Concernant cette histoire :
Je risque de ne pas pouvoir atteindre l'objectif que je m'étais fixé au niveau des mises à jour. Je pensais poster un nouveau chapitre chaque semaine mais je viens de trouver du travail (youpi !) alors j'aurais beaucoup moins de temps pour écrire.
C'est la première fanfiction que j'écris, au final c'est donc assez expérimental. Le style d'écriture risque d'évoluer au fil des chapitres car je ne suis pas encore sûre de ce qui me correspond le mieux. Évidemment, je ferai toujours de mon mieux pour que l'histoire soit agréable à lire, mais ça reste un peu un essai pour moi donc soyez indulgents !
Chapitre 5
À mesure que les jours passaient, Eryn s'habituait peu à peu à la présence et au caractère de ses compagnons de voyage. Elle hésitait nettement moins à s'adresser à eux et le faisait avec beaucoup plus d'assurance. Bien qu'elle les trouve toujours particulièrement intimidants (certains plus que d'autres), elle avait le sentiment d'apprendre peu à peu à les approcher et appréhender leurs caractères.
Fili et Kili, par exemple, échangeaient régulièrement quelques mots avec la jeune femme. Ils acceptaient toujours avec plaisir lorsqu'elle leur proposait son aide avec les poneys. Bien que le plus âgé, qui avait un air plus sérieux que son frère, n'engageât jamais de lui-même la conversation, il était toujours très aimable et lui montrait patiemment comment s'y prendre avec les animaux. Quant à Bofur, elle n'avait jamais eu l'occasion de discuter très longtemps avec lui mais il ne manquait jamais de bonne humeur et elle était très communicative. Il avait une blague pour toutes les occasions qui faisait rire Eryn à tous les coups. Parmi les nains les plus âgés, Balin était sans aucun doute le plus avenant. Il était le seul qui, au lieu de l'hostilité ou de l'indifférence habituelles, lui réservait des sourires bienveillants et sa gentillesse était grandement appréciée. En somme, elle se sentait considérablement plus à l'aise au sein de la compagnie.
Il n'avait pas fallu grand-chose, seulement quelques interactions simples : un échange de politesse, une ou deux discussions sur le beau temps. Cela avait suffi à redonner du baume au cœur de la jeune femme. C'était tout ce dont elle avait besoin.
- Allons, en avant ! Lança Thorin qui se lançait sur sa monture en tête de file.
Eryn finit d'attacher son sac sur le dos du poney de Bilbon dont la charge était la plus légère et pouvait donc supporter un poids de plus. Ce dernier avait un pied dans l'étrier et avec quelques petits sauts sur place, il prit son élan afin d'enfourcher l'animal. Le Hobbit se hissa en l'air avec toute la force qu'il put rassembler dans ses bras et se pencha en avant. À l'aveuglette, il tenta de passer sa jambe droite par-dessus la croupe du poney. La pauvre bête, qui se prit plusieurs coups de pied dans l'arrière-train, secoua la tête et souffla avec mécontentement. Lorsqu'il prit quelques pas en avant, Bilbon perdit l'équilibre et manqua de finir par terre.
Eryn étouffa tant bien que mal un rire face à la scène. Il ne s'était toujours pas familiarisé avec son poney et il ne s'était pas encore passé un seul jour sans qu'il ne finisse les fesses sur le sol. La jeune femme contourna l'animal en gardant une main sur sa croupe et rejoignit le Hobbit afin de l'assister.
- Tout va bien, Bilbon ? Est-ce que vous voulez un coup de main ?
Il tenta de se retourner lorsqu'il entendit la voix derrière lui mais son pied s'emmêla dans l'étrier et il dut au dernier moment agripper la crinière du poney pour ne pas basculer en arrière. Cette fois-ci, Erin ne put contenir son éclat de rire.
- E- Eh bien, ce ne serait pas de refus, bredouilla le petit homme avec embarras, dégageant maladroitement son pied encore coincé en l'air.
- Je pense que ce serait plus facile si la selle était un peu mieux serrée, rit-elle en la voyant se balancer de droite à gauche lorsqu'elle testa sa stabilité. Beaucoup de chevaux gonflent le ventre quand on attache la sangle. Il faut vérifier qu'elle est bien serrée avant d'essayer de grimper sinon vous allez finir par terre à tous les coups, expliqua-t-elle tout en arrangeant la selle. Voilà, ça devrait être déjà plus facile comme ça.
- Je tâcherai de m'en souvenir à l'avenir, grommela Bilbon.
Eryn alla se placer dos contre l'épaule du poney et s'accroupit, tendant ses deux mains vers le Hobbit.
- Donnez-moi votre pied et tenez bien la selle, je vais vous hisser sur son dos.
Il aurait été plus simple de porter le petit homme en l'attrapant par-dessous les aisselles et de le déposer sur l'animal mais il n'aurait sans doute pas apprécié de se faire manier de la sorte, comme un enfant. Ses joues toutes rouges montraient qu'il était déjà bien assez embarrassé sans avoir à en rajouter une couche. Les nains (Fili, Kili et Bofur en particulier) l'avaient plus d'une fois empoigné sans ménagement. Au bout de la cinq ou sixième, il avait perdu patience et leur avait remonté les bretelles comme jamais.
La jeune femme compta jusqu'à trois et donna suffisamment d'élan à Bilbon pour qu'enfin il réussisse à enfourcher sa monture. Immédiatement, il agrippa les reines et crispa ses doigts autour.
- Détendez-vous Bilbon, si vous faites confiance à votre poney et que vous le laissez avancer vous serez beaucoup plus à l'aise.
- Hmph, souffla-t-il, à mon avis, nous aurions mieux fait de voyager à pied. S'il y a bien une chose qu'un Hobbit peut faire mieux que personne, c'est marcher.
- Je peux comprendre. Personnellement, je préfère largement être à cheval toute la journée quitte à avoir des courbatures le reste du temps. Je serais incapable de marcher dix heures pas jour, mes jambes ne tiendraient jamais le coup, fit Eryn en secouant la tête.
- J'imagine que c'est une des différences entre Hommes et Hobbits. Vos longues jambes et petits pieds sont bien plus efficaces pour la course.
- Oui, sans doute, mais je suis loin d'être un bon exemple pour le reste des humains. La plupart des gens sont beaucoup plus endurants que moi, croiyez-moi, avoua-t-elle en riant les mains sur les hanches.
Leur discussion fut très vite interrompue par Gandalf qui, déjà à cheval, approchait depuis l'avant de la file. Les deux jeunes gens, trop occupés par leur conversation, n'avaient pas réalisé que le reste de la compagnie s'était éloigné et les avait laissés derrière. Tandis qu'Eryn prenait quelques pas en direction du magicien, une voix grave et pleine d'irritation gronda : "Gandalf !".
- Ne tardons pas trop, il semblerait que notre cher Thorin s'impatiente, souligna le magicien en arrêtant son cheval près de la jeune femme.
Celle-ci leva les bras vers Gandalf qui l'aida à grimper sur la selle, face à lui. Il aurait sans doute été plus logique de monter par elle-même à l'arrière mais il était si grand qu'elle ne pourrait rien voir du paysage, et elle n'avait aucune envie de passer des heures entières à fixer le dos de sa robe. Elle avait donc pris l'habitude de se laisser hisser par Gandalf qui, contrairement à ce que son apparence de vieil homme laissait penser, avait une force incroyable et la soulevait du sol comme si elle ne pesait rien.
Une fois confortablement installée contre son dossier préféré, Eryn et Gandalf s'élancèrent au trot derrière la compagnie. Le poney de Bilbon suivit au même rythme, ce qui ne plut pas du tout au Hobbit qui avec un cri surpris, s'agrippa aux reines de toutes ses forces.
- Ah, vous voilà ! S'écria Bofur lorsqu'il vit Eryn, Gandalf et Bilbon approcher le bout de la file. On se demandait si vous aviez changé d'avis et étiez retournés dans votre trou. Enfin, je n'ai personnellement pas douté de vous un seul instant, contrairement à d'autres, précisa-t-il rapidement.
- N'écoutez pas ce beau parleur m'sieur Bilbon, il était le premier à parier qu'on ne vous reverrait pas, ajouta Fili qui chevauchait juste devant le nain au drôle de chapeau et qui ne comptait pas le laisser s'en sortir avec des mensonges.
- Eh bien je suis désolé que vous ayez une si piètre opinion de moi ! J'avoue être très attaché à la Comté, mais je compte bien rester parmi vous jusqu'à la fin de cette quête. J'ai signé un contrat, et les Sacquet n'ont qu'une parole, fit-il en passant, remontant la file toujours au trot.
Eryn n'était pas sûre qu'il sache comment ralentir sa monture qui avait tendance à n'en faire qu'à sa tête, mais il fut sauvé lorsque Nori attrapa la bride et le força à s'arrêter.
- Évidemment, m'sieur Sacquet, je n'aurais jamais osé affirmer le contraire, lança en riant Bofur au Hobbit qui s'était déjà éloigné. Je vois que vous aussi n'avez pas profité de l'occasion pour filer. Vous faites une bien triste espionne, si vous voulez mon avis, fit-il à Eryn avec un clin d'œil.
- Ce n'est pas étonnant, puisque je ne suis pas une espionne, se défendit Eryn qui en avait assez d'entendre les nains répéter la même chose depuis leur départ, même si ce n'était qu'une autre des plaisanteries de Bofur. Quand allaient-ils enfin accepter de l'écouter ? Cet entêtement devenait ridicule.
- Pas vrai, Gandalf ? Ajouta-t-elle pour soutenir ses propos.
- Naturellement, acquiesça-t-il, pipe à la bouche comme à son habitude.
- Je ne vois pas pourquoi tout le monde à l'air de penser le contraire. Ce n'est pas comme si je vous avais donné une raison de douter de moi jusqu'ici.
- Eh bien, même si je dois avouer que la façon dont vous avez débarqué chez notre cher cambrioleur était plus que suspecte, plus personne ne vous prend vraiment pour une espionne ou un assassin. Si certains dans la compagnie sont aussi suspicieux c'est seulement parce que vous êtes un peu trop mystérieuse à leur goût, avoua Bofur plus sérieusement.
- Et vous, vous en pensez quoi ?
- Moi ? J'ai appris à faire confiance à mon instinct, et à rester optimiste. Malheureusement tout le monde n'a pas eu l'occasion d'évoluer dans ce sens-là.
- Thorin ? Demanda Eryn, présentant le sens que prenait la discussion.
- Entre autres. Ce n'est pas à moi de raconter ce genre de chose, mais si la plupart d'entre nous ont eu leur dose de tragédies, certains ont morflé plus que d'autres. Pour sûr, ça vous change, ces choses-là, dit-il en secouant tristement la tête.
Eryn voyait très bien ce à quoi le nain faisait allusion. Elle se souvenait en détail de ce que Thorin, Dwalin, Balin et bien d'autres de leurs compagnons avaient traversé. Le fait qu'il ne s'agisse pas que d'une histoire, que tout soit réel, donnait une dimension nettement plus épouvantable à ces tragédies. Ils avaient perdu leur montagne, leur maison, brûlée par le feu du dragon, puis de multiples batailles avaient décimé des familles entières, et celle de Thorin n'y avait pas échappé. Il avait perdu son grand-père et roi, son père et son frère en l'espace de quelques années. Alors évidemment, ils en étaient sortis blessés, avec des séquelles autant dans leur corps que dans leur esprit. Elle ne pouvait imaginer vivre la même chose et s'en tirer indemne.
Cette réalisation remettait les choses en perspective. Le traitement froid et sec de certains, notamment Thorin et Dwalin, lui paraissait soudainement bien moins insupportable qu'il ne l'avait été ne serait-ce qu'un jour plus tôt. Ils avaient traversé des moments terribles et s'étaient battus pour en ressortir vivant, et ils avaient réussi. Au final, rien n'était plus important, et Eryn avait l'intention de s'en souvenir la prochaine fois qu'elle serait la cible de leurs soupçons. Ils avaient toutes les raisons du monde de se méfier des inconnus, car dans un monde aussi cruel et plein de dangers, cela pouvait faire la différence entre la vie et la mort.
Retournée par les pensées qui lui traversaient l'esprit, Eryn continua son chemin au milieu de la file sans un mot. Elle remarqua quelques regards de la part des nains qu'elle croisa. Ils avaient entendu sa conversation avec Bofur et semblaient perdus dans leurs pensées, chacun ressassant ses propres mauvais souvenirs.
Bientôt, des nuages gris remplacèrent le magnifique soleil qui les avait suivis depuis leur départ, comme reflétant l'atmosphère maussade qui était tombée sur la compagnie. Les premières gouttes d'eau ne tardèrent pas à arriver et en l'espace de quelques minutes à peine se transformèrent en un mur de pluie qui s'abattait sur les épaules des voyageurs.
- M. Gandalf, vous ne pouvez rien contre ce déluge ? Se plaignit Dori, d'une constitution particulièrement délicate comparé au reste des nains.
- Il pleut, maître nain, et il pleuvra jusqu'à ce que la pluie cesse. Mais à mon avis, cela ne devrait pas prendre plus d'une journée.
Leurs capes et manteaux ne suffirent pas à les protéger de l'humidité et ils finirent très rapidement trempés jusqu'à l'os. Mais Eryn, avec pour seule protection sa fine chemise de lin, se portait plus mal encore. Ses longs cheveux, qu'elle portait détachés par habitude, buvaient la pluie qui dégoulinait dans son dos. Ses vêtements lui collaient désagréablement à la peau et même ses chaussettes étaient mouillées car les bottes usées et trouées de Nori avaient perdu leur imperméabilité depuis bien longtemps.
Gandalf remarqua très vite les tremblements de la jeune femme qui encerclait son corps de ses bras dans l'espoir d'échapper au froid.
- Venez ma chère, rapprochez-vous, dit-il en passant un bras autour de ses épaules.
Le magicien ouvrit sa longue cape grise et l'enveloppa autour d'Eryn tout en la serrant contre lui. Son grand chapeau pointu, bien que moins efficace qu'un parapluie, suffisait néanmoins à la protéger du déluge.
- Voilà, c'est beaucoup mieux ainsi, n'est-ce pas ?
- Oui, merci Gandalf, murmura-t-elle en claquant des dents.
Grâce à cette proximité et à la chaleur que dégageait le magicien, la jeune femme ne tarda pas à se réchauffer. Avec le silence qui régnait au sein de la compagnie et le clapotement étrangement relaxant de la pluie, Eryn profita du trajet pour fermer les yeux et se reposer, au chaud, emmitouflée dans les robes du magicien.
L'eau continua à tomber en trombes jusqu'à la fin de la journée, comme avait prédit Gandalf. Thorin avait choisi de continuer leur chemin tant que le temps ne s'éclaircissait pas car il ne voyait aucun intérêt à installer leur campement dans ces conditions. Alors quand les premiers rayons du soleil bas firent leur apparition entre les nuages, tous les membres de la compagnie partagèrent un même soupire de soulagement. Eryn et Bilbon en particulier car ils étaient les moins accoutumés aux aléas du voyage.
Ils cherchèrent un coin non loin du chemin, là où l'herbe poussait moins haut et où la terre était moins imbibée, ce qui s'avéra être une tâche particulièrement ardue tant il avait plu. Néanmoins, ils finirent par mettre pied à terre et chacun s'activa dans ses tâches habituelles.
Gandalf serra l'épaule d'Eryn dont les yeux étaient toujours fermés. Elle n'avait pas réussi à s'endormir totalement mais avait tout de même pu bénéficier d'un repos bien mérité. Aidée du magicien, elle descendit du cheval et chercha du regard le poney de Bilbon sur lequel son sac était attaché.
Kili, qui non loin de là s'apprêtait lui aussi à délivrer l'animal de sa charge, poussa un grognement agacé lorsque les restes du déluge éclaboussèrent ses pieds.
- Les sacs sont pleins de flotte ! S'écria-t-il.
- Mes bottes aussi, j'ai l'impression de patauger dans une mare à chaque pas, grommela Gloin qui s'éloignait avec une démarche de pingouin.
- J'avoue que quand j'espérais pouvoir bientôt me laver, j'avais plutôt imaginé un bain chaud, affirma à son tour Eryn.
- Faites attention à ce que vous souhaitez, comme on dit, rit Bofur qui comme à son habitude, n'avait pas perdu sa bonne humeur.
Thorin, toujours aussi sérieux, en eut assez d'entendre ses compagnons se plaindre.
- Ce n'est que de l'eau. J'aurais pensé qu'il en faudrait plus pour abattre une compagnie qui compte affronter un dragon.
Ce n'était peut-être pas l'effet désiré, mais Eryn fut impressionné de constater que les nains cessèrent immédiatement leurs jérémiades, comme indignés par une telle affirmation. Elle ravala donc son mécontentement et se mit au travail, comme tout le monde.
Après avoir détaché ses affaires et les avoir déposées comme à son habitude près de celles de Bilbon, elle apporta le sac de provisions à Bombur qui déballait les ustensiles de cuisine.
- Tien, donne-moi ça. Voyons dans quel état sont nos vivres, dit-il en empoignant le sac.
Il le fouilla quelques secondes et en sortit un paquet qu'il s'empressa d'ouvrir. À l'intérieur se trouvait une miche de pain entière qui, lorsque le nain la retira de son emballage, se mit à goutter abondamment tant elle était imbibée.
- Le pain est trempé ! Pesta-t-il avec un juron. Impossible de le laisser comme ça, il va moisir.
- Y'aurait pas moyen d'en faire quelque chose ? Du pain mouillé pour le dîner, ça fait pas franchement rêver, fit remarquer Bofur qui s'occupait du feu à quelques pas de là.
- On a qu'à en faire un ragoût, proposa alors Eryn. Peut-être qu'en rajoutant le jambon et le reste de fromage, ça ne sera pas trop mauvais.
- Mmh… Pourquoi pas. Avec un peu de thym et de coriandre, ça améliorera le goût. Faisons ça. Occupe-toi de couper les ingrédients pendant que je prépare la marmite.
La jeune femme se mit immédiatement au travail. Ils préparèrent une sorte de fourre-tout dans lequel ils jetèrent tous les aliments qui n'avaient pas résisté au mauvais temps, c'est-à-dire la grande majorité. C'était de loin le moins bon repas qu'ils avaient mangé jusqu'ici, mais c'était tout ce qu'ils avaient pu faire avec de tels ingrédients. La seule chose qui comptait pour la compagnie qui avait voyagé toute la journée dans le froid et le vent, c'était que ce dîner avait l'avantage d'être chaud. Que demander de plus ?
Après avoir dégusté un repas qui, bien que laissant à désirer au niveau du goût, avait rempli les estomacs vides de la compagnie, les nains s'installèrent chacun sur leurs sacs de couchage et vaquèrent à leurs occupations habituelles. Eryn était assise près de Bilbon, comme à son habitude. Non loin se trouvaient Ori et Dori, qui suivait son petit frère comme une maman poule.
Eryn avait surpris plus d'une fois le jeune nain alors qu'il l'observait discrètement. À chaque fois, il rougissait et détournait vite le regard, embarrassé d'avoir été repéré. Il était seulement intrigué par la jeune femme. Ayant vécu toute sa vie à l'abri dans les Montagnes Bleues, il n'avait jamais eu l'occasion de fréquenter la race humaine. Il mourrait d'envie de discuter avec Eryn mais ne parvenait pas à échapper à l'attention de son frère qui l'en avait fermement défendu. Alors, chaque soir, il prenait soin de rapprocher son sac de couchage de celui de la jeune femme, l'air de rien. Cela n'avait pas échappé à Eryn contrairement à Dori. Elle trouvait le comportement du jeune nain absolument adorable. Cette fois-ci, Ori s'était installé quelques mètres plus loin, juste à portée de voix. Il écoutait avec intérêt la discussion qu'elle partageait avec Bilbon.
Ce dernier s'était lancé avec passion dans une longue présentation de sa terre natale, la Comté. Les yeux pétillants, il décrivait en détail les paysages magnifiques qu'il avait eu le bonheur d'admirer, ainsi que la vie paisible qu'il avait vécu dans ce coin tranquille et isolé du reste du monde. La jeune femme était ravie d'écouter ses récits. Les histoires n'avaient pas menti : il n'y avait pas meilleur conteur que Bilbon, et elle avait la chance de pouvoir le constater d'elle-même.
- Et vous, Eryn ? Demanda le Hobbit lorsqu'il eut fini de raconter une énième de ses mésaventures avec les Sacquet de Besace. Je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer que vous n'avez pas vraiment évoqué d'où vous venez, et je dois avouer que je suis plutôt curieux… Mais vous n'êtes pas obligée d'en parler si vous ne voulez pas, évidemment ! S'empressa-t-il d'ajouter.
Cela refroidit nettement Eryn qui, depuis son arrivée en Terre du Milieu, avait pris soin d'éviter de trop penser à sa famille qui était restée de l'autre côté de cette dimension.
- Ce n'est pas que je ne veux pas en parler, c'est juste que c'est assez compliqué. Plus j'y pense, et plus je réalise qu'il y a des chances pour que je ne puisse jamais y retourner.
- En êtes-vous certaine ? Demanda-t-il. Lorsqu'elle hocha tristement la tête, il reprit : Eh bien, nos situations sont sans doute différentes, mais je sais à quel point il est difficile d'être loin de chez soi. Eru sait comme j'aurais souhaité pouvoir emporter dans mon sac mon jardin, et le banc sur lequel je fumais ma pipe tous les matins, et les livres et les cartes qui me fascinaient et que je passais des heures à étudier jusqu'à presque en oublier de manger. Parfois, en parler suffit à soulager le mal du pays.
Après quelques secondes d'hésitation, la jeune femme finit par céder. Il n'avait pas tout à fait tort, au fond. Lui aussi était parti pour une aventure qui l'emmènerait à des kilomètres de sa maison et dans laquelle il frôlerait la mort, même s'il n'en avait pas encore conscience. Elle allait seulement devoir faire attention à ce qu'elle dirait pour ne pas prendre le risque de dévoiler plus qu'elle n'en avait l'intention.
- Vous avez sans doute raison, soupira-t-elle. Je suis sûre que ça ne me fera pas de mal, en tout cas. Alors, par où commencer...
- Votre famille, peut-être ? Avez-vous des frères et sœurs ? S'intéressa Bilbon tout en allumant sa pipe, se préparant à son tour à écouter les récits de la jeune femme.
- Oui, j'ai une petite sœur, Emilie. On a sept ans d'écart, expliqua-t-elle. On a toujours eu du mal à s'entendre pour être honnête, sans doute à cause de notre différence d'âge. Si vous aviez vu nos disputes, on a fini plus d'une fois par se mordre et se tirer les cheveux comme des sauvages, nos parents n'en pouvaient plus, rit-elle.
- Croyez-le ou non, je n'ai aucun mal à l'imaginer. Mes cousins et moi-même n'étions pas si différents. J'ai parfois du mal à croire que le respectable Hobbit que je suis devenu ait pu être aussi turbulent dans sa jeunesse. Mais me voilà parti pour une aventure en compagnie d'une bande de nains et d'un magicien, alors je n'ai pas dû perdre ce trait de caractère, sourit Bilbon tout en secouant la tête, pipe à la bouche. Qu'en est-il de vos parents ? Reprit-il entre deux bouffées.
- On a toujours été plutôt proches. J'imagine que j'ai eu le genre d'enfance dont tout le monde rêverait, au fond. Une famille aimante, quelques amis, et je n'ai jamais manqué de rien. Même s'ils se sont séparés il y a quelques années, mes parents m'ont toujours soutenu dans mes projets. J'ai eu beaucoup de mal à trouver ma voie après la fac-
- La fac ? Qu'est-ce que c'est ? Interrompit avec curiosité Ori qui écoutait leur conversation.
Eryn leva un regard amusé dans sa direction. Dori, lorsqu'il réalisa à qui son jeune frère s'était adressé, lui asséna un petit coup de coude dans les côtes et secoua sévèrement la tête. Le nain, gêné, baissa les yeux sur ses doigts qui jouaient avec la laine de son écharpe. Attendrie par la timidité du scribe, Eryn répondit gentiment :
- C'est… Un genre d'endroit où l'on apprend un métier, en gros, expliqua-t-elle avec embarras.
La jeune femme déglutit en réalisant son erreur. Évidemment, les universités n'existaient pas en Terre du Milieu. Lorsque Ori, toujours assoiffé de connaissances, ouvrit la bouche et s'apprêta à en demander plus, elle reprit rapidement, afin d'éviter ses questions.
- Bref, j'ai eu du mal à savoir ce que je voulais faire de ma vie. Mais quand j'ai décidé de laisser tomber mes études de lettres pour faire un apprentissage dans une boulangerie, ils n'ont pas essayé une seconde de m'arrêter.
- Des études de lettres ? Alors vous êtes une érudite, comme Maître Balin ! S'émerveilla le jeune nain qui la regardait soudainement avec encore plus d'intérêt, si c'était possible.
- Eh bien, je n'ai pas étudié très longtemps mais c'est un sujet qui m'a toujours passionné.
- Et donc, vous avez choisi la cuisine ? Questionna Bilbon qui, comme tout bon Hobbit, prenait le sujet de la nourriture très sérieusement.
- Oui, ma grand-mère était cuisinière donc j'avais un peu ça dans le sang, d'une certaine façon. Et je pense que je ne m'en sors pas trop mal même si je ne suis encore qu'une apprentie.
- Vous n'avez certainement pas l'air d'une boulangère, et encore moins d'une érudite, fit Thorin, étonné d'apprendre quel genre de travail faisait la jeune femme. Il était assis non loin de là et avait suivi l'interaction.
Alors que le nain, simplement curieux d'enfin en apprendre plus sur la jeune femme, n'avait aucunement eu l'intention de l'offenser de quelque manière que ce soit, Eryn prit sa remarque pour une attaque. Peut-être était-ce seulement une habitude qu'elle avait prise ses derniers jours, mais elle s'attendait plutôt à des paroles acerbes de la part de Thorin qu'à une curiosité innocente. Ou peut-être était-ce la façon maladroite dont il avait formulé sa phrase. Quoi qu'il en soit, quand elle eut l'impression qu'il l'insultait à coups de sous-entendus, elle ne put retenir sa langue.
- Parce qu'espionne me va beaucoup mieux, selon vous ? Demanda Eryn d'un ton sec en haussant un sourcil.
En entendant la réponse agacée de la jeune femme, Thorin, pris de court, réagit de la seule façon qui lui venait naturellement : il se braqua. Il leva les yeux vers elle et la fixa d'un regard froid. Si elle cherchait le conflit où il n'y en avait pas, eh bien soit. Elle serait servie. Il ne manquait pas de reproches à son encontre de toute façon.
- Eh bien ça expliquerait la raison pour laquelle vous avez fait irruption chez Monsieurs Sacquet. À moins qu'elle ne soit tout autre, et que vous ayez décidé de nous la cacher pour une raison que l'on ignore ?
Lorsqu'elle ne donna pas signe de réponse, il reprit :
- Je vous écoute. Expliquez-nous donc pourquoi, de tous les endroits possibles, il a fallu que vous apparaissiez chez le semi-homme, et à ce moment en particulier ?
Cette fois-ci ce fut au tour de Thorin de hausser les sourcils, attendant une réponse qu'Eryn n'était visiblement pas prête à donner. Évidemment, il ne la prenait plus pour une espionne. Les soupçons qu'il avait pu avoir furent très vite effacés en observant la jeune femme. Cependant, il n'était pas stupide, il avait conscience qu'elle cachait des détails important sur sa présence ici. Au final, elle savait tout de leur quête, et ils ne savaient rien d'elle. Il y avait là un déséquilibre marqué en faveur de la jeune femme qu'il ne pouvait accepter, et auquel il comptait bien remédier.
- Eh bien ? Vous n'avez rien à dire ? Insista le nain alors que tout le reste de la compagnie s'était tu et suivait l'interaction.
- C'est à ma demande que Mademoiselle Beaumont retient ces informations. Elle vous révélera tout ce que vous devez savoir en temps voulu, mais en attendant je vous saurais gré de ne pas douter de mon jugement, interrompit fermement Gandalf avant que la discussion ne dégénère encore plus, évitant ainsi à Eryn de répondre par un mensonge.
S'ensuivit un échange de regards entre le nain et le vieil homme. Thorin, irrité par la démonstration d'autorité du magicien gris et le comportement de la jeune femme, le fixait avec des yeux durs et froids. Aucun des deux ne semblait prêt à céder.
Bilbon fut le seul qui osa briser l'affrontement silencieux qui avait pris place.
- Quoi qu'il en soit, reprit le Hobbit en s'éclaircissant maladroitement la gorge, c'était un plaisir de pouvoir parler de votre famille avec vous. Ils ont l'air de gens tout à fait formidables.
- Merci Bilbon, répondit la jeune femme avec un demi-sourire.
Eryn était ravie de pouvoir échanger avec le Hobbit de la sorte, mais l'intervention de Thorin avait laissé derrière elle un silence gênant. Chacun se remit timidement à parler, mais la jeune femme n'avait plus envie de participer à ces discussions.
D'un côté, elle comprenait la décision de Gandalf, qui ne souhaitait pas révéler la vérité avant d'être sûr de la véracité de ses théories et du danger que de telles connaissances pourraient engendrer. Après tout, qu'arriverait-il si elles finissaient entre de mauvaises mains ? Si des forces sombres apprenaient qu'il était possible de voyager d'un monde à l'autre, les conséquences pourraient être catastrophiques d'un point de vue universel.
Néanmoins, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'ils feraient mieux d'en parler à Thorin. Déjà parce qu'en tant que dirigeant au sein de la compagnie, il devrait pouvoir prendre une décision concernant Eryn en toute connaissance de cause. Mais il était en plus un des personnages principaux des histoires que la jeune femme avait lues et il méritait de savoir quel futur l'attendait. Elle savait que lui et ses neveux risquaient la mort à la fin de leur quête et cette connaissance était un fardeau bien trop lourd à porter à son goût.
D'autant plus que s'il apprenait la vérité, il la regarderait peut-être d'un œil plus favorable.
Et pourtant, elle allait devoir tenir sa langue pour le moment.
C'est en tordant ces idées dans tous les sens et en se demandant quelle serait la meilleure chose à faire qu'Eryn s'installa dans son sac de couchage, se cacha sous sa couette et essaya de s'endormir. Malheureusement, torturée par son esprit et le sol froid et humide qui lui gelait les os, elle prit un temps fou à s'endormir.
