Chapitre 4


Cette nouvelle journée en Terre du Milieu n'avait pas été beaucoup plus intéressante que la veille. La seule différence notable était que les douleurs d'Eryn n'avaient fait qu'empirer à mesure qu'ils avançaient. Elles s'étaient peu à peu transformées en engourdissement total et la jeune femme ne savait pas si c'était une bonne ou mauvaise chose. Ce n'était plus aussi douloureux, mais elle redoutait le moment où elle devrait mettre pied à terre et marcher sur des jambes qu'elle sentait à peine.

Le paysage quant à lui était plus qu'ennuyeux. Tout autour de la compagnie s'étendaient des arbres et encore des arbres à perte de vue. De temps à autre, Eryn apercevait un écureuil qui sautait de branche en branche, ou le bout du nez d'un lapin caché derrière un buisson, mais c'était vraiment la seule distraction qu'elle avait au milieu de cette forêt (en dehors des quelques discussions des nains dans lesquelles elle n'était pas incluse). La seule chose qui la rassurait était de savoir qu'ils retrouveraient les vastes plaines d'ici la fin de la journée.

Après plusieurs heures à chevaucher sans avoir dit un seul mot, Eryn n'en pouvait plus. Si personne n'avait l'intention de lui adresser la parole, elle allait elle-même engager la conversation. À commencer par ce magicien barbant qui semblait passer son temps dans une autre dimension, à contempler ses pensées.

- Gandalf, commença-t-elle en brisant le silence, je pense qu'on devrait reprendre la conversation qu'on avait commencée chez Bilbon. À propos de… vous-savez-quoi, ajouta-t-elle d'une voix plus basse.

- Ne vous en faites pas, rassura le magicien, je n'ai pas oublié et je compte bien répondre aux questions qui semblent vous brûler les lèvres. Néanmoins, je crois qu'il serait plus sage de patienter encore un peu.

Eryn, qui s'était retournée pour observer Gandalf, remarqua qu'il lançait un regard vers Thorin comme pour vérifier qu'il n'était pas à portée de voix et ne risquait pas d'entendre leur conversation. Ce dernier se trouvait au milieu de la file et hochait la tête tout en écoutant Balin qui avançait à ses côtés.

- Un vieil ami vit non loin à l'Ouest des Monts Brumeux et si mon intuition est bonne, notre route devrait nous mener jusqu'à lui. Je suis convaincu qu'il sera bien plus à même de nous éclairer sur ce sujet, finit-il.

Lorsque le magicien évoqua ce vieil ami, Eryn comprit tout de suite de qui il s'agissait. Il faisait sans aucun doute allusion au seigneur Elrond que la compagnie rencontrerait en chemin. Elle comprenait à présent pourquoi il était soucieux de ne pas attirer l'attention de Thorin. Sa haine des elfes était bien connue et s'il réalisait les intentions du magicien, il ferait en sorte d'éviter Fondcombe à tout prix. Si elle voulait que tout se passe comme prévu, elle allait devoir elle aussi rester discrète à ce sujet.

Eryn continuait à fixer le vieil homme en attente de plus amples explications mais après quelques secondes de silence elle se rendit à l'évidence : Gandalf n'avait pas l'intention de lui en dire plus tant qu'il n'aurait pas l'avis de l'elfe. Elle ne pouvait qu'imaginer à quel point la question de son arrivée dans un autre univers était délicate et comprenait le résonnement du magicien mais elle était frustrée de savoir qu'il connaissait sans doute la vérité et la lui cachait volontairement. Après tout, elle était la première concernée dans toute cette histoire, elle méritait qu'on ne la laisse pas dans l'ignorance.

Elle se retourna dans un soupir et reporta son regard sur les arbres qui défilaient autour d'elle. Elle mourrait d'envie de connaître la vérité et enfin mettre fin à toutes les théories toujours plus insensées qui lui envahissaient l'esprit.


Ce soir-là Eryn se retrouva une fois de plus debout au milieu du camp à observer les nains s'affairer autour d'elle sans savoir quoi faire. Elle détestait cette sensation. Elle avait l'impression de ne pas avoir sa place parmi eux et que son absence ne serait même pas remarquée. D'autant plus qu'elle était de nature plutôt timide et discrète et n'osait pas déranger les nains pour leur demander comment elle pourrait bien se rendre utile. Elle avait peur qu'ils la considèrent encore plus comme une nuisance.

Mais après réflexion, ils seraient sans doute plus à même de commencer à lui faire confiance si elle leur prouvait qu'elle était aussi capable que n'importe qui si on la pointait dans la bonne direction. Les nains avaient l'air d'apprécier l'honnêteté et le franc-parler. Elle allait devoir mettre de côté ses insécurités si elle voulait être plus à l'aise au sein de la compagnie.

Alors qu'elle se demandait lequel des nains serait le plus facile à approcher son regard se posa sur Fili et Kili. Ils étaient installés confortablement sur le sol, l'un étalé avec les bras derrière la tête tandis que le plus jeune était assis en tailleur et jouait avec des brins d'herbe. Ils faisaient partis de la moitié de la compagnie qui semblait plus ou moins accepter sa présence et s'ils étaient méfiants à son égard, ils ne lui montraient pas ouvertement, ce dont elle était très reconnaissante. Cela les rendait nettement plus faciles à approcher que Dwalin ou Gloin par exemple, qui semblaient constamment la surveiller d'un air réprobateur.

Les deux frères discutaient tranquillement, balançant de temps à autre la tête en arrière dans un éclat de rire. Ils levèrent les yeux vers Eryn lorsqu'ils remarquèrent sa présence, un sourire joyeux toujours sur leur visage. Kili, sans doute le plus jovial de tous les nains présents au sein de la compagnie, n'hésita pas à l'inviter d'un geste du bras.

- Ah, Mademoiselle Beaumont ! Ne restez pas debout, venez donc vous asseoir avec nous. On prenait justement une petite pause.

Elle était venue dans l'intention de trouver quelque chose à faire mais peut être qu'un peu de relaxation ne serait pas une mauvaise idée. Eryn hésita quelques secondes, mais se dit qu'elle pourrait bien reposer ses jambes un peu plus longtemps avant de se mettre au travail.

- Merci, dit-elle en s'installant près de Fili. J'espère que je ne dérange pas.

- Non, non, pas du tout, assura ce dernier. Alors, comment se passe votre voyage ? Demanda-t-il avec un sourire un coin.

- Pas trop mal pour l'instant. J'avoue que je me serais bien passée des courbatures et du mal de dos, mais j'imagine que c'est une question d'habitude.

- Précisément ! Croyez-moi, nous sommes tous passés par là. Vous vous y ferez.

- Alors vous êtes les neveux de Thorin, c'est ça ? Demanda-t-elle. Lorsqu'ils hochèrent la tête, elle reprit : Donc ça fait de vous des princes ? Est-ce que je dois faire une révérence à chaque fois qu'on se croise ? Rit-elle à moitié sérieuse.

- Eh bien, en théorie, nous ne serons princes qu'une fois que nous aurons repris Erebor et que Thorin en sera officiellement le roi.

- Mais libre à vous de nous appeler votre altesse si ça vous chante !

- Je vais m'en tenir à Fili et Kili, si ça vous va ? Rit la jeune femme. Et plus de Mademoiselle Beaumont, appelez-moi Eryn.

- Entendu, Eryn. Vous risquez de faire un bon bout de chemin en notre compagnie et ne plus vous appeler Mademoiselle Beaumont sera un sérieux gain de temps.

Eryn, ravie de la direction que la discussion avait prise, relaxa ses épaules et étendit ses jambes face à elle. Elle pencha la tête en arrière et ferma les yeux, profitant des derniers rayons du soleil qui éclairaient son visage. Elle se dit que si toutes ses soirées ressemblaient à celle-ci elle resterait volontiers en Arda. Malheureusement, elle savait mieux que quiconque au sein de la compagnie que ce sentiment de tranquillité n'était que le calme avant la tempête. Autant savourer ces quelques moments avant que les choses ne tournent mal.

Lorsqu'elle entendit les deux frères se chamailler à voix basse, elle ouvrit un œil. Ils se bousculaient à coups de coude et lançaient des regards qu'ils croyaient sans doute discrets dans sa direction. Après quelques secondes durant lesquelles la jeune femme fit mine de ne rien remarquer, le plus âgé des deux s'éclaircit la gorge.

- Alors comme ça, vous n'avez aucun souvenir de votre arrivée chez le cambrioleur ? Interrogea Fili d'un regard appuyé.

Eryn se redressa lentement et s'assit avec raideur. Évidemment, elle aurait dû savoir qu'elle ne pourrait pas échapper à ces questions bien longtemps. Elle aurait voulu pouvoir leur révéler toute la vérité et en finir avec les regards suspicieux et les secrets mais elle avait aussi très peur de leur réaction. De toute manière, elle allait devoir attendre le feu vert de Gandalf avant de pouvoir en parler à qui que ce soit.

- Non, pas vraiment, répondit-elle vaguement, espérant qu'ils ne cherchent pas à creuser plus profond. C'était grandement sous-estimer la curiosité des deux jeunes nains.

- C'est vraiment curieux quand on y pense, reprit Fili l'air de rien. On ne peut pas tous se vanter de pouvoir apparaître à sa guise dans les caves à vin.

- Allez, dites-nous votre secret. Si vous promettez de nous montrer comment s'y prendre, on ne dira rien, assura Kili avec une lueur espiègle dans son regard.

- Si vous me demandez de vous apprendre à rafler les caves à vin, ça n'arrivera pas, répondit-elle d'une voix monotone. Plus sérieusement, je n'ai aucune idée de comment j'ai bien pu finir là-bas, et c'est la vérité, insista-t-elle avec un regard qu'elle espérait suffisamment autoritaire pour mettre fin à la discussion.

Fili l'observa d'un air dubitatif. Après quelques secondes durant lesquelles elle fit de son mieux pour soutenir son regard, un sourire éclaira son visage, visiblement parvenu à la conclusion que la jeune femme ne mentait pas.

- Je vous crois, annonça-t-il gaiement. Mais si par tout hasard vous cachiez encore quelque chose, vous feriez mieux de le dire avant que Thorin ne le découvre par lui-même. On ne vous juge pas, évidemment, on a tous nos secrets, finit-il avec un clin d'œil. Kili hocha la tête comme pour appuyer ses propos.

- Il n'a pas tort vous savez. Notre oncle peut se montrer plutôt sévère.

Eryn finit par se dire qu'elle pourrait bien avouer une partie de la vérité puisqu'ils avaient compris qu'elle leur cachait quelque chose. Cela leur montrerait peut-être qu'elle n'avait aucune mauvaise intention.

- Je n'ai peut-être pas tout dit... mais je ne suis pas sûre de pouvoir en parler. Ça ne me concerne pas uniquement, finit-elle par avouer après un temps d'hésitation.

- C'est vous qui voyez, répondit paresseusement Kili tout en s'étirant dans l'herbe. Mais à mon avis, cela aiderait grandement à gagner la confiance de certains, et peut-être éviter un sort désagréable, si vous voyez ce que je veux dire.

- Merci du conseil, j'y réfléchirai, dit-elle en mettant fin à cette partie de la conversation. D'ailleurs, je me demandais si vous auriez une idée de ce que je pourrais faire sur le campement ? J'en ai marre de passer mon temps à regarder tout le monde travailler. Je voudrais servir à quelque chose, ça m'aiderait peut-être à remonter dans l'estime de Thorin.

- Ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée, répondit Kili en se tapotant pensivement le menton. Qu'est-ce que vous savez faire ?

- Je me débrouille plutôt bien en cuisine, et j'ai fait de l'équitation quand j'étais petite, alors je devrais pouvoir m'occuper des poneys si on me montre comment faire.

- Je ne pense pas qu'on ait besoin d'aide avec les poneys aujourd'hui mais vous pourriez donner un coup de main à Bombur pour le dîner. Allez donc lui demander.

- Oui, c'est ce que je vais faire, dit-elle après s'être relevée, essuyant ses mains sur son pantalon. Merci en tout cas, j'étais contente de pouvoir vous parler. Votre altesse, dit-elle en faisant la révérence en direction de Kili puis de son frère.

- Tout le plaisir était pour nous, sourit Fili avec un geste de la main au-dessus de la tête, comme agitant un chapeau invisible.

C'est le sourire aux lèvres qu'Eryn se dirigea vers le centre du campement. Bofur venait à peine de rapporter son bois et tandis qu'il essayait d'allumer un feu, Bombur déballait ses ustensiles de cuisine. Elle arrivait au bon moment.

- Je peux peut-être vous donner un coup de main ? Proposa Eryn après s'être éclairci la gorge.

Les deux nains levèrent les yeux vers la jeune femme qui se tenait debout à quelques pas d'eux et se lancèrent un regard.

- Vous savez faire un feu ? Demanda Bofur en levant les sourcils.

- Non, mais je pensais pouvoir aider Bombur à faire à manger, précisa Eryn.

Le nain à la barbe rousse fronça les sourcils, ce à quoi son frère répondit par un haussement d'épaules avant de tourner le dos pour se reconcentrer sur sa tâche. Elle se retrouva face à l'imposant cuisiner qui la jugeait d'un œil dubitatif.

- Tu sais cuisiner ? Interrogea-t-il finalement.

- Oui, je me débrouille plutôt bien. En tout cas tout le monde aime ma cuisine à la maison.

- Hmph, souffla-t-il, clairement dubitatif. Ça, c'est moi qui vais en juger.

Il tourna la tête vers Thorin qui était assis un peu plus loin et avait suivi l'échange. Ce n'était pas les compétences de la jeune femme qui inquiétait réellement Bombur, car dans le pire des cas, il pourrait toujours la mettre à la corvée d'épluchures. Seul quelqu'un à qui il manquerait les bras pourrait trouver le moyen de faire ce genre de tâche ingrate de travers. Non, ce qui le faisait réfléchir à deux fois avant de donner sa réponse était plutôt le fait de la laisser participer alors que sa présence était mal vue par la plupart des membres de la compagnie. Il ne voulait risquer d'aller à l'encontre des ordres de Thorin, ce qui était compréhensible.

Ce dernier avait le regard porté sur les plaines qui s'étendaient au loin, et bien qu'il ne donnât aucun signe d'acquiescement, il ne fit rien qui puisse montrer un quelconque désaccord.

Bifur, qui approchait avec une marmite remplie d'eau, fut le premier à donner son avis bien qu'elle ne comprît pas un seul mot du Khuzdul qu'il employait. Remarquant son incompréhension, Bofur servit d'interprète.

- Il dit que puisque vous vivez avec nous et partagez nos vivres, autant que vous vous rendiez utile. Il n'a pas tort, ajouta-t-il en hochant la tête.

- Bon, alors c'est d'accord. Mais pour l'instant tu te contenteras de faire c'que je te dis. Je ne prendrai pas le risque de gâcher nos rations, on plaisante pas avec ces choses-là, prévint le cuisinier, on ne peut plus sérieux.

Elle se mit très vite à la tâche sous les ordres de Bombur qui se révéla aussi patient qu'intransigeant. S'il y avait une chose que le nain ne prenait pas à la légère c'était bien la nourriture, et si sa silhouette bien ronde n'était pas preuve suffisante, Eryn le comprit très vite d'elle-même. Elle fit de son mieux pour répondre à ses exigences. Jamais elle ne s'était autant appliquée à découper oignons, carottes et champignons. À chaque étape de la recette, Bombur vérifiait d'un œil critique le travail de la jeune femme et le validait d'un hochement de tête. Lorsque le dîner fut fin prêt, les nains ne tardèrent pas à faire la queue devant le cuisinier et son commis qui leur servirent à tous une portion bien remplie de ragoût.

- Tiens, porte donc ça à Thorin et Ori là-bas, dit Bombur en désignant d'un mouvement de tête les deux nains qui, trop concentrés sur leur tâche, n'étaient pas venus chercher leur repas en même temps que les autres.

Il lui déposa quatre bols remplis dans les bras sans ménagement. À la mine confuse d'Eryn, il ajouta :

- Pour toi et le magicien.

Eryn se dirigea maladroitement vers Thorin qui était assis un peu plus loin. Il était penché sur son épée dont il affûtait la lame, le visage neutre et décontracté. Avec ses sourcils bas et sa barbe noire et épaisse, ses traits prononcés, il était aussi beau qu'intimidant. Il avait cet air sérieux et noble qui le suivait partout et il semblait être incapable de faire quoi que ce soit sans la grâce d'un roi.

C'était non sans difficulté et une pointe d'anxiété que la jeune femme approcha le nain. Lorsqu'elle se trouva à quelques pas de lui et qu'il remarqua sa présence, il releva brièvement les yeux vers elle avant de les reporter sur son arme. Il portait son expression habituelle, neutre et fermée, mais cette fois-ci dénuée de tout le dédain dont il avait pu faire preuve jusqu'ici. Cela suffit à légèrement calmer les nerfs d'Eryn qui s'attendait plutôt à de l'hostilité après la scène dans la forêt.

Timidement, elle tendit tant bien que mal l'un des bols tout en essayant de ne pas renverser les trois autres qu'elle tenait en équilibre.

- Tenez, dit-elle d'une petite voix, anticipant la réaction du nain qu'elle venait d'interrompre dans sa tâche.

Thorin déposa délicatement son épée contre la pierre sur laquelle il était assis et prit le bol en prenant soin d'éviter d'effleurer les doigts de la jeune femme. S'ensuivit un silence embarrassant durant lequel elle resta debout, se demandant si elle devrait faire demi-tour ou s'il serait impoli de partir sans un dernier mot. Elle prit son courage à deux mains et dit la première chose qui lui passa par la tête.

- Bilbon a trouvé des champignons et quelques carottes sauvages, ça changera des pommes de terre qu'on mange à tous les repas, fit-elle avec un rire gêné.

Thorin haussa un sourcil, ne s'attendant visiblement pas à ce qu'elle tente de faire la conversation. Sans un mot, il porta une cuillère remplie à sa bouche et Eryn qui scrutait son visage ne put s'empêcher de remarquer les quelques gouttes du bouillon qui se perdirent dans sa barbe. Il releva les yeux vers elle et d'un geste court inclina le bol dans sa direction.

- C'est bon, dit-il d'une voix grave accompagnée d'un hochement de tête en guise de remerciement.

À cela, Eryn fut incapable de retenir le sourire soulagé qui éclaira son visage. Il s'agissait de leur première conversation, aussi courte fut-elle, qui soit restée courtoise et presque agréable depuis leur rencontre. C'était un premier pas dans la bonne direction.

Elle décida de ne pas pousser sa chance et de ne pas risquer d'ennuyer Thorin en restant plus longtemps et tourna les talons, ravie de leur interaction.

Elle se dirigea ensuite vers Ori qui, trop occupé à gribouiller dans son carnet, n'avait pas encore eu son dîner et à qui elle tendit un bol.

Elle garda les deux dernières rations pour elle et Gandalf dont elle avait noté la présence un peu à l'écart du reste de la compagnie. Il était installé confortablement contre un arbre sur une butte qui surplombait le campement et tirait sur sa pipe tout en parcourant le paysage du regard. Il inclina la tête dans sa direction lorsqu'il la vit approcher et tapota la place à côté de lui.

- Venez donc me tenir compagnie, ma chère. Et merci pour votre aide dans la préparation du repas, je suis sûre qu'elle a été appréciée, ajouta-t-il d'une voix bienveillante.

Eryn, qui s'installait, elle aussi, contre l'arbre, n'avait pas perdu son sourire depuis sa conversation avec Thorin. Gandalf nota avec joie et soulagement le changement chez la jeune femme qui semblait avoir du mal à prendre ses marques depuis son arrivée.

- Vous avez l'air de bien bonne humeur, remarqua-t-il avec amusement.

Sentant ses joues rosir en réalisant la raison derrière sa gaieté, Eryn s'empressa de baisser la tête et d'entamer son dîner. Elle ne comprenait pas pourquoi une chose aussi simple avait pu lui remonter autant le moral, d'autant que le nain n'avait pas été particulièrement chaleureux. Mais après plusieurs jours à subir une hostilité pesante de sa part et de celle d'autres membres de la compagnie ce n'était finalement pas si étonnant et elle accueillait cette évolution à bras ouverts.

Pour une raison qu'elle ignorait, Thorin semblait s'être adouci depuis l'incident de la veille. Évidemment, il ne l'avait toujours pas quittée des yeux de la journée mais son regard semblait moins dur, moins sévère. Peut-être que cet épisode dont elle se serait pourtant bien passée n'avait pas été totalement inutile, peut-être s'était-il rendu compte que Eryn ne s'enfuirait pas même si elle en avait eu l'occasion. Elle ne pouvait qu'espérer que ce soit le cas.

Lorsqu'elle eut fini les dernières gouttes de son bouillon, elle raconta l'interaction au magicien qui la regardait encore avec amusement.

- J'ai peut-être glissé quelques mots en votre faveur auprès de Thorin, avoua-t-il avec une lueur espiègle dans les yeux après avoir écouté son récit. Il reste très contrarié par votre présence, mais il devrait être un peu plus indulgent à votre égard.

- J'imagine que c'est vous que je dois remercier alors, sourit la jeune femme. Je n'avais pas réalisé à quel point son attitude me pesait sur la conscience. Ça fait du bien d'être traitée à peu près normalement.

- Je n'en doute pas, répondit Gandalf.

S'ensuivit un silence confortable, accentué de temps à autre de quelques remarques générales sur leur voyage.

Eryn finit sa soirée assise sur son sac de couchage aux côtés de Bilbon, tous deux enveloppés dans leur couverture. Après deux jours durant lesquels elle n'avait eu que peu d'occasions de discuter avec lui, elle était ravie de partager un peu de temps avec le Hobbit. Elle avait la sensation d'enfin prendre les choses en mains et de commencer à se faire une place au sein de la compagnie. Cette idée lui réchauffait le cœur, et blottie près de Bilbon, elle passa la meilleure nuit depuis son arrivée.