CHAPITRE 7. Tu n'es plus rien
Drago n'avait pas réellement cherché à aider Harry Potter.
Après tout, Potter était un adulte. S'il refusait d'admettre qu'il était malade et préférait beugler comme un sanglier plutôt que de se soigner, eh bien soit ! Drago ne bougerait pas le moindre orteil pour le raisonner. Certes, il lui avait demandé s'il se sentait bien, mais c'était uniquement pour qu'il se calme avant de commettre un accident et de mettre le feu à leur appartement.
Cependant, lorsque Drago l'avait retrouvé sur le canapé, le front brillant d'une fine pellicule de sueur, en train de marmonner quelque chose à propos de Ginny Weasley et de Mangemorts, il avait senti quelque chose d'étrange fourmiller dans ses veines. Ce n'était pas de l'inquiétude, pas du tout ! C'était plutôt la certitude que s'il n'intervenait pas, Potter irait de plus en plus mal, et Drago n'avait pas spécialement envie de découvrir de quoi il serait alors capable. Et il n'avait pas non plus envie de s'attirer les foudres de Granger, si elle apprenait qu'il avait laissé son meilleur ami agoniser dans les tréfonds de son canapé sans lever le petit doigt.
Il s'était donc avancé pour réveiller Potter, et c'est alors qu'il l'avait vue dépasser de sa poche.
Sa baguette magique.
Hypnotisé par sa silhouette longiligne et ses sombres veines boisées, Drago l'avait effleurée du bout des doigts. Il y a quelques années, Potter lui avait pris sa baguette. Bois d'aubépine, crin de licorne. Son bien le plus précieux… Ce jour-là, une partie de lui-même lui avait été arrachée. Sa mère lui avait alors confié sa propre baguette, et Drago en avait pris grand soin, peu désireux de perdre de nouveau ce qui faisait de lui un sorcier. Malgré leur absence de complicité, il l'avait cajolée, caressée, aimée. Puis on la lui avait de nouveau arrachée, le réduisant à l'état misérable de sorcier sans magie. Et maintenant…
Maintenant, comme un pied de nez du destin, la baguette de son ennemi était à portée de main.
Alors il s'en était emparée. Il verrait plus tard ce qu'il en ferait.
Puis il avait saisi Harry sous les aisselles et l'avait tant bien que mal traîné dans son lit, pestant tout bas contre le poids de son ennemi. « J'ai l'impression de transporter un hippogriffe mort » lui avait-il dit, mais Potter n'avait pas réagi.
Soigner Harry Potter n'était pas de tout repos. Il s'ébrouait, s'agitait comme un asticot, le repoussait et marmonnait tout seul des paroles incohérentes. Ses joues étaient rouges, ses cheveux ébouriffés, et son regard vitreux rappelait à Drago les Veracrasses que ce grand crétin de Hagrid leur avait fait étudier, naguère. Il s'efforçait de maintenir sa température corporelle à un niveau convenable, mais l'épiderme du jeune homme irradiait de chaleur et la sueur envahissait de plus en plus son front. Il passa une très mauvaise nuit sur le canapé, se levant toutes les deux heures pour vérifier que l'état de Potter ne se dégradait pas. Malheureusement, sa fièvre augmentait au fil des heures, et Drago commençait à se sentir dépassé par les évènements.
-Étonnant que ton cerveau n'ait pas encore bouilli, commenta-t-il en passant un linge humide sur son visage, le lendemain matin. Il est peut-être trop amoché pour ça.
Une sorte de gargouillis s'échappa des lèvres de Potter. C'était peut-être un rire. Ou un haut-le-coeur. Drago fronça les sourcils.
-Évite de me vomir dessus, s'il te plaît.
-D-Drago… ?
-Félicitations, Potter. Après tout ce temps, tu as enfin retenu mon prénom.
-Où… sont… R-Ron et Hermione ?
Drago soupira. Potter avait cette agaçante manie de se raccrocher à n'importe qui, sauf aux personnes qui étaient juste sous son nez.
-Aucune idée, et je m'en moque complètement.
-I-il faut les prévenir… il faut leur… leur dire…
Harry toussa. Drago plissa les yeux.
-Leur dire quoi ?
-Il faut leur dire qu'ils… ils sont là… juste là…
-Qui est là, Potter ? s'étonna Malefoy, luttant contre le réflexe qui le poussait à jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule.
Il était sûr et certain que Harry et lui étaient seuls dans la chambre.
-Ils… ils sont là… ils vont leur faire du mal… je ne v-veux pas qu'il m-meurent…
Sa main moite se raccrocha au poignet de Drago. Sa peau brûlante glissait contre la sienne. Drago hésita à se dégager, mais resta finalement immobile.
-Je ne veux pas que quelqu'un d'autre meurt pour moi… murmura Harry.
-Rassure-toi, je doute que quiconque ait envie de mourir pour toi.
Le Survivant ne sembla pas goûter à la plaisanterie.
-S-s'il te plaît… Drago… il faut leur dire…
Un nouveau soupir s'échappa des lèvres de Drago. Il ne savait même pas pourquoi il cherchait à discuter avec Potter. Autant essayer d'avoir une conversation cohérente avec un tapis de bain.
-Rendors-toi, Potter.
Il fallait qu'il parvienne à faire baisser sa température, avant que Potter ne fasse véritablement une méningite. S'il finissait à Sainte-Mangouste par sa faute, les journalistes se feraient un malin plaisir de se ruer tout autour de leur appartement, et Drago pourrait définitivement dire adieu à sa tranquillité. Plutôt avaler le gourdin d'un troll.
Peut-être était-il temps d'appeler Granger à la rescousse. Elle n'était pas son amie, mais elle avait déjà démontré son utilité à de multiples reprises. Le seul problème était que cet idiot de Potter n'avait même pas de hibou pour la contacter, ni de cheminée reliée au réseau du Ministère de la magie. Comment faire ?
-Comment fais-tu, lorsque tu veux contacter Granger ? s'enquit-il en désespoir de cause, sans s'attendre à ce que son colocataire lui dise quoi que ce soit.
Pourtant, à sa grande surprise, Potter répondit, entre deux quintes de toux à s'en arracher les poumons :
-L-le… le télé…. téléphone…
-Quoi ?
Drago était confus. Le téphélone. Quelle était cette diablerie ?
-Le té… téléphone… Dans l'entrée… murmura Harry.
Il hocha la tête.
-Attends-moi là.
Drago ne tarda pas à mettre la main sur le fameux « téléphone ». Du moins, il espérait que ce soit bien cet objet rectangulaire, noir et truffé de boutons ornés de chiffres. Que signifiaient-ils ? Fallait-il appuyer dessus ? Drago, méfiant, enfonça son index contre le 0. Il y eut un « bip » sonore, mais rien d'autre ne se passa. Il réitéra l'expérience ; en vain. Il essaya de le secouer, de le cogner contre un mur, de le cajoler, de lui parler… sans succès.
-Nom d'un troll… qui est le crétin de Moldu qui a inventé ce truc…
Le téléphone en main, il retourna au chevet de Harry, espérant qu'il pourrait l'aider à le faire fonctionner. Malheureusement, le jeune homme était de nouveau en proie aux délires de la fièvre. Il marmonnait tout seul, les yeux réduits à deux fentes vertes et brillantes, la tête profondément enfoncée dans les replis soyeux de l'oreiller.
-Mmhh… laisse-moi… marmonna-t-il après que Drago ait essayé de lui secouer l'épaule, agitant vaguement les mains pour le repousser.
Drago abandonna. Après avoir laissé un linge imbibé d'eau sur son front, il retourna dans le salon et enfonça son visage entre ses mains. Il y avait bien une autre solution… mais pour cela, il lui faudrait utiliser la magie…
La baguette de Harry était sagement posée sur la table basse. Elle se trouvait dans un état plutôt misérable : elle était couverte de traces de doigts, parsemée d'estafilades et noircie par endroits. Et pourtant… il était impossible de nier la puissance qui en émanait. Oserait-il la prendre ? Il ferma les yeux et se maudit mentalement.
Puis ses doigts frôlèrent l'artefact et son coeur manqua un battement.
Le Chemin de Traverse bouillonnait de vie. Il y avait des sorciers partout, vêtus de robes noirs et de capes de laine. Leurs achats virevoltaient négligemment au-dessus de leurs têtes. Certains étaient escortés par des elfes de maison, mais la plupart déambulaient seuls. Drago sentait leurs regards curieux dévaler le long de sa silhouette, probablement attirés par ses vêtements moldus. Il avait pris soin de dissimuler sa chevelure trop blonde sous un épais bonnet de laine surplombé d'un pompon (il l'avait trouvé dans sa valise, probablement glissé là par Granger ; il lui aurait volontiers enfoncé ledit pompon dans la narine), mais il se sentait toujours trop visible. Il avait l'impression qu'un panneau indiquant « ATTENTION, EX MANGEMORT EN CAVALE » était braqué sur lui.
La baguette de Harry était rangée dans sa poche. Il en éprouvait la dureté à travers l'étoffe de son pantalon. Il ne l'avait utilisée que pour s'ouvrir un passage à travers le passage du Chaudron Baveur, et ne l'utiliserait pas davantage.
Du moins, il fallait qu'il s'en convainc.
Drago avait abandonné l'idée de faire appel à Granger. A la place, il s'était décidé à préparer une potion pour soigner Harry, et plus précisément de la Pimentine. L'idée de faire quelque chose de magique le faisait frémir d'impatience.
Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour trouver les ingrédients dont il avait besoin. L'apothicaire ne lui avait posé aucune question. Il ne lui avait même pas accordé le moindre regard, tandis qu'il emballait ses affaires dans du papier kraft. Drago en avait éprouvé un profond soulagement. Les choses étaient si simples… Pourquoi n'avait-il pas pensé plus tôt à « emprunter » la baguette de Harry pour se promener dans le monde magique ?
Alors qu'il se remettait à déambuler dans les rues du Chemin de Traverse pour rentrer chez Harry, son regard fut attiré par une boutique bariolée, d'où s'échappaient rires, glapissements et explosions diverses et variées. Weasley & Weasley, la boutique de farces et attrapes… Drago serra la mâchoire. Derrière la vitrine, une longue silhouette rousse arrangeait les étalages. Il détourna les yeux avant d'avoir une chance de rencontrer son regard… mais ce ne fut que pour se heurter à une autre vision, autrement déplaisante, plantée tout près de lui.
-Pansy ?
-Drago.
Pansy Parkinson. Son ancienne amie, aussi froide que le blizzard qui les assaillait. Son visage était dur, fermé. Elle le fixait de la même manière qu'elle fixait Granger, autrefois : avec le mépris que l'on adressait d'ordinaire aux insectes.
Alors c'était ce qu'il était devenu, pour elle ? Un insecte à écraser sous la semelle de ses bottines ? Drago ne savait qu'en penser. Il s'était imaginé qu'il ne la reverrait plus jamais, et il ne s'était pas préparé à cet instant durant lequel leurs regards se croiseraient et ne verraient en l'autre qu'un inconnu.
-Ce magasin me dégoûte. Je ne comprends pas pourquoi il n'a pas été fermé pour atteinte à l'intégrité de nos yeux, siffla Pansy en désignant du menton la boutique Weasley & Weasley.
Drago ne répondit pas. Qu'y avait-il à rétorquer à cela ? Il préférait économiser sa salive plutôt que de rentrer dans le jeu de provocations de l'ancienne Serpentard. Pansy dut interpréter son silence autrement, car un vilain sourire déforma son visage et elle continua, moqueuse :
-Il doit être à ton goût, n'est-ce pas ? Maintenant que tu traînes avec ces gens-là.
Inutile de lui demander ce que « ces gens-là » voulait dire. L'hostilité qui émanait des traits de la jeune sorcière était suffisamment éloquente.
-Tu n'es pas très discret, ajouta-t-elle en le dévisageant de haut en bas. Si tu espérais te cacher dans ces haillons moldus, c'est raté. Je t'ai repéré dès que tu as mis un pied ici.
-Dis plutôt que tu as utilisé un sortilège d'espionnage.
Elle ne le démentit pas. Du temps de Poudlard, elle était capable de récolter de nombreux ragots en utilisant de tels sortilèges. Elle était alors si fière de les lui rapporter. Ils en riaient, côte à côte sur le canapé émeraude de leur salle commune, les doigts entrelacés…
Des gamins. Ils n'étaient que des gamins.
-Tu m'attendais, dit Drago, se raccrochant à l'instant présent.
Ce n'était pas une question. Ils le savaient tous les deux.
Drago soupira.
-Que veux-tu, Pansy ?
-Ce que je veux ? répéta-t-elle, et ses yeux se mirent à briller. Ce que je veux, c'est comprendre comment tu as pu en arriver là. Comment tu as pu en arriver à être défendu par une Sang-de-Bourbe, à plier l'échine pour quelques miettes de liberté, et à devenir le… le… qu'est-ce que tu transportes ? Tu fais les courses de Potter, maintenant ? Qu'est-ce que tu es devenu ? Son chien ?
Elle observa le sac qu'il tenait. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle reconnut les formes qui se profilaient sous le papier kraft. Drago vit que ses traits balayés par la lumière froide de l'automne n'étaient plus que roches et anfractuosités. Elle n'était plus rien à voir avec la Pansy qu'il avait appréciée.
-Ce sont les ingrédients de la Pimentine. Pourquoi as-tu acheté ça ? Non, laisse-moi deviner. Tu vas préparer de la Pimentine pour Potter ? Tu n'es pas seulement devenu son chien, tu es aussi devenu son homme à tout faire ? Sa petite soubrette ?
Ses narines se mirent à frémir, trahissant son mépris.
-Quand je pense que je t'admirais… Te souviens-tu seulement de celui que tu étais, à Poudlard ? Tu reconnaissais la puissance du sang, la puissance de la magie, tu ne te laissais pas attendrir par tous ces crétins qui militaient pour qu'on se reproduise avec de stupides Moldus. Tu étais mon modèle… J'aurais tout fait, tout donné pour toi. Absolument tout. Quand je pense que… Quelle idiote j'ai été !
Elle renifla.
-Quand je pense que je t'aimais ! Je t'aimais, Drago Malefoy !
Elle lui avait craché son prénom avec une rage qu'elle ne cherchait plus à contenir.
-Et toi, à la première défaite, tu renies tous tes principes, tout ce qui faisait de toi un homme d'honneur ? A la première défaite, tu t'en vas pleurnicher dans les jupes de Granger ? Tu t'en vas te réfugier sous la protection de Harry Potter ? Tu… tu me dégoûtes, Drago Malefoy !
Interdit, Drago vit deux larmes briller aux coins de ses yeux et dévaler lentement ses joues blanches.
Les paroles de Pansy l'avaient traversé comme des lames glacées, et il restait figé, incapable de démêler les émotions qui engluaient sa cage thoracique. Des vibrations de colère, d'indignation se mêlaient à une froideur qu'il n'avait pas connue depuis longtemps, une froideur qui annihilait totalement le peu de commisération qu'il aurait pu ressentir pour Pansy.
Il ressentit une brutale envie de la briser, de la faire souffrir, tout comme l'écho des paroles qu'elle avait proférées le faisaient souffrir… Il voulait qu'elle souffre, tout comme il avait souffert depuis que la marque des ténèbres s'étaient imprimée dans sa chair… Qu'elle comprenne ce que cela faisait, de tout perdre… sa famille, ses amis, sa magie, sa raison… et qu'ensuite, on vienne lui cracher au visage qu'elle n'était plus que la soubrette de son pire ennemi !
-Tais-toi, souffla-t-il, essayant de maîtriser sa voix. Tais-toi.
Elle éclata de rire.
-J'ai touché une corde sensible, Drago ? C'est quoi, qui t'ennuie ? Que je te rappelle que tu ne seras plus jamais le Drago Malefoy que tout le monde admirait à Poudlard, ou que je dise que tu es la petite soubrette de Pot-DRAGO !
Il n'avait pas pu se contenir. Il lui avait attrapé le bras et le maintenait désormais d'une poigne de fer, en le tordant suffisamment pour qu'elle ne puisse plus bouger sans risquer de se faire mal. Les yeux de la sorcière s'écarquillèrent et elle pâlit sous les mèches de cheveux qui ricochaient contre ses joues. Elle ne perdit cependant pas une seule miette de sa colère.
-Qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? Me casser le bras ? Me frapper ? Eh bien vas-y ! Sois un homme, Drago Malefoy ! Pour une fois dans ta misérable vie !
Le jeune homme dut se forcer à inspirer et expirer profondément pour maîtriser les tremblements qui agitaient tout son corps. Lui faire du mal ne lui avancerait à rien. Il ne voulait pas lui donner la satisfaction de perdre sa raison. Pas pour elle.
Après quelques secondes de silence, il relâcha la pression de ses doigts contre son bras et énonça d'une voix dénuée d'émotion :
-Tu ne mérites pas que je perde mon énergie pour toi.
Elle ricana vertement en massant son bras.
-Dis plutôt que tu n'as même pas ce courage. Ça ne m'étonne pas que tu te caches dans l'ombre de Potter. Tu n'es plus rien, Drago Malefoy.
Il inspira de nouveau une grande bouffée d'air frais, y puisant la force de répondre, avec une logique glaciale :
-Arrête, Pansy. Je ne risquerai pas ma semi-liberté pour toi.
-Ta semi-liberté… laisse-moi rire… que feras-tu, lorsqu'elle sera levée ? Où iras-tu te cacher ? Tu resteras l'elfe de maison de Potter ? Tu iras te réfugier dans le lit de Granger la Sang de Bourbe ? Tu pourrais peut-être te faire embaucher chez Weasley & Weasley, il ne manque plus qu'un clown dans leur vitrine !
-Dégage.
Le visage de la jeune femme se crispa de plus belle. Les larmes coulaient à flot, désormais. Elles dessinaient des sillons irisés sur son visage. Mais aucune larme, aucun pleur n'aurait pu adoucir le coeur de Drago à cet instant.
-Tu sais pourquoi j'ai lancé un sortilège pour être prévenue de ta venue ? murmura enfin Pansy. Pourquoi je voulais te voir ? Je voulais savoir… savoir si tu avais vraiment changé, ou s'il restait quelque chose du Drago que j'ai aimé…
Un rire lui échappa. Ou peut-être était-ce un sanglot.
-Tu n'es plus rien, Drago Malefoy.
La Pimentine n'était pas une potion difficile à préparer. Il ne fallut à Drago qu'une trentaine de minutes pour la réaliser.
Le breuvage bouillonnait paresseusement dans son chaudron, déployant ses arômes épicés dans la cuisine de Potter. Drago en versa précautionnent dans une petite fiole, mais ses yeux fixaient le liquide rouge sans vraiment le voir.
Les paroles de Pansy tourbillonnaient dans son esprit, cruelles et moqueuses. Il aurait aimé n'en tirer qu'une froide indifférence, mais s'il voulait être sincère avec lui-même, il devait admettre que les mots s'étaient enfoncés dans son coeur comme des échardes. Et il ne suffirait pas d'un peu d'eau chaude et de sel pour les extraire de là…
Pourquoi faisait-il tout cela ? Etait-il réellement devenu l'elfe de Potter ? Sa soubrette, comme le persiflait Pansy ? Avait-il vraiment abandonné tout ce qu'il était pour se mettre au service de son pire ennemi ? Et que ferait-il, lorsque tout cela serait terminé ? Il n'avait pas d'emploi, pas de perspective d'avenir, pas de famille. Il n'avait plus rien…
BAM !
Le bruit le fit sursauter et sans plus réfléchir, Drago s'élança dans la chambre de Potter - car qui d'autre aurait pu produire un tel boucan ? Là, il eut l'étrange surprise de retrouver son colocataire par terre, la joue écrasée contre le parquet, complètement emberlificoté dans ses draps. La sueur collait son t-shirt à son épiderme et il marmonnait, d'un air affolé :
-Que se passe-t-il ? Qui êtes-vous ? Lâchez-moi!
-Potter ! Potter, calme-toi. Il n'y a personne ici. Seulement toi et moi. Potter, tu m'écoutes ?
-N-ne me touchez pas ! Allez vous-en !
-Potter, calme-toi, bon sang !
Le jeune homme posa sur lui un regard totalement déboussolé. Ses yeux verts brillaient de mille feux et Drago fut brièvement troublé par leur éclat.
-D-Drago ?
-Oui, c'est moi. Arrête de bouger. Shhh…
Il avait l'impression d'essayer de bercer un scroutt à pétard particulièrement hargneux. Harry continuait de se débattre sous les draps, distribuant des coups de poing et des coups de pied à des adversaires imaginaires. Après quelques essaies infructueux, Drago abandonna l'idée de le remettre dans le lit et s'agenouilla à ses côtés. Il redressa doucement son visage et déposa prudemment la main sur son front. Harry était brûlant.
-Il faut que tu boives ça, dit-il en glissant la fiole de Pimentine entre les lèvres du jeune homme. Tu iras mieux après.
-Tu ne m'empoisonneras pas, vil serpent !
-C'est ça, c'est ça. Bois, et on en reparlera après.
Il laissa tomber quelques gouttes sur les lèvres de Potter. Celui-ci les lécha par réflexe, puis poussa une sorte de gémissement, à mi-chemin ente le miaulement et la complainte du hibou. Après quelques gorgées douloureuses, il s'accrocha maladroitement aux bras de Drago et essaya de le regarder dans les yeux - mais ses pupilles s'égarèrent plutôt du côté de son oreille droite. Cet homme était vraiment myope comme une taupe.
Quelques minutes de silences s'écoulèrent, puis Harry esquissa un étrange sourire et enfonça son visage contre le cou de Drago. Ce dernier en fut si surpris qu'il resta totalement paralysé, le coeur battant la chamade. La peau de son ennemi était chaude et moite contre la sienne, encore glacée par son escapade au Chemin de Traverse.
-J-je veux dormir… murmura Harry tout contre lui. Je suis fatigué, tu sais. Tellement fatigué…
-Je ne suis pas un oreiller, Harry, riposta Drago.
Il le réalisa juste après l'avoir dit. « Harry ». Nom d'une goule, il avait appelé Potter « Harry », et il avait l'impression que ce n'était pas la première fois. Il se mordit les lèvres et les paroles de Pansy revinrent chatouiller ses oreilles. Tu n'es plus rien, Drago Malefoy. Tu es devenu le chien de Potter. L'elfe de Potter. La soubrette de Potter.
Il ferma douloureusement les yeux. Était-ce ce à quoi il en était réduit ?
Cette nuit-là, Harry rêva qu'il essayait de chevaucher un dragon blanc aux yeux gris. Alors qu'il escaladait ses flancs rugueux, le dragon le repoussait d'une pichenette et le faisait dégringoler dans un puits sans fond… il s'enfonçait dans les ténèbres… tout à coup, des objets flottaient tout autour de lui… Il reconnut son Eclair de feu, sa cape d'invisibilité, sa baguette magique… sa baguette, il lui fallait sa baguette ! Il referma la main sur l'artefact et se mit soudainement à grandir, grandir, grandir… sa tête dépassa du puits, puis ses épaules, son torse… mais son ventre resta coincé. Il se débattit, voulut se dégager de l'étreinte du puits, mais celle-ci était de plus en plus forte. Il allait s'étouffer… il allait mourir là, tué par un puits… comment pouvait-on mourir tué par un puits ?
Et alors… le dragon s'élança, cracha des nuées du flamme sur le puits et le libéra. Harry lui sourit avec reconnaissance. Il s'aperçut alors que les flammes n'avaient pas cessé de crépiter et dansaient désormais sur son corps. Il voulut hurler, se jeter par terre pour les étouffer, mais le dragon le saisit entre ses pattes et le contempla avec une tristesse infinie. Des larmes grossirent au coin de ses yeux et s'écrasèrent sur lui. Harry voulut s'enfuir, puis réalisa que les larmes du dragon éteignaient les flammes.
-Pourquoi pleures-tu ? s'étonna Harry.
-Les dragons ne pleurent pas, répondit le dragon.
C'était une bien étrange réponse, mais pas aussi étrange que l'or qui ruissela sur ses cils, l'aveuglant complètement. Harry agita la main pour s'en débarrasser, mais comprit que l'or provenait d'ailleurs… d'un autre monde… le monde réel…
Il ouvrit les yeux, le rêve éclata et Harry constata qu'il était allongé sur une surface étonnamment chaude et douce. Celle-ci s'avéra être le pull de Drago Malefoy, dans lequel dormait ledit Drago Malefoy, à même le sol, la tête nichée contre un oreiller posé sur le parquet. Harry était blotti contre lui, et un drap les recouvrait tous les deux. Une petite fiole vide était abandonnée non loin d'eux.
Hum hum. Okay... Très bien.
Harry, trop épuisé pour réfléchir, ferma de nouveau les yeux et se laissa bercer par la respiration de l'ancien Serpentard. Recroquevillé contre lui, il se rendormit sans même le réaliser.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, Drago avait disparu.
