CHAPITRE 9. Ivresse

Les jours qui suivirent leur altercation autour d'une boîte d'oeufs s'égrenèrent avec une simplicité désarmante.

Après plusieurs essais infructueux, Harry était parvenu à convaincre Drago de s'essayer à quelques recettes moldues - sortir une pizza de son carton pour la mettre au four, par exemple. Drago s'était exécuté en arborant une moue dédaigneuse. Lorsque Harry lui avait fait remarquer qu'il n'était pas obligé de manger ce qu'il avait préparé, Drago avait haussé les épaules, mais il avait englouti sa part dès que Harry avait eu le dos tourné. L'ancien Gryffondor n'avait pu s'empêcher d'en rire.

Leurs conversations devenaient également plus naturelles, se drapant d'une certaine intimité qui n'était pas déplaisante.

Harry lui avait longuement parlé des Dursley, mais il avait dû faire une pause après que Drago lui ait très sérieusement demandé pourquoi il n'était pas retourné les voir, à la fin de la guerre, pour les transformer en ragondins et s'en débarrasser définitivement.

-Je ne leur ferai jamais de mal, avait répondu Harry, déconcerté.

Certes, l'idée de transformer son oncle en rongeur géant était séduisante, mais il savait qu'il l'aurait regretté.

Drago était resté perplexe.

-Tu ne peux pas tout le temps être un héros, Potter. Tu dois bien vouloir leur jeter un sort. Les faire souffrir, comme eux t'ont fait souffrir.

-Je ne peux pas. Ils sont ma famille, que je le veuille ou non.

-Je n'appellerai pas ça une famille.

Harry avait haussé les épaules, puis avait changé de sujet de conversation.

Drago était plus réservé quant aux confidences qu'il accordait à Harry. Ainsi, il ne parlait quasiment jamais de ses proches. Harry ne savait pas s'il était toujours en contact avec sa famille, mais il en doutait fortement ; ses deux parents étaient en prison et il ne l'avait jamais vu recevoir de lettres de leur part - tout comme il ne l'avait jamais vu en écrire. Drago semblait s'être totalement coupé de son passé. Lorsque Harry essayait d'en savoir plus sur ses anciens camarades, il se renfrognait et ne décrochait plus un mot.

Il dégageait une profonde solitude, mais ne faisait rien pour s'en arracher. Harry commençait à s'en inquiéter. « Tu ne peux pas sauver tout le monde, Potter. Tu ne peux pas me sauver de ma solitude » disaient les yeux de Drago lorsqu'ils les rencontraient, mais Harry n'était pas de cet avis. « Je dois au moins essayer », songeait-il farouchement.

-Tu voudrais sortir ce week-end, avec Ron, Hermione et moi ? lui proposa-t-il un soir en rentrant de sa formation d'Auror.

Drago lui retourna un regard vide.

-Si tu comptes m'emmener dans un de ces endroits où les Moldus boivent, fument et se dandinent comme des ouistitis qui voient des bananes tomber du ciel, tu rêves, Potter.

-Je pensais plutôt à prendre un verre dans un endroit calme. Ça te ferait du bien.

-Je n'ai pas échappé à la prison pour me retrouver coincé entre Weasley, Granger et toi. Qu'est-ce que tu as au bras ?

Harry remonta rapidement sa manche pour dissimuler la toile de bleus qui se peignait sur sa peau. L'entraînement avait été difficile, aujourd'hui. Il avait reçu une bonne douzaine de sortilèges, dont la moitié l'avait envoyé valser au sol. Les apprentis Aurors avaient des onguents magiques à leur disposition, qui faisaient disparaître les ecchymoses en un clin d'oeil, mais Harry refusait de les utiliser. Il voulait avoir conscience de chacun des sorts qu'il recevait, afin de pouvoir anticiper au mieux leurs effets.

-Rien. Un entraînement un peu rude, répondit-il d'un ton dégagé.

-Qu'est-ce que vous faîtes, à ta formation ? Vous apprenez à survivre à une collision avec un troupeau d'hippogriffes ?

-Ne change pas de sujet. Pourquoi tu ne veux pas sortir avec nous ? Ça te ferait du bien.

-Non.

-Pourquoi ?

Drago soupira et planta ses yeux gris dans ceux, déboussolés, de Harry.

-Je sais que c'est compliqué pour toi, mais réfléchis deux minutes, Potter. Ce serait horriblement gênant. Toi, moi, un couple, en tête à tête… de quoi on aurait l'air ?

Harry ouvrit la bouche, prêt à protester, lorsque tout à coup… il comprit. Oh. Alors comme ça, Malefoy ne voulait pas que leur éventuel public s'imagine qu'ils étaient en sortie entre couples ? Il voulut lui rétorquer que cela avait autant de chance d'arriver qu'une victoire des Serpentard à la Coupe des quatre maisons, mais les mots se bloquèrent soudainement sur sa langue.

Un sourire amusé se glissa sur ses lèvres.

-Tu sais, on vit ensemble, on mange ensemble, on dort à quelques mètres l'un de l'autre… on est presque un couple, maintenant. Alors qu'est-ce que ça changerait ?

La seule réponse qu'il reçut fut un coussin en pleine figure.


Drago avait obstinément refusé de sortir avec Ron, Hermione et lui, mais Harry ne comptait pas s'arrêter là. Il fallait qu'il brise la routine dans laquelle Drago s'enfonçait de plus en plus, et dans laquelle il ne semblait pas s'épanouir.

Drago passait beaucoup de temps à lire, le nez enfoncé dans les grimoires poussiéreux qui encombraient sa bibliothèque. Harry avait parfois l'impression qu'il s'était métamorphosé en double d'Hermione. Lorsqu'il ne lisait pas, Drago regardait la télévision ; depuis qu'il avait découvert l'existence des DVD, il n'y avait pas une journée sans qu'il n'en regarde un, utilisant les écouteurs de Harry pour que celui-ci ne l'entende pas. Il essayait parfois de parler aux personnages, ou de tapoter l'écran pour attirer leur attention, avant de soupirer sur la stupidité des inventions moldues. Harry devait se mordre l'intérieur des joues pour ne pas éclater de rire. Le soir, il leur arrivait de jouer à des jeux de société ou aux cartes. Après avoir exprimé sa déception lorsqu'il avait compris que les cartes que tenait Harry ne risquaient pas de lui exploser entre les mains, Drago s'était avéré particulièrement doué au poker.

Oui, ils avaient trouvé une routine dans laquelle ils se lovaient confortablement, mais Harry voulait y donner un grand coup de pied avant que cette même routine n'avale définitivement l'énergie et la volonté de Drago.

Alors ce soir, Harry prépara des shots de vodka et de whisky pur-feu, et attendit patiemment que son colocataire pointe le bout de son nez dans le salon pour lui présenter les verres alignés.

-Tu devrais ralentir un peu, Potter. Tu m'as déjà vomi dessus une fois, et je n'ai pas spécialement envie de réitérer l'expérience, commenta l'ancien Serpentard en avisant les verres.

-Ce n'est pas pour moi ! protesta Harry. Du moins… pas tout. Je pensais qu'on pourrait faire un jeu à boire.

Drago haussa soigneusement un sourcil, mais Harry comprit qu'il avait gagné au moment même il lança, d'un ton ennuyé :

-C'est l'idée la plus stupide que tu n'aies jamais eu.

Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent assis côte à côte sur le canapé, un verre à la main. Harry s'éclaircit la gorge, puis lui exposa les règles du jeu.

-Je te pose une question. Soit tu réponds, soit tu bois un shot. Si ta réponse est trop évasive, tu devras boire. Si ta réponse est un mensonge, tu devras également boire. De manière générale, quand tu ne sais pas quoi faire, tu bois. Compris ? Prêt à rouler par terre ?

-Dans tes rêves, Potter.

Ils échangèrent un regard, puis Harry commença.

-Alors… Dis-moi. Qu'est-ce que tu trouvais à Crabbe et Goyle ?

La mâchoire de Drago se crispa légèrement. Harry se demanda s'il ne venait pas de sauter à pieds joints sur un terrain miné, mais il était trop tard pour faire marche arrière. Pendant quelques secondes, il crut qu'il allait esquiver la question, mais il finit par répondre, tout en haussant les épaules :

-Ils étaient toujours d'accord avec moi. Leur conversation était reposante.

-Parce qu'ils avaient de la conversation ? s'étonna sincèrement Harry.

Drago se contenta de le regarder d'un air inexpressif.

-A mon tour de te poser une question. Qu'est-ce que…

-Attends, attends ! « La conversation était reposante » ? C'est ça, ta réponse ? J'attendais quelque chose de plus construit, quelque chose sur leur grand coeur, leur esprit affûté, leur sens du partage et de la camaraderie, leur niveau incroyable en magie, leur…

Drago leva les yeux au ciel, conscient que Harry se moquait de lui. Avec un soupir de résignation, il avala son verre, cul sec.

-Content, Potter ? Tu as fini ? On peut passer à la suite ?

Harry hocha la tête, un sourire aux lèvres.

-Alors à mon tour. Qu'est-ce que tu trouves à la belette ?

-Ginny ?

-Ron.

Harry n'eut pas besoin de réfléchir avant de répondre.

-C'est mon meilleur ami. Il a toujours été là pour moi, et il m'a sauvé plusieurs fois la vie. Il est drôle, bien plus doué qu'il ne le croit, et il a un grand coeur. Et il ne m'a pas seulement offert son amitié. Il m'a aussi offert une famille.

Voyant le regard interrogatif de Drago, il précisa :

-Les Weasley sont ce qui se rapproche le plus d'une famille pour moi.

-Tu passais vraiment tous tes été chez eux ?

-Oui, et c'étaient les meilleurs moments de ma vie.

Drago semblait toujours sceptique.

-Tu n'as jamais connu ça ? Des instants durant lesquels tu avais vraiment l'impression d'être… à ta place, entouré des tiens ? insista Harry.

Drago sembla réfléchir quelques secondes, puis il attrapa un nouveau verre et le vida d'une traite.


Une heure plus tard, le contenu de leurs verres s'était sévèrement amenuisé. Drago avait le regard vitreux et les joues rose vif ; ses cheveux étaient décoiffés et retombaient en mèches désordonnées sur son visage pâle. Harry savait qu'il était dans état similaire. Il avait si chaud qu'il avait déboutonné quelques boutons de sa chemise et retroussé ses manches jusqu'aux coudes. Des sillons flous s'étiraient dans son champ de vision, et essuyer frénétiquement ses lunettes n'y changeait rien.

-A mon tour, déclara Drago avec un enthousiasme que Harry ne lui avait jamais connu. Pourquoi tu vis dans un endroit pareil, alors que tu as largement les moyens de vivre dans une villa au bord de la mer ?

Après quelques secondes de réflexion - le temps que la question se fraye un passage jusqu'à son cerveau alcoolisé - Harry se mordit l'intérieur des joues. Il ne savait pas si Drago comprendrait sa réponse, mais il fallait qu'il essaye.

-Je ne le mérite pas, répondit-il lentement, la voix un peu pâteuse.

Drago plissa les yeux.

-Je ne peux pas dépenser tout mon or pour vivre dans le luxe, alors qu'il y a tant de choses à reconstruire dans le monde sorcier. Et puis… je ne me sentirai vraiment pas à l'aise dans un château ou un manoir. Il y aurait trop de choses à surveiller. D'entrées à protéger. Et il faudrait toute une armée d'elfes pour l'entretenir… Je veux pouvoir vivre seul et me protéger seul.

-Personne ne va t'attaquer chez toi, Potter, dit Drago en le contemplant comme s'il était tombé sur la tête - et c'était peut-être le cas, car le monde commençait à onduler autour de lui.

-Tu ne le sais pas. Ici, je me sens en sécurité. Il y a tout ce dont j'ai besoin. Et je préfère un voisinage moldu à des voisins sorciers qui se dévisseraient le cou pour m'apercevoir dès que je mettrai un pas hors de chez moi.

-Sur ce point, je suis d'accord avec toi, marmonna Drago avec une pointe d'amertume. Combien de personnes savent que tu vis ici ?

-Hermione, Ron, Ginny… et toi, dit Harry en essayant de compter sur ses doigts - malgré la difficulté de l'exercice. Mais ça fait beaucoup de questions ! A mon tour de t'en poser. Pourquoi n'as-tu pas écrit à tes parents depuis que tu es ici ?

Drago blêmit. Harry savait qu'il aurait mieux fait de se taire, mais l'alcool avait complètement délié sa langue. Il se demanda si son colocataire allait prendre la mouche, mais il se contenta de pousser un long soupir et de boire un nouveau shot, le regard vide. Harry était un peu déçu qu'il botte ainsi en touche, mais il se promit de creuser la question lorsqu'ils seraient sobres.

-Quelle a été ta première conquête, Potter ? demanda Drago, interrompant ses pensées.

Harry ne put retenir un ricanement.

-Ça t'intéresse vraiment, Malefoy ?

-Non. Je voulais juste que tu arrêtes de sourire d'un air idiot, mais ça n'a pas l'air de fonctionner.

Harry n'avait même pas réalisé qu'il souriait.

-Cho Chang, en cinquième année.

-La joueuse de Quidditch ?

-Non, la joueuse de flûte. Bien sûr que oui, tu en connais d'autre ?

Drago haussa les épaules.

-Et toi, alors ? C'était qui ? Pansy Parkinson ? demanda Harry.

A l'évocation de ce nom, le visage de Drago se renfrogna de plus belle et il ingurgita une nouvelle gorgée de son verre. Harry l'observa, surpris. Il ne s'était pas attendu à ce que Drago Malefoy se montre aussi secret sur sa vie amoureuse.

-Tu as eu quelqu'un, depuis la belette ? demanda Drago en reposant le verre, d'une main un peu tremblante.

-Qui ça, Ron ?!

-Ginny, génie.

-Oh… non. Je… je crois que je n'étais pas prêt à tourner la page, avoua Harry en baissant les yeux sur son verre.

-Étais ? Et tu l'es, maintenant ?

Harry esquiva la question et but son verre. Une nouvelle vague de chaleur monta jusqu'à son visage, brûlant ses joues déjà cramoisies.

Il eut du mal à focaliser son regard sur le visage de Drago pour lui poser la prochaine question.

-Et… et toi alors ? Combien de conquêtes à ton actif ?

-Trois.

-Oh… et je peux connaître leur nom, ou c'est un secret d'État ?

Drago sembla hésiter, mais ses yeux brillèrent étrangement lorsqu'il répondit, des nuances de rose s'épanouissant sur ses joues blanches :

-Tu en connais déjà une.

-Pansy…

-Ne prononce pas son nom.

-Désolé.

-Il y a aussi eu Astoria Greengrass.

Harry n'avait aucune idée de qui était Astoria Greengrass, mais il acquiesça tout de même, afin de faire bonne figure.

-Et il y en a eu un troisième.

Harry cilla, certain d'avoir mal entendu. Après tout, si l'alcool altérait son champ de vision, il pouvait également altérer son audition.

Il fallait tout de même qu'il vérifie.

-Un troisième ?

-Ça te choque, Potter ?

Harry ouvrit la bouche, puis la referma, puis la rouvrit - mais ne décrocha pas un mot.

En vérité, l'idée n'était pas spécialement choquante ; elle était simplement… surprenante. Il ne s'était jamais imaginé Drago Malefoy dans les bras d'un homme. L'image qu'il avait de lui était celui du parfait petit héritier Sang-Pur, dont la main appartenait depuis la naissance à une autre héritière triée sur le volet. Mais la main et le coeur étaient deux entités séparées, n'est-ce pas ? On pouvait contrôler l'une, mais l'autre restait inexorablement sauvage. Indomptable… tout comme son propre coeur, qui, pour une raison ou une autre, s'était mis à battre plus fort dans sa poitrine.

-Ok. Admettons. Ne me dis pas que c'était Crabbe ou Goyle, dit finalement Harry, d'une voix qui lui parut étrangement… blanche.

Drago émit une sorte de rire sec.

-Bien sûr que non.

-Je le connaissais ?

-On dirait que ça t'intéresse, Potter ?

-Quoi ? Oui ! Non ! Je veux dire… c'est le jeu, tu dois m'apporter des réponses !

-Calme-toi, ce n'est pas non plus l'information du siècle. C'était Blaise.

-Zabini ?

-Non, Blaise le joueur de flûte.

Harry leva les yeux au ciel.

La révélation de Drago l'avait pris de court, et il décida de s'accorder une pause en sirotant une gorgée de whisky pur-feu. Il entendit Drago reposer son propre verre avec une certaine brusquerie. Relevant les yeux, Harry s'aperçut qu'il était en sueur. Ses mèches blondes s'emmêlaient sur son front, et son teint n'était plus seulement rose : il était devenu écarlate, rappelant à Harry ces écrevisses que sa tante adorait faire bouillir aux repas de Noël.

-Tu te sens bien ? demanda-t-il, sentant l'inquiétude l'étreindre peu à peu.

Il était habitué à enchaîner les whisky pur-feu, mais à sa connaissance, Drago n'avait jamais été un grand buveur. Peut-être avait-il atteint ses limites ?

-Un peu ch-chaud, répondit Drago en haussant les épaules. Ça va passer.

-Tu devrais desserrer un peu ton col de chemise, conseilla Harry. Et prendre une douche. Et boire de l'eau. Et…

-C'est bon, Maman, j'ai compris, l'interrompit Drago. Je vais dans la salle de bain.

Il chercha à se redresser, mais il trébucha et retomba sur le canapé, s'écrasant à moitié sur Harry. Celui-ci eut un sourire indulgent et passa son bras autour de ses épaules pour l'aider à s'asseoir correctement. Drago marmonna quelque chose d'inintelligible, puis retint un haut-le-coeur. L'inquiétude de Harry augmenta d'un cran.

-Doucement, murmura-t-il en attrapant sa baguette magique. Tiens, bois ça, ça va te faire du bien. Aguamenti !

De l'eau apparut dans le verre de Drago. Harry le glissa précautionnent entre ses mains et le laissa en ingurgiter de longues gorgées avides. Drago sembla se sentir mieux, mais il ne chercha plus à se relever. Harry se sentait lui-même un peu nauséeux, et il se demanda s'il était raisonnable que l'un ou l'autre quitte ce canapé avant d'avoir décuvé. Probablement pas. Sinon, l'un des deux finirait encastré dans un mur.

-Tu devrais t'allonger, conseilla-t-il, et il n'eut qu'à exercer une légère pression sur les épaules de Drago pour qu'il s'exécute. Là, voilà. Doucement…

Lorsqu'il fut certain que le jeune homme soit bien installé, il glissa un coussin sous sa tête, puis se glissa à ses côtés.

-Qu-qu'est-ce que tu fais Potter… y a pas la place pour deux ici… marmonna Drago en faisant rouler sa tête sur le côté.

-Attends.

Harry s'empara de sa baguette et prononça une incantation. Le canapé s'élargit suffisamment pour que leurs deux corps tiennent allongés côte à côte. Soulagé que l'alcool n'ait pas altéré sa magie, Harry se laissa tomber à côté de Drago et tourna son visage vers le sien.

-Repose-toi, Drago, murmura-t-il. Essaie de ne pas vomir. Ça ira mieux dans quelques heures.

-Mmmh.

Harry ferma les yeux. Il avait l'impression de flotter. Il sentait à peine son corps, hormis son coeur qui s'affolait dans sa poitrine, emporté par l'ivresse - et par la présence de Drago, dont il entendait la respiration tourmentée juste à côté de lui. Combien de shots avaient-ils avalé ? Trop… beaucoup trop… l'alcool était monté d'un coup… fichu alcool. Fichu jeu à boire. La prochaine fois, ils se contenteraient de siroter une bièraubeurre avec Ron et Hermione, que Drago le veuille ou non.

Il était sur le point de s'endormir, lorsqu'il sentit une main se refermer autour de la sienne. Il rouvrit les yeux.

-Drago ?

-Me lâche pas, marmonna le jeune homme sans le regarder, les doigts crispés autour des siens. S'il te plaît… me lâche pas.

Il y avait quelque chose, dans sa voix, qui alarma Harry. Celui-ci se redressa sur le coude et se pencha vers lui, inquiet.

-Ça va, Drago ?

-Si tu me lâches, je vais tomber…

-Tu ne tomberas pas, promit Harry. Je suis là, je te tiens, Drago. Je te tiens.

Il sentit sa main trembler contre la sienne.

-Accroche-toi à moi, et je te promets que tout ira bien.

Drago tourna brusquement son visage vers lui. Ses prunelles grises se plantèrent dans les siennes, et le souffle de Harry se figea dans sa poitrine. Il s'était attendu à tout, sauf à ça. Il avait l'impression d'avoir été brutalement projeté dans un autre espace-temps.

Drago Malefoy pleurait.

-Drago...

-J-j-je n'ai plus rien Harry… plus rien… à quoi bon m'accrocher ? A quoi bon me battre ? Il n'y a plus rien pour moi ici…

Harry sentit quelque chose se briser dans sa poitrine. Il pressa la main de Drago, détestant sa propre impuissance face aux larmes qui roulaient silencieusement sur les joues du jeune homme. Il ne savait pas comment l'aider. Il ne savait pas quoi lui dire. Les mots se dérobaient sous sa langue, tous plus inutiles les uns que les autres. Que pouvait-on dire à quelqu'un qui venait d'affirmer qu'il ne voulait plus se battre ?

Peut-être que si Hermione avait été là, elle aurait trouvé les bons mots… elle aurait trouvé la formule magique qui l'aurait apaisé…

Mais il était seul. Il était le seul à pouvoir réparer les blessures qui écorchaient le coeur de son ennemi.

Alors puisqu'il n'avait pas les mots, Harry décida d'utiliser les gestes. Il se pencha vers Drago et, doucement, posa son front contre le sien.

-Je suis là, répéta-t-il, alors que leurs souffles alcoolisés se heurtaient avec douceur. Je suis là, et je t'aiderai à te battre.