inaccessible.

- Il se porte à merveille, grâce à tes soins exceptionnels.

Une douce chaleur emplit la poitrine de Madoka et son visage se mit à la picoter. Elle porta la main à ses cheveux et tira machinalement sur une mèche. Elle ne put retenir un rire embarrassé.

- Je ne fais que mon travail.

Tsubasa secoua doucement la tête.

- Ce n'est pas qu'un travail. Je ne confierai Eagle à personne d'autre que toi.

Madoka détourna le regard, sans cesser de sourire. Si seulement plus de personnes respectaient son travail... Ginga la remerciait quand elle avait fini de réparer Pegasus, mais c'était... différent. Peut-être parce que c'était l'expression enthousiaste d'un blader et non une reconnaissance solennelle. Oui. C'était sûrement la raison.

- Pourquoi tu es là ? Eagle a besoin de réparations ?

Le ton de Madoka était bien plus joyeux que ce à quoi elle s'attendait. Elle faillit se plaquer les mains sur la bouche, pour dissimuler le sourire idiot qu'elle sentait sur ses lèvres, ou ses joues, pour cacher leur rougeur.

- Est-ce que... tu as parlé à Ginga récemment ?

La voix inquiète de Tsubasa la poussa à se retourner.

- Non. Pourquoi ?

- Je crois qu'il a des problèmes avec Hyouma.

Madoka cligna des yeux, perplexe.

- Avec Hyouma ? Pourquoi ? Ils sont amis d'enfance.

Tsubasa eut un sourire triste.

- Je ne veux pas faire de commérages. C'est juste... Ginga ne devrait pas être seul.

- J'irai lui parler.

Tsubasa opina, soulagé.

- D'accord. Je te laisse.

Il se retourna et se dirigea vers les marches. Il posa sa main sur la rambarde, s'arrêta. Sa main se serra sur la rampe mais il n'avança pas.

- Tsubasa ?

Le blader d'Eagle se retourna, affichant une expression tourmentée. Le cœur de Madoka se serra. Elle se mit debout, le poing serré contre son cœur. Qu'est-ce qui le perturbait ?

- J'ai une question. Elle est bizarre, vu la situation, mais ne m'en veux pas, d'accord ?

- Bien sûr que non.

Elle ne s'énervait pas quand on lui posait des questions. Enfin... tant qu'on ne lui posait pas de questions stupides, comme Ginga ou Masamune. Mais ce n'était pas le genre de Tsubasa.

- Est-ce que tu es amoureuse de Ginga ?

- Quoi ?

Elle s'attendait à tout sauf à ça.

- Excuse-moi, reprit Tsubasa précipitamment. Vous êtes fiancés. La réponse est évidente. Je ne voulais pas t'insulter.

Il laissa échapper un profond soupir et la regarda de ses yeux dorés, toujours calmes et limpides – parfaits pour s'ancrer.

- J'avais l'impression que vous étiez amis, pas...

Il ne parvint pas à trouver ses mots cette fois.

- Nous l'étions.

- Quand est-ce que ça a changé ?

Madoka ouvrit la bouche pour répondre mais aucun mot ne lui vint. Quand cela avait-il changé ? Elle repassa dans sa mémoire les moments qu'elle avait partagé avec Ginga depuis leur rencontre mais n'en trouva aucun qui se démarqua. C'était simplement elle et Ginga.

- Je... S-sûrement que ça s'est fait progressivement, bredouilla-t-elle.

Tsubasa opina mécaniquement et baissa les yeux.

- Je vois. Merci de m'avoir répondu. Et de ne pas t'être mise en colère.

Tsubasa se retourna pour s'en aller. Il gravit les deux premières marches mais Madoka l'interpella : Attends !

Il s'arrêta aussi sec et se tourna à moitié, la main négligemment posée sur la rampe. Il était l'image même de l'élégance. Rien d'étonnant à ce qu'il ait été si populaire malgré la rareté de ses apparitions publiques. Et encore, les gens n'avaient rien vu de son côté travailleur, de la douceur maladroite avec laquelle il traitait ses amis, ni de son intelligence affûtée. Un seul de ces détails, ou des apparitions plus fréquentes, aurait suffi à le rendre aussi populaire que Ginga et Kyouya – et si les gens avaient la moindre jugeote, à les dépasser.

- Tu-tu ne trouves pas que c'est évident Ginga et moi ?

- Pas vraiment.

Le cœur de Madoka accéléra. Il était le premier à lui dire ça. Tous les autres... Pour eux, c'était l'évidence même. Ça l'intriguait.

- Pourquoi ?

Tsubasa regarda dans le lointain, comme s'il réfléchissait à sa réponse. Peut-être était-il en train de choisir soigneusement ses mots. Il n'était pas du genre à lancer les premières paroles qui lui passaient pas la tête, contrairement à la plupart des garçons qu'elle connaissait et qui parlaient sans réfléchir aux conséquences. Ou sans s'en préoccuper.

- Vous aviez seulement l'air amis.

- Ça commence souvent comme ça, répondit-elle sincèrement.

Du moins, c'était ce qu'elle avait entendu dire. Et c'était le scénario de base de la plupart des histoires d'amour qu'on pouvait lire ou voir. C'était une des raisons pour lesquelles Ginga et elle faisaient sens.

- Oui mais, dans votre cas, ça ne ressemblait pas au genre d'amitié qui peut tourner en histoire d'amour. Il t'agaçait souvent.

- M'en parle pas, soupira Madoka. Toutes ses gamineries m'épuisaient.

Tsubasa eut un sourire mi-nostalgique, mi-compatissant.

- Surtout quand il se chamaillait avec Masamune.

- C'était le pire, acquiesça Madoka avec véhémence.

Tous ces moment de paix volatilisés parce que les deux bladers rivalisaient. Tous ces concours stupides auxquels elle avait été obligée d'assister – soit parce qu'ils se passaient au B-Pit, soit parce qu'ils ne trouvaient rien de mieux à faire que se défier devant elle. Même Kenta et Yuu étaient plus matures ! Madoka n'avait pas regretté un seul instant la décision de Masamune de rester aux États-Unis. C'était la seule manière de profiter d'un semblant de calme.

Et, bien que particulièrement agaçantes, ces chamailleries avec Masamune n'étaient pas les seules choses qui l'avaient exaspérée chez Ginga. Il y avait aussi cette passion pour les hamburgers et ses retrouvailles pleines d'effusion avec Pegasus – qui continuaient à ce jour, hélas.

Mais... c'était normal de ne pas adorer tout le caractère de la personne qu'on aimait. C'était normal que certains aspects tapent sur le système. La perfection n'existait pas.

Et puis, les comportements immatures étaient tout bonnement exaspérants. Personne ne les trouvaient séduisants.

- Et... il y a aussi Alekseï.

- Alekseï ?

Tsubasa paraissait profondément gêné. Peut-être que Madoka devrait l'épargner en mettant un terme à la discussion, en laissant sa curiosité insatisfaite.

Plus facile à dire qu'à faire. Elle avait une âme de scientifique. Les questions sans réponse, très peu pour elle.

- Tu avais un faible pour lui.

Madoka rougit. Tsubasa rougit à son tour. Elle baissa les yeux.

- C'était... si visible ?

- Oui.

La chaleur de ses joues s'intensifia. Alekseï avait été son premier crush – en ne comptant que les personnes réelles. En même temps, un garçon beau, intelligent, distingué, qui s'intéressait au Beyblade et aux sciences, qui pouvait résister ?

Certainement pas elle.

Même après leur départ de Russie, elle avait continué à penser à lui. Elle en avait parlé à Ginga, lui listant toutes les qualités qu'elle voyait chez Alekseï qui le distinguaient des garçons qu'elle côtoyait – sans cacher que Ginga faisait partie de ces garçons à peine fréquentables. Le blader de Pegasus s'était contenté de rouler des yeux – ce que Madoka avait trouvé très vexant, surtout de la part d'un type qui faisait des tirades sur les hamburgers et des déclarations d'amour enflammées à sa toupie – avant de la conseiller de le contacter si elle le trouvait si génial.

"Mais je n'ai rien à lui dire !" s'était-elle offusquée.

"Tu as beaucoup à dire sur lui par contre," avait rétorqué Ginga, avec mauvaise humeur, fusillant du regard la porte de leur wagon. "Tu parles de coéquipiers. Ils sont où quand on a besoin d'eux ? Bande de traîtres."

Madoka avait décidé d'ignorer sa dernière remarque. Elle ne lui était pas adressée, de toute façon. "Ce n'est pas pareil. Tu ne peux pas comprendre."

"Ça, c'est sûr. Si je pouvais contacter la personne que j'aime quand je veux, je lui enverrais des messages tout le temps."

Ce fut au tour de Madoka de rouler des yeux. "Évidemment. Parce que Pegasus sait lire maintenant."

"Ha. Ha. Ha. Très drôle."

Confier tout ça à Ginga avait été facile. Madoka n'y avait pas réfléchi à deux fois, malgré le tumulte de ses nouveaux sentiments. Il s'agissait seulement de Ginga, après tout. Elle ne se préoccupait pas vraiment de ce qu'il pensait d'elle, surtout quand elle pensait à Alekseï et à quel point Ginga faisait pâle figure à côté de lui...

Madoka se mordit la lèvre. Elle avait sans doute été trop dure avec lui, et elle ne pensait plus ainsi. Ils avaient tous les deux grandi. Leur vision du monde et des personnes s'était modifiée en conséquence. La passion pour les sciences – ou, au moins, la compréhension de ses principes fondamentaux –, la réflexion et la beauté ne faisaient pas tout. Elle avait imaginé un amoureux idéal bien loin de Ginga, mais c'était logique. Les fantasmes étaient éloignés de la réalité, après tout.

- Tout va bien Madoka ?

La voix – très réelle – la chassa de ses pensées.

- Euh... Oui. Très bien. Je vois ce que tu veux dire.

Elle se sentit terriblement embarrassée par cet aveu, bien qu'il concernait des sentiments datant de plusieurs années. Elle fut incapable d'entrer dans les détails.

- D'accord. À plus tard.

- O-oui. C'est ça. À plus tard.

Madoka attendit que Tsubasa soit hors de son bureau pour se laisser tomber sur sa chaise. Elle regarda sa table de travail sans la voir. Comment une simple discussion avait pu la vider à ce point ? Elle avait l'impression que ses pensées étaient toutes emmêlées.

Parler avec Ginga n'avait rien à voir. C'était facile. Elle disait ce qui lui passait par la tête, sans se préoccuper de ce qu'il en penserait, parce qu'il pouvait la trouver rustre ou tyrannique, ça n'avait aucune importance. C'était juste... Ginga.

Elle se mordit la lèvre. C'était... sans doute normal, dans un couple. On ne pouvait pas vouloir faire bonne figure tout le temps. Ce serait invivable au quotidien.

Mais elle ne put s'empêcher de se demander si c'était normal de ne jamais ressentir le besoin de faire bonne figure.


XXX


Kyouya regardait le ciel qui s'était chargé d'étoiles.

Contrairement aux derniers jours, Ginga n'était pas venu le chercher à la sortie de la TC. Kyouya avait donc décidé de l'attendre près du canal, là où il aimait tant traîner. Cela faisait plus d'une heure qu'il patientait. Il avait bien envie d'aller chercher son rival chez lui ou au B-Pit, mais Ginga savait qu'il l'attendait. S'il l'évitait, c'était fait exprès, et Kyouya ne comptait pas s'humilier en lui courant après.

Il voulait que Ginga se tienne à ses côtés, qu'il le choisisse lui, mais si le rouquin n'en avait pas l'intention, il n'irait pas le supplier.

Peu importait à quel point cela lui faisait mal.

Kyouya balaya du regard les rives du canal. Aucune trace de Ginga. Ses épaules se tendirent et ses mains se serrèrent l'une contre l'autre. Il ignora la boule qui se formait dans sa gorge. Ça ne servait à rien de rester ici plus longtemps.

Kyouya tourna les talons et prit la direction de la ville, le cœur lourd. Il pensait que Ginga et lui avaient fait des progrès les derniers jours. Le blader de Pegasus était à l'aise en sa compagnie et il semblait tout oublier de sa situation. Kyouya avait pensé que cela suffirait. Ginga constatait forcément la différence entre la manière dont il se sentait avec lui – libre – et celle dont il se sentait avec les autres – emprisonné dans un rôle. Il pouvait peser les pour et les contre. La meilleure solution pour lui était terriblement évidente. Mais, finalement, ça n'avait servi à rien.

Je devrais peut-être changer d'angle d'approche.

Même s'il ne voyait pas ce qu'il pourrait faire de plus. Après tout, la décision finale appartenait à Ginga.

- Comment faire ? Je ne peux pas laisser tomber.

Kyouya sortit Leone de son rangement et le regarda. Son ami de toujours était une présence réconfortante, même dans des situations qui n'avaient pas de rapport avec le Beyblade.

Kyouya s'arrêta et regarda Leone plus attentivement. Son cœur accéléra. Un sourire commença à apparaître sur ses lèvres.

- On parle de Ginga et moi, là. De notre histoire.

Et qu'était leur histoire sinon un duel Beyblade plein de rebondissements ?

- Merci Leone.

Il rangea sa toupie et reprit sa route.

- Kyouya !

Il s'arrêta. Une tension quitta ses épaules tandis qu'il se tournait à moitié et voyait Ginga s'approcher de lui. Le rouquin ralentit quand il vit que Kyouya l'attendait. Il s'arrêta à quelques pas de lui. Ses yeux miel détaillèrent son visage. Kyouya y décela une profonde gravité.

- Je te cherchais.

Kyouya s'autorisa un petit sourire. Ces trois mots lui apportaient un réconfort plus grand encore que le soutien de Leone.

- Et tu m'as trouvé.

Ginga sourit en retour.

- Normalement, c'est toi qui me trouves. Ça change.

Ils se regardèrent quelques instants puis le sourire de Ginga s'effaça. Kyouya en fut attristé. Il préférait quand il était heureux. Par conséquent, quand Ginga jouait au Beyblade et qu'il était heureux, et sauvage, et libre, et lui-même d'une manière qu'il ne se permettait pas le reste du temps.

- Je ne sais pas ce que je dois faire.

Le cœur de Kyouya se serra.

- Je sais que tu ne me diras pas quoi faire, même si je sais ce que tu penses. J'ai juste... besoin d'un conseil. Un autre que celui que tu m'as déjà donné.

"Qu'est-ce que tu veux toi ?"

- Je ne vois pas...

- Ces derniers jours ont été compliqués, l'interrompit Ginga d'une voix grave qui l'inquiéta – à quel point est-ce que ça avait été dur pour qu'il en parle sans y être poussé ? Je ne veux pas entrer dans les détails. J'ai juste... Il me faudrait un autre conseil, pour...

Ginga ne termina pas sa phrase. Ce n'était pas nécessaire. Il allait se baser sur le conseil de Kyouya pour décider du reste de sa vie.

Kyouya faillit rire tant la situation était ridicule. Ginga attendait un conseil désintéressé de sa part.

Reste avec moi.

Ces mots brûlaient ses lèvres, mais ils ne convenaient pas – même si Kyouya ne pourrait rien dire de plus sincère en cet instant.

Qu'est-ce que je peux dire ?

Que pouvait-il dire qui ne serait pas un apitoiement ou une demande pathétique, en tout cas.

Et son Leone lui apporta la réponse.

Qu'était leur histoire sinon un duel Beyblade ?

Kyouya leva la tête et affronta le regard de Ginga avec assurance.

- Qu'est-ce que tu ferais s'il s'agissait d'un duel Beyblade ?


XXX


Ginga se dirigeait vers le B-Pit. Il regardait devant lui, ne laissant pas ses yeux dériver vers les boutiques ni vers les badauds qui ne manquaient pas de le dévisager. Pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité, il avait retrouvé le contrôle de sa vie. C'était un sentiment à la fois exaltant et terrifiant. Les mots de Kyouya l'avaient réveillé. Ils étaient si justes. Comment avait-il pu ne pas y penser avant ? C'était ce qu'il faisait, normalement, face à l'hésitation, envisager la situation comme un duel Beyblade.

Et ça changeait tout.

Pendant un duel Beyblade, les autres comptaient, mais lui aussi. Il se battait pour obtenir ce qu'il voulait, n'hésitait pas à utiliser toutes ses forces, à écraser ceux qui se mettaient en travers de son chemin...

Certes, il ne pouvait pas aller aussi loin dans la vie quotidienne, même si la pensée avait quelque chose de libérateur.

Ginga atteignit le seuil du B-Pit. Il regarda la façade qu'il connaissait par cœur, et qui avait fini par devenir une deuxième maison.

Il ferma les yeux et inspira profondément. Il ressentait une appréhension grandissante, mais aucune hésitation.

- Allons-y.

Il ouvrit la porte et entra dans la boutique. La sonnerie accueillit son arrivée. Il avança entre les rayonnages. La porte se referma tandis qu'il atteignait les escaliers. Il les descendit.

- Madoka ?

- Hein ? Oh ! Ginga.

Ginga atteignit le bureau. Son amie était assise à sa table de travail. Elle avait tourné sa chaise dans sa direction et le regardait avec un air inquiet. Ginga serra les poings, acceptant le regret qui emplissait son cœur.

Si je la perds comme amie, ce sera entièrement ma faute.

Madoka faisait partie de ses amis les plus proches, ceux qui l'avaient sauvé quand il était arrivé à Bey-City. Il ne voulait pas la perdre, même si elle aurait toutes les raisons de vouloir le chasser de sa vie.

Et pas uniquement pour rompre nos fiançailles, réalisa-t-il.

Pour faire plaisir au plus grand nombre, il avait été prêt à se marier à Madoka alors qu'il ne l'aimait pas de cette façon. À quel point était-ce insultant et méprisant de la condamner à une vie pareille ?

- Tu... as des problèmes avec Hyouma ?

- Comment tu sais ça ?

Ginga était si surpris qu'il en oublia presque la raison de sa venue.

Madoka baissa la tête. Ses poings se serrèrent sur ses genoux.

- Tsubasa m'en a parlé.

Et comment lui le savait ?

Ginga écarta l'incident de son esprit. Ce n'était pas pour ça qu'il était venu.

- Oui, mais je m'en occupe.

En tout cas, il s'en occuperait.

Autant ces trois semaines en compagnie de Kyouya avaient été une torture agréable – ça lui avait donné l'aperçu d'un quotidien auquel il croyait devoir renoncer – autant la présence de son ami d'enfance avait été une torture tout court. Toujours à lui rappeler ses engagements, tout ce qu'il devait faire. Lorsque Ginga avait sous-entendu qu'il n'était peut-être pas intéressé par ces projets d'avenir, Hyouma avait eu des paroles plus dures, plus froides, et, pris au piège, Ginga était finalement allé demandé un dernier conseil à Kyouya. Parce qu'il savait qu'il pouvait avoir une confiance absolue en lui.

Et Kyouya lui avait donné les mots qui lui avaient offert une liberté qu'il avait presque oublié.

- Ce n'est pas pour ça que je suis là.

- Ah.

Ginga prit son courage à deux mains.

- Nous ne pouvons pas nous marier.

Les yeux de Madoka s'arrondirent. Elle releva vivement la tête.

- Quoi ?

Évidemment qu'elle était surprise. Tout semblait bien se passer entre eux, et tout le monde les félicitait pour ce qui "coulait de source". Elle n'était pas dans sa tête. Elle ne connaissait rien de son tourment intérieur.

Si elle savait ce qu'il y avait dans sa tête, elle ne voudrait sans doute rien avoir à faire avec lui.

Ginga lui devait de la franchise. C'était la moindre des choses.

- Je... Je t'aime, mais je ne suis pas amoureux de toi. Je- je ne l'ai jamais été. Tu es mon amie, et je tiens à toi, mais...

Tu n'es pas Kyouya.

- ...rien de plus.

Madoka papillonna des yeux.

- Je sais que ça fait beaucoup à avaler, et je suis désolé, reprit Ginga. Tu es mon amie. J'aurais dû faire attention à toi.

Et faire attention à moi, et à Kyouya, et pas seulement aux désirs des autres.

Comment aurait-il pu supporter de faire face à son reflet après avoir fait si peu cas des sentiments de Kyouya ?

Il se promit de se racheter.

- Je suis... désolé.

Ginga ne pouvait rien dire de plus.

Le silence s'éternisa. Madoka le fixait, le visage étrangement inexpressif. Peut-être qu'il en avait dit trop d'un coup ? Il ne pouvait pas repousser davantage l'échéance. Cette mascarade avait trop duré. Madoka était la première concernée. Il devait donc l'informer en premier.

- Tu... ne m'aimes pas ?

- Non.

- Mais c'est ce que tout le monde...

- Tout le monde se trompe.

Madoka le regarda encore un peu.

- Tu es sûr, constata-t-elle.

- Oui.

- Est-ce parce que tu es amoureux de quelqu'un ?

Madoka l'avait dit sans colère ni rancœur mais Ginga ne put s'empêcher de grimacer. Sa curiosité sincère était pire que la colère à laquelle il s'attendait – et qu'il méritait.

- ...Oui.

- Comment est-elle ?

La gorge de Ginga se serra.

- Ce n'est pas un "elle".

Madoka fronça les sourcils, confuse, puis son visage s'éclaira, comme si elle venait de trouver la dernière pièce d'un puzzle et que tout devenait limpide.

- Kyouya.

Ginga se tendit. Elle avait prononcé le nom sans la moindre colère, et son expression ne changea pas. Elle hochait lentement la tête à elle-même. Elle finit par lui adresser un sourire contrit.

- On s'est laissés porter sans prendre la peine de réfléchir, pas vrai ?

- Tu ne m'en veux pas ?

Madoka secoua la tête. Son sourire devint plus sincère.

- Je suis contente que nous soyons amis.

Un poids quitta les épaules de Ginga. Il commença à sourire.

- Moi aussi.

Il ne pouvait pas lui dire à quel point il avait craint de la perdre. Dans quelques mois, peut-être, quand les choses se seraient tassées et qu'ils seraient redevenus pleinement amis.

Il fronça les sourcils.

Attends une minute. Madoka a bien dit... ?

- "On" s'est laissés porter ? Tu veux dire... ?

- Je t'aime Ginga, mais je ne suis pas amoureuse de toi, dit-elle, reprenant joyeusement ses mots.

- Oh...

- Déçu ?

Ginga secoua la tête et sourit. Il lui semblait qu'un poids immense venait de le quitter.

- Soulagé.

Il n'avait pas blessé son amie, finalement.


XXX


Kyouya se tenait penché en arrière et accoudé à une barrière, le regard fixé vers l'autre côté du canal. Le crépuscule avançait à grands pas, emplissant le ciel de teintes orange et rose, prêt à céder la place à la nuit. D'ailleurs, quelques étoiles faisaient déjà leur apparition.

Après qu'il lui avait donné son conseil, la veille, l'attitude de Ginga avait changé du tout au tout. Son regard s'était durci et son visage s'était figé en une expression déterminée. Le cœur de Kyouya avait fait un bond – il le trouvait tellement attirant ainsi – avant qu'il ne réalise pleinement la situation.

Ginga avait pris sa décision. Quelle qu'elle soit, il n'y avait plus de retour en arrière possible.

Ginga lui avait donné rendez-vous ici, en soirée, sans préciser l'heure exacte. Kyouya détestait attendre, plus encore quand il était plongé dans l'incertitude.

Ses pas retentirent. Kyouya se tendit. Il avait envie de se retourner mais...

Des bras entourèrent son torse. Il sentit un corps contre son dos et une chaleur familière se répandre sur sa peau. Son corps se détendit, comme s'il était à sa place. C'était à cause de ce genre de réaction mièvre qu'il avait tant repoussé le moment de rendre les choses officielles avec Ginga... et c'était en partie ce qui avait conduit à la situation.

Mais il semblait qu'il avait eu de la chance...

Kyouya pencha la tête en arrière et appuya son crâne contre l'épaule de Ginga.

- Alors ?

Les mains se resserrèrent sur son torse. Seule la barrière l'empêchait de fondre dans l'étreinte. Ginga était là, avec lui. Il l'avait choisi.

Kyouya voulait l'entendre le dire.

Ginga appuya son visage contre son cou et Kyouya eut un brin trop conscience de sa proximité et de son contact, d'une façon qu'ils n'avaient pas expérimenté jusque-là. C'était très distrayant.

- J'ai choisi.

Kyouya retira les mains de Ginga et se retourna, gardant une main dans la sienne. Ils se firent face. Kyouya eut un demi-sourire devant l'expression si vivante de Ginga. Ça, c'était son rival.

- J'avais cru comprendre.

Ginga leva sa main libre vers sa joue et la toucha du bout des doigts. Son regard s'était paré d'une douceur que Kyouya n'avait jamais vu. Son souffle se bloqua.

- Je te veux toi, si tu veux toujours de moi.

- Ai-je donné l'impression de vouloir quelqu'un d'autre que toi ? Ou d'être le genre de personne à changer brusquement d'avis ?

- Ha ! Jamais.

- Alors ne pose pas de questions stupides, marmonna Kyouya.

Il ferma les yeux lorsque la main de Ginga enveloppa sa joue. Il était soulagé au-delà des mots et il voulait profiter de l'instant.

Le front de Ginga se posa contre le sien. Kyouya rouvrit les yeux pour tomber dans un regard de miel et d'or en fusion.

- Les prochaines semaines vont être mouvementées, le prévint Ginga.

- J'aime les défis, sourit Kyouya.

- Moi aussi. Mais ce sera différent.

Parce que ce ne serait pas un combat Beyblade mais une lutte pour faire valoir que leur couple était légitime, plus que celui formé par Ginga et Madoka. Kyouya n'avait rien à prouver. Il ne devait rien à ces gens. Mais il savait que les critiques pleuvraient, proches ou éloignées. Le héros national – que disait-il : mondial – Ginga Hagane avec un homme, alors qu'il pouvait avoir la vie modèle, avec une femme et une maison remplie d'enfants ? Ça allait faire couler beaucoup d'encre. Heureusement, Kyouya s'en moquait. De plus...

- Je t'ai choisi toi, Ginga Hagane. Ça va peut-être te surprendre, mais je ne m'attendais pas à une vie simple et rangée avec toi.

Ginga le regarda avec surprise avant de laisser échapper un rire. Un peu agacé de tourner autour du pot, Kyouya plaqua ses mains sur sa taille et l'attira contre lui pour l'embrasser. Ginga cessa de rire, bien plus intéressé par leur nouvelle activité. Ses mains parcoururent son corps, s'égarèrent dans ses cheveux.

Kyouya était enfin là où il désirait être.


FIN


Note : Heureusement pour Yuuki et Madoka, qu'il y avait le point de vue de Tsubasa et pas seulement celui de Kyouya xD