Chapitre 3
La journée avait été interminable. Les heures avaient défilé aussi lentement que le paysage à l'allure tranquille à laquelle les poneys avançaient et Eryn n'avait qu'une envie : mettre un bon coup de pied dans les flancs de sa monture et en finir avec ce trajet barbant.
Cependant, ce n'était pas la monotonie du voyage qui pesait le plus sur Eryn à ce moment précis : c'était la douleur infernale qui parcourait tout le bas de son corps.
Son dos était le premier à avoir fait des siennes après les premières heures passées à se tenir aussi droite qu'elle le pouvait pour ne pas déranger Gandalf. N'en pouvant plus, la jeune femme avait fini par céder et s'avachir contre le magicien qui, étonnamment, faisait un dossier particulièrement confortable, si on ignorait la longue barbe qui lui chatouillait la nuque. Ensuite, ce fut le tour de ses fesses, qu'elle ne sentait plus depuis le début de l'après-midi tant elles étaient engourdies. Et à présent c'était ses jambes douloureuses qui lui causaient des problèmes et qu'elle étirait le plus souvent possible pour soulager les muscles. Autant dire que ça n'avait pas été une partie de plaisir.
D'autant plus que la compagnie ne s'était pas arrêtée une seule fois depuis le début de la journée. Ils passaient des restes de pommes de terre entières cuites au four et des morceaux de jambon de poneys en poneys en guise de déjeuner. Ils ne s'étaient même pas arrêtés pour se soulager, mais lorsque l'un des nains disparaissait sur sa monture derrière un arbre ou un buisson puis revenait en trottant quelques minutes plus tard, elle savait ce qu'ils y faisaient. Eryn en revanche n'avait pas osé demander à Gandalf de s'arrêter et se retrouvait perchée sur le cheval à se tordre dans tous les sens autant pour calmer la douleur que son envie pressante.
Lorsqu'enfin, à la fin de la journée, alors que le soleil était déjà bas dans le ciel, Thorin fit signe à la compagnie de s'arrêter, Eryn faillit pleurer de soulagement. Gandalf leur avait fortement conseillé (pour ne pas dire ordonner) de ne pas passer la nuit dans la forêt qui s'étendait face à eux. Elle ignorait quels dangers pouvaient bien s'y cacher mais elle n'avait aucune envie de le découvrir. C'est pourquoi ils décidèrent de stopper leur avancée pour la journée. Ils partiraient le lendemain à la première heure afin de ne pas perdre de temps pour traverser le bois avant la tombée de la nuit.
Tous avaient déjà posé pied à terre alors qu'Eryn luttait pour descendre de son cheval sans finir les fesses sur le sol. Elle avait refusé l'aide Gandalf par honte et fierté mais elle commençait à regretter son choix. Bofur, qui passait à côté d'elle, ne prit pas la peine de l'aider mais sauta sur l'occasion pour se moquer d'elle sans méchanceté. En temps normal, elle aurait ri aussi face à la situation ridicule dans laquelle elle se trouvait, mais elle était bien trop concentrée sur ses jambes endolories pour trouver ça amusant. Lorsqu'enfin ses deux pieds touchèrent le sol elle manqua de s'effondrer sous le poids de son corps. Il lui fallut quelques secondes adossée contre sa monture avant qu'elle ne puisse tenter de faire quelques pas, incertaine. Elle se dirigea le plus lentement possible vers Fili et Kili qui avait pour mission de s'occuper des poneys. Lorsque le plus âgé des deux la vit arriver chancelante, il ne put retenir le sourire en coin qui se forma sur ses lèvres.
- Premier voyage à dos de cheval ? Vous en faites pas, vous vous y ferez après quelques jours.
- En espérant que vous ne perdez pas l'usage de vos jambes jusque-là, rit son frère en laissant sur son passage une tape bien trop puissante sur le dos d'Eryn.
Alors qu'ils se mirent au travail pour retirer les selles des poneys, Eryn s'éloigna de son côté et laissa tomber son sac près de celui de Bilbon. Ils n'avaient presque pas échangé de la journée et Eryn était impatiente de pouvoir enfin partager plus que quelques mots à la fois avec quelqu'un.
Malheureusement, le destin en décida autrement lorsque Bofur, qui attendait hache à la main à la lisière de la forêt, appela depuis l'autre bout du camp :
- Monsieur Sacquet ! Venez donc m'aider à récolter du bois. Vous connaissez mieux le coin que moi, avec un peu de chance, vous nous dégoterez des champignons.
Le Hobbit s'éloigna non sans offrir un sourire confus dans la direction de la jeune femme. Lui aussi avait probablement bien envie de se reposer après une journée passée à tomber sans cesse de son poney, mais il se voyait mal refuser une invitation d'un des nains quand il pouvait se montrer utile.
Alors comme le matin de leur départ, Eryn se retrouva seule sans savoir que faire d'elle-même. Elle parcourut d'un regard incertain la compagnie qui s'affairait autour d'elle. Fili et Kili brossaient les poneys, Ori se concentrait sur son carnet sous l'œil attentif de Balin, et Bombur installait sa planche à découper pendant que Bifur affûtait les couteaux. Elle n'était pas sûre de ce que les autres faisaient, mais vu leurs mines concentrées ça devait avoir son importance. Même Thorin qui pourtant n'avait pas lâché Eryn du regard semblait avoir oublié son existence. Ils avaient tous l'air bien occupé et ne lui prêtaient pas attention. Ce n'était pas plus mal finalement. Elle allait pouvoir se faufiler hors de leur vue en toute discrétion et s'occuper d'un problème qui se faisait de plus en plus urgent.
Elle profita donc du manque d'attention des nains pour s'éclipser sans un bruit en direction de la forêt. Elle n'allait pas pouvoir ignorer son envie pressante plus longtemps et elle comptait bien se soulager le plus loin possible des nains, derrière un arbre et à l'abri des regards. Elle slaloma entre la végétation étonnamment épaisse pendant quelques minutes avant de s'arrêter et se retourner. D'ici, elle distinguait à peine les nains mais les entendait encore clairement et n'aurait aucune difficulté pour retrouver son chemin vers le campement. Ce n'était clairement pas l'idéal mais elle allait devoir se rendre à l'évidence : c'était la nouvelle réalité dans laquelle elle se trouvait. Elle qui appréciait son confort encore plus que le Hobbit grimaça à l'idée d'utiliser ce coin comme latrines improvisées. Mais de toute manière elle ne trouverait pas meilleur endroit : elle n'était entourée que d'arbres et de buissons qui se ressemblaient tous.
La jeune femme hésita quelques instants et fixa le pied de l'arbre qu'elle avait choisi. Elle n'était pas une grande aventurière, n'avait jamais fait de camping et la dernière fois qu'elle avait fait ses besoins à l'extérieur elle devait avoir à peine huit ans. C'est sa mère qui l'y avait forcé après plusieurs heures de voiture durant lesquelles elle n'avait cessé de se plaindre de devoir aller aux toilettes. Sa mère avait dû la porter et l'agripper derrière les genoux pour éviter qu'elle ne se salisse, à peine cachée par la voiture au bord de la route. Elle en gardait un très mauvais souvenir.
Poussant un long soupir résigné, Eryn commença à déboutonner son pantalon. Elle n'avait jamais utilisé les toilettes turques et n'avait absolument aucune idée de comment se soulager sans s'en mettre partout. Elle allait devoir retirer ses chaussures et son pantalon.
Elle lança un dernier regard vers les voix qui s'élevaient au loin puis se décida à passer à l'action. Elle n'avait aucune envie qu'on remarque son absence et qu'on vienne la chercher en plein milieu de son affaire, elle allait devoir se dépêcher. C'était déjà un miracle d'avoir pu échapper à la surveillance des nains.
Après avoir terminé et prit soin d'attendre que la dernière goutte tombe (elle refusait d'utiliser les feuilles des buissons autour d'elle et de risquer une éruption cutanée à cet endroit-là de son corps) elle entreprit de remettre son pantalon.
Elle eut à peine finit de le boutoner lorsqu'elle entendit des pas se dirigeant tout droit dans sa direction. Là, entre deux arbres, apparut le nain qu'elle avait sans doute le moins envie de croiser à ce moment précis, ou à n'importe quel autre moment d'ailleurs. Il était manifestement en train de la chercher car ce n'est pas de l'étonnement qu'elle lut sur son visage lorsqu'il s'approcha d'elle mais une colère terrible.
Eryn n'eut pas le temps de se remettre de son choque initial que déjà Thorin brandissait son épée et la pointait vers elle d'un air menaçant avec l'intention ferme de s'en servir.
- Qu'est-ce que vous faites là ? Tonna-t-il d'une voix grondante qu'elle n'avait jamais entendu jusque-là. Vous ne croyez quand même pas que vous auriez pu vous échapper ?
C'était exactement ce qu'elle craignait. Il croyait qu'elle avait trahi la compagnie et si ce qu'elle savait de son caractère était correct, Thorin n'avait aucune pitié pour les traîtres. Elle était soudainement effrayée de ce qui lui arriverait si elle ne s'expliquait pas vite. Elle força les mots hors de sa bouche d'une voix tremblante :
- M'échapper ? Non, j'étais juste-
Thorin ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase. Il semblait comme aveuglé par la colère, incapable de donner à Eryn l'occasion de s'exprimer. Il s'était attendu à tout de la part de la jeune femme qui était arrivée dans des conditions plus que suspectes et avait pris soin de la garder à l'œil tout le long de la journée. Alors lorsqu'il s'était rendu compte en regardant autour de lui qu'elle avait non seulement disparu, mais en plus que c'était à cause de sa propre maladresse, il avait vu rouge. Comment avait-elle pu échapper à l'attention d'une dizaine de nains ?
- Je vous avais dit de ne pas causer plus de problème, interrompit-il dans un grognement, la mâchoire serrée et les yeux sombres. Je vous avais prévenu qu'il y aurait des conséquences si vous-
- Mais je-, tenta-t-elle à nouveau sans succès.
- Non ! N'essayez pas de chercher des excuses. Vous alliez vous enfuir, vous alliez retourner vers les vôtres pour livrer les secrets de notre quête, reprocha-t-il sévèrement alors qu'Eryn tentait de se faire toute petite face à lui. Je n'aurais jamais dû vous laisser nous accompagner, j'aurais dû me débarrasser de vous dès que vous êtes apparue chez le semi-homme !
Il agrippa son épée encore plus fermement et Eryn paniqua réellement lorsqu'elle aperçut une lueur déterminée dans son regard. Était-il réellement prêt à la tuer sans même lui donner l'occasion de se défendre ? Elle fit inconsciemment un pas en arrière, le cœur battant et les yeux écarquillés devant le guerrier armé jusqu'aux dents et qui dirigeait sa fureur vers elle. Mais cela ne fit qu'énerver encore plus Thorin qui s'attendait à ce qu'elle parte en courant pour lui échapper. Elle se figea instantanément lorsqu'il s'approcha d'elle et se fit force pour reprendre la parole, dans une dernière tentative pour se faire entendre.
- Thorin je vous en prie, écoutez-moi ! S'écria-t-elle, suppliante. J'avais juste besoin d'aller aux toilettes, c'est pour ça que je me suis éloignée.
Elle avait enchaîné ces derniers mots à toute vitesse, consciente qu'elle n'aurait pas d'autres chances pour se faire écouter.
Thorin se figea soudainement et, enregistrant l'expression affolée de la jeune femme, il sembla hésiter. Il avait beau avoir un caractère difficile, chose dont il était bien conscient, il n'était pas cruel. La gamine qu'il avait prise pour une espionne sournoise qui avait tenté de leur échapper n'avait à ce moment précis que l'air d'une pauvre femme mal vêtue, perdue et apeurée. Comprenant que le seul danger ici était celui qu'il représentait pour la jeune fille (car avec sa mine livide et sa carrure frêle elle n'avait aucune chance contre lui), il s'adoucit.
Il prit conscience de sa proximité et de son épée qui pointait à quelques centimètres à peine de la poitrine d'Eryn et fit un pas en arrière. Son regard prit enfin le temps d'observer la scène face à lui et se posa sur les pieds nus de la jeune femme et la paire de chaussures qui se trouvaient à proximité. Il comprit que si elle avait réellement voulu s'enfuir, elle n'aurait certainement pas pris le temps de retirer ses bottes. Mais pourquoi se serait-elle embêtée à les retirer juste pour faire ses besoins ?
Thorin haussa un sourcil, comme attendant plus d'explications.
- C'est juste que je ne voulais pas obliger tout le monde à s'arrêter pour que j'aille aux toilettes, je ne voulais pas déranger… Mais je me suis retenue toute la journée et je ne pouvais pas attendre plus longtemps, ajouta-t-elle les joues roses et visiblement très embarrassée.
Lorsque Thorin comprit enfin la situation et l'ampleur du malentendu, il se sentit lui aussi très gêné. Il réalisa que s'il était arrivé ne serait-ce que quelques secondes plus tôt, il aurait surpris la jeune femme dans son état le plus intime et cette pensée le laissa sans voix. Lui qui avait fixé Eryn d'un air impitoyable se retrouvait à présent incapable de croiser son regard. Ils avaient tous les deux les yeux fixés sur le sol.
Le roi nain s'éclaircit la gorge :
- Je vois, finit-il par dire après un silence embarrassant. À l'avenir, je vous serais reconnaissant de prévenir l'un de nous lorsque vous aurez besoin de vous éloigner pour ce genre d'affaire. Cela nous évitera tout incident malheureux.
Révoltée, Eryn releva brusquement la tête. Un incident malheureux ? Il avait littéralement été sur le point de l'embrocher mais visiblement ça n'avait pas l'air de l'alarmer plus que ça.
Elle laissa s'échapper le souffle qu'elle retenait lorsque Thorin baissa finalement son épée. Heureusement qu'elle avait vidé sa vessie quelques minutes plus tôt car elle n'avait jamais eu aussi peur de toute sa vie. Elle posa une main sur sa poitrine et prit une profonde inspiration dans l'espoir de calmer les battements furieux de son cœur. Thorin, quant à lui, l'observait du coin de l'œil d'un air indescriptible, les lèvres pincées. Avec ses sourcils froncés et son allure incertaine à l'opposé de celle qu'il avait auparavant, il semblait presque ressentir… Du remords ?
- Est-ce que je peux remettre mes bottes maintenant ? Demanda Eryn qui n'osait pas faire le moindre mouvement par peur de réveiller à nouveau la colère du nain.
Il se contenta de hocher sèchement la tête et s'éloigna de quelques pas en rengainant son épée.
C'était tête baissée et les joues encore rouges de honte que Eryn fit son apparition dans le campement derrière Thorin. Plusieurs regards curieux étaient tournés dans leur direction mais Eryn garda ses yeux sur le sol et l'expression de Thorin découragea les nains à poser des questions. Elle s'empressa de rejoindre son sac et s'assit à côté, un peu à l'écart du reste de la compagnie. Elle y passa la soirée et ne se déplaça que pour aller chercher le bol de soupe que Bombur avait préparé pour le dîner.
L'incident l'avait certes embarrassée bien plus qu'elle ne voulait l'avouer, mais ce qu'elle avait le plus de mal à digérer était la peur qu'elle avait ressentie face à la fureur de Thorin. Pour la première fois de sa vie elle s'était sentie en réel danger et le fait que cette menace vienne d'un personnage qu'elle adorait et avec lequel elle avait grandi lui avait laissé une boule dans la gorge dont elle ne pouvait se débarrasser. Elle prit conscience d'une chose : le monde dans lequel elle avait atterri était bien réel et il semblait bien plus impitoyable qu'elle n'aurait pu l'imaginer en lisant ses livres. Elle était dans une position extrêmement délicate et le moindre pas de travers pouvait se résoudre en une mort prématurée.
Néanmoins, elle ne pouvait en vouloir réellement à Thorin. Évidemment, elle avait beau se repasser la scène dans sa tête, elle ne comprenait pas pourquoi il avait agi si violemment. Elle était seule, n'avait clairement pas l'allure d'une combattante et n'avait de toute façon pas d'arme sur elle, alors qu'elle menace avait-elle bien pu représenter pour ce guerrier nain ? Elle tenta de l'expliquer par son tempérament impétueux et impulsif mais là encore elle ne pouvait accepter ce genre de comportement.
Ce qu'elle comprenait en revanche c'était sa méfiance envers elle et les mesures qu'il comptait prendre au moindre signe de trahison. Cette quête représentait tout pour lui et il était déterminé à la mener à bien malgré tous les obstacles qu'il devrait affronter. Il faisait preuve d'une détermination sans faille et têtue que Eryn admirait d'une certaine façon, quand elle n'était pas victime de son intransigeance.
Elle espérait tout de même réussir à gagner sa confiance et ne plus avoir à s'inquiéter de la moindre de ses réactions. Le monde était suffisamment dangereux et elle n'avait pas besoin d'en rajouter une couche au sein même de la compagnie. Elle voulait pouvoir compter sur eux autant qu'ils pourraient compter sur elle car à ce moment-là, elle ne s'était jamais sentie aussi seule de toute sa vie.
La nuit avait été incroyablement longue pour Eryn. Elle s'était installée dans le sac de couchage usé prêté par Bilbon et avait passé son temps à grelotter sous sa fine couverture. De plus, les événements de la soirée ne cessaient de tourner en boucle dans sa tête et l'avaient empêchée de dormir jusque tard dans la nuit. Lorsqu'enfin elle s'était assoupie elle ne put se reposer que quelques heures avant que le bruit des nains qui s'affairaient autour d'elle ne la réveille.
C'était en traînant des pieds et avec des cernes profondes sous les yeux qu'elle se dirigea vers le reste de la compagnie pour prendre son petit-déjeuner. Elle passa devant Balin et son frère Dwalin qui étaient assis côte à côte et mangeaient le reste de soupe de la veille. Une fois encore ce dernier lui lançait un regard mauvais qui s'attardait sur ses pieds. Qu'avaient-ils pour que le nain les fixe de cette façon ? On aurait dit qu'elle avait un pied en trop que lui seul semblait voir.
Cependant, Eryn n'y prêta pas plus d'attention que la veille et se contenta de rassembler ses affaires afin de ne pas retarder la compagnie à l'heure du départ. De toute manière, les nains semblaient tous l'observer avec leurs propres airs qui allaient des plus méprisants aux plus bienveillants. Elle allait devoir s'y faire.
Dwalin suivait avec dédain les mouvements de la gamine qui avait accompagné la compagnie depuis son apparition. D'une nature particulièrement suspicieuse, bien plus que ses frères d'arme, il voyait d'un très mauvais œil la présence de la jeune femme. Ce genre de chose qui leur tombait dessus comme le mauvais temps ne pouvait leur apporter rien de bon. Mais il respectait la décision de son roi et vieil ami Thorin et comptait bien la garder à l'œil aussi longtemps qu'ils devraient se la coltiner.
- Allons, qu'a-t-elle fait cette fois-ci pour mériter un regard pareil ? Reprocha Balin qui avait remarqué l'humeur exécrable de son frère.
- Ce qu'elle a fait ? Pouffa le guerrier. Elle va nous ralentir et nous porter malheur, voilà tout. Elle n'a rien à faire parmi nous, et tu ferais mieux de t'en rendre compte au lieu de la couver comme tu le fais.
Balin s'apprêtait à répondre avec une mine faussement étonnée mais Dwalin fut plus rapide.
- Te fatigue pas, je t'ai vu donner une paire de chaussettes à Bilbon pour la gamine. Eh oui, il faut croire que t'es pas aussi discret que dans le temps, se moqua-t-il. Mais si tu veux mon avis tu ferais bien d'arrêter ça tout de suite à moins que tu ne veuilles t'attirer les foudres de Thorin. On ne connaît pas cette fille et on a aucune raison de lui faire confiance.
Balin savait qu'il était inutile de discuter avec son frère lorsqu'il avait une idée en tête car rien ne le ferait changer d'avis mais il ne put s'empêcher de défendre la jeune femme qu'il ne voyait absolument pas comme une menace.
- Ce n'est qu'une gamine, comme tu le dis toi-même. Que veux-tu qu'elle nous fasse ? Crois-tu vraiment qu'elle aurait une chance de nous faire du mal, frêle comme elle est ?
Dwalin répondit d'un grognement outré, comme si l'idée même qu'elle puisse affronter les nains de quelque façon que ce soit était inimaginable.
- C'est bien ce que je pensais. Moi, je vois juste une jeune fille perdue qui n'a absolument aucune idée de ce qui lui arrive. Si tu arrêtais un peu de la fixer comme si elle avait insulté ta barbe, tu te rendrais compte de la façon dont le magicien la regarde. Il sait quelque chose, je le sens, mais je ne crois pas que ça ait à voir avec une espionne ou un assassin. Non, à mon avis, elle n'a rien de tout ça.
Le guerrier lança un regard vers le magicien qui tirait sur sa pipe d'un air pensif, les yeux tournés vers Eryn. Son frère avait bien plus de sensibilité pour ces choses-là, c'était lui le diplomate après tout. Il savait analyser et interpréter la moindre parole, le moindre regard, et ne se trompait que rarement, pour ne pas dire jamais. Dwalin, son truc à lui c'était de se battre et de protéger ses frères d'arme, alors tout ce qui pouvait représenter une potentielle menace n'échappait jamais à son radar.
- Eh bien quoi qu'il en soit, reprit-il, je te conseille de garder ça pour toi. Va pas la faire se sentir trop à l'aise, Thorin compte la lâcher à la première occasion de toute façon.
Sur ce, il rassembla les bols en bois vides et les ramena vers Ori et son frère Nori qui s'occupaient de la vaisselle.
Balin était sage, il pouvait bien faire ce qu'il voulait et il n'avait pas tout à fait tort, au fond, mais Dwalin ne pouvait s'empêcher de désapprouver la bienveillance de son frère qu'il trouvait très mal placée. Il comprenait mal ce que le vieux nain pouvait bien voir chez la gamine et tant que le guerrier n'avait pas de réponses à ses questions et qu'elle ne prouvait pas sa valeur, elle ne serait pas la bienvenue parmi la compagnie. Il n'offrait pas sa confiance facilement, ça n'était pas dans sa nature. Elle allait devoir travailler dur pour gagner sa place.
Le troisième chapitre. Je serais ravie de lire vos impressions !
