CHAPITRE 2. La procédure

1er octobre, dix-sept heures cinquante-sept.

Pourquoi avait-il accepté de jouer les bons samaritains pour la personne qui avait empoisonné son existence du temps de Poudlard ?

Cinglé, il devait être cinglé. Au moins autant qu'Hermione.

Harry faisait les cents pas dans le salon de son petit appartement londonien, de plus en plus nerveux. Il était incapable de lâcher sa baguette ; celle-ci produisait des étincelles et des jets de fumée, extériorisant la tempête qui se déchaînait en lui.

Malefoy devait arriver aux alentours de dix-huit heures. « Dès que les formalités avec le Magenmagot seront réglées », avait assuré Hermione, le visage resplendissant. « Je suis si heureuse que tu aies accepté, Harry ! Merci, merci ! » Elle l'avait enlacé si étroitement qu'il avait senti ses côtes émettre des craquements douteux sous la pression. Lorsqu'elle l'avait relâché, il avait étouffé un soupir de soulagement.

Connor Ross s'était déplacé en personne pour le remercier d'avoir accepté d'accueillir sous son toit l'ancien Mangemort en semi-liberté. Harry, gêné, s'était contenté de bredouiller un vague « il n'y a pas de quoi… » que l'homme avait accueilli d'un sourire aimable. Le regard qu'Hermione avait alors posé sur l'avocat l'avais mis mal à l'aise. Un regard éperdu d'admiration, qu'elle réservait naguère à ce bonimenteur de Gilderoy Lockhart…

Il espérait que son imagination lui jouait des tours. Dans son univers fait de tornades et de tempêtes, le couple formé par Ron et Hermione était la seule ancre à laquelle il pouvait s'accrocher.

Dix-huit heures trois.

Ils étaient en retard. Harry en conçut une certaine irritation. Pour se calmer, il voulut se préparer un thé, mais il ne trouva aucun sachet. Hermione avait dû terminer les derniers, lors de sa précédente visite. Fichue Hermione.

BAM ! BAM !

Par réflexe, Harry fit volte-face et brandit sa baguette, prêt à jeter un Stupéfix à celui qui oserait passer le pas de sa porte. Il fallut plusieurs minutes à son coeur pour retrouver un rythme normal, et encore quelques minutes pour que son souffle cesse de se précipiter dans sa poitrine comme un centaure lancé au triple galop.

Hermione. C'est Hermione, avec Malefoy. Tout va bien, Harry.

Il ouvrit la porte d'un coup de baguette, chargé d'appréhension.

C'était bien son amie, les lèvres ourlées d'un ravissant sourire. Derrière elle, le regard méfiant derrière les mèches nacrées qui balayaient son visage, Malefoy se tenait en retrait, les bras croisés dans une posture ouvertement hostile. Harry éprouva une curieuse sensation au creux du ventre en se heurtant à cette vision et détourna bien vite les yeux sur le visage radieux d'Hermione.

-Bonsoir, Harry ! claironna-t-elle en se penchant pour déposer un baiser sur sa joue. Tout est réglé avec le Magenmagot ! Comme promis, je t'amène Drago !

-Un peu de respect, Granger. Je ne suis pas un hippogriffe galeux que tu as ramassé dans la rue.

La voix de Drago était encore plus froide que dans ses souvenirs. Par Merlin, cet homme était un iceberg déguisé en sorcier. Il ne lui manquait plus qu'un pic de glace à la place du nez.

-Oh, fit Hermione en rougissant. Désolée, je ne voulais pas dire les choses comme ça…

Malefoy ne répondit pas. Il se contenta de couler vers elle un regard empli de dégoût. Harry eut une folle envie de le stupéfixer et de le jeter par la fenêtre, mais Hermione lui fit discrètement signe de laisser tomber. Elle avait perdu son sourire et se débattait avec une liasse de parchemins qu'elle avait sorti de son sac.

-Entre. Entrez tout le deux, dit Harry en se décalant pour qu'ils puissent pénétrer dans son appartement. Installe-toi sur la table du salon, Hermione, ce sera plus simple.

Il cherchait désespérément à repousser le moment où Malefoy et lui seraient seul à seul.

Les joues cramoisies, Hermione finit par dénicher les papiers qu'elle cherchait - le bail sur lequel inscrire le nom de Drago et quelques paperasses ministérielles liées au régime de semi-liberté du jeune homme - et en discuta brièvement avec Harry. Pendant ce temps, leur « invité » observait les alentours en haussant un sourcil circonspect. A le voir, Harry avait l'impression qu'il venait de s'engouffrer dans la tanière d'un elfe de maison particulièrement répugnant. Il ne touchait à rien, les mains résolument enfoncées dans les poches de sa cape noire.

-… Sa baguette magique a été placée sous séquestre, il ne pourra la récupérer qu'à l'issue de sa période de semi-liberté, dans six mois, acheva Hermione. Il devra se présenter toutes les semaines au Ministère de la magie pour une audition d'une demi-heure avec un Auror. Connor pense qu'il devrait aussi venir au Cabinet dans les prochaines semaines, pour que nous puissions discuter un peu de sa situation. S'il a des questions, il peut toujours envoyer un hib…

-Tu sais, Granger, je suis dans la même pièce que toi. Si tu as quelque chose à me dire, dis-le moi directement, l'interrompit Malefoy d'un ton glacial.

-Désolée, c'est la procédure, répliqua Hermione avec douceur.

-« C'est la procédure », répéta Malefoy en adoptant une voix suraigüe, destinée à imiter celle d'Hermione. C'est ta nouvelle devise ? Tu vas me sortir ça à chaque fois que tu as envie que je me fasse voir chez les gnomes ?

A la plus grande stupéfaction de Harry, Hermione eut un petit rire qui trouva un écho dans un pâle rictus de Malefoy. Un signe de complicité ?

A la réflexion, ce n'était pas étonnant : elle avait été son avocate durant les derniers mois, elle l'avait défendu devant une horde de juges suspicieux et de journalistes en quête de mauvais potins à se mettre sous la plume. Ils avaient dû passer beaucoup de temps ensemble, dans le bureau de la jeune femme, et s'échanger des salves de hiboux.

A cette pensée, son coeur se pinça.

La jeune femme se leva finalement, rassembla consciencieusement ses papiers puis tendit solennellement la main à Harry.

-On doit vraiment se serrer la main ? s'étonna-t-il. On ne peut pas juste se contenter d'un « ok, tout est bon » ?

-C'est la procédure, lança la voix traînante de Malefoy dans son dos.

Réprimant son agacement, Harry s'exécuta et murmura à son amie :

-Comment fais-tu pour le supporter ?

-Oh, je suis sûre que toi aussi, tu y arriveras très bien, répondit-elle malicieusement. A plus tard, Harry. A plus tard, Drago !

Elle serra la main du blond - qui grimaça, comme s'il venait de toucher une grosse limace visqueuse - puis transplana sur le pas de la porte, dans un tourbillon de boucles brunes.

Dix-huit heures vingt-neuf.

Drago Malefoy et lui étaient seuls.

Malefoy ne parut pas spécialement impressionné. Il se contenta de tourner la tête à gauche, puis à droite, avant de s'enquérir, dans un bâillement d'ennui :

-Où est-ce que je suis censé poser mes affaires ?

-Dans ma… dans la chambre, répondit Harry, qui se sentait particulièrement gauche, planté comme une courge au beau milieu de son salon.

-Je suppose que c'est la seule autre pièce de ce taudis, commenta Malefoy tout en avisant la porte qui menait effectivement à ce qui avait été la chambre de Harry. Inutile de m'accompagner, je ne cache pas de maléfices dans ma valise. Mais si ça t'amuse de vérifier, fais-toi plaisir.

Harry secoua la tête et le vit disparaître à l'intérieur de la pièce. Il réalisa alors qu'il mourrait de soif, et il se réfugia dans la cuisine à la recherche d'un verre.

Un bref instant, il se demanda s'il devait en préparer un pour Malefoy, puis il se rappela qu'il s'agissait de son pire ennemi et que ce n'était pas de bonté de coeur qu'il l'accueillait sous son toit, mais pour rendre service à Hermione. S'il veut boire quelque chose, il se servira.


Drago contemplait les alentours, sceptique. La chambre que Potter lui avait réservé était particulièrement… impersonnelle. Les murs étaient blancs et nus, il se serait cru à Sainte-Mangouste. Aucun livre ne trônait sur la table de chevet, ni aucune revue, aucune plume, rien qui ne puisse trahir un quelconque passe-temps. Il ouvrit l'armoire : aussi vide que le crâne d'un Weasley. En parlant de Weasley, où était passée la petite belette surexcitée dont Potter s'était entiché ? Il n'y avait là aucune trace d'une autre présence que la sienne. Et l'appartement ne ressemblait pas vraiment au nid douillet d'un couple ; plutôt à une garçonnière respirant la solitude.

Après avoir inspecté la chambre, il ouvrit sa malle et en observa distraitement le contenu. On ne lui avait laissé prendre qu'une poignée de vêtements moldus de rechange (il ne savait même pas dans quel sens enfiler la moitié d'entre eux), une cape en laine propre et une photographie froissée de ses parents. Dans une poche dissimulée au fond du sac tintinnabulait une poignée de gallions. Après avoir vérifié qu'aucune pièce d'or ne manquait, il referma sa valise et se laissa tomber sur le matelas - un peu trop dur pour ses reins, Potter l'avait rembourré avec des cailloux ou quoi ? Au moins, les draps étaient propres. D'ailleurs, le lit ne semblait avoir accueilli personne depuis belle lurette. Peut-être que Potter passait ses nuits ailleurs. Chez sa belette rousse ?

Pff, comme si ça l'intéressait.

Les bras en croix, Drago attacha son regard au plafond truffé de petites tâches d'humidité. De l'autre côté du mur, son hôte demeurait silencieux, le laissant seul avec ses pensées.

Drago inspira profondément, essayant d'apprivoiser la légère douleur nichée dans un recoin de son coeur.

Sans sa baguette, il se sentait terriblement désarmé. Amputé d'une partie de lui-même. Comment faisaient les Moldus ? Hermione Granger lui avait pourtant promis qu'il s'y habituerait rapidement. S'habituer, la bonne blague… C'était facile à dire pour elle : elle avait plein de sang moldu dans les veines, elle était avantagée. Mais lui… lui, c'était une autre histoire.

Il n'avait pas effleuré la surface d'une baguette magique depuis son arrestation. Il n'avait jamais passé autant de temps sans se servir de magie, et il avait l'impression que quelque chose commençait doucement à flétrir en lui. Tout ça à cause de ces stupides Aurors, qui avaient jugé plus prudents de lui retirer ce qui faisait de lui un sorcier…

Qu'auraient dit ses parents, en le voyant ainsi, misérablement avachi sur le lit de son pire ennemi, dans l'incapacité de lancer un simple « Lumos » ? Eux qui lui avaient répété temps de fois que c'était sa magie qui le rendait supérieur… eux qui l'avaient entraîné dans le sillage du Seigneur des Ténèbres, eux qui avaient laissé leur Maître graver sa marque sur son avant-bras…

Pris d'un subi élan de rage, il se précipita sur sa valise, s'empara de la photographie de ses parents et la déchira violemment.