CHAPITRE 1. Le plan d'Hermione

Son poing tambourinait férocement contre la porte - en vain : personne ne daignait lui ouvrir. Autant essayer d'appâter un chat avec des épluchures de citron.

Un soupir s'échappa de la gorge d'Hermione. Elle s'empara de sa baguette et la pointa sur la serrure.

-Alohomora !

Techniquement, ce qu'elle faisait était une violation de domicile, mais quel autre choix avait-elle ? Connor comptait sur elle ; elle ne pouvait pas se permettre de rentrer bredouille au Cabinet. Elle poussa la porte d'un geste sec.

-Harry ? C'est mo- AARGH ! PROTEGO !

Le bouclier magique se dressa juste à temps devant elle, déviant le jet lumineux qui l'avait accueillie. Elle exécuta un mouvement précis du poignet afin de s'entourer d'une aura protectrice. Ainsi caparaçonnée de lumière, elle s'avança dans le salon de son meilleur ami, fronçant le nez sous l'assaut d'une persistante odeur de renfermé. Cet endroit n'avait pas dû être aéré depuis la première Révolte des Gobelins.

-Harry ?

Au beau milieu du salon, le jeune homme la fixait d'un air ahuri. Des volutes de fumée s'élevaient de sa baguette, comme une bougie sur laquelle on venait de souffler. C'était lui qui l'avait attaquée. Hermione soupira de nouveau.

-Harry, c'est moi, Hermione…

Elle s'approcha doucement de lui, la main tendue, à la manière d'une dompteuse s'approchant d'un hippogriffe particulièrement féroce. Son ami ne bougea pas et la laissa promener délicatement les doigts sur son poignet, le forçant à pointer sa baguette ailleurs que sur son estomac.

Les yeux du jeune homme exprimaient un profond désarroi, mêlé de gêne.

-D-désolé Hermione, je ne voulais pas t'attaquer… tu as déclenché l'alarme e-et… j-j'ai cru que… enfin…

-Ce n'est rien, je comprends. Mais la prochaine fois, attends au moins de voir mon visage avant de m'attaquer, d'accord ?

Elle s'autorisa un léger sourire.

-Je n'aimerais pas être ton facteur.

-Je suis désolé…

-Je sais. Tu veux un thé ?

Bien qu'elle ne soit pas chez elle, elle n'hésita pas à s'engouffrer dans l'étroite cuisine attenante au salon. Il n'était pas difficile de se repérer dans l'appartement du jeune homme ; toutes les choses étaient à la place à laquelle on les attendait dans un logement de célibataire endurci.

Avisant une bouilloire électrique, elle éprouva un élan de tendresse en constatant que Harry ne lésinait pas sur la technologie moldue. Après que Ron ait manqué de mettre le feu à leur maison en essayant d'utiliser le grille-pain, elle-même avait renoncé à tout ce qui s'approchait, de près ou de loin, à de l'électroménager.

Elle ne tarda pas à mettre la main sur deux sachets de thé racornis. Alors que des notes de bergamote envahissaient la cuisine, elle se tourna vers Harry qui s'était laissé tomber sur un siège de la cuisine en affichant une mine sinistre, les coudes ramenés sur la table en formica.

-Tu devrais relâcher un peu la pression, conseilla-t-elle avec douceur.

Un sourire sarcastique se dessina sur le visage de son ami.

-C'est toi qui me dis ça ? Tu as l'air de ne pas avoir dormi depuis dix jours.

-Et toi, tu as l'air de ne pas avoir dormi depuis dix ans. On dirait que…

Elle hésita, se mordit nerveusement l'intérieur des joues, puis se jeta à l'eau.

-On dirait que tu as peur que des Mangemorts se cachent sous ton canapé. La guerre est terminée, Harry. Vraiment terminée. Tu peux te reposer, maintenant.

Elle avait l'impression qu'ils avaient déjà eu quinze fois cette conversation.

-Je me repose, répondit-il sèchement.

-Ce n'est pas ce que disent les draps roulés en boule sur ton canapé. Tu ne dors même pas dans ton lit…

Harry baissa les yeux en rougissant, pris en flagrant délit de paranoïa.

-Je… je préfère le canapé.

-Le lit est trop loin de la porte d'entrée ?

Voyant l'incompréhension se répandre sur les traits de son ami, Hermione précisa :

-Tu as peur que quelqu'un entre chez toi par effraction pendant la nuit ?

Il haussa les épaules.

-Il y a bien des gens qui entrent chez moi par effraction en plein milieu de la matinée.

Touché.

Hermione eut un léger rire et plongea les lèvres dans sa tasse. Durant quelques minutes, ils se contentèrent de siroter leur thé à la bergamote dans un silence apaisant. Les rayons de soleil qui s'engouffraient par l'unique fenêtre de la cuisine auréolaient leurs visages d'une lumière dorée, très douce. Hermione aurait aimé que la tranquillité de l'instant ne soit jamais brisée.

Harry reprit finalement la parole.

-Pourquoi es-tu venue ? Si c'est pour me parler de Ginny…

-Non, je ne suis pas là pour jouer les hiboux entre Ginny et toi. Même si elle aimerait bien que tu daignes répondre à ses…

-Pourquoi es-tu là, alors ?

Hermione s'interrompit, soudainement gagnée par la nervosité. Harry attendit la suite en fronçant les sourcils.

-J-je… tu sais que le Cabinet dans lequel je travaille a été créé pour organiser la défense juridique des Mangemorts.

Harry acquiesça, méfiant. Avant la guerre, il n'y avait pas d'avocats, dans le monde sorcier. Pour se défendre, chacun s'appuyait sur ses propres connaissances juridiques, mais celles-ci consistaient généralement en un gouffre profond. À l'approche du procès des anciens sbires de Voldemort, certains sorciers (plus consciencieux que la moyenne) avaient mis en exergue l'iniquité de la procédure actuelle, qui avait d'ailleurs conduit un innocent à être envoyé douze ans à Azkaban. Quelques membres du Magenmagot avaient donc remisé leurs robes de juges pour adopter celles d'avocats, estimant que tout le monde avait le droit à un procès équitable, y compris les pires raclures de chaudron que l'univers avait portés. Ils avaient embauché quelques jeunes sorciers diplômés pour les épauler, triés sur le volet, et Hermione en faisait partie. Connor Ross, son « mentor » - ainsi qu'elle le disait elle-même - lui avait promis une carrière brillante, à la hauteur de ses capacités intellectuelles, et elle comptait bien lui faire honneur.

-Parmi les Mangemorts que le Cabinet défend, nous avons la famille Malefoy. Leur procès est presque terminé. Il a été très long : nous avons dû revenir sur chaque chef d'accusation et il y en avait un sacré paquet. Ils ont été reconnus coupables pour la plupart d'entre eux. Et, euh… comment dire…

Elle chercha ses mots.

-Continue, l'encouragea Harry, piqué par la curiosité.

-Lucius Malefoy a été condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Narcissa Malefoy a écopé de deux ans. C'est très peu, au regard de tout ce qu'ils ont fait. La plupart des anciens Mangemorts ont été condamnés à perpétuité. Et Drago… Drago…

Hermione reprit son souffle, sous le regard perçant de Harry.

-… Drago pourrait bénéficier d'une semi-liberté. C'est un régime un peu hybride : il ne serait ni emprisonné, ni totalement libre. Il pourrait aller et venir librement dans le monde sorcier, mais il ne pourrait pas quitter le pays et devrait se rendre une fois par semaine au bureau des Aurors pour un entretien, pour vérifier qu'il se tient à carreau. Et il n'aurait pas le droit d'utiliser sa baguette. C'est un régime assez souple, réservé aux individus qui ne sont pas jugés dangereux, afin de favoriser leur réinsertion dans la société et de ne pas encombrer Azkaban.

Harry plissa les yeux.

-Il pourrait bénéficier de ce régime, répéta-t-il lentement.

-Le Magenmagot s'y est montré très favorable. Drago n'a que vingt ans et a été manipulé par sa famille. Il est ressorti de son procès qu'il nous a sauvé la vie, à toi, Ron et moi, sauvant par extension une bonne partie du monde sorcier. Le seul problème, c'est que, eh bien, pour bénéficier de cette peine, il lui faudrait une adresse fixe et sûre, d'où il ne pourrait pas s'enfuir. Et Drago n'en a plus. Le manoir Malefoy a été saisi par la justice, pour avoir été le QG de Voldemort - et de toute façon, je doute qu'il veuille y remettre les pieds.

-Il pourrait prendre une chambre au Chaudron Baveur, ou louer un studio quelconque…

-Non, ça ne marche pas comme ça. Il faudrait une adresse sûre et certaine, dont le loyer ne dépendrait pas uniquement de ses fonds qui ont été réduits à peau de chagrin, à laquelle on peut le joindre immédiatement, et de laquelle on soit certains qu'il ne s'échapperait pas. Alors, euh, nous avons eu une idée.

-Nous ?

-… Surtout moi, pour tout te dire. Je pensais qu'il pourrait être placé, euh… chez toi.

Les phalanges de Harry blanchirent contre sa tasse. Un bref instant, Hermione craignit qu'il ne la lui jette à la figure. Elle fut soulagée lorsqu'il la reposa.

Il y eut un nouveau silence, bien plus glacial que le précédent. Les rayons du soleil avaient disparu ; des nuages obscurcissaient désormais le ciel, déployant un halo grisâtre dans la cuisine de Harry.

-Et pourquoi viendrait-il chez moi ? s'enquit-il sèchement.

-Parce que… tu es Harry Potter. Si nous demandions à ce que Drago vive chez toi, les juges n'oseront pas refuser. Vivre sous ton toit, c'est la meilleure assurance que tout le monde puisse avoir. Je ne te demande pas de jouer les geôliers, seulement de lui ouvrir ta porte et de veiller à ce qu'il ne quitte pas le pays... Connor était très enthousiaste à cette idée. Obtenir un tel aménagement de peine pour l'un de nos clients serait une excellente publicité pour le Cabinet. Et pour moi, ajouta-t-elle après un instant de réflexion, non sans rougir légèrement.

Harry parut hésitant. Hermione vit une myriade d'émotions traverser ses prunelles vertes. Il s'était mis à serrer convulsivement sa baguette magique et des étincelles dorées s'en échappaient par saccades.

-Ecoute, je sais que ça paraît fou, mais… tu n'es pas souvent chez toi, et il a besoin d'un endroit où aller… il ne te dérangera pas, j'en suis sûre.

-Et où est-ce que je le mettrai ? Dans un placard ?

-Dans ta chambre.

-Pard-

-Au moins, ton lit servira à quelque chose.

Harry ouvrit la bouche dans un élan de protestation, mais aucun son ne s'en échappa.

Hermione enveloppa son ami d'un regard suppliant. Il était bien moins virulent que ce qu'elle avait imaginé, et elle avait la certitude qu'il s'en fallait de peu pour qu'il accepte. Elle le laissa tergiverser, reprenant quelques gorgées de thé. Celui-ci avait refroidi ; elle retint une grimace.

-Très bien, lâcha Harry.

Hermione redressa immédiatement le nez. Harry avait l'air grave.

-J'accepte d'y réfléchir. Mais avant, promets-moi seulement une chose.

-Tout ce que tu voudras, Harry.

-Promets-moi que tout cela est uniquement professionnel. Que c'est uniquement pour le Cabinet et pour ta carrière que tu me demandes ça. Que tu ne me mets pas Malefoy dans les pattes dans l'espoir de me changer, ou de le changer, ou je ne sais quelle idiotie de ce genre, car ça ne marchera pas.

Hermione prit une grande inspiration.

-Je te le promets.

Derrière sa tasse, son index et son majeur se croisèrent presque imperceptiblement.